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Fictions Lesbiennes :)
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22 février 2016

Chapitre 6 : Nouvelle rencontre

Ça fait maintenant deux semaines depuis le déménagement et je n'ai pas vu Anna. Pas l'ombre d'une nouvelle non plus, même pas un petit SMS, au moins le message est clair. Non pas que je m'attendais à quoi que ce soit, mais... Bon, peut-être un peu, mais qu'importe. Après tout pour autant que je sache elle a pu supprimer mon numéro après notre « non-rencard ».

J'ai promis à Baptiste que je viendrais à sa pendaison de crémaillère, mais l'envie est loin de m'étouffer. Un coup d'œil dans la glace me confirme ce que je pensais. J'étais de sombre humeur en m'habillant, ça se ressent au niveau de ma tenue. Pour un parfait inconnu, j'aurais plus l'air prête à me rendre dans un donjon qu'à une simple soirée. Petit haut façon corset (noir, bien sûr), jean ciré moulant de la même couleur, maquillage charbonneux, cheveux en arrière dans une queue de cheval tressée à la Lara Croft... Je vous laisse imaginer le truc. Seuls mes yeux bleus apportent nuance de bleu.

Allez, inutile de tirer ça en longueur, autant faire la technique pansement. J'y vais, je la vois, je lui fais un sourire non accusateur, puis j'oublie qu'elle existe. Si tant est que c’est possible.

Voyant l'heure, je sors en trombe et attrape le tram de justesse. Marcher c'est bien, mais pas quand on a acheté quelques casseroles pour son ami !

La porte de l'appart est ouverte et tous les invités sont déjà en pleine conversation lorsque j'arrive. Je dépose mes cadeaux dans un coin, fais un coucou à tout le monde de très loin et m'installe au dernier emplacement libre, nommément : la chaise droite. C'est mon popotin qui est content !

Il y a foule, on doit être une trentaine dont une bonne dizaine de personnes me sont inconnues. Lucie est en grande discussion avec une jolie brune lorsqu'elle m'aperçoit. Trois secondes plus tard elle est à mes côtés et fait les présentations.

- Inès voici Karen, Karen, Inès.

- Enchantée.

Lucie me scrute de bas en haut et siffle :

- Eh ben, t'as mis les petits plats dans les grands !

- Ça ? Oh c'est rien...

Mon amie me lance un regard qui dit très clairement "c'est ça, on ne me la fait pas à moi !". M'évitant une justification potentiellement humiliante, Karen y va de son commentaire :

- En tout cas ça te va très bien...

- Merci, c'est gentil.

Timide, je baisse la tête en rougissant. C'est étrange de recevoir un compliment d'une inconnue, mais au moins elle est objective !

Baptiste arrive comme un furieux, tablette tactile en main et s'exclame :

- Lulu, faut que tu viennes voir ça !

Je n'ai pas le temps de réagir que déjà ils s'éloignent tous les deux. Je ne sais pas pourquoi, mais y'a comme une odeur de guet-apens. Comme d’habitude, j’en suis la victime sinon c’est pas drôle. Je leur adresse une œillade assassine qu’ils font mine d’ignorer. Ayez des amis qu’ils disaient !

Je croise le regard de Karen qui me fait un sourire et maintient le contact visuel.

- Et sinon tu fais quoi dans la vie ?

Contente qu'elle lance la conversation et m'évite de le faire, je m'empresse de répondre :

- Je suis web designer, toi ?

- Hôtesse de l'air.

- Cool, tu dois voir du pays !

Dans un grand sourire, elle me corrige :

- Même des pays ! Mais bon je cherche à me reconvertir.

- Pourquoi ça ? Vu ta réaction ça à l'air de te plaire !

- J'adore voyager, mais je bosse dans une compagnie qui propose depuis peu des vols avec hôtesses topless... Et ça, c'est un peu trop pour moi !

Machinalement, je baisse les yeux vers sa poitrine et essaie d'imaginer la petite jupe, les chaussures à talons et rien en haut. Plutôt sympa la vue ! Elle claque des doigts et rit ouvertement lorsque je relève la tête en rougissant, réalisant un peu tard ce que j'étais en train de faire.

- Pardon ce... c'était inconscient !

Elle pose sa main sur mon épaule et me rassure :

- Ça fait ça à beaucoup de gens.

Oui, mais est-ce que ces gens continuent à rêvasser une fois surpris en flag ? Parce que je n'ai pas la moindre idée de ce qu'elle vient de me dire, mais je me doute qu'il ne s'agit pas de : "si je peux me rendre utile, n'hésitez pas à sonner".

Reprenant enfin le contrôle de mes pensées et chassant ce que le fantasme d’absence d’uniforme m’oblige à imaginer, je tente de faire la conversation comme une personne civilisée et non la perverse que je suis, non sans une once de culpabilité :

- Et tu ne peux pas faire que des vols "normaux"?

Elle hausse les épaules et explique :

- Ça a beaucoup de succès auprès des hommes d'affaires et vu qu'il s'agit de notre principale clientèle ils ont décidé de se lancer là-dedans à fond...

- Ah... Ok.

Je sens que le sujet est glissant et résiste à l'envie de demander si elle en a déjà fait, choisissant plus sagement d'orienter la discussion dans une autre direction. Mais je n'ai pas l'occasion de le faire puisqu'Anna vient me saluer.

Comme d'habitude, elle a ce charme de "la voisine d'à côté" et je m'énerve à y réagir.

Je lui fais la bise d'un air aussi détaché que possible et fais les présentations.

Immédiatement après, Anna demande :

- Vous vous connaissez d'où ?

J'ai franchement envie de lui faire croire que cette jolie femme est ma copine, juste pour qu'elle voie que son indifférence m’atteint pas. Malheureusement, comme toujours en cas de besoin et qu’Anna est concernée, mes neurones se mettent en grève et aucune phrase disant la vérité de manière ambiguë ne me vient à l'esprit.

Karen se charge d'expliquer la situation à ma place :

- C'est Lucie qui nous a présentées il y a quelques minutes.

- Ah, cool. T'es sa collègue de boulot ?

Karen me regarde et me fait un clin d'oeil complice :

- Non, du tout. J'ai fait sa connaissance à une soirée au Unity.

Heureusement que je n'étais pas en train de boire, je me serais étouffée. Je savais bien que c'était un piège ! Le Unity est une boite lesbienne, mes amis sont vraiment des crevures ! Cette rencontre fortuite  n'en est pas une, c'est sûr et certain. Ma kiné doit partager mon avis puisqu'elle me jette un coup d'œil avant de répondre avec l'air mal à l’aise de quelqu'un qui interrompt quelque chose d'important :

- Oh. Euh... Ok.

Un silence gêné s'ensuit et Karen et moi observons Anna qui est visiblement en plein débat intérieur. Je me demande bien ce qu’elle en pense… Vu son regard assombri, certainement rien de bon. Maudits soient Baptiste et Lucie pour ce coup monté ! Ils ruinent mes plans quinquennaux ! Anna gigote comme si elle avait une envie pressante et s'exclame finalement :

- Bon ben... Je vais aller me chercher à boire. A plus !

Karen se tourne vers moi, totalement perplexe :

- C'est quoi son problème ?

Histoire de changer, j'opte pour dire  ce que je crois être la vérité :

- À mon avis, elle pense qu'on a un rencard arrangé...

Timidement, je détourne la tête, mais observe sa réaction du coin de l'œil :

- Oh ! Pas que je sache...

Je lui souris et réponds :

- Promis je ne suis au courant de rien.

- Non pas que ça m'aurait dérangée...

Son regard croise le mien, ne laissant aucun doute là-dessus.

Je SAIS que je suis en train de devenir pivoine, mais putain qu'est-ce que ça fait du bien d'avoir cette conversation ! Même si c’est un coup bas, je dois avouer que Lucie a fait fort, Karen est pas mal du tout ! Ça me prend tout ce que j'ai de courage, mais je finis par murmurer :

- Moi non plus...

Le moment de gêne est brisé par le volume de la musique qui augmente et on se tourne pour observer Baptiste commencer à se trémousser tout seul sur la piste improvisée. Voyant qu'il n'a pas grand succès, il va chercher Lulu et l'entraîne avec lui.

Tout sourire, Karen me tend la main :

- Tu veux danser ?

En temps normal, ma réponse serait entre "même pas pour rire" et "plutôt crever", mais il est hors de question que je jette un froid après ce qui vient de se dire.

- Volontiers.

On arrive main dans la main sur le "dancefloor" et pour la première fois depuis des mois, je me mets à danser. Pourvu que mon genou tienne le coup, je ne me sens pas d’essuyer une énième humiliation. Je ne sais pas si c'est en raison de la compagnie, mais ce n'est pas aussi terrible que dans mes souvenirs.

Karen bouge super bien et je peine un peu à suivre. Je commence à me sentir un peu ridicule, mais elle me fait un sourire radieux qui me redonne confiance.

Vous voyez le loser de l'école un peu gauche qui se retrouve avec une jolie fille et la fixerait bizarrement, comme s'il n'arrivait pas à croire que ça soit vrai ? Bah c'est moi, enfin du moins c'est comme ça que je me sens.

Je croise le regard de Batou qui me fait un sourire entendu en frétillant des sourcils genre "ce soir c'est ton soir !"

Lucie, fidèle à elle-même, se contente d'avoir l'air fière et fait mine de s'épousseter l'épaule. N'importe quoi celle-là ! Au moyen âge on l'aurait brûlée !

Karen et moi dansons à une distance raisonnable et je n'ose pas me rapprocher davantage. Comme si mes prières étaient exaucées, le tempo ralentit. Un coup d'œil au PC me confirme que les deux fourbes ont tout manigancé. Ils sont présentement en train de se taper dans le dos, contents d'eux.

Je dois avouer qu'à titre exceptionnel ils ont bien joué leurs cartes.

Mon attention revient à ma partenaire, attendant de voir sa réaction. Dans un sourire, elle s'approche, glisse ses mains sur mes hanches et dit tout bas en désignant notre posture d'un mouvement de tête :

- C'est ok  pour toi ?

Voulant jouer avec elle, je réponds par la négative. La déception se lit sur son visage, mais avant qu'elle n'ait le temps de se reculer, je nous rapproche en plaçant mes mains derrière son cou, prenant garde de ne pas lui tirer les cheveux.

- C'est mieux comme ça, t'en dis quoi ?

- Mieux effectivement...

Elle m'adresse un sourire séducteur et j'ai un mal fou à soutenir l'intensité de son regard.

Nos corps se frôlent, sa poitrine contre la mienne. Ça me rappelle ces histoires de topless et le fait que je ne connais cette fille que depuis peu.

Une fois cette piqure de rappel faite, je suis prise d'un doute et ne sais plus comment me comporter.

J'ai besoin d'un break mais ne veux pas me reculer et tout casser, alors je me contente de détourner les yeux un instant.

Tout le monde à l'air de passer un bon moment. Mon regard finit par se poser sur celle que je cherchais inconsciemment. Anna… Elle est en grande discussion avec une amie de Baptiste mais m’observe en retour. J’aimerais bien pouvoir lire dans son esprit et savoir ce qui lui trotte dans la tête, parce que je suis incapable de déchiffrer la signification de son soudain intérêt.

Le contact visuel perdure jusqu’à ce que Karen se penche pour me murmurer à l’oreille :

- Je serais trop directe si je te demandais ton numéro ?

Je me tourne vers elle et lui souris :

- Qui ne tente rien n’a rien il paraît…

Elle me capture dans son regard et ni l’une ni l’autre ne remarquons que la musique a totalement changé. Ça prend un mec me bousculant et m’envoyant contre elle pour nous sortir de ce moment.

Je l’attire en dehors de la piste et m’empare de mon téléphone portable pour enregistrer son numéro, lui donnant le mien en retour.

Elle m’explique, comme pour s’excuser :

- En temps normal j’aurais attendu un peu plus avant de le demander, mais je vais devoir partir… J’ai un vol pour Tokyo tôt demain matin et il faut que je sois en forme.

J’ai un peu de mal à cacher ma déception, mais acquiesce néanmoins sans un mot.

- Je t’appelle à mon retour, on pourrait se boire un verre ou se faire une sortie si ça te dit ?

Elle n’a soudainement plus l’air si sûre d’elle et quelque part ça me rassure. Elle ne doit pas avoir l’habitude de faire ça. Remarque, ça fait bien longtemps que ce genre de chose ne m’était pas arrivé.

- J’aimerais beaucoup ça.

Elle sourit, se penche pour attraper son manteau et me dépose un bisou sur la joue, assez proche de mes lèvres pour que je comprenne le message.

Un petit signe de la main plus tard, je l'observe s’éloigner. Peut-être que finalement je n’égorgerais pas Lucie ce soir ! Encore souriante, je me tourne et perds une partie de mon enthousiasme en croisant le regard d’Anna.

Je range mon téléphone dans la poche arrière de mon jeans, comme pour cacher ce que je viens de faire. C’est comme si je me sentais coupable. Ce qui n’a pas lieu d’être. Je ne lui dois rien. Ou bien ? Non, rien. Stop.

Son expression est indéchiffrable et ça m’énerve. Si au moins elle ne me calculait même pas je serais fixée ! Mais là, c’est elle qui maintient un contact. AAAAARGHHH !!!

Lucie interrompt mon flot de pensées en arrivant comme une fleur, verre à la main.

- Pour toi ma belle.

- Merci.

Je m’empare du gobelet, le renifle et l’avale cul sec. C’est pas mon genre de boire de la sorte, étant d’ordinaire plutôt raisonnable, mais juste pour une fois, si ça pouvait m’éviter de réfléchir et de retomber dans mes films habituels avec Anna dans le rôle principal, ce serait bien.

Je rends le verre à Lucie et lui ordonne :

- Un autre, gueuse !

Elle lève un sourcil, puis reconnaît son statut puisqu’elle me traîne jusqu’à la table lourdement chargée :

- Tu m’as l’air lancée, autant t’amener direct à la source.

Croisant les bras, elle fait signe à Baptiste qui rapplique et ils me laissent le temps de me servir avant de dire à l’unisson :

- Alors !?

- Bonne pioche !

Ils se tapent tous les deux dans la main et se distribuent les rôles avant de faire mine de s’embrasser comme les gamins qu’ils sont.

Blasée, je les regarde faire dans un :

- Très drôle…

Lucie arrête son cinéma et m’explique :

- Tu te rends pas compte depuis combien de temps on attend une nouvelle comme ça !

Comme pour me confirmer ses dires, elle perd de son flegme habituel et me prend dans ses bras, toute contente.

Elle est déjà bourrée ou quoi ? Je termine en sandwich en sentant Batou se joindre à notre hug.

Pour m’avoir coûté cet affreux moment, cette rencontre a intérêt à valoir le coup.

Peut-être en ont-ils marre ou peut-être réalisent-ils que j’ai besoin d’air pour vivre, mais toujours est-il qu’ils finissent par se reculer :

- Vous allez vous revoir ?

Je hausse les épaules, mais n’arrive pas à dissimuler mon sourire :

- Oui, si comme elle l’a dit elle m’appelle en revenant de son voyage.

- Bonne nouvelle ça !

Je regarde Lucie et décide de clarifier tout de suite la situation :

- Avoue, t’as fait exprès de l’amener ce soir ?!

- Il se peut qu’il y ait eu une légère insistance de ma part pour m'assurer de sa présence, oui.

Je suis prise d’un soudain doute :

- Elle ne voulait pas venir ? Non, oublie ça ! Tu lui avais quand même pas annoncé que tu allais lui présenter quelqu’un rassure moi ?

Elle lève les yeux au ciel, comme si je venais de lui dire la pire stupidité de l’univers :

- Bien sûr que non. Contrairement à Batou, je suis discrète ! La matchmaker de l’ombre, la divine stratège furtive !

Baptiste se charge de lui remettre les pieds sur terre pour nous deux :

- Ouais enfin ne t’emballe pas non plus !

Elle balaie sa remarque d’un geste de la main :

- Ingrats. J’imagine que ça prend un génie pour en reconnaître un autre !

Imperturbable même devant nos airs dubitatifs, elle lève son verre en un toast :

- Aux nouvelles rencontres et surtout à ma virtuosité amoureuse !

Baptiste et moi nous regardons, haussons les épaules et trinquons :

- Aux nouvelles rencontres !

On boit tranquillement et j’en profite pour observer l’appart. C’est bien foutu !

- Je ne te connaissais pas de talent en matière de décoration d’intérieur Batou ! Je suis bluffée.

- Merci mais c’est plutôt Anna qu’il faut féliciter, j’ai cru qu’elle allait faire un arrêt en voyant la pièce post-rangement façon moi.

Je dois reconnaître qu’en plus de ça elle a du goût. Ou juste les mêmes que moi. Toujours est-il que ça me plaît.

Visiblement disposé à remettre les lauriers à qui de droit, Baptiste balaie la pièce du regard et finit par demander, dans un froncement de sourcils :

- D’ailleurs, elle est passée où ?

Ma gestuelle indique clairement que je n’en ai pas la moindre idée et c’est Lucie qui nous éclaire :

- Je l’ai vue s'éclipser peu de temps après Karen.

Une soudaine angoisse me traverse l’esprit. Et si Anna était partie la draguer ? Après tout, elle est venue nous parler comme par hasard… S’il faut, elle voulait que je la lui présente !!!

Non.

Ne panique pas.

Elle ne me ferait pas ça.

En plus elle sait que je suis la meilleure amie de son cousin.

Pas franchement rassurée pour autant, je porte mon verre à mes lèvres en priant pour que l’alcool chasse mes psychoses.

Distraite, j’entends à peine Batou s’exclamer :

- Quoi ? Mais elle était supposée passer la nuit ici !

Je sors mon téléphone de ma poche et le regarde, espérant avoir au moins un message de Karen.

Rien, mais ce n’est pas étonnant, ça fait 5 minutes qu’elle est partie. C’est juste que… Disons que c'est plaisant de voir qu’il y a d’autres poissons dans l’océan et que je ne suis pas à mettre au rebus. Il faut que je passe à autre chose et que j’oublie Anna…

Mon meilleur ami interprète mal ma réaction et demande :

- Elle t’a envoyé un SMS ?

Amère, j’avale une grande lampée et réponds d’un ton sans équivoque :

- Non. En même temps elle ne m’a pas adressé un seul message depuis qu’elle a découvert qui se cachait derrière le numéro.

Lucie et Baptiste échangent un regard mi-gêné mi-désolé et ça me saoule encore plus. Ils s’y sont mis à deux pour trouver une nana nickel à qui je plais visiblement et je sais que ça partait d’une bonne intention mais… Mais c’était sans compter le fait que, bien malgré moi, je suis tombée amoureuse d’Anna en cours de route. Et j’ai beau le nier autant que je peux, je suis quasi sûre qu’ils en ont conscience. En mentionnant la possibilité d’un message d’elle, quelque part ça me force à admettre mon échec.

Un fiasco total…

C’est décidé, je sais bien que c’est stupide, mais ce soir je me mets une mine.

 

*          *          *          *          *          *

 

AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH…

Que quelqu’un vienne m’achever.

J’amène mes mains à ma tête et tente de les passer dans mes cheveux pour atténuer la douleur. Sauf que j’ai un gros nœud en lieu et place d’une chevelure soyeuse.

Argh… J’ai l’impression d’avoir été mâchouillée et avalée par un chien... puis vomie.

Remarque, ça expliquerait l’odeur dans ma chambre.

J’ouvre péniblement un œil que je referme bien vite. Apparemment, croiser les volets s’est avéré trop compliqué pour moi hier soir.

J’entends le bruit de marteaux piqueurs. Depuis quand y’a des travaux ? Fallait que ça tombe aujourd'hui bien sûr !

Je rampe jusqu’à la fenêtre en gardant les yeux semi-clos. J’ouvre un battant, prête à déverser un torrent d'injures. Je regarde en bas, me ruinant la vue tout ça pour constater que les cantonniers sont dans ma tête.

Aïe.

Ah oui je confirme, ça tape.

M'aidant du radiateur, je me relève tant bien que mal (plutôt l'un que l'autre, je vous laisse deviner lequel) et me traîne jusqu'à la salle de bain. J'ouvre la pharmacie pour attraper deux Dolipranes orodispersibles. Certes, c'est dégueu mais ça a l'avantage d'être rapidement efficace, c'est tout ce qui m'intéresse.

Je referme la porte et le reflet ne me fait pas de cadeau.

De charbonneux, mon maquillage est passé à animalier.

Si si je vous assure !

Ah là il n'y a pas de doute, je suis un panda ! Ou alors un boxeur après une vilaine défaite.

J'ai également un sein en dehors de mon haut et j'espère que ça s'est produit pendant mon sommeil !

Mais qu'est-ce que j'ai foutu cette nuit ? Je m'approche du miroir, comme fascinée par l'ampleur des dégâts.

Je suis rouge, mais rouge ! Si on m'apprend qu'hier j'ai tenté un gommage à la toile émeri au Bricorama du coin, vu ma tronche je croirais la personne sur parole !

Un court passage sous la douche me redonnera peut être forme humaine !

Sous l'eau, j'essaie de me remémorer ma soirée mais ça s'avère franchement difficile. La dernière chose dont je me rappelle est de trinquer avec Lucie et Baptiste...

Vu mon état et mon manque de sommeil, j'estime qu'il y a un trou dans mon emploi du temps d'au minimum 5 heures. Ça représente 4h45 de plus que ce qu'il me faudrait pour potentiellement ruiner ma vie.

Nickel.

Sachant que sobre je ne suis pas douée, j'ai peur d'imaginer ce dont je suis capable avec plus d'alcool que de sang.

Un coup d'œil à l'horloge m'informe qu'il est presque 17h. Il faut que d'ici une heure je me rende au ciné fraîche et dispo. A mon avis niveau fraicheur on repassera. La douche a effacé mon air rougeaud, mais me laisse avec une charmante teinte de nana malade. Miam. Finalement le rouge c’était pas mal.

Je me remaquille très légèrement, plus en mode "limitons les dégâts" que séduction. Et étant donné qu'ouvrir les yeux en grand m'est toujours délicat, on va éviter le potentiel carnage et miser sur le discret.

Dans la rue, tous les regards tournés vers moi. Entre mon teint verdâtre, mes lunettes de soleil et ma tenue "noir intégral", on dirait que je suis la VRP de la morgue du coin.

Arrivée au ciné, je suis étonnée de voir Anna. Évidemment, dès que je suis à mon avantage elle est là...

Une fois salués, on opte pour le dernier X-men. Baptiste m'interpelle avant que je n'entre dans la salle :

- Tiens !

Il me tend mon téléphone.

- Je l'ai retrouvé ce matin dans mon frigo.

- T'es sérieux la ?

Machinalement, je tente de le déverrouiller pour voir mes messages, mais la batterie est out.

- Oui, dans le bac à fruits pour être précis... Visiblement, t'étais vraiment arrangée hier soir.

- Je te le fais pas dire... Merci en tout cas.

Lucie nous interrompt d'un :

- Bon, on s'installe ou on regarde le film debout ?

Proprement réprimandés, on rejoint les filles au pas de course.

Baptiste va se mettre au fond de la rangée, suivi par Lucie puis Anna. En temps normal, j'aurais bien aimé me retrouver à côté d'elle dans un endroit propice aux rapprochements, mais entre l'odeur de vinasse qui m'accompagne même après la douche et mon envie de mourir post-cuite, cette fois je m'en serais volontiers passée...

Les bandes-annonces n'ont pas encore commencé et alors que Lucie et Baptiste sont en grande discussion, j'ai droit, pour seule compagnie, à la musique d'ascenseur gracieusement fournie par le cinéma...

Mon regard se tourne vers Anna, histoire de lancer une conversation. Voyant que ça ne fonctionne pas, je lui tapote le bras. Force est de constater qu'elle fait tout ce qu'elle peut pour faire comme si je n'existais pas.

Ok...

Je ne suis pas sûre de comprendre. Respirer me file un mal de crâne pas possible, alors réfléchir est clairement hors de ma portée... Vu mon état, elle pourrait m’épargner et me dire directement de quoi il retourne. J’en ai marre de ce chaud / froid sérieux. Je suis pas devin.

Malgré mon agacement, je suis résolue à ne rien faire qui puisse potentiellement m'enfoncer d'avantage et prie simplement pour que les bandes-annonces soient rapidement lancées.

L'unique et néanmoins proéminent problème, c'est que la fatigue et la douleur me rendent émotionnelle. Ce qui fait que trente secondes plus tard, je suis au bord du désespoir.

Mais qu'est-ce que j'ai fait ?

T.T

...

Une seule façon de le savoir. Quelques secondes ne suffisent pas pour rassembler mon courage mais j'ai peur de rater le coche si les vidéos commencent :

- Anna... Qu’est-ce qui se passe ? J'ai fait quelque chose de mal ?

Cette fois-ci, j'arrive très bien à capter son attention, mais alors qu'elle me fait face avec ce que ressemble à un mélange d'agacement et de pitié  dans les yeux, je regrette un peu :

- Tu sais très bien ce que t'as fait. Je sais pas quoi te dire de plus... C'est pas contre toi.

Je me tourne complètement vers elle et espère qu'elle va me croire :

- Je n'ai pas la moindre idée de quoi tu parles ! J'ai trop bu hier soir j'ai un gigantesque trou de mémoire !

D'un ton qui ne présage rien de bon, elle m'ordonne :

- Regarde tes messages.

Dépitée, je lui passe mon téléphone et explique la découverte de Batou.

Tout comme moi, elle constate que cette saloperie a décidé de cesser de fonctionner. Elle pianote donc sur le sien et me le tend :

- Tiens.

D'une main hésitante, je m'empare de l'appareil, ayant franchement peur de ce que je vais y lire. Pour ne rien arranger, les deux zozos à côté ont arrêté de parler et je suis prête à parier qu'ils sont présentement en train d'espionner notre conversation.

Et effectivement, c'est avec effroi que je découvre cet éloquent message : "J'zurzis aimé que tu sois lz ce soir, spas pareil szns toi..."

Ah.

Oui.

Rien n'est dit mais tout est clair quoi. Bien gênant, comme d'habitude j'assure en matière d'auto humiliation...

Je vois bien qu'elle attend une réaction de ma part, mais je suis tellement sur le cul que j'ai du mal à fermer la bouche, alors autant dire que je n'ai pas l'ombre d'un début d'explication.

- Anna... Je te jure, je...

- Je t'ai déjà expliqué que la situation ne m'autorise pas à envisager quoi que ce soit autre qu'amical.

Outch.

Ça pique, même lancé d'un ton compréhensif.

Machinalement, je baisse la tête pour tenter de dissimuler le contrecoup tandis qu’Anna reste froide et distante. Est-ce qu’elle fait ça pour moi ou pour elle ? Si elle n’en avait rien à foutre de moi elle n’aurait pas autant réagi, si ? 

Fort heureusement, mes soupçons initiaux s'avèrent confirmés lorsque Lucie se penche pour lire le message par-dessus mon épaule. J'espère qu'elle va mettre fin à mon supplice.

Certainement sous l'effet de la surprise, elle prend une petite inspiration. Au moins ça implique qu'elle n'était pas au courant et ne m'a pas vue le taper.

Mais son légendaire flegme reprend le dessus. Lorsqu'elle ouvre la bouche, je sais immédiatement qu'elle tente de me sauver la mise :

- Hey, mais comment t'as eu ce message...

Anna fronce les sourcils et observe Lucie, cherchant à comprendre ce dont elle parle :

- Comment ça ?

- Ben c'est le SMS que j'ai envoyé à mon amie Ann-...

Elle feint la réalisation et reprend :

- Ah, tout s'explique. Quelle idée d'avoir le même téléphone que moi aussi.

Elle me colle une petite tape de "réprimande" que j'encaisse bien volontiers vu l'occasion.

Si je m'écoutais, là tout de suite j'embrasserais Lucie. Cette nana a loupé une carrière  de joueuse professionnelle, elle a un culot gigantesque ET une poker face qui se passe de commentaire.

Anna se tourne vers moi et j'espère bien être la représentation même de l'innocence.

- Je t'assure que c'est la première fois que je vois ce message.

Ce qui, soit dit en passant, n'est pas un mensonge. Je reconnais la qualité de ma coordination écrite une fois bourrée, mais ça, elle n'a pas besoin de le savoir hein.

La culpabilité est de mise lorsqu'Anna ressent la nécessité de s'excuser :

- Pardon. Je.. J'ai sauté à une conclusion hâtive.

- En même temps... Vu les circonstances, c'est pas franchement ta faute !

Les bandes-annonces commencent et ma kiné s'éclipse pour aller aux toilettes. Je soupçonne l'embarras d'être davantage à l'origine de sa fuite que sa vessie. La pauvre. J'ai un peu honte de ne pas assumer, mais pas assez pour avouer ! J’aurais pu la suivre et mettre les choses au clair en embrayant sur le mensonge de Lucie, mais enfoncer le clou ne serait pas correct et son envie de s’isoler ne crie pas ‘viens me rejoindre’ !

Une fois assurée d'être hors de portée d'une oreille qui traîne, je m'empresse d'exprimer ma reconnaissance à mon amie :

- Merci ! Je ne sais pas comment te remercier !

Lucie pioche dans son popcorn et réplique nonchalamment :

- De rien. J'aime beaucoup ta nouvelle veste...

Je lève les yeux au ciel, mais m'abstiens de tout commentaire désobligeant.

Dépitée, je réponds néanmoins :

- Elle sera à toi en rentrant. Terroriste.

Elle a un petit sourire en coin et engloutit ses friandises d'un air satisfait.

Batou est une fois de plus à côté de la plaque et s'exclame :

- Mais expliquez-moi, j'ai pas compris ! Y'avait quoi sur le message ? Et depuis quand t'as une amie qui s'appelle Anna ?

L'intéressée revient de sa pause pipi bien trop courte pour en être une et j'assiste non sans joie à la scène "cuisse maigrelette vs poigne de la mort" dans un remake de "un mot de plus et ta vie cessera".

Ma kiné se réinstalle en silence alors que le film commence.

Le noir m’aide à dissimuler mon embarras. Qu’est-ce qui m’a pris d'envoyer ça, même bourrée c'est à un niveau de connerie hors du commun !?

À vrai dire, ce texto tout bête me fait réaliser que peut être j’ai davantage envie de tenter le coup avec elle que ce que je suis disposée à avouer…

Ça vient peut-être du syndrome de « c’est interdit donc je le veux », mais dans tous les cas ça me met dans une merde noire.

Dire que tout ça est parti des deux ploucs à côté de moi qui se faisaient des films ! Au fond, c’est un peu leur faute ! Nan, c’est même carrément à cause d’eux !

La pénombre me permet d’observer le profil de ma kiné. Elle n’a pas un physique extraordinaire, vraiment. Qu'on s'entende, je ne suis pas en train d'impliquer que c'est un cageot, juste que ce n'est pas une gravure de mode non plus. C’est surtout une belle personne et ça, ça la rend très attirante à mes yeux. Y’a rien de tel qu’avoir le sourire pour donner aux gens l’envie de vous parler.

Mon regard descend, parcourant son col en V et le début de poitrine qu’il laisse entrevoir, puis ses cuisses et enfin sa main sur l’accoudoir.

Si je m’écoutais, je la prendrais dans la mienne.

Je me demande si j’aurais vraiment pu avoir ma chance si cette histoire de conscience professionnelle ne s’en était pas mêlée. Si j’avais choisi un autre cabinet, je l’aurais quand même rencontrée via Batou et…

Ouais. Bon…

Des « si » quoi.

Story of my life

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