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Fictions Lesbiennes :)
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lesbienne
22 février 2016

Chapitre 6 : Nouvelle rencontre

Ça fait maintenant deux semaines depuis le déménagement et je n'ai pas vu Anna. Pas l'ombre d'une nouvelle non plus, même pas un petit SMS, au moins le message est clair. Non pas que je m'attendais à quoi que ce soit, mais... Bon, peut-être un peu, mais qu'importe. Après tout pour autant que je sache elle a pu supprimer mon numéro après notre « non-rencard ».

J'ai promis à Baptiste que je viendrais à sa pendaison de crémaillère, mais l'envie est loin de m'étouffer. Un coup d'œil dans la glace me confirme ce que je pensais. J'étais de sombre humeur en m'habillant, ça se ressent au niveau de ma tenue. Pour un parfait inconnu, j'aurais plus l'air prête à me rendre dans un donjon qu'à une simple soirée. Petit haut façon corset (noir, bien sûr), jean ciré moulant de la même couleur, maquillage charbonneux, cheveux en arrière dans une queue de cheval tressée à la Lara Croft... Je vous laisse imaginer le truc. Seuls mes yeux bleus apportent nuance de bleu.

Allez, inutile de tirer ça en longueur, autant faire la technique pansement. J'y vais, je la vois, je lui fais un sourire non accusateur, puis j'oublie qu'elle existe. Si tant est que c’est possible.

Voyant l'heure, je sors en trombe et attrape le tram de justesse. Marcher c'est bien, mais pas quand on a acheté quelques casseroles pour son ami !

La porte de l'appart est ouverte et tous les invités sont déjà en pleine conversation lorsque j'arrive. Je dépose mes cadeaux dans un coin, fais un coucou à tout le monde de très loin et m'installe au dernier emplacement libre, nommément : la chaise droite. C'est mon popotin qui est content !

Il y a foule, on doit être une trentaine dont une bonne dizaine de personnes me sont inconnues. Lucie est en grande discussion avec une jolie brune lorsqu'elle m'aperçoit. Trois secondes plus tard elle est à mes côtés et fait les présentations.

- Inès voici Karen, Karen, Inès.

- Enchantée.

Lucie me scrute de bas en haut et siffle :

- Eh ben, t'as mis les petits plats dans les grands !

- Ça ? Oh c'est rien...

Mon amie me lance un regard qui dit très clairement "c'est ça, on ne me la fait pas à moi !". M'évitant une justification potentiellement humiliante, Karen y va de son commentaire :

- En tout cas ça te va très bien...

- Merci, c'est gentil.

Timide, je baisse la tête en rougissant. C'est étrange de recevoir un compliment d'une inconnue, mais au moins elle est objective !

Baptiste arrive comme un furieux, tablette tactile en main et s'exclame :

- Lulu, faut que tu viennes voir ça !

Je n'ai pas le temps de réagir que déjà ils s'éloignent tous les deux. Je ne sais pas pourquoi, mais y'a comme une odeur de guet-apens. Comme d’habitude, j’en suis la victime sinon c’est pas drôle. Je leur adresse une œillade assassine qu’ils font mine d’ignorer. Ayez des amis qu’ils disaient !

Je croise le regard de Karen qui me fait un sourire et maintient le contact visuel.

- Et sinon tu fais quoi dans la vie ?

Contente qu'elle lance la conversation et m'évite de le faire, je m'empresse de répondre :

- Je suis web designer, toi ?

- Hôtesse de l'air.

- Cool, tu dois voir du pays !

Dans un grand sourire, elle me corrige :

- Même des pays ! Mais bon je cherche à me reconvertir.

- Pourquoi ça ? Vu ta réaction ça à l'air de te plaire !

- J'adore voyager, mais je bosse dans une compagnie qui propose depuis peu des vols avec hôtesses topless... Et ça, c'est un peu trop pour moi !

Machinalement, je baisse les yeux vers sa poitrine et essaie d'imaginer la petite jupe, les chaussures à talons et rien en haut. Plutôt sympa la vue ! Elle claque des doigts et rit ouvertement lorsque je relève la tête en rougissant, réalisant un peu tard ce que j'étais en train de faire.

- Pardon ce... c'était inconscient !

Elle pose sa main sur mon épaule et me rassure :

- Ça fait ça à beaucoup de gens.

Oui, mais est-ce que ces gens continuent à rêvasser une fois surpris en flag ? Parce que je n'ai pas la moindre idée de ce qu'elle vient de me dire, mais je me doute qu'il ne s'agit pas de : "si je peux me rendre utile, n'hésitez pas à sonner".

Reprenant enfin le contrôle de mes pensées et chassant ce que le fantasme d’absence d’uniforme m’oblige à imaginer, je tente de faire la conversation comme une personne civilisée et non la perverse que je suis, non sans une once de culpabilité :

- Et tu ne peux pas faire que des vols "normaux"?

Elle hausse les épaules et explique :

- Ça a beaucoup de succès auprès des hommes d'affaires et vu qu'il s'agit de notre principale clientèle ils ont décidé de se lancer là-dedans à fond...

- Ah... Ok.

Je sens que le sujet est glissant et résiste à l'envie de demander si elle en a déjà fait, choisissant plus sagement d'orienter la discussion dans une autre direction. Mais je n'ai pas l'occasion de le faire puisqu'Anna vient me saluer.

Comme d'habitude, elle a ce charme de "la voisine d'à côté" et je m'énerve à y réagir.

Je lui fais la bise d'un air aussi détaché que possible et fais les présentations.

Immédiatement après, Anna demande :

- Vous vous connaissez d'où ?

J'ai franchement envie de lui faire croire que cette jolie femme est ma copine, juste pour qu'elle voie que son indifférence m’atteint pas. Malheureusement, comme toujours en cas de besoin et qu’Anna est concernée, mes neurones se mettent en grève et aucune phrase disant la vérité de manière ambiguë ne me vient à l'esprit.

Karen se charge d'expliquer la situation à ma place :

- C'est Lucie qui nous a présentées il y a quelques minutes.

- Ah, cool. T'es sa collègue de boulot ?

Karen me regarde et me fait un clin d'oeil complice :

- Non, du tout. J'ai fait sa connaissance à une soirée au Unity.

Heureusement que je n'étais pas en train de boire, je me serais étouffée. Je savais bien que c'était un piège ! Le Unity est une boite lesbienne, mes amis sont vraiment des crevures ! Cette rencontre fortuite  n'en est pas une, c'est sûr et certain. Ma kiné doit partager mon avis puisqu'elle me jette un coup d'œil avant de répondre avec l'air mal à l’aise de quelqu'un qui interrompt quelque chose d'important :

- Oh. Euh... Ok.

Un silence gêné s'ensuit et Karen et moi observons Anna qui est visiblement en plein débat intérieur. Je me demande bien ce qu’elle en pense… Vu son regard assombri, certainement rien de bon. Maudits soient Baptiste et Lucie pour ce coup monté ! Ils ruinent mes plans quinquennaux ! Anna gigote comme si elle avait une envie pressante et s'exclame finalement :

- Bon ben... Je vais aller me chercher à boire. A plus !

Karen se tourne vers moi, totalement perplexe :

- C'est quoi son problème ?

Histoire de changer, j'opte pour dire  ce que je crois être la vérité :

- À mon avis, elle pense qu'on a un rencard arrangé...

Timidement, je détourne la tête, mais observe sa réaction du coin de l'œil :

- Oh ! Pas que je sache...

Je lui souris et réponds :

- Promis je ne suis au courant de rien.

- Non pas que ça m'aurait dérangée...

Son regard croise le mien, ne laissant aucun doute là-dessus.

Je SAIS que je suis en train de devenir pivoine, mais putain qu'est-ce que ça fait du bien d'avoir cette conversation ! Même si c’est un coup bas, je dois avouer que Lucie a fait fort, Karen est pas mal du tout ! Ça me prend tout ce que j'ai de courage, mais je finis par murmurer :

- Moi non plus...

Le moment de gêne est brisé par le volume de la musique qui augmente et on se tourne pour observer Baptiste commencer à se trémousser tout seul sur la piste improvisée. Voyant qu'il n'a pas grand succès, il va chercher Lulu et l'entraîne avec lui.

Tout sourire, Karen me tend la main :

- Tu veux danser ?

En temps normal, ma réponse serait entre "même pas pour rire" et "plutôt crever", mais il est hors de question que je jette un froid après ce qui vient de se dire.

- Volontiers.

On arrive main dans la main sur le "dancefloor" et pour la première fois depuis des mois, je me mets à danser. Pourvu que mon genou tienne le coup, je ne me sens pas d’essuyer une énième humiliation. Je ne sais pas si c'est en raison de la compagnie, mais ce n'est pas aussi terrible que dans mes souvenirs.

Karen bouge super bien et je peine un peu à suivre. Je commence à me sentir un peu ridicule, mais elle me fait un sourire radieux qui me redonne confiance.

Vous voyez le loser de l'école un peu gauche qui se retrouve avec une jolie fille et la fixerait bizarrement, comme s'il n'arrivait pas à croire que ça soit vrai ? Bah c'est moi, enfin du moins c'est comme ça que je me sens.

Je croise le regard de Batou qui me fait un sourire entendu en frétillant des sourcils genre "ce soir c'est ton soir !"

Lucie, fidèle à elle-même, se contente d'avoir l'air fière et fait mine de s'épousseter l'épaule. N'importe quoi celle-là ! Au moyen âge on l'aurait brûlée !

Karen et moi dansons à une distance raisonnable et je n'ose pas me rapprocher davantage. Comme si mes prières étaient exaucées, le tempo ralentit. Un coup d'œil au PC me confirme que les deux fourbes ont tout manigancé. Ils sont présentement en train de se taper dans le dos, contents d'eux.

Je dois avouer qu'à titre exceptionnel ils ont bien joué leurs cartes.

Mon attention revient à ma partenaire, attendant de voir sa réaction. Dans un sourire, elle s'approche, glisse ses mains sur mes hanches et dit tout bas en désignant notre posture d'un mouvement de tête :

- C'est ok  pour toi ?

Voulant jouer avec elle, je réponds par la négative. La déception se lit sur son visage, mais avant qu'elle n'ait le temps de se reculer, je nous rapproche en plaçant mes mains derrière son cou, prenant garde de ne pas lui tirer les cheveux.

- C'est mieux comme ça, t'en dis quoi ?

- Mieux effectivement...

Elle m'adresse un sourire séducteur et j'ai un mal fou à soutenir l'intensité de son regard.

Nos corps se frôlent, sa poitrine contre la mienne. Ça me rappelle ces histoires de topless et le fait que je ne connais cette fille que depuis peu.

Une fois cette piqure de rappel faite, je suis prise d'un doute et ne sais plus comment me comporter.

J'ai besoin d'un break mais ne veux pas me reculer et tout casser, alors je me contente de détourner les yeux un instant.

Tout le monde à l'air de passer un bon moment. Mon regard finit par se poser sur celle que je cherchais inconsciemment. Anna… Elle est en grande discussion avec une amie de Baptiste mais m’observe en retour. J’aimerais bien pouvoir lire dans son esprit et savoir ce qui lui trotte dans la tête, parce que je suis incapable de déchiffrer la signification de son soudain intérêt.

Le contact visuel perdure jusqu’à ce que Karen se penche pour me murmurer à l’oreille :

- Je serais trop directe si je te demandais ton numéro ?

Je me tourne vers elle et lui souris :

- Qui ne tente rien n’a rien il paraît…

Elle me capture dans son regard et ni l’une ni l’autre ne remarquons que la musique a totalement changé. Ça prend un mec me bousculant et m’envoyant contre elle pour nous sortir de ce moment.

Je l’attire en dehors de la piste et m’empare de mon téléphone portable pour enregistrer son numéro, lui donnant le mien en retour.

Elle m’explique, comme pour s’excuser :

- En temps normal j’aurais attendu un peu plus avant de le demander, mais je vais devoir partir… J’ai un vol pour Tokyo tôt demain matin et il faut que je sois en forme.

J’ai un peu de mal à cacher ma déception, mais acquiesce néanmoins sans un mot.

- Je t’appelle à mon retour, on pourrait se boire un verre ou se faire une sortie si ça te dit ?

Elle n’a soudainement plus l’air si sûre d’elle et quelque part ça me rassure. Elle ne doit pas avoir l’habitude de faire ça. Remarque, ça fait bien longtemps que ce genre de chose ne m’était pas arrivé.

- J’aimerais beaucoup ça.

Elle sourit, se penche pour attraper son manteau et me dépose un bisou sur la joue, assez proche de mes lèvres pour que je comprenne le message.

Un petit signe de la main plus tard, je l'observe s’éloigner. Peut-être que finalement je n’égorgerais pas Lucie ce soir ! Encore souriante, je me tourne et perds une partie de mon enthousiasme en croisant le regard d’Anna.

Je range mon téléphone dans la poche arrière de mon jeans, comme pour cacher ce que je viens de faire. C’est comme si je me sentais coupable. Ce qui n’a pas lieu d’être. Je ne lui dois rien. Ou bien ? Non, rien. Stop.

Son expression est indéchiffrable et ça m’énerve. Si au moins elle ne me calculait même pas je serais fixée ! Mais là, c’est elle qui maintient un contact. AAAAARGHHH !!!

Lucie interrompt mon flot de pensées en arrivant comme une fleur, verre à la main.

- Pour toi ma belle.

- Merci.

Je m’empare du gobelet, le renifle et l’avale cul sec. C’est pas mon genre de boire de la sorte, étant d’ordinaire plutôt raisonnable, mais juste pour une fois, si ça pouvait m’éviter de réfléchir et de retomber dans mes films habituels avec Anna dans le rôle principal, ce serait bien.

Je rends le verre à Lucie et lui ordonne :

- Un autre, gueuse !

Elle lève un sourcil, puis reconnaît son statut puisqu’elle me traîne jusqu’à la table lourdement chargée :

- Tu m’as l’air lancée, autant t’amener direct à la source.

Croisant les bras, elle fait signe à Baptiste qui rapplique et ils me laissent le temps de me servir avant de dire à l’unisson :

- Alors !?

- Bonne pioche !

Ils se tapent tous les deux dans la main et se distribuent les rôles avant de faire mine de s’embrasser comme les gamins qu’ils sont.

Blasée, je les regarde faire dans un :

- Très drôle…

Lucie arrête son cinéma et m’explique :

- Tu te rends pas compte depuis combien de temps on attend une nouvelle comme ça !

Comme pour me confirmer ses dires, elle perd de son flegme habituel et me prend dans ses bras, toute contente.

Elle est déjà bourrée ou quoi ? Je termine en sandwich en sentant Batou se joindre à notre hug.

Pour m’avoir coûté cet affreux moment, cette rencontre a intérêt à valoir le coup.

Peut-être en ont-ils marre ou peut-être réalisent-ils que j’ai besoin d’air pour vivre, mais toujours est-il qu’ils finissent par se reculer :

- Vous allez vous revoir ?

Je hausse les épaules, mais n’arrive pas à dissimuler mon sourire :

- Oui, si comme elle l’a dit elle m’appelle en revenant de son voyage.

- Bonne nouvelle ça !

Je regarde Lucie et décide de clarifier tout de suite la situation :

- Avoue, t’as fait exprès de l’amener ce soir ?!

- Il se peut qu’il y ait eu une légère insistance de ma part pour m'assurer de sa présence, oui.

Je suis prise d’un soudain doute :

- Elle ne voulait pas venir ? Non, oublie ça ! Tu lui avais quand même pas annoncé que tu allais lui présenter quelqu’un rassure moi ?

Elle lève les yeux au ciel, comme si je venais de lui dire la pire stupidité de l’univers :

- Bien sûr que non. Contrairement à Batou, je suis discrète ! La matchmaker de l’ombre, la divine stratège furtive !

Baptiste se charge de lui remettre les pieds sur terre pour nous deux :

- Ouais enfin ne t’emballe pas non plus !

Elle balaie sa remarque d’un geste de la main :

- Ingrats. J’imagine que ça prend un génie pour en reconnaître un autre !

Imperturbable même devant nos airs dubitatifs, elle lève son verre en un toast :

- Aux nouvelles rencontres et surtout à ma virtuosité amoureuse !

Baptiste et moi nous regardons, haussons les épaules et trinquons :

- Aux nouvelles rencontres !

On boit tranquillement et j’en profite pour observer l’appart. C’est bien foutu !

- Je ne te connaissais pas de talent en matière de décoration d’intérieur Batou ! Je suis bluffée.

- Merci mais c’est plutôt Anna qu’il faut féliciter, j’ai cru qu’elle allait faire un arrêt en voyant la pièce post-rangement façon moi.

Je dois reconnaître qu’en plus de ça elle a du goût. Ou juste les mêmes que moi. Toujours est-il que ça me plaît.

Visiblement disposé à remettre les lauriers à qui de droit, Baptiste balaie la pièce du regard et finit par demander, dans un froncement de sourcils :

- D’ailleurs, elle est passée où ?

Ma gestuelle indique clairement que je n’en ai pas la moindre idée et c’est Lucie qui nous éclaire :

- Je l’ai vue s'éclipser peu de temps après Karen.

Une soudaine angoisse me traverse l’esprit. Et si Anna était partie la draguer ? Après tout, elle est venue nous parler comme par hasard… S’il faut, elle voulait que je la lui présente !!!

Non.

Ne panique pas.

Elle ne me ferait pas ça.

En plus elle sait que je suis la meilleure amie de son cousin.

Pas franchement rassurée pour autant, je porte mon verre à mes lèvres en priant pour que l’alcool chasse mes psychoses.

Distraite, j’entends à peine Batou s’exclamer :

- Quoi ? Mais elle était supposée passer la nuit ici !

Je sors mon téléphone de ma poche et le regarde, espérant avoir au moins un message de Karen.

Rien, mais ce n’est pas étonnant, ça fait 5 minutes qu’elle est partie. C’est juste que… Disons que c'est plaisant de voir qu’il y a d’autres poissons dans l’océan et que je ne suis pas à mettre au rebus. Il faut que je passe à autre chose et que j’oublie Anna…

Mon meilleur ami interprète mal ma réaction et demande :

- Elle t’a envoyé un SMS ?

Amère, j’avale une grande lampée et réponds d’un ton sans équivoque :

- Non. En même temps elle ne m’a pas adressé un seul message depuis qu’elle a découvert qui se cachait derrière le numéro.

Lucie et Baptiste échangent un regard mi-gêné mi-désolé et ça me saoule encore plus. Ils s’y sont mis à deux pour trouver une nana nickel à qui je plais visiblement et je sais que ça partait d’une bonne intention mais… Mais c’était sans compter le fait que, bien malgré moi, je suis tombée amoureuse d’Anna en cours de route. Et j’ai beau le nier autant que je peux, je suis quasi sûre qu’ils en ont conscience. En mentionnant la possibilité d’un message d’elle, quelque part ça me force à admettre mon échec.

Un fiasco total…

C’est décidé, je sais bien que c’est stupide, mais ce soir je me mets une mine.

 

*          *          *          *          *          *

 

AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH…

Que quelqu’un vienne m’achever.

J’amène mes mains à ma tête et tente de les passer dans mes cheveux pour atténuer la douleur. Sauf que j’ai un gros nœud en lieu et place d’une chevelure soyeuse.

Argh… J’ai l’impression d’avoir été mâchouillée et avalée par un chien... puis vomie.

Remarque, ça expliquerait l’odeur dans ma chambre.

J’ouvre péniblement un œil que je referme bien vite. Apparemment, croiser les volets s’est avéré trop compliqué pour moi hier soir.

J’entends le bruit de marteaux piqueurs. Depuis quand y’a des travaux ? Fallait que ça tombe aujourd'hui bien sûr !

Je rampe jusqu’à la fenêtre en gardant les yeux semi-clos. J’ouvre un battant, prête à déverser un torrent d'injures. Je regarde en bas, me ruinant la vue tout ça pour constater que les cantonniers sont dans ma tête.

Aïe.

Ah oui je confirme, ça tape.

M'aidant du radiateur, je me relève tant bien que mal (plutôt l'un que l'autre, je vous laisse deviner lequel) et me traîne jusqu'à la salle de bain. J'ouvre la pharmacie pour attraper deux Dolipranes orodispersibles. Certes, c'est dégueu mais ça a l'avantage d'être rapidement efficace, c'est tout ce qui m'intéresse.

Je referme la porte et le reflet ne me fait pas de cadeau.

De charbonneux, mon maquillage est passé à animalier.

Si si je vous assure !

Ah là il n'y a pas de doute, je suis un panda ! Ou alors un boxeur après une vilaine défaite.

J'ai également un sein en dehors de mon haut et j'espère que ça s'est produit pendant mon sommeil !

Mais qu'est-ce que j'ai foutu cette nuit ? Je m'approche du miroir, comme fascinée par l'ampleur des dégâts.

Je suis rouge, mais rouge ! Si on m'apprend qu'hier j'ai tenté un gommage à la toile émeri au Bricorama du coin, vu ma tronche je croirais la personne sur parole !

Un court passage sous la douche me redonnera peut être forme humaine !

Sous l'eau, j'essaie de me remémorer ma soirée mais ça s'avère franchement difficile. La dernière chose dont je me rappelle est de trinquer avec Lucie et Baptiste...

Vu mon état et mon manque de sommeil, j'estime qu'il y a un trou dans mon emploi du temps d'au minimum 5 heures. Ça représente 4h45 de plus que ce qu'il me faudrait pour potentiellement ruiner ma vie.

Nickel.

Sachant que sobre je ne suis pas douée, j'ai peur d'imaginer ce dont je suis capable avec plus d'alcool que de sang.

Un coup d'œil à l'horloge m'informe qu'il est presque 17h. Il faut que d'ici une heure je me rende au ciné fraîche et dispo. A mon avis niveau fraicheur on repassera. La douche a effacé mon air rougeaud, mais me laisse avec une charmante teinte de nana malade. Miam. Finalement le rouge c’était pas mal.

Je me remaquille très légèrement, plus en mode "limitons les dégâts" que séduction. Et étant donné qu'ouvrir les yeux en grand m'est toujours délicat, on va éviter le potentiel carnage et miser sur le discret.

Dans la rue, tous les regards tournés vers moi. Entre mon teint verdâtre, mes lunettes de soleil et ma tenue "noir intégral", on dirait que je suis la VRP de la morgue du coin.

Arrivée au ciné, je suis étonnée de voir Anna. Évidemment, dès que je suis à mon avantage elle est là...

Une fois salués, on opte pour le dernier X-men. Baptiste m'interpelle avant que je n'entre dans la salle :

- Tiens !

Il me tend mon téléphone.

- Je l'ai retrouvé ce matin dans mon frigo.

- T'es sérieux la ?

Machinalement, je tente de le déverrouiller pour voir mes messages, mais la batterie est out.

- Oui, dans le bac à fruits pour être précis... Visiblement, t'étais vraiment arrangée hier soir.

- Je te le fais pas dire... Merci en tout cas.

Lucie nous interrompt d'un :

- Bon, on s'installe ou on regarde le film debout ?

Proprement réprimandés, on rejoint les filles au pas de course.

Baptiste va se mettre au fond de la rangée, suivi par Lucie puis Anna. En temps normal, j'aurais bien aimé me retrouver à côté d'elle dans un endroit propice aux rapprochements, mais entre l'odeur de vinasse qui m'accompagne même après la douche et mon envie de mourir post-cuite, cette fois je m'en serais volontiers passée...

Les bandes-annonces n'ont pas encore commencé et alors que Lucie et Baptiste sont en grande discussion, j'ai droit, pour seule compagnie, à la musique d'ascenseur gracieusement fournie par le cinéma...

Mon regard se tourne vers Anna, histoire de lancer une conversation. Voyant que ça ne fonctionne pas, je lui tapote le bras. Force est de constater qu'elle fait tout ce qu'elle peut pour faire comme si je n'existais pas.

Ok...

Je ne suis pas sûre de comprendre. Respirer me file un mal de crâne pas possible, alors réfléchir est clairement hors de ma portée... Vu mon état, elle pourrait m’épargner et me dire directement de quoi il retourne. J’en ai marre de ce chaud / froid sérieux. Je suis pas devin.

Malgré mon agacement, je suis résolue à ne rien faire qui puisse potentiellement m'enfoncer d'avantage et prie simplement pour que les bandes-annonces soient rapidement lancées.

L'unique et néanmoins proéminent problème, c'est que la fatigue et la douleur me rendent émotionnelle. Ce qui fait que trente secondes plus tard, je suis au bord du désespoir.

Mais qu'est-ce que j'ai fait ?

T.T

...

Une seule façon de le savoir. Quelques secondes ne suffisent pas pour rassembler mon courage mais j'ai peur de rater le coche si les vidéos commencent :

- Anna... Qu’est-ce qui se passe ? J'ai fait quelque chose de mal ?

Cette fois-ci, j'arrive très bien à capter son attention, mais alors qu'elle me fait face avec ce que ressemble à un mélange d'agacement et de pitié  dans les yeux, je regrette un peu :

- Tu sais très bien ce que t'as fait. Je sais pas quoi te dire de plus... C'est pas contre toi.

Je me tourne complètement vers elle et espère qu'elle va me croire :

- Je n'ai pas la moindre idée de quoi tu parles ! J'ai trop bu hier soir j'ai un gigantesque trou de mémoire !

D'un ton qui ne présage rien de bon, elle m'ordonne :

- Regarde tes messages.

Dépitée, je lui passe mon téléphone et explique la découverte de Batou.

Tout comme moi, elle constate que cette saloperie a décidé de cesser de fonctionner. Elle pianote donc sur le sien et me le tend :

- Tiens.

D'une main hésitante, je m'empare de l'appareil, ayant franchement peur de ce que je vais y lire. Pour ne rien arranger, les deux zozos à côté ont arrêté de parler et je suis prête à parier qu'ils sont présentement en train d'espionner notre conversation.

Et effectivement, c'est avec effroi que je découvre cet éloquent message : "J'zurzis aimé que tu sois lz ce soir, spas pareil szns toi..."

Ah.

Oui.

Rien n'est dit mais tout est clair quoi. Bien gênant, comme d'habitude j'assure en matière d'auto humiliation...

Je vois bien qu'elle attend une réaction de ma part, mais je suis tellement sur le cul que j'ai du mal à fermer la bouche, alors autant dire que je n'ai pas l'ombre d'un début d'explication.

- Anna... Je te jure, je...

- Je t'ai déjà expliqué que la situation ne m'autorise pas à envisager quoi que ce soit autre qu'amical.

Outch.

Ça pique, même lancé d'un ton compréhensif.

Machinalement, je baisse la tête pour tenter de dissimuler le contrecoup tandis qu’Anna reste froide et distante. Est-ce qu’elle fait ça pour moi ou pour elle ? Si elle n’en avait rien à foutre de moi elle n’aurait pas autant réagi, si ? 

Fort heureusement, mes soupçons initiaux s'avèrent confirmés lorsque Lucie se penche pour lire le message par-dessus mon épaule. J'espère qu'elle va mettre fin à mon supplice.

Certainement sous l'effet de la surprise, elle prend une petite inspiration. Au moins ça implique qu'elle n'était pas au courant et ne m'a pas vue le taper.

Mais son légendaire flegme reprend le dessus. Lorsqu'elle ouvre la bouche, je sais immédiatement qu'elle tente de me sauver la mise :

- Hey, mais comment t'as eu ce message...

Anna fronce les sourcils et observe Lucie, cherchant à comprendre ce dont elle parle :

- Comment ça ?

- Ben c'est le SMS que j'ai envoyé à mon amie Ann-...

Elle feint la réalisation et reprend :

- Ah, tout s'explique. Quelle idée d'avoir le même téléphone que moi aussi.

Elle me colle une petite tape de "réprimande" que j'encaisse bien volontiers vu l'occasion.

Si je m'écoutais, là tout de suite j'embrasserais Lucie. Cette nana a loupé une carrière  de joueuse professionnelle, elle a un culot gigantesque ET une poker face qui se passe de commentaire.

Anna se tourne vers moi et j'espère bien être la représentation même de l'innocence.

- Je t'assure que c'est la première fois que je vois ce message.

Ce qui, soit dit en passant, n'est pas un mensonge. Je reconnais la qualité de ma coordination écrite une fois bourrée, mais ça, elle n'a pas besoin de le savoir hein.

La culpabilité est de mise lorsqu'Anna ressent la nécessité de s'excuser :

- Pardon. Je.. J'ai sauté à une conclusion hâtive.

- En même temps... Vu les circonstances, c'est pas franchement ta faute !

Les bandes-annonces commencent et ma kiné s'éclipse pour aller aux toilettes. Je soupçonne l'embarras d'être davantage à l'origine de sa fuite que sa vessie. La pauvre. J'ai un peu honte de ne pas assumer, mais pas assez pour avouer ! J’aurais pu la suivre et mettre les choses au clair en embrayant sur le mensonge de Lucie, mais enfoncer le clou ne serait pas correct et son envie de s’isoler ne crie pas ‘viens me rejoindre’ !

Une fois assurée d'être hors de portée d'une oreille qui traîne, je m'empresse d'exprimer ma reconnaissance à mon amie :

- Merci ! Je ne sais pas comment te remercier !

Lucie pioche dans son popcorn et réplique nonchalamment :

- De rien. J'aime beaucoup ta nouvelle veste...

Je lève les yeux au ciel, mais m'abstiens de tout commentaire désobligeant.

Dépitée, je réponds néanmoins :

- Elle sera à toi en rentrant. Terroriste.

Elle a un petit sourire en coin et engloutit ses friandises d'un air satisfait.

Batou est une fois de plus à côté de la plaque et s'exclame :

- Mais expliquez-moi, j'ai pas compris ! Y'avait quoi sur le message ? Et depuis quand t'as une amie qui s'appelle Anna ?

L'intéressée revient de sa pause pipi bien trop courte pour en être une et j'assiste non sans joie à la scène "cuisse maigrelette vs poigne de la mort" dans un remake de "un mot de plus et ta vie cessera".

Ma kiné se réinstalle en silence alors que le film commence.

Le noir m’aide à dissimuler mon embarras. Qu’est-ce qui m’a pris d'envoyer ça, même bourrée c'est à un niveau de connerie hors du commun !?

À vrai dire, ce texto tout bête me fait réaliser que peut être j’ai davantage envie de tenter le coup avec elle que ce que je suis disposée à avouer…

Ça vient peut-être du syndrome de « c’est interdit donc je le veux », mais dans tous les cas ça me met dans une merde noire.

Dire que tout ça est parti des deux ploucs à côté de moi qui se faisaient des films ! Au fond, c’est un peu leur faute ! Nan, c’est même carrément à cause d’eux !

La pénombre me permet d’observer le profil de ma kiné. Elle n’a pas un physique extraordinaire, vraiment. Qu'on s'entende, je ne suis pas en train d'impliquer que c'est un cageot, juste que ce n'est pas une gravure de mode non plus. C’est surtout une belle personne et ça, ça la rend très attirante à mes yeux. Y’a rien de tel qu’avoir le sourire pour donner aux gens l’envie de vous parler.

Mon regard descend, parcourant son col en V et le début de poitrine qu’il laisse entrevoir, puis ses cuisses et enfin sa main sur l’accoudoir.

Si je m’écoutais, je la prendrais dans la mienne.

Je me demande si j’aurais vraiment pu avoir ma chance si cette histoire de conscience professionnelle ne s’en était pas mêlée. Si j’avais choisi un autre cabinet, je l’aurais quand même rencontrée via Batou et…

Ouais. Bon…

Des « si » quoi.

Story of my life

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22 février 2016

Chapitre 5 : Adieu les brancards

- Alors alors alors ? On veut en savoir plus !

- Je n'ai pas reçu de messages menaçants donc j'imagine que ça s'est bien passé ?

- Du calme les commères ! Lulu tu me sers un petit quelque chose pour me délier la langue ?

Elle sourit et me dépose ma boisson habituelle, tout en marmonnant quelque chose qui ressemble fortement à "vampire, toujours à m'extorquer quelque chose"!

Elle fait glisser le verre dans ma direction :

- Tiens, escroc ! Maintenant parle !

- Merci !

Je sirote lentement, savourant leur impatience. Pour une fois que je suis sous les feux de la rampe !

- C'était très surprenant, mais j'ai passé une excellente soirée...

Haha, je les garde en haleine, je suis une Victor Hugo des temps modernes. J'en profite pour bien prendre mon temps.

C'est un sourire grivois aux lèvres que Baptiste s'enquiert dans l'éloquence qui le caractérise :

- Et... T'as pécho ?

- ... Non. Mais figure-toi que c'était ma kiné !

Loin de partager mon enthousiasme, Lucie clarifie leur point de vue :

- Chérie, ça fait mal de dire ça, mais Batou a posé la bonne question ! Que ce soit ta kiné ou la reine d'Angleterre, tout ce qu'on veut savoir c'est si t'es casée !

Une fois encore, j'ai comme la nette impression qu'ils se liguent contre moi ! Mais la réponse de Lucie apporte une nouvelle lumière sur le défilé de « prétendantes  catastrophiques ». Tout s’explique.

- Vous exagérez, je ne suis pas si terrible que ça en célibataire !

Visiblement, Lucie est la plus offusquée des deux :

- Pardon ??? Je te signale que tu m'as forcée à regarder la cité des Anges 3 fois d'affilée !

Et voilà qu'il complète le tableau :

- En mangeant du chocolat et de la glace que tu m'avais ordonné d'amener.

- C'était qu'une fois !! Un cas de force majeure, vous savez ce que ça veut dire ?

Loin de s'avouer vaincu, Baptiste continue de me soutirer des informations :

- Et, verdict ? Elle est aussi extraaaaordinaire que tu nous le racontes ?

- Oui, pas loin ! Mais bon on était mal à l'aise toutes les deux.

Une fois n'est pas coutume, Lucie nous gratifie d'une remarque pertinente :

- J'avais pas pigé qu'elle est lesbienne !!! T'aurais pu nous en parler, t'es toujours a mendier les conseils issus de notre infinie sagesse, mais on a pas toutes les informations.

- Parce que je n'en avais pas la moindre idée !!

Lucie jette le torchon avec lequel elle essuyait le bar sur son épaule et me lance un commentaire désobligeant de plus :

- La seule lesbienne qui n'a pas de gaydar... Et ben mon Batou, on est pas sortis de l'auberge !

- Très drôle. Je n'avais aucun moyen de savoir ! Mais de toute manière ça ne change rien...

Baptiste prend le relai de l'enfoncage de portes ouvertes :

- Au contraire, ça change tout ! Elle te plaît et tu lui plais !

Je vais objecter, mais il embraye :

- Elle est restée non !? Toute la soirée ! Il te faut quoi de plus ?

Certes, mais seulement grâce un autre génial stratagème dont je semble avoir le secret… Baissant les yeux en prévision de l'annonce que je m'apprête à faire, je leur avoue :

- J'ai proposé que ça ne soit qu'un dîner "normal", sans le côté rencard...

Le torchon de Lucie me percute l'épaule à pleine vitesse. Je masse la zone endolorie et essaie de me justifier :

- On était mal à l’aise... Je me suis dit que si on restait sans rien dire  la soirée allait être horrible et j'allais ruiner mes chances dans tous les cas. J'ai tenté ça pour briser la glace !

- Et ça a fonctionné ?

- Après on a bien parlé oui...

- Vous allez vous revoir ?

- Il me reste une dernière séance donc oui, forcément. Fin bref, on peut changer de sujet ?

  

*          *          *          *          *          *

 

La porte buzz avant même que je ne sonne. Elle m'attendait ?

Tout sourire, je monte au premier étage rejoindre mon atelier de torture préféré. J'ai une petite boule au ventre malgré tout. J'étais prête à l'embrasser hier et même si je me suis pris un gros râteau, c'était flagrant. Je suis sûre qu’elle a remarqué ma façon innée de mettre systématiquement les pieds dans le plat. Dans son immense mansuétude, elle m’a épargné une réplique sarcastique cette fois. C’est ça que j’aime chez elle, elle ménage mon égo lorsque je laisse libre voie à une humiliation totale et complète.

Les portes automatiques s'ouvrent sur l'accueil et la secrétaire en grande discussion avec ma kiné.

- Bonjour Mesdames !

- Bonjour madame Marizy !

- Bonjour.

Deux paires d'yeux étonnés se tournent vers la kiné en entendant son ton glacial.

Euh... J'ai raté quelque chose ? Si quelqu'un a toutes les raisons d'être vexée, c'est plutôt moi !

Ma complice derrière le bureau me lance un regard plein de questions qui font écho à celles que je me pose en ce moment même. Et je n’ai pas l’ombre d’un début d’explication à ces dernières.

- Si vous voulez bien me suivre...

OK... Apparemment retour au vouvoiement. Franchement je ne pige pas. On a passé une super soirée...

Je pénètre dans la pièce juste après elle, m'attendant à ce qu'elle m'offre un éclaircissement sur sa réaction.

Ce n’est pas le cas. Elle quitte la pièce sans un mot et je m’assieds comme je le fais à chaque fois. Je retire mon pantalon et remarque qu’elle a mal fermé la porte sur sa sortie. Je dois me pencher un peu pour jeter un œil dans l'ouverture au passage. Contre toute attente, elle ne s'éloigne pas et je l'entrevois en train de passer ses mains sur son visage.

Je ne sais pas trop quoi en penser, mais au moins ça veut dire qu'elle n'est pas indifférente. Mais je ne sais pas si c’est un bon ou un mauvais signe. Elle n’a pas l’air enjouée.

Finalement, elle murmure quelque chose que je n'arrive pas à comprendre et revient.

Elle regarde à peu près partout sauf là où je me trouve et saisit la crème habituelle.

Elle compte vraiment m'ignorer et se la jouer comme si de rien n'était ?

À cette idée, je me renferme et me replie sur moi même sans m'en apercevoir. Je n’ose pas parler non plus de peur de dire quelque chose qu’il ne faut pas. À vrai dire, j’ai juste envie de prendre mes jambes à mon cou pour mettre fin à cette situation.

Elle place sa main au-dessus de mon genou et tire doucement pour me m'inciter à écarter les cuisses, le tout sans me décrocher un mot.

Ne tenant plus, je pose mes mains sur les siennes pour l'arrêter puis l'écarter.

Ça aura au moins eu l'avantage de la faire réagir. Son regard croise le mien une fraction de seconde avant qu'elle ne baisse la tête et se recule. J’ai cru y lire quelque chose, mais je ne sais pas comment l’interpréter … Allez quoi Anna, aide-moi un peu !

Ok... Ça ne s'annonce pas facile. Inutile de tergiverser, elle n'a pas l'air décidée à me parler, alors je vais poser les questions.

- Qu’est-ce qui ne va pas ?

Elle ferme les yeux et détourne la tête, mais ne m'offre pas d'explication.

Je place ma main sur son épaule et l'incite à me faire face :

- Anna, qu'est-ce que j'ai fait ?

- Je...

Elle soupire et passe le dos de sa main sur son front, mais ce n'est clairement pas un geste de soulagement, plutôt d'embarras.

- Je n'aurais pas dû vous demander de rester, vous êtes ma patiente. Ce n'était pas correct.

Pendant un instant, j'ai envie de dire "c'est tout ?", mais me reprends, sachant que ça n'aiderait pas. Ça me paraît un peu exagéré. Pour un psy ce serait gênant, mais pour une kiné... Ce n’est pas comme s’il s’était passé un truc entre elle et moi, même si l’image du simili baiser me revient clairement en tête. Après tout, techniquement c’était un repas entre ‘amies’. Rien de plus.

Je me demande s'il n'y a pas quelque chose d'autre derrière tout ça. Du genre une réflexion du roi des blaireaux.

- On ne savait pas sur qui on allait tomber... Et on s'est mises d'accord sur le fait que c'était "en tout bien tout honneur" non ?

- Peut-être, mais c'était néanmoins une entorse à la règle.

Elle joue nerveusement avec un drap du bout des doigts, dos tourné. Je vois bien qu’elle bataille entre sa perception de l’éthique professionnelle et sa nature chaleureuse. Même si c’est stupide car pas prémédité du tout, je m’en veux de l’avoir placée dans cette position.

J'ai envie de la prendre dans mes bras, mais ai conscience que c'est probablement une très mauvaise idée. Elle m'apporte un peu plus de précisions en ajoutant :

- Je débute dans le métier et mon association avec M. MAURON est récente.

Dans un grand soupir, elle continue d'une petite voix :

- Je ne peux pas me permettre que des rumeurs courent à mon sujet. Ça constituerait un suicide professionnel si hier soir venait à se savoir... Ce n'est pas contre vous... Je... Je me dois de rester à ma place. J'ai commis une erreur.

J'acquiesce de la tête tout en gardant le silence. Je ne suis pas d'accord dans la mesure où l'on a rien fait de mal...  Il pourrait y avoir des ragots si on s'était galochées dans le restau, mais (à mon grand désarroi) ça n'a pas été le cas ! Merci à mon courage à toute épreuve. C'était comme je l'ai dit "en tout bien tout honneur".

Ceci dit, vu l'intensité de sa réaction, je sais d'avance qu'elle est trop braquée pour que je puisse lui faire entendre raison. Mieux vaut m'avouer vaincue pour l'instant :

- Je suis désolée... Je n'avais pas réalisé... Mais on peut faire comme si de rien n'était non ? Après tout, c'était le fruit du hasard et on a tout de suite mis les points sur les i !

Elle acquiesce et se retourne timidement, un air absolument adorable sur le visage. Si je m'écoutais, je lui pincerais les joues.

Elle reprend un peu de crème et recommence son massage, toujours en silence, mais sans chercher à fuir mon regard.

J'aime vraiment sentir ses mains sur moi... Elle est à la fois douce et ferme, avec cette sureté dans le geste, façon force tranquille. Mais j’ai du mal à me détendre. J’ai envie de plus. J’ai envie qu'elle remonte le long de ma cuisse et glisse à l’intérieur de celle-ci…

Ça suffit.

Elle s’est montrée très claire, limpide même. Continuer à avoir des pensées qui vont dans ce sens est juste ridicule. C’est la dernière fois que je la vois, il ne se passera RIEN, il est temps que je me fasse à cette idée.

Ma raison tente de me persuader que cette déclaration de "statu quo" est pour le mieux, mais à dire vrai, je suis immensément frustrée. Sans prétendre savoir à quoi m'attendre, je m'étais imaginé une toute autre ultime séance. Je pensais retrouver la Anna d’hier soir… Au lieu de ça j’ai eu droit à un accueil digne de son partenaire d’affaires… Tu parles d’une déception.

Ses gestes sont indubitablement professionnels et je me sens coupable de "profiter" de mon massage comme s'il s'agissait de davantage. Malgré toute la bonne volonté du monde, je n’arrive pas à contrôler mes pensées.

Visiblement encore un brin tracassée et crispée, elle tente de ramener un semblant de normalité :

- Devine quels exercices tu vas faire aujourd'hui ?

Ah, apparemment j'ai re-gagné le droit au tutoiement. Ça me fait sourire intérieurement même si je n’ose pas trop le montrer. Je prends ça comme un aveu. Elle sait que j’ai raison. Pour une fois que ça arrive, je savoure !

- Humm... Le meilleur pour la fin c'est ça ? L'exercice où je dois essayer de te donner des coups de pied ?

- Ha ha ha. Non... Bouge pas je reviens.

Elle s'éclipse et je crains pour ma vie. La voyant labyrinthe en main, force est de constater que mon intuition ne m'avait pas trahie.

Si elle croit m'avoir comme ça... Je m'appuie sans vergogne sur elle afin de me hisser sur la demi-sphère sans risquer de m'étaler. Visiblement étonnée par mon culot, l'un de ses sourcils se lève

- Tu réalises que l'exercice perd son intérêt si tu ne te sers pas de ton équilibre, mais de moi pour tenir debout ?

Une fois de plus, je ne suis pas vraiment d'accord. Niveau intérêt je suis pas mal, le contact étant tout sauf désagréable si vous voulez mon avis.

- Mais je ne veux pas tomber !!!!

Elle se recule, me laissant à mon désarroi en m'insultant au passage :

- Chochotte.

- Tortionnaire.

 

*          *          *          *          *          *

 

- Salut !

En entendant ma voix, Lucie se retourne et hausse immédiatement les sourcils à ma vue.

- Salut... T'as passé la nuit dans une poubelle ?

Je regarde mon jogging troué et mon sweat shirt pas franchement glamour, le tout accompagné de vieilles baskets ayant connu de meilleurs jours.

Certes, ce n'est pas volé.

Je l'inspecte à la recherche d’une réplique tout aussi désobligeante, mais sa tenue est pratique ET esthétiquement viable... Je me rabats sur une excuse bien commode :

- On va transbahuter les affaires de Baptiste, j'allais pas venir en tailleur !

- Non, mais ça m'embêterait de devoir te chercher au commissariat parce que les gens auraient signalé une zonarde.

- Je peux encore faire demi-tour !

Lucie hausse les épaules et rétorque :

- M'en fous, c'est pas moi qui déménage !

Pas faux. Frissonnant, je me frotte les mains pour tenter de me réchauffer. Il fait un froid de canard ce matin. Avant que vous ne fassiez une remarque acerbe (si si, je vous vois venir), si je n'ai mis qu'un sweatshirt, c'est parce que je pensais qu'on allait être en mouvement d'entrée. Mais ça, c'était sans compter sur la ponctualité de Baptiste, rendez-vous chez lui et il arrive à être en retard, c'est dingue.

- D'ailleurs il est où ?

- Parti chercher sa cousine.

- Sa cousine ? Quelle cousine ?

- Je sais pas, je ne l'ai jamais rencontrée. Apparemment il l'a retrouvée au mariage, ils habitaient la même ville sans le savoir.

- Cool ! Ça nous fera des bras en plus !

- Amen !

La Ducati 899 de Batou fait son apparition avec deux figures toutes de cuir vêtues. Sa cousine doit aussi faire de la moto, car ils n'ont pas vraiment le même gabarit et son ensemble est à sa taille. Il épouse parfaitement son corps et si je n'étais pas déjà attirée par les femmes, des formes pareilles pourraient me faire changer d'avis ! Perso je trouve que bien porté, il n’y a rien de plus sexy que ce genre de combinaison…

Tous deux descendent avec élégance de l´engin. Pour avoir grimpé dessus quand la moto était à l'arrêt, dans l'absolu c'est un exploit en soi de tenir sur le "siège passager" vu la taille du machin et je ne parle même pas de quitter ce perchoir avec grâce.

Lucie dit tout haut ce que je pense tout bas :

- Ehhh ben, il se mouche pas du coude quand il choisit ses fréquentations !

Baptiste retire son casque et nous fais la bise, fier comme un paon. Derrière lui, sa cousine fait de même et secoue sa chevelure dans ce mouvement breveté "parce que je le vaux bien". Tout en saluant mon meilleur ami, j'essaie sans succès d'apercevoir le visage de la nouvelle venue. Elle finit par passer ses mains gantées dans ses cheveux pour les remettre en place, m'offrant une vue dégagée.

Son regard surpris croise le mien au moment où Baptiste fait les présentations :

- Lucie, Inès , voici Anna.

Pendant une seconde, je caresse l'envie de feindre une première rencontre même si ce ne serait pas très gentil et qu’elle pourrait mal interpréter ma réaction. Mes espoirs sont totalement avortés par la tête que fait ma kiné. Personne ne qualifierait son expression faciale de "normale". Elle a vraiment l'air étonnée et gênée. Malgré cela, elle reste jolie. Il y a clairement eu des injustices au moment de la distribution du charme, c’est moi qui vous le dis !

Comme d'ordinaire, Lucie fait rapidement la relation même si elle ne l'exclame pas explicitement et joue la neutralité :

- Bon ! Ben enchantée ! On se met au boulot ? Je prends Batou dans mon équipe !

Apparemment il y a des équipes et vu que nous ne sommes que quatre, je sais qui est dans la mienne. Mes soupçons sont confirmés par le clin d'œil que m'adresse mon amie avant de se diriger vers l'immeuble. Elle n’a certes rien dit, mais connaissant sa perfidie, ce genre de geste m’inquiète !

Baptiste ne remarque rien et suit le mouvement. D'un geste de la main, je fais signe à Anna de passer devant.

Je vous vois venir... Non, ce n'est pas pour mater ses fesses (même si ce cuir lui va à ravir), mais plutôt pour me donner le temps de me recomposer.

Est-ce que je dois annoncer à mon ami que la fameuse kiné avec laquelle il voulait me caser n'est autre que sa cousine ? Une pensée bien plus effrayante me vient à l'esprit : et s'il lui raconte qu'on faisait des plans sur la comète ? OMG je passerais pour une psychopathe qui se fait des films ! Sans parler de mes déjà bien maigres espoirs qui s’en retrouveraient réduits à néant. Rien qu’à y songer je fais presque caca culotte de peur. Il faut qu’il garde le silence !

Arrivés au bon étage, je n'ai pas le temps d'attraper mon meilleur ami pour le briefer que Lucie le monopolise pour porter une énorme malle. Vu le sourire mielleux qu’elle m’adresse, nul doute que ce n’est pas le fruit du hasard. Traitresse !

Ils s'éclipsent dans les escaliers et je me retrouve seule à seule avec Anna.

Elle met ses mains dans les poches de sa veste en se balançant sur ses talons. De par sa gestuelle, j'en déduis que je ne suis pas la seule à ne pas trop savoir comment me comporter. Je tente de désamorcer une partie de la tension en plaisantant :

- Décidément tu es partout !

Elle sourit et retire sa veste de moto, dévoilant un débardeur blanc en dessous :

- Faut croire !

Je ne sais pas si c’est du lard ou du cochon, mais tant qu’elle me sourit en se déshabillant les deux me vont ! Mon cœur bat la chamade et j’ai l’impression qu’elle fait exprès. C’est sûr. Ce n’est pas possible d’être aussi sexy naturellement.

J'essaye de ne pas la fixer, mais visiblement mes yeux ont une volonté propre. Force est de constater qu'une fois de plus j'avais raison : sa tenue de travail ne lui fait pas justice. Si je devais choisir un adjectif pour qualifier sa silhouette, j'hésiterais entre sculpturale et parfaite. Ce semi-striptease m’a laissée sur ma faim ! Et la suite alors ?

Un coup d'œil vers le bas en direction de mon corps à moi me suffit pour me sentir encore en plus mauvaise forme que je ne le suis. C’est pas juste !

Voulant compenser, je me penche et attrape le premier carton qui passe. Comme d'habitude, Dame Chance est de mon côté et il pèse le poids d'un âne mort. Je serre les dents et tente de faire comme si de rien n'était. Je lui adresse un sourire crispé et entreprends une périlleuse descente des escaliers sous son regard inquiet. Mes bras tirent et me font un mal de chien. Plus jamais je ne me laisserai aller, je suis devenue toute faiblarde !

J'arrive Dieu sait comment sur le parking sans mourir ni m’humilier. Je m’améliore ! Batou est adossé à la camionnette de Lulu, en grande conversation avec cette dernière.

Plutôt que de m'aider, ils me regardent galérer en souriant. Riez, ma vengeance sera terrible !

Je largue avec plus ou moins de délicatesse le carton à l'arrière du véhicule et suis étonnée en voyant qu'elle s'abaisse sous le poids. Essoufflée, je me penche et place mes mains sur mes genoux, levant la tête pour demander :

- T'as mis quoi là-dedans, du plomb ?

- Nan, mes casseroles, c'est écrit dessus !

Tout s'explique...

Je n'ai pas me temps de me remettre de mes émotions que déjà je me fais cuisiner :

- Alors comme ça tu connais bien ma cousine ?

Gulp. C'était prévisible. Discrétion est un mot étranger à Lucie. Cette fourbe attend toujours le moment opportun pour lâcher ses bombes. Reconnaissant une cause perdue quand j'en vois une, j'abandonne l'idée de mentir.

- Pour ma défense, je ne savais pas qui elle était !

Mon début d'interrogatoire est fortuitement interrompu par l'arrivée de ma kiné. Elle tombe à pic tiens ! En plus, elle a l’air de n’avoir rien entendu :

- Je vois que ça bosse dur !

Elle dépose son carton tandis que Lulu continue son manège :

- Elle a raison, allez viens !

Attrapant sa manche, elle traîne derrière elle un Batou récalcitrant. L'index et le majeur en forme de V, il me fait le signe "je t'ai à l'œil".

Ayant repris du poil de la bête, je m'apprête à me relever quand je sens la main d'Anna au creux de mon dos. Je ne comprends pas. Un jour elle est sympa, l’autre glaciale. C’est le jeu du chaud / froid ? Mes pensées passablement mesquines sont stoppées net lorsqu’elle demande :

- Ça va ?

J'acquiesce et me redresse péniblement, notant qu’elle ne retire pas sa main.

- Oui oui ne t'en fais pas, j'ai juste eu les yeux plus gros que les bras !

Je lui fais un sourire supposément rassurant et m'efforce de ne pas me laisser distraire par sa proximité.

- Vas-y doucement, je ne voudrais pas te retrouver au cabinet d'ici une semaine.

Elle ferme les portes de la camionnette et on se remet en route.

- J'ai bien compris que t'étais ravie de te débarrasser de moi... Et dire que je pensais être ta patiente préférée !

- Je vais vraiment la tuer !

Au fond, je me demande si sa secrétaire n’a pas dit vrai. S’il s’agissait effectivement d’une pure invention, elle ne s’en défendrait pas aussi farouchement à chaque fois. Ça veut au moins dire qu’elle m’apprécie. La question est de savoir jusqu’à quel point.

On multiplie les allers retour et je suis bien contente d'avoir un peu de répit une fois la camionnette pleine. Il ne reste plus que les gros meubles, que Batou a illogiquement mis tout au fond...

Lucie et lui prennent la route, me laissant en charmante compagnie.

Nous remontons les escaliers et j'ai la bonne idée de suggérer :

- On pourrait descendre le canapé, t'en dis quoi ?

- On peut tenter, mais t’es sûre que ton dos va tenir le coup ?

- Oui oui t’en fais pas !

Décidée à faire étalage de ma puissance dans le but de l’impressionner, attitude qui ne permet aucun rapprochement avec les rituels amoureux des gorilles, je m’accroupis avec confiance et glisse mes mains sous le canapé.

J’ai à peine le temps de soulever qu’une atroce douleur me fait lâcher le meuble. Pour ce qui est de lui en mettre plein la vue je repasserai…

Anna pose un regard inquisiteur sur moi :

- Ça va ?

Un mensonge trois fois plus gros que moi quitte mes lèvres :

- Oui oui !

Mes talents de politicienne ne doivent pas être au point étant donné qu'elle se rue à mes côtés, un air inquiet sur le visage.

- Assieds-toi.

Son ton ne laissant pas vraiment de place à mes enfantillages usuels, je m'exécute et m'installe sur un tabouret à proximité. Non seulement mon dos me fait souffrir, mais j’ai maintenant mal aux fesses. Ce truc est inconfortable au possible.

- On va attendre un peu, voir si la douleur diminue.

J’acquiesce d’un mouvement de tête, mais dix minutes plus tard, force est de constater que la seule chose qui passe, c’est le temps ! Et dix minutes, c’est LONG quand on se retient de couiner comme un vieux chien malade !

Constatant que ça ne s’arrange pas, Anna prend les choses en main :

- Tu as mal à quel niveau ?

Tenant à faire une fois de plus preuve de ma stupidité, je tente de lui montrer d'un geste, mais suis bien vite reprise à l'ordre par mes neurones nociceptifs !

Elle saisit doucement ma main dans la sienne et la pose sur mes genoux puis me dit à l'oreille :

- Laisse-moi faire.

Ses doigts parcourent mon dos en tâtonnant délicatement. Lorsqu'elle passe sur le point douloureux, je n'arrive pas à retenir un petit grognement.

- C'est par là ?

L’observant par-dessus mon épaule, j’acquiesce d'un mouvement de tête.

Elle garde le silence.

Pourquoi elle garde le silence ?

Elle a toujours les sourcils froncés et cet air inquiet. C'est pas bon signe ça non ?

- Je crois voir de quoi il s'agit. Je peux... ?

Ses doigts tirent vers le haut les pans de mon sweatshirt. Toutes les alarmes sont au rouge. Insécurité bonjour ! Si jamais elle me voit sans mon vêtement, je peux définitivement faire une croix sur mes maigres espoirs de conquête, c'est sûr !

- Non ! Je...

Oh mon Dieu, est-ce que je me suis épilé les aisselles ? *intense réflexion*

Oui, ça devrait aller.

- Tu... ?

Ah oui, une réponse, elle attend une réponse.

Comme d'habitude, pas la moindre réplique présentant un début d'explication ne me vient en  tête. Ils ne sont pas bienheureux les pauvres d'esprit, c'est moi qui vous le dis !

Résignée, je me décide à coopérer :

- Rien.

Avec son aide, on arrive à bout du vêtement et je me sens comme... Comme quelqu'un qui a pété dans un ascenseur et qui voit la fille qui lui plaît rentrer à son tour...

Voilà.

Ça se passe de commentaire.

À la base, si toute cette histoire a commencé c'est justement à cause de mes complexes. Si elle remarque ma gêne, Anna n'en laisse rien paraître et entreprend une inspection de mon dos, basculant en mode « professionnelle ». Kiné hein, pas prostituée. Je me doute qu’elle prête attention à ma possible blessure plus qu’à mon physique, mais j’ai tout de même un peu honte de mon absence totale de musculature.

C'est vraiment bizarre d'être en soutien-gorge dans le "salon" de Baptiste du moins ce qu'il en reste. Déjà c’est chez mon meilleur ami, pas l’endroit où je me déshabille d’ordinaire, mais en plus si jamais ils reviennent ça risque d’être délicat à expliquer. Enfin non, ce serait simple, mais je n’aurais pas une once de crédibilité, nuance.

Ses doigts sont plutôt froids et je suis incapable de savoir si mes frissons viennent de là ou du fait qu'elle me touche.

Elle repère une fois de plus la zone endolorie et s'attèle à copieusement appuyer dessus.

Après 30 secondes passées à me labourer le dos, soit une éternité en termes de souffrance, elle lance :

- Bon, plan B.

Comment ça, plan B ? Nan parce que je commence à les connaître les exercices de kiné. Et ils sont synonymes de torture dans 95% des cas. Anna a beau être douce, son métier ne l’est pas  avec mes nerfs ! Elle s'empare de mes poignets et me croise les avant-bras sur le torse à la façon d'un pharaon. Si je n'avais pas si mal, j'aurais peut être tenté une blague sur sa pseudo volonté de me déshabiller puis de s'arranger pour que je me retrouve avec un décolleté d'enfer. Mais mon dos me fait souffrir au possible alors je m'abstiens.

Mes yeux s'écarquillent plus que je ne l'aurais cru possible en la sentant m'enlacer par derrière. Heureusement qu'elle n'est pas en mesure de m'observer, parce que je suis prête à parier que ma tronche vaut le détour.

Raide comme une planche à repasser, je ne sais pas comment me comporter Est-ce que tout ça n'était qu'un habile plan pour en arriver là ? Ça ou alors je rêve et c'est effectivement une méthode de kiné peu orthodoxe ?

Sa voix semi-chuchotée à mon oreille, le chatouillement et la réaction physique qu'elle provoque me poussent à croire que tout ça est bien réel :

- Détends-toi, ça va te soulager je promets.

Me soulager ? Oui ok mais COMMENT ?

Sachant que je ne peux pas le demander sans me griller, je fais de mon mieux pour me relaxer. Mes sens se concentrent sur ses bras qui m'entourent, son souffle par-dessus mon épaule, sa poitrine dans mon dos... Ok, ça n'aide pas !

Au fond, peu importe pourquoi on s'est retrouvées dans cette position, j'aime !

Elle doit sentir que j'essaie et ne me presse pas, même si vu comme je suis crispée je dois présenter la flexibilité et souplesse d’un bout de béton vibré.

Histoire de vérifier que je ne délire pas, je me pince discrètement le bras. Aoutch. Ok, je suis éveillée, pas de doute.

Je finis non sans mal par réussir à me décontracter. Quasi immédiatement, Anna me dit :

- Laisse toi porter par le mouvement. Il faut que ça soit fluide.

J'acquiesce d'un mouvement de tête. Elle se met à bouger, entre un déplacement circulaire et un huit. Je sens que cela tire sur mon point dans le dos jusqu'à ce qu'il craque de manière audible.

Soulagée d´une grosse partie de la douleur, je lui suis incroyablement reconnaissante.

Comprenant qu'elle a réussi, elle me ramène à ma position initiale et continue à me maintenir délicatement, me glissant à l'oreille :

- Résiste à l'envie de gesticuler et de bouger ou faire craquer ta colonne pendant un petit moment.

- Bien chef.

En entendant ça, elle serre légèrement ses bras puis me relâche.

Pendant une seconde j'ai cru qu'elle allait me faire un bisou sur la joue, mais je n'ai pas cette chance.

J'ai conscience du fait que je suis supposée rester immobile, mais j'ai très très TRÈS hâte de me rhabiller et c'est dur de me convaincre de tenir en place.

- T'as fait ça souvent ?

- Au début je voulais être chiropracteur, du coup j'ai beaucoup étudié certains mouvements...

On reste quelques minutes en silence, sans que j'ose me tourner pour lui faire face. Je sens son regard dans mon dos et ça me rend mal à l’aise. Je ne suis pas chiante comme fille ! Je veux qu’elle me remarque et lorsqu’elle m’observe ça ne va toujours pas.

Finalement, comme si elle avait lu dans mes pensées, elle me tend mon haut.

Pile à l’ instant où l'habit passe mon soutif, Lucie apparaît dans l'embrasure de la porte.

Ses sourcils se lèvent et la seule chose qu'elle trouve à dire est :

- On a loupé quelque chose ? On est pas partis si longtemps que ça, si ?

- N'importe quoi, elle m'a fait craquer le dos.

Évidemment, elle interprète ça très mal et me présente la paume de sa main tout en détournant la tête :

- Je veux pas savoir comment !

Mon regard est plein d'espoir lorsque je me tourne vers ma kiné :

- Anna, dis-lui toi !

Vu son air espiègle, je me doute qu'elle ne va pas m'aider et effectivement :

- Ah non, ce n'est pas le genre de choses que je partage !

Peut-être que Lucie n'a pas conscience de la plaisanterie, ou peut-être qu'elle n'est qu'une sadique... Minute, c'est une sadique ! Toujours est-il qu'elle m'enfonce en ajoutant :

- Et ben ma petite, t'as pas traîné !

Je la hais.

22 février 2016

Chapitre 4 : Rencard de la dernière chance

Je vérifie une ultime fois mon reflet dans la vitrine du magasin d’à côté. C’est le rendez-vous de la dernière chance, il ne faut pas se louper. J’en ai marre de ces rencards foireux, n’en déplaise à mes amis. À les entendre, le net c’est une mine d’or. Mine de situations gênantes oui ! Si celui-ci se passe tout aussi mal, c’est décidé, je ne croirais plus en l’amour.

Et je prendrais plein de chats qui dormiront sur mon lit ! Na.

De toute manière j’ai jamais eu de bol dans ce domaine, je me demande même pourquoi je m’acharne. Est-ce que le crève-la-faim va traîner au marché pour saliver devant les étals en sachant qu’il n’aura rien ? Je crois pas non ! Ou alors il est masochiste et c’est une tout autre histoire.

Bref, concentre-toi, ce soir tu as une mission.

Une fois de l’ordre mis dans mes pensées, je retourne à mon inspection.

Décolleté ? Check.

Jean préféré ? Check

Maquillage et coiffure ?

Je m’approche un peu et grimace devant l’état de mes cheveux, que la bruine qui tombe n’a pas aidé à rendre fantastiques. Check… Si on veut. Peut-être que certaines aiment ce look, il paraît qu’il faut de tout pour faire un monde.

De toute manière je m’attends à rencontrer un possible monstre et si c’est le cas, la curiosité capillaire sur mon crâne sera le cadet de mes soucis. Mais cette fille a déjà marqué des points car elle remplit mon nouveau critère : avoir un français convenable. Après le désastre de l’autre jour, je suis intransigeante de ce côté-là. Et ça fait un sacré tri!

Bon, allez, on se lance. Assez traîné, repousser l’échéance me mettra juste en retard. Un peu de courage.

Prenant une énorme inspiration, j’entre dans le restaurant, direction la table du fond, diamétralement opposée à la porte.

Je constate que ma compagne du soir est déjà là, assise face au mur. Et ça, ça m’inquiète. Pourquoi elle est de dos ?

Seule solution qui me vient à l’esprit, elle voulait être sûre que personne ne s’enfuie en voyant son visage !

Qu’est-ce que ça peut être ? Strabisme divergeant (ou convergeant remarque), balafre(s), acné prononcée et autres problèmes de peau, opération du nez ratée, absence de sourcils… ?

La peur est bien au menu de ce soir, mais je tente de la maitriser en me raccrochant au fait qu’elle a des cheveux châtains et haut bleu foncé, comme annoncé. Au moins ça c’est vrai. Donc pourquoi la partie physique « normal, ce n’est pas à moi d’en juger » serait un mensonge ? Je veux dire, si les gens vomissent en vous regardant, vous devez vous en rendre compte, non ?

Calme-toi, vas-y sereinement, au pire tu prétexteras que tu n’es pas prête pour une relation sérieuse ou un truc comme ça, tout en lui souhaitant plein de bonheur. Et puis contrairement au rencard précédent, elle n’a a priori pas une musculature de catcheuse, c’est déjà ça de pris. Elle a l’air en forme, mais est assez fine de ce que j’en vois. C’est plutôt mon genre. Elle marque des points cette petite !

Je m’avance jusqu’à la table et me retiens de fermer les yeux pour retarder l’échéance.

Arrivée à son niveau, c’est d’un ton surjoué que je m’exclame :

- Bonj…

Oh merde ...

NAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN, mais pourquoiiiiiiii ?

S’il y a un Dieu des coïncidences quelque part, il doit être en train de bien se marrer. Salopard !

This is awkward.

Pivoine, elle se lève et me tend une main plutôt incertaine, rappelant son prénom bien que ça ne soit absolument pas nécessaire :

- Anna, mais j’imagine que ce n’est pas une surprise.

- Ah si, pour une surprise c’en est une !

Du coin de l’œil, je regarde la table. Franchement, j’hésite à m’installer. Ce ne serait pas très poli, mais…

Ma kiné. Ma putain de kiné ! Merde quoi !

De toutes les nanas sur terre, il fallait que je tombe sur elle !

D’un côté je devrais être contente, je suis en rendez-vous avec la seule personne qui pouvait potentiellement m’intéresser et j’ai les réponses à mes questions concernant son orientation sexuelle.

De l’autre… Je sais pas, c’est vraiment bizarre comme situation. Si j’avais eu le courage de le lui proposer, ça aurait été différent.

Mais bon, soyons réalistes, le jour où j’oserai faire un truc pareil avec une femme qui me plaît un tant soit peu, les vaches pondront des œufs avec des bébés panthères à l’intérieur. A priori, ce n’est pas tout de suite donc.

Une nouvelle fois, je me dégonfle plus vite qu’un ballon de baudruche et cherche à m’échapper :

 - Si… Si vous voulez, je… je peux m’en aller.

Elle réfléchit à la question et a l’air d’acquiescer inconsciemment de la tête en se mordillant la lèvre, ce qui me laisse penser que je viens d’avoir le rendez-vous le plus court de l’univers. Défaite et un peu déçue malgré tout, je me tourne vers la porte avec la ferme intention de balbutier quelque chose dans ma fuite.

Mais je n’ai pas le temps de faire ça que sa main s’enroule autour de mon avant-bras. Mon regard croise le sien. Elle a une expression faciale que je n’arrive pas du tout à déchiffrer :

- Non... Restez.

Mon corps est toujours orienté vers la sortie et l’envie de m’enfuir est plus forte que jamais. Je ne suis pas préparée psychologiquement pour ça et cette fois c’est la vérité.

Me sentant certainement indécise, elle fait glisser sa main jusqu’à prendre la mienne. Ses yeux ont un langage à eux tous seuls et je la laisse me guider vers la table.

Si même sans son sourire de tricheuse elle arrive à faire ce qu’elle veut de moi ce n’est pas bon signe !

Une fois assise, je m’efforce de ne pas céder à la panique. Qu’est-ce que je fais ? Je lui fais clairement comprendre qu’elle me plaît et tente ma chance ? Je la joue amicale ? On parle de ma rééducation ? Je ne suis pas prête psychologiquement pour ça, quand je le dis ! Je m’attendais rencontrer un monstre, abandonner l’amour etc… Pas me retrouver nez à nez avec mon mini coup de cœur !

Elle comme moi faisons un effort notable pour ne pas croiser le regard de l’autre et je suis sûre que si j’étais à la table à côté, je me marrerais bien devant un manège pareil. Vu de dedans mes pompes, c’est beaucoup moins rigolo, je vous prie de me croire...

Finalement, après une loooongue minute passéé à contempler le décor plutôt sommaire le tout dans un silence religieux, le serveur vient interrompre ce grand moment de franche camaraderie :

- Mesdames, vous désirez un petit apéritif ?

Je lève la tête vers notre sauveur puis regarde ma kiné, attendant sa réponse pour me prononcer. Dépendamment de son choix de boisson, j’aurais une indication concernant la durée de ce rencard. Si elle prend un verre d’eau, c’est mort, une bouteille de vin, c’est bien. Immédiatement, elle se lance :

- Un verre de vin blanc moelleux s'il vous plaît.

Évidemment, fallait qu’elle choisisse entre les deux ! Et mes efforts de médium, on y pense ? C’est pas comme ça que je vais m’améliorer !

Le serveur se tourne vers moi, mais elle s'exclame :

- Non, amenez plutôt une bouteille !

Il hausse les sourcils et s'abstient de commenter même si sa tête en dit long. Il prend néanmoins note et s'éclipse sans même me demander ce que je veux ! Culotté celui-là ! Il croit qu’on est en couple ou quoi ? Y’a que là que le mec commande pour la nana. On est plus en 1820 abruti !

Et puis une bouteille à deux, vu l'ambiance on ne va pas aller bien loin, on va avoir besoin de plus pour dissiper la gêne !

Beaucoup plus.

Genre cubi plus.

Ou alors quelque chose de plus fort.

Et c'est reparti pour un tour de silence... Ça m'avait manqué.

Je pourrais compter les secondes, histoire de voir combien de temps on tient !

Ou je pourrais aussi prendre sur moi et tenter de faire la conversation...

Bon, ça suffit c'est ridicule ! On s'entend très bien au cabinet, il n'y a pas de raison pour que ça change ! C’est vrai quoi, jusqu’à présent on arrivait à se parler sans problème. On se connaît déjà bien et ce n’est pas comme si je lui avais fait une déclaration enflammée. Je la « regarde » pas très discrètement, mais c’est tout.

- Je vous propose un deal. J'imagine qu'on est toutes les deux d'accord sur le fait que cette situation nous met très mal à l'aise, je me trompe ?

- Ohhhh que non ! Quel est le plan ?

Ça me fait un peu mal d'être celle qui le suggère, mais je ne vois pas d'autre solution que de dire :

- On oublie la raison initiale pour laquelle on est là et on essaie juste de passer un bon moment, sans arrière-pensée.

Je scrute sa réaction avec intérêt, curieuse de savoir ce que cette perspective lui évoque. C'est sans l'ombre d'une hésitation et l'air soulagée qu'elle répond :

- Marché conclu !

...

Au moins c'est clair, ce "presque rendez-vous" avec moi ne lui fait visiblement pas envie. J'ai conscience de ne pas être parfaite m'enfin là c'en est presque vexant ! Nan, en fait ça l’est carrément. Je ravale ma fierté et la bonne dose d’amertume dans ma bouche et me soumets à ma propre solution anti-désastre.

Elle me tend sa main que je serre vigoureusement pour compenser ma déception. J'ai un peu de mal à la laisser partir, mais le fais à contrecœur pour éviter que la poignée de main ne vire elle aussi au bizarre.

C'est moche de me dire qu'elle est là, sympa, intelligente, superbe, lesbienne et pourtant toujours inaccessible.

Je sais bien que j'ai souhaité "rencontrer une femme bien", mais pour moi ça allait de soi que ça impliquait que je l'intéresse en retour ! Parfois j'ai comme l'impression que le hasard se fout de ma gueule.

Allez remets toi, tu auras tout le temps pour regarder des films d'amour tristes et de manger de la glace en larmoyant plus tard.

- Et sinon... Vous pensez que j'ai besoin de la dernière séance? Je me sens rétablie !

- Pourquoi cette question ? Chercheriez-vous à y échapper ?

Au contraire, pour peu que la gêne disparaisse, je ne dirais pas non pour passer plus de moments en sa compagnie, même si ça doit être dans le cadre de sessions. Ne souhaitant pas me dévoiler à ce sujet, je hausse les mains dans ce qui est supposé me donner un air innocent. Autant dire que c'est raté. Je tente de m'en sortir par un petit mensonge :

- Loin de moi cette idée ! J'essayais juste de faire la conversation !

Elle n'est visiblement pas convaincue par mes explications et me le fait comprendre :

- Mouais... Vous ne voulez pas parler d'autre chose que de mon travail ?

L'envie d'évoquer le rencard me brûle les lèvres. Je sais que ce n'est pas une bonne idée et que d’ici 2 secondes je regretterais sûrement, mais je demande quand même :

- Comme vous préférez ! Est-ce que c'est en m'entendant raconter mes mésaventures que vous avez été tentée de vous inscrire sur le site ?

Le serveur revient avec notre bouteille. Il présente celle-ci à la kiné et en verse un peu dans son verre pour qu'elle teste.

J'ai un grand sourire aux lèvres en la voyant boire le tout cul sec. Je pense qu’on sera d’accord sur le fait que ce n’est pas la manière orthodoxe pour goûter un vin, mais ça a son charme. Je ne m’attendais pas à ça de sa part. Elle le repose, ignore l'expression outrée du serveur et se contente de dire "très bon merci" comme si de rien n'était. Se sentant de trop, ce dernier part comme il était venu. Elle s'adresse alors à moi d'un air désolé :

- Pardon, mais j'en avais besoin.

- Pas de problème.

Sa main attrape la bouteille et pendant un instant je crois qu'elle va la porter à ses lèvres. Mais non, elle s'en tient à faire le service. Sa main, d'ordinaire si sûre, tremble visiblement. Elle est si nerveuse que ça ? C’est ma présence ou ma question qui la rend dans cet état ?

Prenant pitié, je lui offre une issue de secours :

- Vous savez... Si ça vous met mal à l'aise vous n'êtes pas obligée de répondre...

- Pardon... Je... n'ai pas l'habitude de parler de tout ça !

Sa main est posée sur la table et je dois me retenir pour ne pas la prendre dans la mienne dans un geste de compassion. Ce serait sûrement mal interprété. J'attrape donc mon verre et joue distraitement avec le pied.

- Je vous le dis... Si ça vous embête...

- C'est juste étrange d'évoquer ce sujet avec une patiente. Et le vouvoiement ne me le rappelle que trop bien.

C'est une occasion trop belle pour que je la laisse passer :

- Ça, ce n'est pas un problème, on peut se tutoyer ! Et vous n'avez pas l'habitude uniquement dans ce sens ! Je suis sûre que je ne suis pas la seule à vous raconter sa vie ! ... Du moins j'espère !

- Oh non j'en entends des bonnes tous les jours !

Intéressée, je m'accoude et exige :

- Des détails !

- Et le secret professionnel ?

Je lui lance un regard incrédule. Je ne suis pas née dans la dernière flaque d'eau hein, faut pas croire.

- Il ne s'applique pas... Allez quoi jouez... Joue le jeu ! C'est ça où alors j'ai droit à deux trois questions de mon cru !

Vu l'expression d'horreur qu'arbore son visage, soit elle a de lourds secrets, soit elle craint vraiment le pire ! Un sentiment de fierté complètement déplacé s’empare de moi. Je lui fais peur  avec mes questions ! Souriant de toutes mes dents, je m’arrête net en réalisant un truc : à part pour ce qui est du syndrome de Stockholm, la peur ce n’est pas super niveau séduction…

Certainement pour se donner du courage, elle boit une grande lampée de vin.

- J'arrive pas à croire que je fasse ce choix, mais... qu’est-ce que vous... Tu veux savoir ? Dire que mes patients n'ont pas idée du fait que je me sacrifie pour eux...

J'ai très envie de me frotter les mains, mais je doute que ça la rassure.

Qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui demander ? :

Qu'est-ce que tu penses de moi ? (traduction : est-ce que j'ai mes chances ?) Salut poupée, tu habites toujours chez tes parents ? Célib depuis combien de temps ?

...

Vous l'aurez compris le dilemme est surtout de savoir si j'ose aborder le sujet qui m'intéresse.

Comme d'habitude en cas d'hésitation, c'est Capitaine courage qui prend la barre. Et puis c’est une manière de me préparer psychologiquement. Je tourne autour du râteau et le jauge avant de marcher dessus en pleine connaissance de cause…

- Qu'est-ce qui t'a décidée à faire ce métier ?

Question neutre qui montre que je m'intéresse à elle... Bien joué. Je marque des points ! Bon, j'ignore allègrement sa demande de changement de sujet "hors boulot», mais on ne peut pas tout faire. D'abord je limite les dégâts, ensuite on avisera.

- J'étais attirée par le "contact" avec les patients. On accompagne et rééduque, on peut voir l'évolution. Je trouve ça sympa.

Malgré moi, j'esquisse un sourire en entendant les mots "contact avec le patient". Je ne dis pas non ! La sensation de douceur de ses mains me revient et me fait sourire encore plus, le fait que je ne suis sans doute pas la seule qui a eu droit à ce traitement me refroidit d’un coup !

Le serveur revient pour prendre notre commande. Ayant déjà choisi, j'en profite pour l'observer. C'est étrange de la voir toute apprêtée, hors de son uniforme. Le moins qu'on peut dire, c'est que sa tenue de travail ne lui rend pas justice ! Elle a une beauté naturelle et un visage ouvert qui donne envie d'aller lui parler.

D'ailleurs ça m'étonne qu'elle soit lesbienne. Elle ne laisse rien transparaître, pas le moindre indice, sans ce soir je n'aurais jamais deviné. Non pas qu'il n'y ait que des nanas clichés mais... Ben c'est celles qu'on remarque le plus, les autres sont comme invisibles !

J'ai du mal à détacher mes yeux et sens mon cœur s'emballer alors qu'elle m'observe en retour.

C'est la confirmation dont je n'avais pas besoin.

Oui, elle me plaît.

Oui, elle a tout pour elle.

Mais je rappelle à ton bon souvenir que ceci n'est plus un rencard !

Tu sais, cette brillante suggestion que tu as faite et que tu as pourtant l’air d’oublier…

Abrutie.

- Quoi ?

Elle sourit d'un air gêné et je réalise que je la fixe depuis tout à l'heure.

Vite, dis quelque chose :

- Rien, je me disais juste que tu es très... En beauté ce soir.

Bah voyons !

Palm, meet face.

En voilà une idée qu'elle est PAS bonne ! Ça va vachement la mettre à l'aise et en plus tu utilises un style que personne n'a entendu depuis la prise de la Bastille !

Une légère rougeur fait son apparition sur ses joues, c'est absolument trognon. Ça montre que mon compliment maladroit n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde, c’est plaisant.

- Merci. T'es pas mal non plus, ça change du look grande blessée.

Un sourire particulièrement niais parcourt mes lèvres en entendant ça. Elle a remarqué mes efforts ! J'ai conscience de très certainement dépasser les bornes, mais je me surprends à demander :

- Si je peux me permettre... Comment tu peux être célibataire ?

Elle fronce les sourcils, n'ayant pas l'air de saisir le sens de ma question :

- Comment ça comment ?

Et merde. Maintenant à moi de traduire "duh, t'es sympa, intelligente, jolie ce qui ne gâche rien, c'est pas possible que personne à part moi ne le voie" sans trop en dire. Pas envie qu'elle pense que je la complimente dans un certain but... Même si ça ne me déplairait pas !

Adoptant mon ton de politicienne ratée, je tente de me faire comprendre tout en évitant de parler :

- De ce que j'en ai vu, tu as a priori tout pour toi ! Je veux dire...

De ma main, je fais un geste la désignant, dont je me serais passée si j'avais un tant soit peu de jugeote. Tant qu'on y est, fais la roue autour d'elle et pousse des cris comme les paons, comme ça il n'y aura plus l'ombre d'un doute sur le fait qu'elle te plaît !

Stupide hobbit joufflu !

Elle lève les yeux au ciel en secouant la tête, l'air de ne pas en croire ses oreilles.

- C'est gentil... Je crois ! Mais il y a peut-être des vices cachés qui sait !

- Comme un certain sadisme ? Je pensais qu'il y avait un public pour ce genre de délire !

- Oui la preuve, tu en redemandes !

Non seulement elle évite de répondre, mais elle m'humilie au passage... Elle est très forte ! Hors de question que je me laisse faire ! M’enfin soit dit en passant, si demander est la condition sine qua non pour obtenir le package complet, je peux faire un effort avec le vélo elliptique.

- Et malgré tout tu as savamment orchestré un guet-apens pour m'attirer ici ! Ça en dit long sur mon pseudo consentement !

Elle ouvre grand la bouche, surprise de ma réponse ! Héhé ! Encore une victoire de canard !

- Je te signale que c'est toi qui es venue me parler !

- C'est toi qui m'as dit de rester ! Et t’avais vu ma photo.

- N'importe quoi ! Cette photo est tellement floue que ça aurait pu être toi, Shakira, Pink ou Bernadette Chirac !

Alors là elle exagère ! Shakira je peux comprendre la ressemblance avec cette perruque, mais pas Bernadette !

- Je vais ignorer l'offense qui a été faite et ton évidente mauvaise foi !

Et aussi le sujet épineux...

- Sérieusement, je ne t'avais vraiment pas reconnue ! C'est mon principe, jamais avec les patientes !

Une petite voix dans ma tête me donne envie de lui rappeler que je n'ai presque plus de séances... Mais la grosse trouillarde que je suis la bâillonne bien vite. Comme d’habitude, sur le papier j’ai beaucoup de choses à dire et en face à face il n’y a plus personne. Au revoir courage, bonjour insécurités !

Le serveur revient, nos plats en main. On se souhaite mutuellement bon appétit et commençons à manger. Avec tout ça, je ne sais même pas l’intitulé du plat que j’ai commandé. Après tout on s’en fout, tant que c’est bon…

J’en reviens à la dernière phrase de ma kiné. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle est claire dans ce qu’elle veut et ne veut pas. Comment ruiner mes débuts d'espoir en deux secondes chrono.

Mais du coup, ça m’a coupée net dans mon élan et je me retrouve à ne pas savoir quoi raconter.

Ça fait chier, pour une fois que je rencontre quelqu’un qui me plaît il faut qu’il y ait un élément bloquant !  Sinon c’est pas marrant ! Voyant peut être que je suis calmée dans mon enthousiasme, elle se charge de trouver un changement de sujet bienvenu :

- Et sinon je ne t’ai jamais demandé, tu travailles dans quoi ?

- Dans l’informatique. Je suis web designer.

Ses yeux s’écarquillent et sa bouche s’ouvre dans un « o » parfait. Je crois que je lui en ait bouché un coin pour le coup.

- Je ne t’imaginais pas du tout là-dedans !

- Dans quoi alors ? Laisse-moi deviner : clown dans un cirque ?

Elle me fait un sourire craquant et baisse un peu la tête, comme honteuse d’avouer :

- Quelque chose dans ce goût là…

Ehhh, je disais ça en plaisantant moi ! J’ai beau essayer de me retenir, je sais que j’ai l'air de la fille qui boude. Peut-être parce que c’est le cas, mais c’est un détail.

Elle termine sa bouchée et tente de réparer mon égo brisé :

- Non, mais pas dans un sens péjoratif.

Ah bon ? Parce que depuis le Moyen Âge, être le fou du roi c’est pas franchement un compliment !

Face à mon sourcil levé accompagné d’un air clairement dubitatif, elle explicite :

- Je t’imaginais plus en humoriste ou scénariste de films comiques…

Certes, vu ma tendance à la gaffe je vois d’où peut lui être venue cette idée saugrenue. Mais quand même !

Minute, ça veut dire qu’elle me trouve drôle ?

C’est mon moment de gloire, j’ai au moins une qualité reconnue à ses yeux !!

J’ai très envie de lever les bras au ciel en signe de victoire sur un fond de « we are the champions », mais dans un restaurant ça ne se fait pas vraiment.

Ne sachant pas quoi répondre, qui ne sonne pas plein d’espoir ou prétentieux, je me contente d’un sourire timide et d’un :

- C’est gentil… Je crois. Merci.

Elle repose sa fourchette et reprend :

- Tu sais que ça l’est…

Un silence se fait pendant que je savoure son aveu en même temps que mon repas. Finalement je vais peut-être pouvoir sauver cette soirée !

Comment c’était déjà les conseils de séduction de Baptiste ? Ah oui, faire parler la fille.

Minute…

Mes yeux vont se poser sur mon verre de vin. Il doit être plus fort que je ne le pensais pour que j’envisage de m’inspirer des suggestions de Batou ! L’un dans l’autre, pour lui ça fonctionne !

- Et sinon, excepté faire des cascades, tu aimes quoi ?

Panic on board.

Inès, c’est ta conscience qui te parle. Quoi qu’il arrive, je répète, quoi qu’il arrive, ne réponds surtout pas « les jeux vidéo ». Si ce genre de passion rabattait les filles, ça se saurait. Trouve un truc qui te donne des airs. Tiens, dis que tu adores la lecture, ça passe. Et techniquement des fictions lesbiennes ça compte.

- J’aime… lire ?

Je ne suis visiblement pas la seule à ne pas être convaincue par ma dernière annonce. Anna porte son verre à ses lèvres, me fixant par-dessus le bord. Elle semble savourer le vin, ou peut-être tourner sa langue sept fois dans sa bouche, mais elle finit par demander d'une moue malicieuse :

- T’es sûre ?

- Oui ?

Son sourire s’agrandit.

- Pourquoi toutes tes réponses sonnent comme des questions ?

- Mes réponses sonnent comme des questions ?

Oh mon Dieu pitié que quelqu’un vienne me sortir de ma misère en m’achevant à coups de hache.

Elle m'observe d'un air amusé et je mise tout sur le fait que mon ridicule me fasse marquer des points. Je me racle la gorge, plus pour gagner quelques précieuses secondes pour me composer que par nécessité.

- Et sinon... Excepté concocter des plans me poussant à m'humilier pour ton plaisir personnel, qu'est ce que tu aimes  faire de ton temps libre ?

- Comme si tu avais besoin de moi pour ça...

Hey !! Quand est-ce qu'on est passées d'une ambiance qu'on pourrait qualifier de semi-séductrice à celle où elle se moque ouvertement de moi ?

Ah oui, quand j'ai planté mon drapeau en haut du pourtant très haut Mont Connerie...

Je baisse la tête en réalisant qu'une fois de plus, j'ai certainement ruiné mes chances.

- Et, excepté ça... J'aime les sports aquatiques.

Minute... Excepté ça ? Je lui jette un regard accusateur en l'entendant avouer ses méfaits. Cependant, comme ma maman me l'a appris, je ne la pointe pas du doigt même si c'est très tentant !

À la place, je dévie totalement de ma stratégie habituelle en faisant preuve d'intelligence en m'engouffrant à pieds joints dans le changement de sujet :

- Genre natation synchronisée ?

Elle me regarde d'une manière qui me laisse penser que j'ai commis une énième boulette. Son air est si outré que je jurerais que je viens d'accuser sa mère de proxénétisme. Évidemment, un peu de répit aurait été trop demander...

- Pas vraiment non ! J'ai une tête à faire ça ?

En tout cas elle en a le corps... Me censurant une fois de plus pour mon propre bien, j'opte pour le détournement d'attention.

- Je ne crois pas qu'il y ait de "type", il faut juste de la concentration, de la grâce et être en forme physiquement. Donc ça ne me paraissait pas exclu...

Et voilà comment on complimente une fille avec classe et distinction ! Presque je m'auto embrasse pour me féliciter.

Anna récompense mes efforts par un sourire avant de changer de sujet :

- Je sais pas pour toi, mais mon plat est super bon !

Pendant un quart de seconde, je songe à lui tendre ma fourchette avant de décider que nous sommes loin d'en être à ce stade de partage. En fait, nous sommes loin de toute interaction...

Mais ce n'est pas pour autant que je ne vais pas saisir toute opportunité pour tenter ma chance. Étant donné que l'humour est ma seule option viable, je prends une voix de vieux dragueur et réplique :

- Pas mal, mais nettement moins que la compagnie.

Elle éclate de rire et demande :

- Tu dis ça à toutes les filles pas vrai ?

 Continuant sur ma lancée et mon imitation, j'en rajoute une couche :

- Seulement quand elles sont comme toi poupée !

Elle me jette une miette de pain au visage avant d'annoncer :

- Tu es officiellement irrécupérable !

- Hmmm... Pas l'adjectif que j'aurais choisi, mais merci !

 Ayant fini son assiette, Anna la repousse délicatement sur le côté et demande :

- Perso si j'avale encore une bouchée je vais exploser. Toi ?

- On ne voudrait pas tâcher les murs...

- Non effectivement....

Un peu à contrecoeur, je fais signe au serveur de nous apporter l'addition. D'un côté, je suis soulagée que ce "non-rencard" se termine mieux qu'il n'a débuté, de l'autre... je n'ai pas envie de la laisser partir.

On se retrouve à l'extérieur accompagnées d'un silence gêné.

Elle est la première à sortir de la torpeur, mettant ses mains dans ses poches pour annoncer :

- Bon... Merci pour la soirée.

- Merci à toi. Désolée de...

Comment je pourrais dire ça ?

- ... de ne pas être celle que tu attendais.

Mon but n'était pas de faire pitié, mais c'est pourtant ce que j'ai réussi à accomplir. Bien joué Inès !

Elle me prend la main et la serre, avant de la relâcher en lançant d'un ton léger :

- Au contraire, tu m'as probablement sauvée, tu n'es pas la première de ce site que je rencontre, mais tu es la seule avec qui j'ai passé un bon moment !

- C'est gentil. T'es venue comment ?

- En tram, j'habite pas loin de Saint-Michel.

- Si tu veux je te ramène, c'est à peu près sur ma route.

Elle me regarde d'un air indéchiffrable avant de dire sur le ton de la plaisanterie :

- Hmm... je sais pas trop, il paraît qu'il ne faut pas monter en voiture avec des inconnues !

- Heyyy je suis pas une inconnue, mais ta patiente préférée !

- Je vais la tuer.

- Maintenant c'est moi qui me demande s'il est bien sage de prendre une future meurtrière dans mon véhicule...

Elle lève les yeux au ciel et m'ordonne :

- Allez, amène-moi à ta voiture, je te suis !

Elle s'installe sur le siège passager et le seul blaireau qui n'a pas saisi que cette fille n'était pas ma prochaine petite amie est mon idiot de coeur. On fait la route en silence et elle m'indique que je peux la déposer à l'entrée de son quartier.

Le moment de dire au revoir est arrivé.

On se regarde en chiens de faïence et elle se penche en même temps que moi. Ma main va instinctivement se glisser dans sa nuque et c'est les yeux fermés que je sens ses lèvres sur mes joues. La bise... Et un gros vent.

Elle se recule et me fait un petit sourire gêné. J'essaie de faire en sorte que celui que je lui fais en retour ne paraisse pas empli de déception. Et pourtant.

Je l'observe s'éloigner à la lueur des lampadaires puis disparaître sans même un regard en arrière.

C'est pas facile de mettre une croix sur quelqu'un qui nous plaît.

Je redémarre dans un soupir.

Une opportunité manquée de plus. 

22 février 2016

Chapitre 3 : Perky

Pile a l’heure, short et sous-vêtements non risibles prêts, je franchis la porte vitrée et me rends à l’accueil ; sûre de moi. La catastrophe de l’autre fois ne se produira plus :

- Bonjour.

- Bonjour Madame MARIZY ! Comment ça va, vous gambadez presque dites-moi!? 

Au vu du sourire en coin de la réceptionniste, je sais que ma démarche canardesque n’a pas échappé à son œil averti. Malgré tout, je fais comme si de rien n’était. J’ai confiance en mon sex appeal naturel en toutes circonstances. Sûrement à tort, mais c’est une autre histoire.

- N’exagérons rien, ça va mieux, mais c’est encore loin d’être fini et mon petit doigt me dit que vous le savez très bien.

Pour toute réponse, elle se contente d’une moue innocente.

Mouais, on ne me la fait pas à moi. Je la vois prendre une grande inspiration, mais cette fois-ci je sais à quoi m’attendre et me bouche les oreilles :

- ANNA, ta patiente préférée est arrivéééééée !

Ah ben non, la dernière partie était inattendue. Tiens donc ! Elle dit ça à cause de la dernière fois ? Voulant le déterminer, je tente ma chance :

- La pauvre... Je vais finir par y croire méfiez-vous.

- Vous devriez, elle ne m’a dit que du bien de vous.

Opportuniste et surtout curieuse, je ne vais pas rater une occasion pareille de glaner quelques informations :

- Et de quel degré de renseignement disposez-vous Mrs BOND ?

Je ponctue ma question d’un sourire joueur et séducteur, convaincue qu’il va m’apporter des réponses. 

La kiné arrive en courant à moitié et m’attrape par l’épaule pour m’entraîner loin de mon informatrice :

- Elle ne sait rien !

Son affirmation serait nettement plus crédible si elle n’était pas en train d’essayer de m’éloigner à toute vitesse. La secrétaire m’en donne d’ailleurs la confirmation.

- Ne l’écoutez pas, je suis dans les confidences de la reine ! On en parle quand vous voulez !

La porte claque derrière nous et je ne peux pas me retenir de rire lorsque la kiné s’exclame d’un air faussement menaçant :

- Je vous interdis d’essayer d’acheter mes employés !

- Ah, donc c’est vous la reine ? Et qui a parlé d’acheter ? C’était à titre gratuit ! Pour me remercier de ma sympathie légendaire !

- Rien que ça ? Ça va les chevilles ?

Me la pétant, je baisse mon pantalon, sans accroc cette fois et lui annonce toute fière :

- Vous allez pouvoir constater par vous-même l’étendue de leur perfection!

Je pousse même le vice jusqu’à m’asseoir sur la table et lever la jambe à hauteur de son visage. Alors ? Alors ? J’ai la classe ou j’ai la classe ?

Elle me regarde en secouant la tête, mi-perplexe, mi-blasée, mais clairement amusée :

- Et bien, j’en connais une qui a la forme ! Une raison particulière à cela ?

- La joie d’avoir potentiellement trouvé une informatrice qui pourra m’avouer tous vos travers !

Elle s’approche de la table et c’est à son tour de se la raconter :

- Si c’est ça, elle ne va pas avoir grand-chose à dire.

Elle fait mine de polir ses ongles sur son uniforme, puis de souffler dessus. J’aurais cru que c’était le genre à mettre du vernis. Mais non. Bizarre. Peut-être n’en met-elle pas pour des raisons d’hygiène ? En tout cas elle a de jolies mains…

Concentre-toi, t’es là pour les infos je te signale :

- On verra, on verra. En tout cas vous aviez l’air drôlement pressée de m’éloigner d’elle !

- Diviser pour mieux régner dirait le sénat.

- N’importe quoi ! Vaut mieux entendre ça que d’être sourde, mais pas de beaucoup !

À mon grand désespoir, le massage est vite expédié et elle quitte la pièce. L’absence de ses mains sur ma cuisse me laisse une curieuse sensation de vide. Je me demande à quoi c’est dû. D’habitude quand des « inconnus » me touchent j’ai tendance à devoir faire un effort pour ne pas me crisper. Ce genre de réaction totalement opposée ne me ressemble pas, sauf avec mes amis proches.

Et pour tout dire ça m’inquiète un peu. J’espère que mon cœur n’est pas au courant de quelque chose que ma tête ignore…

Elle revient avec une variante du labyrinthe du minotaure.

Je regarde l’espèce de tablette bleue posée sur une demi-sphère d’un œil méfiant, me demandant bien son utilité. On dirait une soucoupe volante posée sur le toit, le labyrinthe en plus.

 Elle me tend la main et malgré les cris d’alarme de mon bon sens, je la saisis et m’approche de l’objet infernal.

- C’est quoi ça ?

 Le dédain est clairement exprimé dans le ton de ma voix ainsi que dans mon doigt pointé vers le truc, mais elle l’ignore totalement et m’explique le principe :

 - Montez dessus.

 Pour vous donner un ordre d’idée, je fais la tête d’une femme à qui l’on vient d’annoncer qu’elle doit traverser le Grand Canyon sur un filin, sans filet, les yeux bandés et sur les mains.

 - Vous plaisantez ? C’est une demi-sphère !!! …

 Son absence de réaction, même devant mes yeux écarquillés, me pousse à expliciter :

 - Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, mon niveau d’équilibre approche le néant !

 - Justement, on va y remédier. Mettez vos pieds de part et d’autre.

Effectivement, il y a l’air d’avoir deux espaces antidérapants qui pourraient ou ne pourraient pas être destinés à la pose de pieds. Décidant qu’il vaut mieux prévenir que guérir, je préfère m’assurer d’une chose et m’enquiers d’un air soupçonneux:

- Vous n’essaieriez pas de me briser un autre membre pour me garder plus longtemps par hasard ?

 - Madame MARIZY…

Quoi ? Ça valait le coup d’essayer et il paraît que l’espoir fait vivre, contrairement à cette chose. Voyant que son ton sévère et la menace qu’elle a sous-entendue me laissent de marbre, elle change de tactique :

- Vous me faites confiance ?

Argh, elle m’a eue. Je ne peux décemment pas dire « non ». En plus elle triche en ponctuant sa question d’un sourire. Je ne peux rien lui refuser quand elle fait ça et je crois qu’elle le sait !

Voyant que je suis en train de cogiter, elle attend bien sagement ma réponse, son sourire s’agrandissant encore pour faire apparaître ses fossettes.

Obligé elle est au courant. C’est dégueulasse ce genre de coup bas ! Mais je ne m’avoue pas vaincue pour autant :

- Oui… Mais d’un autre côté, il parait que je suis vraiment votre patiente préférée alors je me méfie…

Elle soupire et murmure un limpide « je vais la tuer » avant de m’ordonner de monter. Bizarrement, cette menace ne m’inquiète pas. Elle était sûrement adressée à sa secrétaire, après tout je suis « sa patiente préférée », elle n’oserait pas m’achever ! Héhéhé !

Ayant été suffisamment chiante pour un jour, je m’exécute, non sans m’appuyer allègrement sur la kiné, partiellement parce que j’ai peur de choir et partiellement à titre de vengeance préventive. Je ne sais pas pourquoi je ne le sens pas ce coup-là.

L’espace d’un instant, je suis envahie par une vague de terreur en sentant la précarité de mon perchoir. Je n’ai qu’une envie, m’agripper au premier truc stable à proximité comme une moule à son rocher et ne jamais lâcher. Mais ça c’était avant que je réalise dans quelle position ça nous mettrait… M’appuyer c’est une chose, ça c’en serait une tout autre !

Une fois mon calme et un semblant de stabilité trouvé, elle me force à la laisser partir et s’agenouille devant moi. Qu’une chose soit claire : si elle me pousse, je la tue !

Si elle me rate, ça se passerait mal, si elle réussit son coup je reviendrais la hanter. Win win pour moi alors faites pas n’imp  Madame LEROI !

Ne faisant rien de tout ça, elle place une bille de métal au début du labyrinthe et se redresse.

- Voilà. L’exercice consiste à amener la boule au centre. C’est une manière de travailler votre centre de gravité.

J’ai droit aux mains ? Nan parce qu’elle est marrante, mais je n’ai pas des jambes musclées de 15 km de long moi !

Peu convaincue, je décide néanmoins d’essayer. Elle doit savoir ce qu’elle fait. D’un autre côté… Je n’ai jamais vu ses diplômes ! Enfin elle doit en avoir. J’imagine. Je crois. Nan… c’est obligé ! Hein que ça l’est ?

Est-ce qu’elle est seulement au courant qu’il y’a une surface ronde sous la planche ?

Ne m’ayant pas donné de raison de douter d’elle, je prends tout mon courage (soit 1 cent-millième de celui d’un individu normalement constitué) à deux mains et tente ma chance.

Je dois dire que je suis plutôt fière de moi. Je ne me brise pas les quenottes les deux premières secondes. Mais c’est en voulant mettre le pied vers l’avant que je suis prise d’une douleur au genou. Étant un peu chochotte, j’ai un réflexe assez violent et m’imagine déjà édentée vu la vitesse à laquelle le sol se rapproche.

Heureusement, cette kiné-ci reste avec ses patients et elle me rattrape avec délicatesse avant que je ne m’étale. Décidément, ce genre de situation à la con devient une habitude. Elle me repousse délicatement pour m’aider à me redresser et n’hésite pas une seconde à se moquer :

- Méfiez-vous, si vous vous jetez trop souvent en direction du sol, je vais finir par savoir que vous le faites exprès ! Vous avez un désir de ravalement de façade ?

Je suis sûre que dans sa tête elle a pensé « si vous vous jetez dans mes bras », mais n’a pas osé le dire. En tout cas ce n’est certainement pas moi qui vais le relever.

- Oui, je voudrais bien me faire refaire un sourire à vos frais…

Elle secoue la tête en riant, jusqu’à ce que j’annonce :

- Plus sérieusement, je me suis fait mal ! Ça tire énormément lorsque je prends appui en mettant le bout du pied vers le bas.

Sa réaction ne se fait pas attendre. Elle passe mon bras sur son épaule et me demande de tester doucement ma jambe pour voir si je peux marcher sans douleur.

Voyant qu’il n’y a pas de problème, elle m’accompagne précautionneusement jusqu’à la table. Une fois assurée que je suis bien assise et ne peux pas me blesser davantage, elle se recule. Je l’observe discrètement et la manière dont elle fronce les sourcils l’air tout concentré est absolument trognon.

Ce qu’elle dit ensuite l’est beaucoup moins :

- Visiblement, j’ai eu tort de croire que vous étiez prête. Je pense qu’il faut encore vous muscler avant de passer aux exercices d’équilibre. Pour la prochaine séance, on tablera plutôt sur le vélo elliptique. Mais aujourd’hui on va faire quelques étirements et travailler tout en douceur.

Oh non ! Je hais le vélo ! Si je pouvais, je me mettrais à genoux pour la supplier, mais n’ai pas envie de le tenter tout de suite étant donné que ça me lance encore un peu. Remarque, vu mon état ça me vaudrait certainement quelques séances supplémentaires avec elle...

Et certainement encore plus de vélo.

On oublie.

Du coup, j’opte pour le bluff :

- Nan, mais je plaisantais hein, ça va nickel, j’ai pas mal !

Elle m’aurait crue à coup sûr … Si le fait de tendre la jambe ne m’avait pas lancé, provoquant une grimace de douleur. Bon ben… Vélo elliptique…

 

*          *          *          *          *          *

 

-  C'est ridicule je te dis !

- Tais-toi et apprends, gueuse!

Je secoue la tête de gauche à droite, clairement dubitative.

Baptiste me glisse la laisse dans la main.

- Tu verras, le chien va attirer les lesbiennes comme un jeune papa au parc attire les femmes !

Mes yeux vont machinalement se poser sur Perky, un abominable chihuahua affublé d´une doudoune rose.

La seule chose que ce bidule va attirer, c'est les ennuis je le sens.

- Qu'est-ce que tu veux que je fasse de ça ? Un remake de Paris Hilton au parc ?

- Mais tu n'y connais rien je te dis ! Les lesbiennes aiment les chiens, je l'ai compris en regardant les avatars sur le site afterellen !

- Ah bah si Monsieur a consulté l'Internet, on est sauvés ! N'empêche que je ne suis pas convaincue que le modèle micro-chien kitsch soit celui le plus prisé ! Un labrador à la limite...

Il balaie mes remarques d'un revers de main et s'exclame :

- Faut savoir s'accommoder de ce qu'on a !

- On peut pas au moins lui retirer son manteau ?

A voir son visage, on pourrait croire que je lui ai suggéré de l'empailler :

- T'es dingue, s'il prend froid ma tante me tuera !

Croyant voir une échappatoire, je me lance :

- Je ne voudrais pas qu'elle s'inquiète pour sa santé, tu devrais lui ramener !

Pleine d'espoir, je m'empare de Perky et tente de lui refourguer l'animal. Il esquive et me pousse dans le dos, clairement déterminé à me faire subir une énième humiliation.

Défaite, je dépose le chihuahua et me mets en route, non sans honte.

Pour ne pas que l'on nous pense ensemble (version officielle), ou peut-être pour mater mon cul (version plus réaliste), Baptiste marche un peu derrière moi, ce qui fait qu'il a l'air d'un vieux pervers qui me suit.

- Ça n'a aucune chance de fonctionner.

- Sois belle et tais-toi. Regarde, il y en a une qui arrive.

Au loin, j'aperçois une jolie joggeuse qui court dans notre direction accompagnée d'un gros berger allemand.

Alors qu'elle s'approche, la chose au bout de ma laisse devient folle et se met à aboyer en direction du berger allemand. Mes yeux sont ronds en voyant la scène surréaliste qui se déroule.

L'animal s'agite tellement que la moumoute synthétique rose me fait mal aux yeux. C'est petit, mais ça a de l'énergie !!

Il a envie de mourir ou quoi ?

La joggeuse semble ralentir et pendant un instant je crains que Baptiste n'ait raison quant au pouvoir du chien. Ça  signifierait que je n'en entendrais jamais la fin alors je prie pour que ça ne soit pas le cas.

Heureusement, du moins si on veut, en passant à ma hauteur elle se contente de ricaner  en lançant :

- Ouhhh, attention à la bête féroce, il lui faut une muselière !

Alors que je me retourne pour croiser le regard de Baptiste l'air de dire "t'as vu, je te l'avais bien dit que ton plan était merdique", j'entends un vrai aboiement, suivi d'un drôle de bruit.

Pourvu qu'il n'ait pas bouffé Perky !

Mes yeux vont lentement se reposer sur mon nouvel atout séduction et ce que je vois me fait me dire que finalement, il aurait peut-être été souhaitable qu'il se fasse croquer.

Car oui.

La terreur que je promène s'est fait une grosse frayeur et s'est visiblement "oubliée" au passage.

Si je récapitule, non seulement je trimbale au bout d'une laisse un chien qui n'a RIEN d'impressionnant, mais l'animal est habillé d'un habit en fourrure synthétique de couleur fushia ET a en plus le pompon moucheté.

C'est sûr, ce soir je pécho !

Derrière moi, mon pseudo coach se marre ostensiblement ce qui provoque en moi une sérieuse envie de meurtre.

J'attends qu'il arrive à ma hauteur pour dire :

- Je pense qu'il est clair que c'est un échec... On peut rentrer maintenant ?

Il hausse les épaules et répond :

- Ça valait le coup de tester. Sur le papier ça le faisait !

- Ni sur le papier, ni ailleurs ! Par pitié, n'essaie plus de m'aider !

Nous suivons en silence le chemin emprunté par de nombreux promeneurs. Bien évidemment, ma chance légendaire veut que Perky ne se sente plus l'âme guerrière et tente de se cacher derrière mes jambes dès que quelqu'un s'approche.

Alors que j'effectue une énième version de danse de la gigue pour éviter tout contact entre lui, la matière fécale odorante qui macule son arrière-train et mes jambes nues, j'entends Baptiste annoncer d'un ton très sérieux :

- On s'inquiète pour toi avec Lulu...

Ne sachant pas quoi répondre, je ne dis rien et me penche pour me saisir du monstre et lui essuyer grossièrement le popotin dans des hautes herbes.

- Faut pas.

Il s'accroupit à mes côtés et me tend un paquet de mouchoirs.

- C'est pour le chien ou moi ?

- Les deux !

J'attrape un mouchoir et m'occupe du gros bébé. Enfin une bonne nouvelle, ça part facilement.

Je hausse les épaules en soupirant.

- En même temps, être célibataire n'est pas le drame que vous en faites...

- On veut juste te voir heureuse.

- [...] Je sais bien. Mais vous me mettez la pression... Ça n'aide pas.

Je marque un court silence et lui dis vraiment ce que je pense :

- Moi je suis pas comme vous. Je ne sais pas comment m'y prendre, je ne plais pas aux gens, j'ai pas ce "truc" !

On se relève à l'unisson et il entoure directement mes épaules de son bras dans un geste amical :

- C'est ça ton problème. T'as tout pour toi et tu ne le vois même pas ! [...] Désolé si on te stresse avec notre enthousiasme, je vais tenter de faire gaffe... Le truc, c'est que t'es celle de qui je suis le plus proche, j'aimerais que tu trouves la bonne personne.

J'acquiesce, comprenant où il veut en venir. Il continue sur sa lancée :

- Y a pas de gens qui ont un "truc" et d'autres qui n'ont rien. Tout le monde est différent et si t'étais pas si "toi", bah tu serais pas si bien.

- T'es mignon.

- Je déconne pas ! Chaque pot à son couvercle.

- Charmant !

Son visage prend ce fameux air "éclair de génie" et j'ai peur d'entendre les mots qui vont sortir de sa bouche :

- D'ailleurs, tu te souviens de mon cousin ?

Je lève un sourcil :

- Lequel, le beau gosse ou celui un peu... Qui a eu son brevet des collèges de justesse à 21 ans ?

- Le deuxième ! Bah figure-toi que je vais à son mariage ce week-end ! Si ça c'est pas un beau message d'espoir !

- Pas pour l'humanité !

- Nan, mais ce que je veux dire, c'est que si lui a trouvé, il n'y a pas de raison que toi tu ne trouves pas !

-.- Salopard !

- Tu réalises que c'est la comparaison la moins flatteuse que j'ai jamais entendue ? T'as ruiné ton speech d'avant là !

- Rohhhh, si tu prends tout de travers aussi !!!

Décidant que c'est de bonne guerre, je m'empare de Perky et lui fourre dans les bras avant de reprendre mon chemin. Pas de raison qu'il y ait que moi qui profite ! J'ignore son cri de dégoût et lance par-dessus mon épaule :

- Excuse-moi de ne pas aimer être mise au niveau de Monsieur "bercé trop près du mur !"

- J'ai de la crotte sur mon T-shirt ! Reviens ici !

Voyant que je ne ralentis pas le moins du monde, il continue :

- Ingrate ! C'est la dernière fois que j'essaie de t'aider !

- Halléluja !

 

*          *          *          *          *          *

 

C'est mon avant-dernière séance aujourd'hui.

Techniquement c'est cool, ça veut dire que je me sens mieux et que je pourrais bientôt oublier l'épisode désastreux qui m'a amenée là.

De l'autre... j’aime vraiment bien ma kiné. C'est stupide, mais j'ai l'impression de rendre visite une pote, pas de me faire soigner. Elle est gentille, sympa, jolie ce qui ne gâche rien et ne s’est pas enfuie en courant devant mes maladresses.

Je suis presque triste de savoir que je ne vais plus venir ici. Et ce n’est certainement pas le vélo elliptique ni blaireau MAURON qui vont me manquer.

- Bonjour Madame MARIZY !

- Bonjour ! Comment allez-vous ?

La secrétaire me fait un grand sourire et rétorque :

- C'est vendredi, il fait beau, Monsieur MAURON n'est pas là, tout va pour le mieux !

Je rigole en secouant la tête :

- Vous ne le portez pas dans votre cœur décidément...

La réponse vient de derrière moi :

- C'est un doux euphémisme !

Faisant fi de l’état de mes articulations, j'opère une périlleuse volte-face pour me retrouver nez à nez avec ma kiné, un sourire coupable aux lèvres.  J’espère que je n’ai pas grillé la réceptionniste.

Elle hausse les sourcils et ajoute :

- ... Bonjour.

- Bonjour !

Je me retourne vers la secrétaire, un peu la peur au ventre, de crainte d'en avoir trop dit :

- Pardon, je... Ça ne me regarde pas !

Elle lève la paume de sa main, comme pour me signifier "no big deal" :

- Ce n'est pas un secret. Et puis elle n'est pas du genre à parler !

La kiné fait mine d’observer le plafond et embraye dans un :

- Qui ?  Quoi ? Je n'ai rien entendu ! Bon, trêve de bavardages, il est temps de s'y mettre si on veut faire un cygne d'un certain petit canard !

- Hey !

Glissant sa main dans mon dos, elle me guide en direction des salles de soin. Ne résistant pas à la tentation, je me retourne vers l'accueil pour rappeler quelque chose au bon souvenir de tout le monde :

- D'ailleurs, en parlant de commérages, j'attends toujours les révélations concernant la patiente préférée de Madame LEROI !

Doigt pointé vers son employée, la kiné se contente d'un :

- Ton silence contre le mien !

Rabat-joie !

Si seulement je pouvais être une petite souris pour espionner leurs conversations… Je suis sûre que j’en apprendrais de belles. L’image d’une tapette traverse mon esprit et l’idée présente soudainement beaucoup moins de charme. Va falloir trouver un autre moyen !

Ça doit quand même être cool de l'avoir comme patronne !

Elle referme la porte derrière nous, nous isolant effectivement du bruit. Le soleil illumine la pièce et j'irais volontiers me promener à la place de faire mes exercices.

Connaissant la routine, je me dévêtis et vais m'installer sur la table.

Elle s'approche en silence et attrape sa crème.

- Vous vous connaissiez avant qu’elle ne vienne aider au cabinet ? Avec votre...

Je lui indique la direction de l'accueil, ne sachant pas si "secrétaire" est le terme adéquat.

Elle hoche la tête, confirmant mes soupçons :

- Oui, on a fait une partie de notre scolarité ensemble. Quand j'ai a repris la moitié de l’affaire suite au départ en retraite de mon prédécesseur, elle cherchait un travail... Longue histoire, mais au final je l'ai embauchée.

- Cool.

Ça explique bien des choses. Le roi des blaireaux n’est qu’à demi propriétaire et comme elle est dans les bonnes grâces d'Anna il ne peut trop rien lui faire...

Elle entreprend l'habituel massage dans un certain silence. C’est bizarre. D’ordinaire elle est plutôt bavarde et elle avait l’air de bonne humeur un peu plus tôt.

J'ai envie de lui poser un tas de questions sur elle. Ce qu'elle aime, ses hobbies, quel genre de musique elle écoute... Mais j'ai trop peur de dépasser les limites de ma condition de patiente et me tais. La dernière chose dont j’ai besoin, c’est qu’elle me remette à ma place.

Mes yeux vont se poser sur elle, profitant de sa concentration pour l'observer discrètement.

Ses cheveux sont attachés dans une queue de cheval lâche et elle a ce côté "je ne me suis pas coiffée, mais sur moi ça rend bien" qu'ont certaines nanas. Oui ça m'énerve, c'est pas juste ! Moi quand je ne m'occupe pas du désastre capillaire qui trône sur ma tête j'ai l'air d'avoir pris la foudre ! Et elle non, ça rend super bien ! Bah voyons. Je ne sais pas si je dois être jalouse ou admirative.

Évidemment, elle finit par me regarder, réalisant un parfait flagrant délit.

- Quoi ?

- Rien rien.

Rien rien ? Sérieusement Inès ? Si tu veux paraître coupable, c'est exactement le truc à dire ! Sifflote d'un air détaché tant que tu y es ! Fais quelque chose maintenant, détourne l'attention tiens :

- Faites-moi peur : à quel programme de torture vais-je avoir le droit aujourd'hui ?

La teinte rosée qu’ont prise ses pommettes perd de sa vigueur. Même si elle m’a surprise à l’observer comme une bête de foire, elle n’insiste pas pour en savoir plus et je ne sais pas si je suis soulagée ou déçue. Ça montrerait que je lui importe…

Au lieu de ça, elle mord à l’hameçon de mon changement de sujet et lève les yeux au ciel :

- Torture tout de suite... Pas de ma faute si vous faites une allergie à l'effort !

Alors si je m’attendais à ça ! Elle est culottée, j’aurais pu mal le prendre. Étant donné qu’elle ponctue sa réplique d’un sourire sincère, je sais que c’est dit sur le ton de la plaisanterie et rétorque à mon tour d’un air séducteur :

- Ça va dépendre de l’effort ! Et de la motivation qu’on m’apporte…

Je pensais faire mouche et l’amuser, mais une lueur sombre passe dans ses yeux et elle répond plus sèchement :

- Tous les exercices habituels. Vous manquez de masse musculaire au niveau des cuisses. Je n’ai pas encore le niveau de gainage nécessaire. Et il faut travailler la souplesse de votre coude.

Euh…

Qu’est-ce que j’ai fait ? C’était une blague !

Les activités s’enchaînent et se ressemblent. Toutes ont un point commun : elles relèvent de la torture. Elle est franchement distante et je ne comprends pas pourquoi. Oui ok j’ai fait mine de flirter, mais c’était une boutade !

Le pire c’est que sa réaction me perturbe, donc je suis distraite, donc elle m’engueule ! C’est un cercle vicieux, il faut arrêter ça !

N’y tenant plus, je m’empare d’une de ses mains pour attirer son attention. Elle écarquille immédiatement les yeux et me fixe d’un air curieux, sans pour autant retirer sa main. Oubliant toute estime de soi, je lance :

- Je suis désolée ! Quoi qui, dans ma plaisanterie, a pu vous vexer, je m’en excuse. C’était une blague.

Elle reste silencieuse un moment et je me demande si j’ai bien fait. Ne voulant pas influencer sa réponse, je libère sa main à contrecœur.

Après quelques instants pendant lesquels je m’attends à me faire jeter comme une crotte, elle finit par me faire un sourire resplendissant et c’est comme si l’on ôtait un poids de mes épaules :

- Il n’y a pas de mal, c’est moi. Ça m’a juste… surprise. Je n’avais pas réalisé que mon comportement avait changé.

Soit elle est vraiment bigleuse, soit elle ment. Et je penche plus pour la seconde option.

Même si je pense déjà connaître la réponse (à savoir celle qui ne m’arrange pas), j’ai envie de demander si c’est une bonne ou une mauvaise surprise. Mais une fois n’est pas coutume je m’abstiens bien sagement et je n’en suis pas peu fière. Pas plus d’une boulette par jour, inutile de réitérer mon exploit !

Heureuse d’avoir éclairci les choses, je lui tends ma main :

- On fait la paix ?

Elle s’en empare sans hésitation, me la secouant d’une poigne ferme, un large sourire aux lèvres.

- On fait la paix. Mais il n’y avait pas de guerre.

- Roohhh, vous m’avez comprise.

- Vous êtes sûre de ça ?

Cette femme aura raison de moi, c’est moi qui vous le dis !

 

22 février 2016

Chapitre 2 : Libertinage

Mes doigts pianotent rapidement sur mon smartphone adressant le message à Baptiste :

J'arrive pas à croire que je me sois laissée convaincre ! Je m'étais promis de ne jamais faire de rencontres sur le net !

Une fois au point de rendez-vous, je trépigne, partagée entre l'espoir que mon rencard d'un soir me pose un lapin et l'envie d'y croire malgré tout. Ils ont beau être chiants, ils ont raison sur le fait qu'il faut que je rencontre quelqu'un. Pas pour les apparences, mais parce que je me sens seule voilà tout ! Mon regard scrute les environs à la recherche d'une brune avec un haut rouge.

T'avais qu'à te bouger avant on n’en serait pas arrivés là ! Si ça se trouve ça va être une bonne surprise !

- Salut !

Je relève la tête et me trouve nez à nez avec l'homologue féminin de Sébastien Chabal. Carrure et barbe comprises. Effectivement, la surprise est de mise, bonne pas vraiment. Honnêtement si le physique n'arrive pas en pole position de mes critères de sélection, l'évident excès de testostérone présente un gros gros frein !

- Euh... Salut.

- Tu n'as pas trop attendu j'espère ?! On va se boire un verre ?

- Non non ne t'en fais pas ! Oui, pas de problème !

Elle passe devant, ce qui me permet d'annoncer la couleur à Baptiste :

Je vais te tuer !

Je mentirais si je disais qu'elle n'est pas super sympa, mais après vingt minutes à me demander sous quel angle elle a bien pu prendre ses photos pour apparaître séduisante, force est de constater que l'attirance n'est pas là ! En même temps ça n'est pas vraiment une surprise vu ma réaction initiale...

Mes méninges travaillent à toute vitesse pour tenter de trouver comment lui faire savoir que je ne suis pas intéressée et m'éclipser, mais rien ne vient. Évidemment, pas le moindre éclair de génie à l'horizon quand on en a besoin!

Juste au moment où j'envisage la défenestration, une silhouette familière attire mon attention. Ne voulant pas être plus impolie que je ne l'ai déjà été, je n'ose pas trop scruter la personne dos à moi et à présent en train de commander au bar.

Quand elle fait volte-face et m’adresse un sourire complice, je ne sais pas si je dois être effrayée ou soulagée de voir Lucie.

Alors qu'elle s'approche d'un pas bien trop déterminé pour être rassurant, j'opte pour la terreur ! Qu'est-ce qu'elle fait ?

Sans même demander quoi que ce soit, elle s'empare d'une chaise et s'assied à notre table, martini en main. Mes yeux sont écarquillés, attendant de voir de quoi il retourne et craignant un peu que mon amie rugbywoman ne lui fasse un plaquage.

Dès qu'elle ouvre la bouche, j'espère que c'est à moi que mon rencard va s'en prendre, histoire de me sortir de ma misère. S'adressant à moi dans un premier temps, elle dit :

- Eh bien, tu ne perds pas de temps mon cœur, je sais bien qu'on est d'accord pour une relation libre, mais ça s'est seulement décidé il y a quelques jours...

Une fois sa bombe lâchée de manière à ce que la femme Cro-Magnon face à moi puisse interpréter de manière totalement erronée ma réaction, elle se tourne vers celle-ci et lui tend la main :

- Bonjour, je me présente, Lucie, enchantée !

Se prenant un vent monumental, elle ramène sa main à son verre et se contente d'avoir l'air incroyablement belle et détendue.

Les yeux de mon rencard alternent entre ma pseudo chérie qui se trouve être canon et moi qui joue à merveille la fille mal à l'aise. Autant dire que mes talents d'actrice n'ont rien à voir là-dedans !

Finalement, les sourcils de ma prétendante se froncent et j'entends les pattes de sa chaise frotter contre le sol alors qu'elle se met debout. J'ai vraiment peur de me prendre un raffut, mais elle se contente de saisir le verre de Perrier à moitié plein du monsieur à la table d'à côté et de me le jeter au visage...

Ça, c'est fait !

Lucie l'observe partir d'un air outré ce qui me laisse penser qu'elle compatit. Ces espoirs la aussi s'envolent en fumée lorsqu'elle explose de rire à peine Madame Chabal sortie du bar.

Elle récupère la rondelle de citron coincée dans mes cheveux et la dépose dans le verre avant de s'adresser au voisin de table :

- Je vais vous en chercher un autre, j'arrive tout de suite.

Quant à moi je me contente de rester là, sentant l’eau glacée dégouliner partout et bien trop blasée pour y faire quoi que ce soit.

Au moins je suis tirée d'affaire !

Lucie revient, place délicatement le Perrier sur la table d'à côté et me jette un torchon en pleine face.

Priant pour qu'il soit propre, j'éponge un maximum de liquide tout en espérant que la honte vienne avec.

Une fois à peu près séchée, mes yeux fusillent Lucie qui sirote tranquillement son verre, jusqu'à ce qu'elle finisse par dire :

- Quoi ? Les mots que tu cherches sont "Tu es vraiment merveilleuse, merci de m'avoir tirée de ce rencard de la mort avec autant de brio".

Je hausse un sourcil :

- Vraiment ? Tout allait pour le mieux je te signale !

Ma phrase la laisse visiblement on ne peut plus dubitative :

- Tu veux que je la rappelle ?

Plus rapide qu'une pom pom girl à l'apogée de sa carrière, je lève les mains dans un geste entre stop et "par pitié tout, mais pas ça !".

- Pas besoin ! Mais je persiste à dire que j'aurais très bien pu m'en sortir seule !

- T'avais l'air en totale maîtrise tiens ! Mais bon ça s'est bien passé et ça a été beaucoup plus simple que prévu.

- Bien passé ? BIEN PASSÉ ? Non seulement je passe pour une belle garce, mais en plus je me suis pris un demi-litre d'eau en pleine face et en public !

Mon regard assassin ne l'empêche absolument pas de se bidonner à mes dépens et elle signe son arrêt de mort lorsqu'elle ajoute :

- T'exagères, c'était à peine un fond de verre !

Ni une ni deux, j'attrape le torchon trempé dans la ferme intention de le lui faire bouffer !

 

*          *          *          *          *          *

Bizarrement, depuis que le tortionnaire n’est plus invité à prendre part à mes séances de kiné, je m’y rends bien plus volontiers ! Je n’ai fait qu’une seule session avec ma sauveuse, mais je l’apprécie, elle est franchement cool. Elle arrive à me mettre en confiance et on a bien déconné ! Et –soit dit entre nous- quitte à me faire tripoter, j’aime autant que ça soit par elle !

Maintenant que je le sais, c’est avec un short en dessous de mon immonde pantalon que je me présente à l’accueil du cabinet. La réceptionniste aux allures punk est toujours présente, les cheveux plus roses que jamais.

- Bonjour ! ANNA madame MARIZY est là !

Elle se retourne vers moi d’un air naturel alors même que je suis épatée qu’une beuglante pareille puisse sortir d’un si petit corps.  Son ton doux contraste étonnamment avec le son qu’elle vient de pousser :

- Elle ne va pas tarder.

Je lui fais un sourire et guette l’embrasure de la porte. Effectivement, quelques secondes plus tard la kiné fait son apparition. Le col mao de sa tenue est entrouvert et elle est un peu échevelée. Pour ne rien cacher, ça la rend assez sexy, mais me fait me poser des questions sur le genre d’activités qu’elle entreprend dans les pièces du fond. Et surtout, comment on y a droit ?

À ma vue, elle fait un sourire radieux qui illumine son visage et s’approche d’un pas léger. J’apprécie le fait qu’elle vienne toujours me chercher à l’accueil, même si je suis à présent beaucoup plus mobile. Elle pourrait tout à fait m’attendre dans la salle de soins qu’on occupe à chaque fois, mais non, elle se déplace. Car elle est gentille ! Ou zélée. Elle se présente, un large sourire aux lèvres. Non, clairement parce qu’elle est sympa. Je hausse les sourcils en l’entendant me saluer :

- Bonjour, comment va ma patiente préférée ?

- Bonjour ! Fort bien depuis que ma kiné favorite est arrivée !

Nous sommes interrompues dans notre joute verbale par la secrétaire qui nous chasse sans préavis :

- Bon c’est fini l’échange de flatteries là ? Y’en a qui aimeraient bosser !

Madame LEROI sourit et secoue la tête de gauche à droite, incrédule. Elle passe délicatement sa main dans mon dos pour me guider vers les salles de soin. Son contact m’extirpe un léger frisson qui remonte sans pitié le long de ma colonne. Pour faire celle qui ne se fait pas de films, ou peut être bien pour me convaincre moi-même et m’empêcher de m’emballer, c’est sans me retourner que je lance par-dessus mon épaule :

- De toute manière je sais bien qu’elle dit ça à tout le monde !

La porte n’est pas tout à fait refermée que la réponse me parvient haut et clair :

- Ça, c’est ce que vous croyez !

Immédiatement, je me retourne vers la kiné pour voir sa réaction, mais elle fait comme si elle n’avait rien entendu. J’y croirais presque… Sauf qu’elle a les joues bien trop colorées pour que ça soit le cas.

Toute contente, je m’installe sur la table avec un gigantesque sourire façon Cheshire cat fermement en place sur mon visage. Ses yeux se posent sur moi et elle rougit de plus belle avant de dire :

- Oh ça va ! Sans commentaire ! Vous connaissez le truc, déshabillez-vous qu’on passe aux choses sérieuses !

Même si ça paraissait impossible une seconde avant, mon sourire s’agrandit encore davantage et je n’arrive pas à me retenir de la taquiner en m’exclamant avec des airs de Duchesse :

- Comme vous y allez ! Je ne mange pas de ce pain-là !

Elle dissimule son amusement par un soupir exagérément long, mais j’ai bien conscience que cette fois c’est moi qui suis la grande gagnante de la répartie. Pour une fois ! Deuxième séance avec elle et déjà je l’ai mouchée, je tiens le bon bout !

Son regard est fixé sur moi, puis descend le long de mon corps pour s’arrêter sur mon pantalon et enfin un sourcil parfaitement dessiné se lève dans une question muette. D’un geste de la main, elle m’indique de le retirer. Là encore, je pourrais totalement mal interpréter son langage corporel, mais lui fais grâce pour cette fois. Oh, comme je suis magnanime de lui faire profiter de ma grande mansuétude en ne relevant point !

Fière d’avoir pensé à tout, je me mets debout et baisse mon jogging en grande pompe dans un « TADAAA » pour dévoiler mon magnifique short.

Et apparemment aussi la moitié de mon sous-vêtement vu que mon short est partiellement parti avec. Évidemment il fallait que ça soit le jour où je porte ma culotte avec des petits logos Wonder Woman dessus ! Comme si je n’étais pas déjà suffisamment ridicule !

Mais pourquoiiiiiiiiiiiiiiii ? Les choses allaient dans mon sens ! C’est. Pas. Juste !

Elle émet un son qui ressemble à un toussotement, mais je n’ai pas besoin d’être devin pour savoir qu’elle se bidonne pas très discrètement. Je tente de faire style « tout va bien » et le remonte avec le maximum de dignité possible, autant dire pas beaucoup !

S’ensuit un raclement de gorge, mais comme je le craignais la honte est bien présente dans ma voix lorsque j’annonce :

- Et voilà, je suis prête.

Ça me coûte de croiser son regard, mais si je veux jouer au jeu du « on a rien vu », il le faut. Je la trouve en train de se mordre la lèvre et les larmes aux yeux.

J’essaie d’apparaître blasée mais finit par me lâcher, ce qui fait qu’elle éclate de rire à son tour.

C’est elle qui arrête en premier, essentiellement parce qu’elle a l’air d’avoir mal aux abdos. Elle essuie ses larmes et dit :

- Voilà une séance qui commence bien !

Je lui lance un faux regard noir et m’allonge sur la table. Quelqu’un me doit un massage bien mérité je crois !

Je l’observe pendant qu’elle saisit sa crème et la frotte un peu entre ses mains, j’imagine pour la réchauffer.

Ce n’est pas une beauté type « star de cinéma », plutôt le genre jolie voisine, mais elle a énormément de charme et une personnalité très attachante...

Bon ok, pour lui rendre tout à fait justice, elle est à son travail et n’a pas l’air de s’être maquillée ou d’avoir fait un effort particulier, donc qui sait à quoi elle ressemblerait une fois pomponnée !

Apparemment satisfaite, elle pose délicatement ses mains sur moi et commence à malaxer mes pseudos quadriceps. Voyant qu’elle est distraite, je retourne à mes rêveries.

Quand j’y pense,  j’aime beaucoup la façon dont ses yeux prennent vie dès qu’elle est amusée ou de bonne humeur. Je me demande si les miens font pareil… Elle relève la tête pile au moment où je l’observe et j’ai le réflexe de toute personne prise en flagrant délit, à savoir me tourner méga vite d’une manière criante de culpabilité. Je l’entends sourire, mais continue d’inspecter les murs. C’est décidé, je ne la regarderai plus jamais en face ! Moi qui croyais naïvement avoir déjà connu l’apogée de mon humiliation, je m’épate chaque jour un peu plus ! Maintenant elle doit penser que je suis une espèce de vieille vicieuse qui la lorgne en bavant dès qu’elle a le dos tourné. Non pas que ça soit loin de la réalité, mais la question n’est pas là !

En fait une fois que je ne regarde plus c’est bien pire, car j’ai encore plus conscience de ses gestes et de la sensation de ses mains sur ma peau. Finalement ce massage n’est pas du tout relaxant.  Bon, en même temps ce n’était pas son but, mais quand même !

Fort heureusement, par chance ou peut-être parce qu’elle a senti le changement, elle s’arrête et me tapote la cuisse pour me le signifier. Plus rapide qu’un diable dans sa boite, je me redresse et ne demande pas mon reste.

Elle saisit un tabouret et se place face à moi.

- Asseyez-vous plus loin du bord, il ne faut pas que votre genou soit autant dans le vide.

Elle me guide et une fois que j’ai une position qu’elle considère comme satisfaisante, reprend :

- Bien, aujourd’hui on va reproduire l’exercice de la dernière fois. Je vais vous accompagner dans un premier temps, puis je ferai office de frein. Là c’est juste un mini échauffement pour reprendre confiance. Surtout dites-moi si vous avez mal.

Elle place ses mains de part et d’autre de mon mollet et m’aide à fléchir la jambe, puis à la redresser.

- Je vais commencer à opposer une résistance, essayez de plier votre jambe comme pour mettre le pied sous la table, de plus en plus fort.

Je m’exécute et suis assez contente de voir les muscles de ses bras se tendre sous l’effort.

- À part ça vous avez passé un bon week-end ?

- J’ai connu mieux.

- Des détails !

- Je sais pas si je dois… Vous avez déjà suffisamment ri à mes dépens pour aujourd’hui !

Immédiatement, ses sourcils se lèvent et un sourire lumineux lui vient aux lèvres, sortant par la même occasion son arme fatale : les fossettes :

- À ce point ? Allez quoi !

Elle est tellement mignonne à trépigner d’impatience que je me retrouve (stupidement) à avouer :

- J’ai eu un rencard désastreux !

Le malheur des uns fait visiblement le bonheur des autres. En entendant ça, elle me regarde et demande tout sourire :

- Ouhhh, du croustillant ! Il s’est passé quoi ?

- Disons que non seulement c’était un monstre, mais en plus je me suis pris un verre d’eau gazeuse au visage en plein dans le bar!

Elle lève les yeux et je peux clairement deviner qu’elle est en train d’imaginer la scène. Vu sa tête, visiblement ça lui plaît beaucoup.

- Hannn, je suis jamais là où il faut ! Vous aviez fait quoi pour mériter ça ?

- Rien, c’est ça le pire ! J’étais toute gentille en train de me demander comment j’allais bien pouvoir me tirer de ce mauvais pas de manière courtoise quand mon amie est venue. En gros elle a dit que j’étais déjà en couple et que je cherchais un « à-côté ». C’est ça qui m’a valu le verre d’eau.

Elle me lance un regard un peu… dégouté, bien vite dissimulé derrière une attitude plus neutre :

- Tout s’explique ! Je ne sais pas comment je réagirais si j’apprenais ça sur le moment ! Probablement mal aussi !

Je fronce les sourcils un instant, perplexe, avant de percuter. Piquée au vif, je me défends :

- Ah mais non ! Non non ! Triple non ! Je suis célibataire hein, elle a juste fait croire ça !

- Ahhhh ok ! J’ai compris que…

Elle ne termine pas sa phrase, mais elle n’a pas besoin de le faire. Ouais, bah non ! Je suis un peu vexée qu’elle pense ça de moi, mais tâche de ne pas lui en tenir trop rigueur. Après tout je suis une quasi-inconnue, aussi « proches » que l’on soit dans le cadre des soins. Voulant que ça soit clair (et être bien vue), je précise :

- Nan ! Ce n’est pas mon genre ! … Et puis il faudrait déjà que j’arrive à trouver quelqu’un.

Elle arrête soudain l’exercice et se met à humer l’air. Mi-amusée mi-intriguée, je m’apprête à lui demander ce qu’elle fabrique lorsqu’elle lance :

- Ça sent la pêche aux compliments !

Sans réfléchir, je lui donne une petite tape sur le bras pour la châtier de son énième moquerie (et aussi un peu pour m’empêcher de croiser les bras et de bouder) :

- N’importe quoi !

D’un air outré, elle se frotte l’endroit violenté comme si je lui avais fait mal –ce qui, je tiens à le préciser, ne peut pas être le cas vu le peu de force employé- et enchaîne :

- Bon, on va passer à l’exercice inverse, il devrait vous plaire ! Cette fois-ci vous allez faire comme si vous vouliez me donner un coup de pied et je vais résister.

- Ah, effectivement ça me parle déjà beaucoup plus. Vous voyez quand vous y mettez du vôtre !

- Et après on dira que mon collègue est sadique !

- Je n’ai jamais prétendu être une sainte !

- Essentiellement parce que personne ne vous aurait crue de toute manière. Allez on se motive !

Pour cette fois, je ne boude pas, mais uniquement parce que je sais qu’elle retournerait ça contre moi. J’ai beau y mettre du cœur, force est de constater que j’ai beaucoup plus de mal à la faire bouger dans ce sens. C’est elle la première à rompre le silence :

- Mon impression de la fois précédente se confirme, votre quadriceps est assez faible.

- Mais je croyais qu’on était tombées d’accord pour dire que ma blessure est accidentelle ?

- L’un n’empêche pas l’autre. Dans tous les cas la musculation représente une grosse partie de la rééducation.

Je grimace et ne suis visiblement pas très discrète puisqu’elle se sent obligée d’ajouter dans un sourire malicieux :

- Ne faites pas cette tête, une fois en parfaite forme physique vous allez encore plus faire chavirer les cœurs !

Mon air blasé est immanquable et puisqu’elle me cherche je ne vais pas me gêner pour en rajouter :

- Ouais enfin plus que « pas du tout » ce n’est pas trop dur ! Même la pitié devant mes blessures ne fonctionne pas ! J’aurais tout essayé !

Elle pousse un immense soupir et me sort sur un ton monocorde :

- Mais nooon. Vous savez très bien que vous êtes très jolie.

Vu le ton sur lequel elle a dit ça, je ne sais pas trop si c’est du lard ou du cochon. Je dois bien plaire à quelqu’un, merde quoi ! Aussi stupide que ça puisse être, j’ai envie qu’elle me trouve belle. Pourquoi pas après tout…

Réalisant ce que je suis en train de faire, un auto-sermon me vient. En matière de « et si » et autres utopies largement fantasmées, j’ai donné. Faut que j’arrête.

Ne voulant pas laisser paraître mon trouble, je porte ma main sur ma poitrine dans un faux geste d’émotion et réplique en surjouant :

- Merci pour ce compliment empli de sincérité, ça me va droit au cœur !

Pour sa peine, je termine même par un battement de cils à faire pâlir d’envie les nanas des pubs de mascara ! Bon, étant donné que je n’ai pas franchement un physique similaire, l’effet est plus comique qu’autre chose. Mais dès lors que ça lui décroche un sourire ça me va.

Quoique non, pas si c’est à mes dépens !

Un air amusé sur le visage, elle lève les yeux au ciel et se met debout. J’ai encore le secret espoir qu’elle me dise ce qu’elle pense de moi, mais suis vite ramenée sur terre par son :

- Exercice suivant, c’est parti !

 

*          *          *          *          *          *

 

- Alors ? Raconte !

Baptiste s’affale copieusement sur le bar, comme à la zonzon. Remarque, vu le temps qu’il passe ici, c’est presque le cas. Je soupire et réponds sincèrement :

- C’était un carnage. Franchement je sais pas comment j’ai fait mon coup, mais il y avait une grosse erreur de casting.

- Rohh je suis sûr que t’exagères !

Offusquée, je fais signe à Lucie d’approcher. Elle termine de servir son client et vient faire office de témoin.

- Toi qui as eu l’honneur de la rencontrer, elle était comment ma promise au rencard ?

Sa grimace à elle seule en dit long, mais elle rajoute en plus :

- La wookie ?

Je pointe Baptiste du doigt :

- AH ! Merci Lulu ! Tu vois c’est pas que moi ! Encore aujourd’hui je me demande si elle avait déniché l’angle magique ou si c’était « le miracle Photoshop » ! Quoi qu’il en soit : plus jamais ça !

Compatissant, Baptiste pose sa main sur la mienne et tente de me réconforter :

- Ne dis pas ça, on va finir par te trouver la perle !

- Vu comme c’est parti, c’est surtout la perlouse qu’on va trouver !

Et ça les fait rire ! Je suis très sérieuse ! Comme qui dirait : « mieux vaut être seule que mal accompagnée ». À choisir, je préfère être la femme aux chats qu’avoir une copine avec encore plus de fourrure !

Comme toujours Lucie ajoute son grain de sel :

- Si tu veux on peut te coacher, tu manques juste d’entrainement !

Je lève immédiatement la paume des mains en signe de "on arrête tout" !

- Alors là non ! Même pas en rêve !

- Allez quoi ! Tu verras ça va t’aider

- À me vautrer une fois encore, mais avec audience ? Non et non !

Je pense avoir été suffisamment claire, mais visiblement Baptiste n’est pas de cet avis :

- Tiens, tente ta chance avec elle par exemple.

Malgré les hurlements de mon bon sens, je tourne la tête pour voir de qui il parle.

Non…

-_-

Mais non... 

Et si ! Voici une représentation fidèle de mon expression faciale actuelle :

-_______-‘ 

- Je rêve là, tu parles bien de Lezzie ? Celle qu’on a surnommée ainsi parce qu’elle se taperait n’importe quoi ayant un pronom féminin, cela incluant les objets inanimés ? C’est une plaisanterie ?

Il hausse les épaules et ose me faire le pire des affronts :

- Faut savoir commencer petit !

M’arrêtant dans mon élan de violence, Lucie saisit ma tête entre ses mains, me tourne vers elle et dit :

- Ne fais pas attention à ce boulet, il n’y connaît rien. Pourquoi ne pas plutôt essayer avec… Elle !

Une fois encore, j’ai un peu peur de ce qui m’attend. Mais franchement la surprise est bonne.

Sous mes yeux, une jolie petite brune au regard sombre qui est seule à une table, téléphone en main.

Intriguée malgré moi, je demande à Lucie :

- Elle est lesbienne ? Tu la connais ?

- Oui et oui. Go go go !

Elle tente de me pousser dans sa direction, mais je m’agrippe au bar dans un moment de panique :

- Nan, mais je ne peux pas y aller comme ça ! Je sais pas quoi lui dire et pi…

Vite, une excuse ! Euh… Hmm… Voyons… Ah ! Voilà. Bon ce n’est pas l’éclair de génie tant espéré, mais on fait avec ce qu’on a :

- Je suis pas prête psychologiquement !

Baptiste hausse les sourcils et me sort :

- Pas prête ? Ça fait combien de temps que tu t’es séparée de Florence déjà ?

- Euh… Presque deux ans ?

- Voilààà, merci ! T’as eu tout le temps du monde, ne cherche pas d’excuses ! 

Me sachant vaincue pour cette fois, je fais appel au dernier souhait du condamné à mort :

- Je peux au moins avoir un remontant avant ?

Sous les yeux ébah- blasés de mes amis, j’exécute ma plus belle imitation du chat botté, ce qui les force à avoir pitié et donc à accéder à ma requête !

GENIUS !

Secouant la tête devant mon attitude, Lucie se penche pour attraper un verre et me sert une Vodka Red bull bien corsée.

Dans un sourire mielleux qui ne m’inspire que de la terreur, elle dépose mon breuvage sur le bar en ajoutant :

- Et un courage liquide pour la dame, un ! Si tu y vas il est pour la maison !

La question qui me turlupine est la suivante : qu’ai-je fait de si terrible pour qu’ils soient déterminés à ce point à me caser ? Ils ont l’air prêts à tout ! Pourtant je suis adorable* !

*Si l’on excepte le fait que je pleurniche et me plains très régulièrement auprès d’eux de mon statut d’éternelle célibataire.

Prenant une grande inspiration et sachant pertinemment qu’ils ne vont pas lâcher l’affaire, je m’empare de ma potion magique. Je lève le bras à leur santé et dans un « Nazdrowie », fais un cul sec.

N’ayant pas bu d’alcool depuis un moment, ce n’était peut-être pas ma meilleure idée. Remarque, pour avoir les yeux qui brillent, là ça brille !

Voyant qu’ils s’apprêtent à me pousser et tenant à ma dentition, je m’éloigne rapidement de mes amis, direction l’inconnue. Le trac est toujours présent, mais la peur de ce qu’ils pourraient me faire subir si je ne tentais pas le coup est plus grande.

Je m’approche d’un pas peu confiant, comme une antilope passant devant un lion endormi. Une fois à portée de voix, je suis mortifiée d’entendre un très faiblard « Salut » sortir de ma bouche. Ça commence bien !

L’inconnue lève la tête et me fait un sourire, répondant :

- Salut !

Rassurée par sa réaction qui me laisse penser qu’elle est avenante, je tente le tout pour le tout :

- Je peux m’asseoir ?

En vérité, j’ai surtout peur que l’anxiété vienne à bout de moi dans un évanouissement si jamais je restais debout.

- Euh…

Elle me regarde de bas en haut, comme un bout de viande sur l’étal. Au moins, je sais à quoi m’en tenir. Apparemment, j’ai gagné le label rouge puisqu’elle s’exclame :

- Pas de problème !

De peur qu’elle ne change d’avis, je m’exécute rapidement. Reste plus qu’à trouver quoi lui raconter. Mon plan consistait à aller lui demander de but en blanc, me prendre un refus, puis retourner penaude auprès de mes amis qui, prenant pitié, ne me saouleraient plus avec ça pendant un moment. Sur le papier, excepté l'humiliation d'un violent rejet c'était un bon plan !

Autant dire que j’ai plutôt intérêt à trouver un plan B. J’opte pour une réplique classico-ringarde de ma panoplie de dragueuse ratée :

- Vous venez souvent ici ?

Faites que non sinon j’aurais l’air conne, étant donné que ça impliquerait que je ne l’avais pas repérée alors que je fais presque partie des meubles.

- Non, rarement. Mais suffisamment pour t’avoir remarquée.

Oh. Tutoiement et flirt ! Combo gagnant ! C’est qui la plus forte ? Je résiste tant bien que mal à la tentation de me retourner pour faire signe à mes coachs et répond un très éloquent :

- Oh.

Un sourire de plus m’est adressé et il faut bien reconnaître qu’elle est franchement jolie. Si jamais ça marche, je ne me moquerais plus des vieux dragueurs… Enfin plus trop.

- Au moins tu fais pas partie de ceux qui croivent que tu vas coucher avec eux s’ils t’offrent un verre.

Oô pardon ? J’ai bien entendu croiVent ? Du verbe croiver ?

Faisant appel à tout ce que je possède d’hypocrisie, je fais une grimace supposée ressembler à un sourire :

- Ça, c’est sûr !

J’ai bien conscience que je suis à la conversation ce qu’Hérodote est au gangsta rap, mais je suis bien trop atterrée pour faire la discussion. Heureusement (ou pas), elle n’a pas l’air de s’en formaliser et la mène tambour battant :

- Mais sinon, malgré que je suis pas venue souvent j’ai vu que t’es toujours avec la barman, c’est ta copine ?

Malgré que je suis… Mayday Mayday ! Mon niveau intellectuel sombre à vue d’œil, j’ai percuté un Kinder surprise, une vraie blonde à l’intérieur. Mayday Mayday !

Je pourrais croire qu’elle fait de la pêche à l’info, mais vu la longue fixation qu’elle fait sur la traitresse qui m’a menée à l’abattoir, je ne suis pas celle qui l’intéresse le plus. Se laisser aborder pour entrer en contact avec ma pote, c’est pas très sympa.

Je me retourne vers Lucie, la maudissant d’un regard pour m’avoir suggéré cette nana et c’est sans aucun état d’âme que je réplique dans un mensonge :

- Oui ! Mais je te dérange pas t’es sûre ? Peut-être que tu attends quelqu’un, je m’en voudrais de m’imposer !

Une petite prière est de mise : Oh Déesse Grammaire et autres Dieux Lexicaux, venez en aide à votre fidèle échouée sur les côtes de la misère éducative française. Puissiez-vous accéder à mon humble requête en donnant à cette  pauvre âme un Bescherelle ainsi qu’une personne chère à sa table.

- Nan t’en fais pas, c’est juste une amie !

Et merde ! Tentant le tout pour le tout, je lance d’un air complice :

- « Pour l’instant », c’est ça ?

- En gros ! D’ailleurs, quand on parle du loup !

Je me tourne pour faire face à une nana avec une couche de maquillage plus épaisse que celle des tags dans une ruelle sombre du centre-ville.

Oh mon Dieu. Cette fille c’est l’équivalent Pimp My Ride du visage : Too much !

Voyant dans son regard courroucé une échappatoire, je ne demande pas mon reste et prends mes jambes à mon cou :

- Bon ben ce fut un plaisir. Je retourne là-haut !

À peine ai-je fait volte-face que je sens les yeux de Kinder dans mon dos. Sur un ton qui ne me plaît guère, Pimp My Face dit :

- C’est qui celle-là ?

- La copine de la barman !

- N’imp, elle est hétéro, elle t’a mytho !

Payback’s a bitch Lucie, je tiens ma vengeance ! Il faut que je garde la face…

Dans un sourire menaçant, je m’approche d’elle et murmure « laisse-toi faire ou je t’étripe » à mon amie avant de l’attraper par son haut et l’attirer à moi pour lui faire un bisou par-dessus le bar. Elle est toute crispée et ses lèvres sont aussi souples qu’un pneu de voiture, mais j’imagine que de dos ça ne se voit pas.

Je me recule et m’assied, avec la ferme intention d’assassiner quiconque viendrait à me contrarier.

Baptiste est le premier à dire :

- Euh… C’était quoi ça ?

Lucie elle n’a pas l’air de m’en tenir rigueur et attend l’explication en essuyant des verres comme si de rien n’était. Décidément, cette fille est imperturbable. Et pour une fois, ça m’arrange ! Sans ça j’aurais eu l’air fine tiens !

- Une star de la télé-réalité passerait pour Einstein à côté de cette nana. Croyez-moi, le français vient d’être malmené à la table du fond !

Je peux presque voir les rouages tourner dans la tête de Baptiste, tandis qu’il me regarde avec une grande perplexité :

- Et ? Quel est le rapport avec Lulu ?

- Elle était clairement plus intéressée par elle que par moi et a demandé si on était ensemble ou pas. J’ai repéré une échappatoire, j’ai sauté dessus. Et ensuite quand pot de peinture est arrivée, alors que je retournais ici je l’ai entendu dire que c’était impossible vu que Madaaaame au bar est hétéro. C’est tout.

Posant sa main sur la mienne, Lucie n’a visiblement aucune estime pour la vie puisqu’elle en rajoute :

- Tu peux avouer que depuis que j’ai suggéré qu’on était en couple à ton dernier rencard tu rêves de moi toutes les nuits… Pas besoin de te chercher d’excuses !

Toutes dents au vent, c’est dans un sourire bien trop mielleux pour être vrai que je rétorque :

- Effectivement, d’ailleurs mon moment préféré c’est celui où le semi-remorque te percute !

- Ha ha ha très drôle…

 Fière de moi, je lui fais un petit sourire en coin. On n’arrête pas de s’en mettre plein les dents, mais au fond on s’aime bien. L’amour vache comme on dit.

Remuant allègrement le couteau dans la plaie, Baptiste en rajoute une couche :

- N’empêche, je me demande comment tu fais pour toujours te retrouver dans des situations improbables.

Je hausse les épaules et prends un moment pour y réfléchir. C’est vrai que niveau poisse, entre mes blessures et le reste j’ai touché le pompon.

- Peu importe. C’est un signe qu’il faut que je cesse de m’acharner et envisage l’acquisition d’un chat !

Lucie lève les yeux au ciel et s’éclipse pour servir un client en lançant :

- Et c’est reparti pour un tour !

- Arrête de te lamenter, y’a pire ! T’es jeune, t’es jolie et vu que t’es en kit tu plairas aux amoureuses du bricolage !

- T’es hilarant aujourd’hui dis-moi !

- Si tu voulais de moi cette histoire serait réglée je te signale !

Qu’il est fatigant avec ça lui aussi ! Même si j’étais attirée par les hommes il n’aurait pas eu l’ombre d’un millième de chance. Les coureurs de jupons au cœur d’artichaut très peu pour moi. Bon, je devrais m’estimer heureuse, au moins il ne fait pas partie de ces mecs qui sont persuadés pouvoir nous « dé-lesbianiser ».

- Ouais bah c’est toujours non.

- Rabat joie ! Mais je compte bien rester là. Tout vient à point à qui sait attendre il paraît ! [...] Soit dit en passant, tu me feras jamais croire qu’il n’y a personne qui te plaît ?!

L’image de la kiné s’immisce immédiatement dans mes pensées et je m’empresse de l’enterrer sous une tonne de déni. De un je ne sais même pas si elle est hétéro ou non, de deux elle m’a vue m’humilier à maintes reprises et de trois, c’est inutile de me leurrer à ce sujet, j’ai parfaitement conscience du fait qu’il est fort possible que la sympathie fasse partie de son job… Bien sûr, j’aimerais qu’elle m’apprécie réellement pour qui je suis, avec mon incroyable sens de l’humour, ma grâce et mon corps de rêve… Bon, c’est peut être un chouïa exagéré, mais je me comprends. En tout cas j’espère juste qu’elle ne voit pas en moi qu’une patiente maladroite, le genre de boulet irrécupérable. À défaut d’une amie (on n’en est pas encore là), être à minima quelqu’un qu’elle affectionne vaguement.

- Si, mais personne d’accessible.

Contrairement à moi, Baptiste est loin de se laisser abattre :

- Bah retente ta chance sur le site de rencontres, au moins tu sais que celles connectées sont là pour ça !

- Après le désastre de la dernière fois ? Merci, mais non merci !

Il passe sa main dans ses cheveux courts, les brossant à rebrousse-poil. Je m’attends au pire car c’est toujours ce qu’il fait quand il hésite à dire quelque chose. Et effectivement : 

- Ne le prends pas de travers, mais ton problème c’est que tu juges trop à la première impression et après tu te braques et décrètes si tu aimes ou pas. Tu sais, faut parfois s’y reprendre à plusieurs fois, tout ne peut pas fonctionner du premier coup.

Il a raison, mais ça me fait mal aux fesses de l’admettre, alors je garde le silence. Comprenant qu’il a gagné ce round (mais pas la guerre !) il en profite, tant que le vent va dans son sens :

- Tu vas tenter hein ?

- Seulement les profils SANS photos ! Et c’est non négociable. Quitte à ce que ça soit un monstre, je préfère ne m’attendre à rien ! D’ailleurs je compte retirer la mienne, il n’y a pas de raison.

- De toute manière t’es déguisée on te reconnait pas !

- Peu importe, je la virerai quand mêm- … minute, comment tu sais ça toi ?

Baptiste me fait un sourire et hausse les épaules d’un air innocent qui ne prend pas du tout. Sous mon regard menaçant, il se lève plus vite que ce que j’aurais cru possible et est déjà loin quand il lance :

- Pipi room, je reviens !

Lâche.

Ce pervers va jusqu’à m’espionner sur les sites de rencontre ! Et après on dit que c’est moi qui doit trouver quelqu’un de toute urgence ?

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22 février 2016

Chapitre 1 : Le boulet

Je hais le sport.

Dans le miroir, mon reflet me nargue. Je suis persuadée de faire l'expression faciale "je déteste  ma vie" et c'est un sourire narquois que je vois en retour.

Courageuse mais loin d'être téméraire au point de pouvoir affronter le regard des autres, je fuis dans les vestiaires dans mon idée du pas de course.

Vite fait bien fait, j'échange mon bikini modèle "regardez comme je suis bien gaulée" pour la version "z'auriez pas une cagoule en rab" de l'équivalent piscine d'une combinaison de plongée intégrale.

Rassurée quant au pouvoir gainant de ma tenue dans laquelle toute respiration est le fruit d'un effort, je me dirige d'un pas confiant vers la sortie des vestiaires, priant le Dieu graisse pour qu'il n'y ait pas âme qui vive.

Après une douche rapide, je m'arrête net devant le premier obstacle : le rideau de lamelles translucides séparant de l’entrée des bassins.

Vous voyez le genre, modèle 1832 "avant j'étais transparent, mais au contact du corps de milliers d'inconnus je suis devenu gris translucide" ?

J'ai pas envie de le toucher.

Je jette un coup d'œil à ma serviette bicolore en tentant de décider quel côté sacrifier sur l'autel de la crasse.

Optant pour le plus foncé, j'enroule le tissu autour de mon avant-bras comme s'il s'agissait d'un vrai bouclier et pars affronter Dégueulassor, mon ennemi juré.

Je le franchis dans une grimace accompagnée d'un mouvement digne des meilleurs contorsionnistes.

Tout ça pour me retrouver en position précaire, ayant devant moi le second et pire obstacle : le pédiluve. Également connu sous le nom "bassin le plus crade au monde". À l'intérieur, un mélange d'eau croupie, de peaux mortes, de corne, de mycoses et d’un cocktail bactériologique fatal.

Mon bouclier me paraît soudain désuet... J'observe de plus près l'infâme tambouille dans laquelle on s’attend à ce que je patauge en guise de sésame à l'entrée dans les bassins. Bon. C'est le moment de réfléchir.

Premier sport de la journée, je pourrais escalader les barrières qui l'encadrent, celles-là mêmes supposées guider le troupeau à travers l'eau croupie. Je tapote de la main la rambarde métallique et la découvre frêle et branlante. Ok, pas de grimpette donc.

Un marmot qui ne doit pas avoir beaucoup plus que quelques mois n'a pas les mêmes considérations que moi et joue les fesses dans l'eau sous le regard bienveillant (et inconscient) de sa génitrice. Je m’efforce de masquer mon dégout dans un succès tout relatif puisque j'ai droit à un semblant de grognement de la part de la maman.

Loin de moi l'idée d'imiter l'enfant, je m'accroche tant bien que mal à la barrière et glisse mes pieds sur le rebord auquel elle est fixée. Mon avancée est lente et laborieuse alors que je tente désespérément de ne pas regarder derrière moi. Si je ne les vois pas, les dangers microbiens n'existent pas !

Un cri d'effroi m'échappe en sentant une éclaboussure venir frapper l'arrière de mon genou. Je me retourne et découvre avec abomination que c'est le monstre qui s'amuse à me mouiller. Partagée entre la fuite et l'envie de lui faire un drop kick (si seulement il n'y avait pas l'eau le choix serait plus facile), je me décide à décamper en ignorant le rire moqueur de celle qui a enfanté cet animal!  Une fois que je serai au sec, c'est à elle que je ferai un kick!

Dans ma précipitation, ma tong glisse sur le carrelage mouillé tandis que j'opère une vrille dans l'espoir d'éviter le prochain missile aquatique... Sans succès. C'est au ralenti que ma chute a lieu. D'abord mes chaussures qui perdent prise, un violent tiraillement dans mon genou, une soudaine faiblesse dans l'autre jambe et le marécage qui se rapproche.

Ma bouche s'entrouvre pour laisser s'échapper un cri, mais je me force à la fermer en pouvant apprécier de bien trop près à mon goût les nuances de vert de l'eau.

Une douleur lancinante me parcourt quand mon coude frappe le fond du bassin. Ma tête suit de près. Le comble de l'horreur n'a même pas lieu lorsque mes cheveux sont trempés et que je sens l'eau tiède et bactérienne me couler dans la nuque. Non. Il n'a pas lieu non plus lorsque l'enfant rit et m'éclabousse le visage... Non. La dernière chose que je vois avant de m'évanouir est le courant jaune qui s'échappe de l'entrejambe du marmot et s'étend au reste du bassin.

 

 

*          *          *          *          *          *

 

 

J'ouvre les paupières le temps de constater quelques points affligeants.

Les pompiers n'ont pas jugé bon de me vêtir. Je pue l'urine et le vieux chlore. En baissant les yeux, je réalise que j'ai l'équivalent en circonférence d'une tête d'enfant en guise de genou et que vouloir me recoiffer avec un coude douloureux, c'est une mauvaise idée.

- Elle revient à elle !!

Je jette un regard noir à Captain Obvious, qui n'a que l'intellect d'un chippendale, mais pas le physique.

- Ça va madame ? Vous avez des vertiges ?

À ton avis blaireau ?

Dans un geste qu'il imagine certainement réconfortant, il pose sa main sur ma rotule et me voilà repartie au pays des rêves !

 

*          *          *          *          *          *

 

J'avance tant bien que mal et comme à chaque fois me sens un peu conne en me retrouvant devant la porte avec une jambe valide, l'autre reposant une partie de son poids sur une béquille tenue par mon unique bras libre. Renonçant à l'idée d'ouvrir la porte de mon bras malade, j'essaie d'attraper la poignée de ma main tenant la béquille.

...

En voilà une idée qu'elle est bonne ! Jusqu'au moment où je n'arrive ni à saisir la poignée, ni à retenir ma béquille qui va s'écraser lamentablement au sol.

Après 30 secondes d'étude des différentes solutions qui s'offrent à moi et sont au nombre de 3, je décide.

Dans l'absolu, les génuflexions et moi ne sommes pas amies. Mais en tenter une sur une jambe et avec une attelle sur l'autre, c'est m'assurer d'ajouter une fracture du coccyx à ma grandissante collection de blessures.

J'oublie aussi l'idée de laisser ma béquille là et opte pour me pencher en avant jambes tendues afin de l'attraper.

Le souci, c'est que je suis souple comme un parpaing. Il me manque environ 15 centimètres pour toucher mes pieds et 25 pour la béquille.

Je persiste et signe néanmoins ce qui sera consigné comme l'apogée de ma connerie en forçant jusqu'à perdre l'équilibre. Je me retrouve donc en position précaire sur une jambe et un bras, gracieuse comme un éléphanteau et aucunement en position de me relever. Bloquée dans ma posture "twister qui a mal tourné", je prends note d'une énième blessure, celle à mon égo. Cul tendu aux quatre vents, je perçois avec clarté ma dignité qui s'esclaffe alors qu'elle se fait la malle.

Ça, c'est fait !

Dépérir ici ce n’est pas mal non plus finalement.

Un ricanement se fait entendre derrière moi et des chaussures à talons accrochées à deux superbes jambes viennent se planter dans mon champ de vision. Ajoutant un torticolis à mes blessures de guerre, j'observe la nouvelle venue qui demande :

- Besoin d'aide ?

Piquée au vif, je réponds sans réfléchir  d'un ton dégoulinant de sarcasme :

- Non non, je trouve cette position beaucoup plus pratique !

Elle s'accroupit et saisit ma main, m'aidant à me relever. Une fois debout, je croise son regard noisette, notant son air taquin lorsqu'elle me lance :

- La question est "plus pratique pour  quoi ?"

Tandis que mon visage découvre toutes les nuances de la palette de rouge, elle offre à mon égo une distraction bienvenue en attrapant ma béquille.

Façon gentlewoman, elle m'ouvre la porte dans une courbette :

- J'imagine que c'est là que vous tentiez d'aller ?

Je saisis ma béquille et fais comme si de rien n'était :

- Qu'est-ce qui vous a mise sur la voie ? Et j'étais en route vers le succès je vous signale !!

Elle m’emboite le pas, murmurant "là encore, ça dépend de quel succès il est question". C'est une réplique que je daigne ignorer dans ma grande mansuétude et aussi un peu parce que je n'ai aucun éclair de génie qui vient me frapper.

C'est avec effroi qu'une fois entrée dans l'ascenseur je la vois presser le bouton du 2e étage, dédié entièrement au cabinet de kinésithérapie. Deux choix s'offrent à moi : soit c'est une patiente fort bien portante, soit elle fait partie du personnel !

En ce qui me concerne, je vote pour une malade warrior ! Si jamais c'était elle qui s'occupait de mes soins, ça ajouterait à ma situation actuelle une couche d'humiliation franchement pas nécessaire.

De ma démarche chaloupée, je m’extirpe de la cage d’ascenseur d’un air détaché, espérant que mon récent rapprochement avec le sol ne se voit pas.

La réceptionniste est une jeune femme aux cheveux roses, je dirais la vingtaine. Ses piercings et le tatouage qui dépasse dans sa nuque tranchent complètement avec « l’uniforme » du cabinet, un haut col mao noir aux boutons décalés sur le côté, sur lequel s’inscrit en lettres rouges « Cabinet de Kinésithérapie MAURON et LEROI ». Un contraste plutôt violent, mais pas déplaisant pour peu qu'on aime le genre.

Dans un sourire radieux, elle accueille ma sauveuse d’un jovial tout en lui faisant la bise :

- Bonjour Anna.

Autant pour mes espoirs…

Je claudique jusqu’aux deux femmes et ai un peu honte d’énoncer mon nom après m’être donnée en spectacle devant la maîtresse des lieux.

- Bonjour !

- Bonjour. Je suis madame MARIZY, j’ai rendez-vous avec M. MAURON.

Bien que j’évite de la regarder, je sens la kiné se tourner vers moi :

- Je dois dire que je suis presque déçue de ne pas vous avoir comme patiente !

- J’ai envie de savoir pourquoi ?

Dans un sourire qui ne m'inspire rien de bon, elle rétorque :

- Probablement pas… Courage pour vos soins !

Elle fait volte-face s’éloigne, tandis que mes yeux parcourent malgré moi sa silhouette fine et gracieuse. Je note qu'elle a sagement évité ma question, mais, politesse oblige, réponds tout de même :

- Merci.

La réceptionniste fait mine de tousser, me ramenant à la réalité. Un sourire à la fois entendu et complice joue sur ses lèvres.

- Elle est sympa hein ?

J’acquiesce d’un mouvement de tête, sachant que si j’ouvre la bouche je vais commencer à me justifier. Alors que bon, j’ai rien fait de mal !

Ses yeux restent braqués sur moi quelques secondes et je suis soulagée lorsqu’elle a l’air de reprendre ses esprits et me demande :

- Pourrais-je avoir vos papiers ? Il faut que je vous crée un nouveau dossier, mais il me manque quelques informations.

Je déballe tous les documents que j’ai apportés, espérant qu’ils suffisent et la regarde faire en silence. J’en profite pour faire une petite prière pour qu’elle ne pose pas la question fatidique « ça vous est arrivé comment ? ».

La kiné revient vers nous, à présent en tenue elle aussi.

- Tu peux me sortir mes rendez-vous de la semaine ?

- Oui, ils sont là ! C’est chargé !

- Comme toujours !

Discrètement, à travers mes cheveux je regarde son profil. Elle a des fossettes qui apparaissent lorsqu'elle sourit, c'est plutôt mignon. Finalement, j’aurais bien aimé l’avoir elle. Je pense qu’elle aurait su me mettre à l’aise et je pourrais difficilement davantage me ridiculiser en séance que ce que j’ai fait dehors.

- Bonjour mon petit, comment allez-vous ?

L’hôtesse d’accueil lève la tête vers l’homme qui vient de rentrer et je devine instantanément qu’elle ne le porte pas dans son cœur lorsqu’elle dit d’un ton bien plus froid et solennel qu’avec la kiné :

- Bonjour M. MAURON.

Si j'ai immédiatement percuté sur le fait qu'elle n'avait pas répondu à son « comment ça va » et qu'elle ne lui a pas demandé comment il allait, lui n'a pas l'air de s'en formaliser.

- Qui est ma patiente du jour ?

- Madame MARIZY ici présente.

- Bonjour. Dis-je d'une toute petite voix.

- Bonjour, suivez-moi !

Il s'enfuit au pas de course, comme s'il n'avait pas remarqué mon attirail et le nombre de membres qui me font défaut. Je tente tant bien que mal de lui emboiter le pas avec une grâce qui m’est propre. Bien vite, mes muscles endoloris me reprennent à l’ordre, ajoutant une grimace à mon charmant tableau.

Madame LEROI prend pitié de moi et me propose son aide dans un geste silencieux. J'accepte, plus par peur de me ridiculiser une fois de plus que par réelle envie de me faire escorter.

Je m'appuie allègrement sur elle, en guise de représailles pour avoir été le témoin de mon humiliation publique. Elle ne bronche pas, ne bougeant pas un cil. Elle est plus forte qu’elle n’en a l’air ! Contrairement au cabinet, elle ne sent pas le médical et l'aseptisé, mais porte sur elle une délicate odeur de vanille. Beaucoup plus agréable que l’autre blaireau, j’en suis sûre ! Bon, ok, je ne l’ai pas reniflé, mais pas besoin !

Elle m'accompagne jusqu'à la porte et me lance un “bon courage” qui ne me dit rien qui vaille.

À l’intérieur de la pièce, l'attirail de torture du parfait psychopathe m'attend.

Je regarde d'un œil suspect la cage en métal à laquelle sont attachés divers objets dont j'ignore l'utilité - et dont je ne suis pas pressée d'en connaître les détails exacts !

 

Claudiquant jusqu'à mon futur tortionnaire, je m'assieds sur un banc me promettant de nombreuses heures de souffrance. Mes yeux se posent un instant sur ma tenue de Robocop des temps modernes, avant d'inspecter avec méfiance les râteliers chargés des instruments employés à l'époque moyenâgeuse pour procéder à la question.

M. MAURON m'arrache sans ménagement mon attelle et la seule chose qui me retient de lui administrer une balayette rotative dans sa face de sadique, est la certitude des douleurs qui s'en suivraient. À la place d'un exploit martial, je pousse un misérable couinement.

- On va commencer par la presse. Disons... 20... non, vous êtes grande, 30 kilos.

- Hein ? B.... M... hein ?

On lui a bien expliqué que je n’étais pas là pour les Jeux olympiques ?

De mauvaise grâce, je me traîne sans conviction jusqu'à la machine en question. Je m'installe et pose les deux pieds à plat sur la plate-forme.

- Ah non non, une seule ! À moins qu'il ne s'agisse d'une luxation bilatérale ?

Et de nouveau :

- Hein ?

- La dame elle a bobo les deux jambes ?

L'idée de la balayette rotative revient en force... peut-être qu'après avoir heurté son abominable tronche de cake de plein fouet, la réponse sera oui.

Je me contente d'enlever ma jambe valide du plateau et regarde avec dépit les plaques de fonte que je vais devoir tenter de soulever.

- Allez, on a pas toute la journée.

Je rassemble l'intégralité des mes forces et parviens avec difficulté à déplacer l'ensemble à une distance faramineuse d'environ quatre...millimètres.

- Parfait. Vous faites ça pendant vingt minutes et je reviens vous voir ensuite.

Nan, mais il a pas remarqué que j'ai lamentablement échoué ?

Mais il est déjà parti et je me retrouve seule et dépitée.

- Bon... Quand faut y aller faut y aller !

Pleine de bonne volonté à l'idée de pouvoir bientôt réaccéder au monde des bipèdes, je m'installe confortablement et prends une grande inspiration, avant de pousser de toutes mes forces.

Vous voyez une tempête tropicale ? Un ouragan ? Un typhon ? Un cyclone ? Et bien tous font pâle figure en comparaison du vent qui s'échappe de mes fesses dans un bruit si fort que je suis tentée de regarder par la fenêtre pour vérifier que personne n'a été frappé par la foudre.

J'explose de rire et manque de m'étouffer quand l'odeur pestilentielle issue de mes entrailles atteint mes narines. Je dois être moisie de l'intérieur. Ça sent un mélange d’œuf pourri, d'eau croupie et de cadavre en état de décomposition avancée.

Je me lance dans des moulinets avec les bras comme pour tuer un essaim de mouches invisibles afin d’aider l'odeur à se dissiper plus vite. Après dix secondes d'effort, je réalise que c'est peine perdue.

J'ouvre la fenêtre à côté de moi et me mets debout. C'est dans mon sac que je trouve l'objet de mon salut, à savoir ma serviette. À cloche-pied, je m'avance jusqu'à la porte. Arrivée à destination, je fais tourner ma serviette au-dessus de ma tête dans un mouvement de poignet digne d'une véritable cowgirl.

L'idée, c'est de recréer un effet ventilateur pour inciter l'infâme puanteur que j'ai pondue à s'évacuer par la fenêtre.

Au bout de 10 secondes, j'ai mal au bras, à 20 secondes je commence à m’essouffler et à 30 secondes la porte s'ouvre.

Je jette immédiatement ma serviette loin de moi, dans un geste criant de culpabilité.

- Et on fait tourner les servietteuhhh...

Entre effroi d'avoir été vue et peur qu'elle ne découvre ma pourriture intérieure, je fais volteface à toute vitesse, dans un triple axel qui ferait rougir n'importe quel patineur artistique … et me fait perdre l'équilibre.

La bonne nouvelle, c'est qu'elle n'a pas pénétré dans la pièce, même s’il est toujours possible que le nuage me suive. La mauvaise, c'est que je viens de me jeter dans les bras de la kiné.

Je ne sais pas si elle a remarqué qu'elle est la seule chose qui se tient entre le sol et moi, mais quoi qu'il en soit elle ne me laisse pas tomber comme si elle avait attrapé un marron chaud, mais se contente de reculer sa tête pour m'observer. Son air étonné est contrasté par un sourire en coin plutôt moqueur :

- Vous vouliez partager votre joie à l'idée que moi aussi je connaisse Patrick Sébastien ou il y a une raison à cet élan de gentillesse ?

- Je euh...

Embarrassée, je cache mon visage, ce qui me fait me blottir contre elle, ou du moins contre sa poitrine et, par définition, aggrave mon cas. Mais ça, je ne percute que lorsque je remarque qu'elle sent très bon...

- Pardon ! Pardon ! Double pardon ! Je... J'ai été surprise et j'ai perdu l'équilibre !

Elle m'attrape par les épaules et me recule avec précaution.

- Bref... Je suis venue voir si tout se déroulait comme vous le souhaitiez.

Je jette un coup d'œil à la pièce qui contient encore une trace résiduelle de vous savez quoi et m'empresse de m'exclamer :

- Je m'en sors très bien, tout se passe bien, merveilleux !

Elle me regarde d'un air mi-suspicieux, mi-inquiet. Mais je suis sûre qu’elle réprime un sourire. 

- Ok... Mmh, je vais vous laisser alors…

Et avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle quitte la salle, m’abandonnant sur le pas de la porte comme un vieux flamant rose en plastique dans le jardin d'un particulier.

Je claudique jusqu'à la presse et m'échoue sur le banc.

Je hais le sport, mais quand je constate à quel point je suis essoufflée après deux minutes d'effort, effectivement, peut-être que me bouger ne serait pas superflu.

Le “charmant” Dr MAURON revient la bouche en cœur et sans même remarquer que j'ai fait à peu près tout sauf l'exercice, il me lance :

- Ah, formidable, je vois que vous y avez mis du vôtre...

Un sourire hypocrite aux lèvres, j'acquiesce, tout en me réjouissant de le voir évoluer dans mon nuage toxique. S’il pouvait en décéder, ça m’arrangerait. J’attends un peu, mais rien ne se produit. Déception…

- Mais il est vrai que les personnes bien portantes comme on dit ont tendance à beaucoup transpirer... Bon, on passe à l'exercice suivant.

Connard.

 

*          *          *          *          *          *

 

Troisième rendez-vous avec M. MAURON le roi des cons. Oh joie.

L'ascenseur est en panne et c'est une mauvaise nouvelle. La seconde est que je vais potentiellement me dessécher dans cet escalier étant donné qu'il m'est IMPOSSIBLE d'ouvrir la porte avec mon unique bras valide. Techniquement, deux jambes, un bras c'est faisable. Mais mes séances de rééducation ne se déroulant pas exactement comme mon cher kiné le pense, mon équilibre est au niveau d'un quidam après une soirée bien trop arrosée.

C'est déjà miraculeux qu'il me reste mes dents après l'ascension des marches.

Soit les gonds sont rouillés, soit ma force herculéenne n'est plus ce qu'elle était.

Toujours est-il que je suis toujours dans la cage d'escalier lorsque j'entends :

- J'en peux plus, faut que tu la prennes.

- Qui ?

J'abandonne immédiatement mes efforts et colle mon oreille à la porte.

- Le boulet ! Trois séances et zéro résultat ! On jurerait qu'elle le fait exprès ! Et si elle me dit une fois de plus qu'elle n'y arrive pas, je ne sais pas ce qui va se passer...

Ah... Mon esprit de fine déduction me permet de comprendre qu'il parle de moi, et que mon stratagème a donc fonctionné.

- Pourtant elle m'a l'air gentille.

- Gentille peut-être, mais surtout stupide ! C'est à croire qu’elle n’a pas l'intention de marcher !

Ehh ! N'écoutant que mon ego blessé, je pousse la porte de toutes mes forces, postérieur en avant.

Finalement je rencontre beaucoup moins de résistance que prévu et j'ai tout juste le temps d'attraper la poignée au passage de mon vol plané.

J'adopte la position voile de bateau afin de ralentir ma chute, ma main sur la clenche, mon pied contre la porte et mon corps en C dans le vide.

Je tourne la tête vers la baie vitrée qui marque la zone de réception du cabinet et je m'aperçois que tout le monde me regarde.

Entrée discrète bonjour !

Mon pied glisse et c'est lentement que je tombe jusqu'à me retrouver le cul par terre dans un « poc ».

- Ah non, trop c'est trop, elle est à toi.

Si j'avais mes deux mains, je lui crèverais ses pneus. Et s’il n’y avait pas de témoins, j’irais même pour ses yeux tiens !

Le Dr LEROI se précipite à ma rescousse et tente de m'aider. J'essaie d'escalader son corps avec autant de dignité que possible tout en évitant les zones à risque. Autant dire que lorsqu'on se sert de quelqu'un comme d'un terrain de varappe, il vaut mieux ne pas trop penser à son amour propre.

Arrivée à sa hauteur, je ne trouve rien d'autre à rétorquer que :

- Bonjour. Merci.

Ne me prenant pas du tout en pitié, cette fois c'est une moquerie qui sort de sa bouche :

- Bonjour. Et méfiez-vous, je vais finir par croire que vous le faites exprès.

- Rien de tel que l'humiliation au petit matin. Ça aide à garder les pieds sur terre. Enfin, celui qu'il me reste.

- Vous avez les deux, mais je soupçonne qu'il s'agit de deux pieds gauches.

- Tant mieux, je suis gauchère.

Et toc !

Ne me laissant pas abattre, je me traîne comme une grande jusqu'au bureau d'accueil.

La doc me rejoint et joue avec ses mains d'un air gêné, avant d’annoncer :

- Si ça ne vous dérange pas, à présent c'est moi qui vais poursuivre votre traitement...

Son regard fait tout pour éviter le mien et je la prends en pitié :

- Au contraire. Votre confrère est à la sympathie ce que la kryptonite est à Superman.

Un léger sourire parcourt ses lèvres tandis que la secrétaire laisse échapper un petit gloussement. Au moins je ne suis pas la seule à ne pas penser que du bien de lui !

Elle m’entraîne dans une salle de soins de l'autre côté de l'étage. Tant mieux, plus je serais loin de lui mieux ce sera.

Incapable de résister à la tentation, je lance une dernière moquerie:

- Tiens, vous n'avez pas opté pour la décoration “cage et chaînes” ?

Loin de se laisser démonter, elle réplique :

- Chacun son style et ses hobbies, je ne juge pas les vôtres, mais ça ne veut pas dire que je les partage ! Je vous en prie, prenez place.

- Je... Je parlais de votre collègue...

Le regard complice qu'elle me lance achève de me persuader du fait qu'elle le savait très bien.

M'avouant volontiers vaincue et soulagée à l'idée de m'asseoir, je la laisse me guider jusqu'à la table d'examen.

- Je vais chercher votre dossier je reviens.

La pièce est décorée dans des tons pastel qui dévoilent une personnalité à tendance psychopathologique si vous voulez mon avis. L'air de rien, le zinzin à au moins le mérite d'annoncer la couleur avec ses cages et ses chaînes ! Là, quelqu'un de moins maladroit que moi et n'ayant par conséquent pas eu la joie de connaître l'extase apportée par la rééducation pourrait s'attendre à une promenade de santé. Alors qu'en réalité en termes de balade on serait plus proche du chemin de croix que d'autre chose !

Bon, par contre je lui donne des points bonus pour avoir l'idée de diffuser un léger parfum, ce qui masque les odeurs de transpiration... Et camoufle aussi les divers effluves incongrus qui pourraient être produits dans cette pièce ! Je ne fais référence à rien de particulier, bien évidemment.

Elle revient rapidement, un minuscule dossier en carton dans les mains. J'espère qu'il n'est pas détaillé.

- Alors, voyons... Ah oui... Quand même !

Elle s'accroupit devant moi, ce qui me met extrêmement mal à l'aise, comme à chaque fois que quelqu'un à sa tête à hauteur de mon entrejambe ; et commence à défaire mon attelle au genou.

- Prévenez-moi si je vous fais mal.

Et elle établit discretos un genre de safeword. Une sadique, quand je le dis !

Bien que je connaisse l'apogée de ce qu'un corps peut faire en matière de crispation musculaire, il faut bien lui reconnaître une délicatesse qui serait complètement hors de mes capacités. Elle me débarrasse de mon carcan et remonte le très seyant pantalon trop grand que je porte afin d'observer sans barrière la zone endolorie.

- Hmmm

Pourquoi elle fait hmmm. C'est un bon hmmm ou un mauvais hmmm ?

- Hmmm ?

- Pardon je réfléchissais. Vous en étiez où avec mon collègue ?

- On en était à la partie « entraîner Mademoiselle MARIZY à son insu en préparation des championnats du monde d'haltérophilie ».

Elle me fait un sourire grimaçant et s'enquiert :

- Je vois. La presse j'imagine ?

- Oui, en augmentant de 10 kg à chaque séance, sans prendre en compte mon absence totale de réussite. Très constructif. Il travaillait dans un goulag avant de venir ici ou quoi ?

Elle hausse les épaules et avant même qu'elle n'ouvre la bouche je sens qu'elle n'est pas tout à fait convaincue par ce qu'elle va dire :

- Il est un peu... spécial. D'ordinaire il s'occupe surtout de d’athlètes alors peut être que ça lui donne des soucis de perspective...

Mouais, n'essaie pas de lui chercher des excuses poulette !

Je me contente de lever un sourcil dans une moue qui remet clairement en question sa version.

- Je suis très sportive moi aussi... *

*Si m’adonner à des jeux de sport sur la console compte.

Comprenant qu'elle ne tirerait rien de plus de ma part que de la mauvaise foi, elle se relève et change de sujet.

- Et comment au juste vous êtes-vous fait le combo qui vous vaut ce look Terminator ?

- D'abord je vous ferai dire que c'est un look Robocop et ensuite... C'est..

 

Dans ma tête se rejoue au ralenti l'intégralité de l'effroyable scène qui mena au ridicule de ma situation et il me faut moins d'un millième de seconde pour décider que raconter la vérité n'est pas une option envisageable.

 

- Je... me suis blessée... Euh... En tentant un double axel pendant mon entrainement de patinage artistique ?

Je ne sais pas ce qui est le pire entre mon excuse, mon ton ni convaincu ni convaincant et le regard qu'elle me lance. Visiblement, l'idée que je puisse exceller dans un domaine qui requiert un tant soit peu de grâce n'est absolument pas crédible. Je me demande pourquoi.

- Vous réalisez que j'ai votre dossier médical ? J'ai déjà une description des faits, ce qui m'intéresse ce sont les détails...

La pelle avec laquelle je creusais la tombe de la honte s'abat sur ma tête à cette annonce.

Ok, donc non seulement le ridicule de ma situation n'est plus un secret pour personne dans ce cabinet, mais en plus il a fallu que j'en rajoute une couche.

Et quels détails elle veut ?

- Croyez-moi, je vous rends service en vous les épargnant...

- Au vu de ce que j'ai sous les yeux, je n'en doute pas une seconde, mais dites-vous que c'est pour votre bien !

- Si c'est le cas, pourquoi votre charmant collègue ne m'a-t-il rien demandé?

- Il voit la blessure et la traite. Personnellement, je préfère m'assurer qu'elle relève bien d'un accident et non d'une faiblesse musculaire ou d'une malposition qui pourraient toutes deux être corrigées.

 

Et en plus elle a des arguments valides...

- Vous ne riez pas hein?

- Promis !

À sa bouche, je devine clairement qu'elle peine à retenir un sourire.

- J'étais à la piscine, j'ai voulu éviter de traverser le pédiluve à l'eau trouble et en marchant sur les bords j'ai glissé et me suis fait mal en tentant de me rattraper...

Soit elle a les lèvres en cul de poule et je ne l'avais jamais remarqué, soit elle fait de son mieux pour ne pas que je sache qu'elle se moque...

- Ça a dû être...

Elle semble chercher le mot adéquat et opte pour:

- Douloureux.

Je décide d'accepter ma destinée de honte et confesse :

- Oui, mais surtout ridicule n'ayons pas peur de se l'avouer...

- Si ça peut vous consoler, j'ai déjà eu pire... Mais au moins le mystère n'en est plus un, vos blessures relèvent de l’accidentel !

Je doute qu'il puisse y avoir pire, mais suis prête à tout pour que l'on change de sujet. Le meilleur plan pour ça reste encore de la faire parler d'elle :

- Ça fait longtemps que vous faites ce métier ?

Elle hausse un sourcil et lance, d’un air plaisantin :

- Est-ce une façon de savoir si je suis apte à m'occuper de vous ?

- Non, juste de faire la conversation... J'ai bien senti que j'étais entre de bonnes mains...

- Oh ! Euh. Merci ?!

C'est en la voyant rougir que je réalise que le ton employé ne semblait pas faire référence à ses compétences professionnelles...

Tourne sept fois la langue dans ta bouche avant de parler on a dit !

Je suis tentée par l'idée de faire comme si de rien n’était, mais ai peur de partir du mauvais pied et de créer une gêne d'entrée... Faisant usage du peu de courage à ma disposition, je me lance :

- Ça... Ahem... Ça sonnait pas comme ça dans ma tête, désolée...

Elle m'offre un sourire bienveillant et pose sa main sur mon épaule :

- Y'a pas de mal... Et ne prenez pas ça de travers, mais... J'aurais besoin que vous vous allongiez.

Est-ce qu’elle flirte ? Ou je me fais encore des idées ?

Nan, faut être raisonnable, d'ordinaire je ne suis pas glamour, mais là c'est pire que tout, aucune chance de plaire à qui que ce soit !

À mon avis, elle a juste grillé que je suis lesbienne parce qu'une hétéro n'aurait pas senti la nécessité de s'excuser (et n'aurait probablement même pas relevé d'ailleurs).

Je ne sais pas si je suis la seule à qui ça le fait, mais j'ai toujours peur que la nana en face pense que je la drague !

Du coup est ce que je dois jouer le jeu et plaisanter dessus ou... ?

Choisissant la prudence, je m'allonge docilement, un sourire aux lèvres. Sourire qui s'estompe dès qu'elle demande :

- Vous avez bien pris votre short ?

Short ? Elle a bien dit short ? Je lui lance un regard qui atteint un niveau de perplexité épatant.

- Avec un temps pareil dehors ? J'ai même prévu les tongs !

- Pour le massage, les étirements et la liberté de mouvement en exercice.

J'ai bien entendu ?

Hein ? Désolée j'ai cessé d'écouter après massage ! Vous m'intéressez là !

- Je l'ai oublié ? Mais c'est pas grave, je peux remonter mon pantalon, regardez !

Immédiatement je m'exécute sous son regard complètement désabusé.

Je me retrouve avec deux grosses boules de tissus qui me forcent à écarter les cuisses et me donnent un air de grenouille retournée.

- Magnifique ! On peut s'y mettre maintenant ?

- Mais je vous attends, il est question d'un massage je crois ?

Secouant la tête de gauche à droite, elle attrape une bouteille qui ne m'inspire pas grand-chose et verse un peu de la substance entre ses mains.

- Ça risque d’être un peu frais, mais ça va vite chauffer ne vous inquiétez pas.

Mes yeux s'écarquillent en sentant ses mains sur ma cuisse.

Elle sourit et ajoute :

- C'est pas si froid que ça, chochotte.

Je m'abstiens de tout commentaire, mais j'ai quand même envie de lui signaler que c'est au genou que j'ai mal. C'est surtout ça qui m'a surprise !

Un énorme frisson me traverse tandis qu'elle malaxe mes pauvres petits muscles endoloris.

Oh. Réflexion faite... C'est peut-être pas la peine de la stopper dans son élan...

Je reste quelques instants à profiter des sensations et remarque que la crème commence à chauffer.

- Ça brûle ! C'est anti-allergène ? Nan parce que je ne voudrais pas avoir des pustules en plus du reste !

- Oui c'est normal, le massage sert à échauffer votre muscle en vue des exercices. Ça fait un bail que vous n'avez pas utilisé votre jambe.

Plissant les yeux dans un regard hautement suspicieux, j'annonce d'un ton sceptique :

- Bon, je vais vous laisser le bénéfice du doute, mais s’il y a des pustules...

Elle relève la tête et me fait un sourire radieux, bien trop beau pour être sincère :

- Pas de pustules, promis !

J'imagine qu'elle en a fini avec la cuisse puisqu'elle qu'elle s'attaque à mon genou.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que j'ai rarement connu une sensation aussi désagréable. Malgré moi, je bouge pour échapper à ses mains :

- Arrêtez de gigoter, c'est pour votre bien.

- C'est ce que les sadiques disent ! Je crois que je préférais la cuisse !

Elle lève les yeux au ciel et me fait un nouvel affront :

- Entre « l'effet couche » de votre pantalon et votre comportement, j'ai vraiment l'impression de travailler avec un gros bébé ! Mais c'est bon, on a fini, je vous laisse vous installer sur le vélo elliptique.

Je rabaisse mon pantalon en grommelant :

- Je suis pas un gros bébé. Et j'aime pas le vélo.

Je m'exécute néanmoins de mauvaise grâce et ignore son ultime moquerie :

- Vous préférez la presse peut être ?

Pff, elle a de la chance que je sache qu'elle plaisante ! La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe que je suis !

 

*          *          *          *          *          *

 

Baptiste s'assied à côté de moi au bar et me tend mon café.

- Merci.

- De rien. Alors, comment ça va depuis le temps ? T'as encore  l'air d'être passée sous un bus !

- Toujours aussi charmant, merci de me rassurer ! Ça peut aller écoute, je continue les séances de kiné, la routine quoi !

Ma réponse le surprend :

- T'es restée avec le sadique ? Tu vois que finalement tu aimes bien !

- Oh oui j'adore quand on me maltraite... Ou pas ! Pour ta gouverne, sache que j'ai changé de praticien.

- T'es chez qui maintenant ?

- Toujours pareil, mais avec sa collègue.

Il me fait un sourire coquin et me dit d'un air entendu :

- Je vois...

-_-

- J'crois pas non !  Quelle idée tordue tu as en tête ?

- Elle est jolie ?

Ça ne devrait pas, mais sa question me surprend.

- Euh... Je sais pas...

- Rooh, joue le jeu quoi ! C'est pas une question très compliquée !

Ne m'étant pour être honnête jamais vraiment autorisée à y réfléchir, je prends un moment pour répondre. Je visualise les yeux noisette de la kiné, ses cheveux châtain mi-dos, je me rappelle la perfection de ses jambes telles que je les avais aperçues lors de notre première rencontre...  Mais je crois que ce qui me marque le plus est un sentiment qui ne se décrit pas, la manière dont son sourire illumine une pièce, cette... "Aura" de gentillesse qu'elle dégage.

Pas de doute, sans être "waouh", elle est belle.

- Oui... Oui, elle est jolie. Mais plus que ça, du peu que j'en ai vu elle a l'air d'être une bonne personne !

- On parle de moi ?

Lucie, notre barmaid préférée (car unique, mais n'allez pas lui dire) sort un verre et se sert un Perrier en s'approchant. Baptiste est plus rapide que moi et répond :

- On aurait pu chérie, mais Inès dévoile tout sur son nouveau coup de cœur, sa kiné !

Je hausse les sourcils en entendant ça. Où est-ce qu’il a été chercher ça ? Je n'ai même plus le droit de dire du bien de quelqu'un sans que ça soit mal interprété !

- N'importe quoi ! Ne l'écoute pas il raconte des bêtises !

- Pourtant vu la manière élogieuse dont tu en parlais...

Blasée, je touille mon café en lançant d'un air bougon :

- Parfois je me demande pourquoi je continue à venir ici, vous vous liguez constamment contre moi ! Tu n'as pas du boulot ?

- Non, c'est calme ce soir, tes histoires de cœur sont ma seule distraction !

- Tu risques de mourir d'ennui alors !

Baptiste choisit ce moment-là pour ajouter son grain de sel :

- Ne dis pas ça, ça peut arriver à tout moment ces trucs-là ! Qui sait, peut-être qu'avec ta kiné...

Je pousse un long soupir et tente de mettre les choses au clair :

- C'est surtout toi qu'elle a l'air d'intéresser ! Je la connais à peine, c'est juste ma kiné ! Et puis franchement, t'as vu ma tronche ? Tu l'as dit toi-même on dirait que je me suis pris un camion !

- Y'en a à qui ça plaît peut être !

- Lucie s’il te plaît aide moi !

Miraculeusement elle vient à mon secours et dit :

- Fous-lui la paix Batou ! Elle a fait bien de prendre son temps !

- Merci ! Écoute la voix de la raison !

- Lulu, la voix de la raison ? On aura tout entendu ! Mais j'ai juste une dernière question et j'arrête avec ça...

À contrecœur et surtout pour être débarrassée, je lui fais signe de continuer de la main.

- Tu penses toujours à Florence ?

Aïe. Le point qui fâche. Je hausse les épaules et m'efforce de répondre d'un ton le plus nonchalant possible :

- Ça m'arrive... On efface pas 3 ans comme ça ! Mais je n'ai plus de sentiments pour elle si c'est ça que tu veux savoir !

Sans se concerter, Baptiste et Lucie trinquent en lançant un "Amen" !

Après un court blanc et juste parce que ça l'amuse de me torturer, Lucie se penche sur le bar, m'offrant volontairement une vue plongeante sur ses attributs tout en susurrant :

- On va enfin pouvoir passer aux choses sérieuses toi et moi...

Jouant le jeu, je fais courir mon doigt le long de son bras et réponds aussi sensuellement que possible :

- Hm hmm... Pas de problème... Dès que tu seras attirée par les femmes, fais-moi signe !

- Mais tu es la seule qui m'intéresse tu le sais bien !

Je souris et porte mon café à mes lèvres. Inutile de tergiverser là-dessus, personne  n'aime plus les hommes qu'elle, à part peut-être Elton John.

23 août 2015

Disclaimers

Fini

Sexe : Duh ! A votre avis ? Je suis cruelle, mais pas au point de les laisser en plan !

Résumé : Parfois, être un boulet a du bon... tout dépend à qui on le demande ! 

(Non, je ne m'améliore toujours pas à ce niveau là)

Note : J'ai trouvé l'image sur pixabay (image gratuites, je ne connaissais pas), j'ai juste mis un filtre et le texte, je suis comme ça ! 

Merci à Kathia pour sa relecture appliquée et Gaby pour son harcèlement perpétuel :) 

Rappel : Article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle : "L'auteur d'une œuvre jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.  [..] L'œuvre est protégée du fait même de son existence."

6 octobre 2013

Toast : Histoire

 

Je dépose avec soulagement ma valise sur la couchette inférieure, n'ayant ni la force ni l'envie de la placer sur le porte bagage situé en hauteur. De toute manière, avec un peu de chance je serais seule.

Mes fesses font la rencontre du matelas modèle SNCF et elles comme moi espérons que notre relation sera celle d'une nuit seulement.

Je me relève pour aller regarder par la fenêtre, n'ayant pas du tout sommeil. La vitre du train est taguée et pas ce qu'il y a de plus propre. Pas grave, j'ai déjà bien trop vu cette ville, il est temps de m'échapper et prendre quelques vacances.

La tête qu'a faite ma mère quand je lui ai annoncé que je comptais me prendre un pass Interrail et voir du pays pendant mes vacances...

"SEULE ? Tu comptes y aller SEULE ? Cécile Virginie Carré, tu oublies tout de suite cette idée !"

Étonnamment, malgré l'usage de mon deuxième prénom, j'ai fini par la faire céder. Ma seule concession est d'avoir promis de voyager exclusivement dans les compartiments femme. Autant dire que j'ai réalisé la meilleure négociation de ma vie.

Le train finit par se mettre en marche, direction : l'Europe. Normalement je devrais rouler toute la nuit pour arriver à Budapest dans la matinée.

Sortant mon téléphone, je vois 2 messages de ma mère.

"Donne-moi de tes nouvelles tous les jours sinon j'appellerai directement la police !"

"Et ferme la porte de ton compartiment à clef, c'est fait pour ça ! Je t'aime, prends soin de toi !"

Souriante, je vais verrouiller la porte. Si ça peut rassurer ma maman poule...

Elle regarde beaucoup trop de films policiers, je suis persuadée qu'elle croit qu'une horde d'hommes mal intentionnés rôdent dans les trains de nuit dans le seul but de trouver une proie facile qui n'aurait pas verrouillé sa porte.

Secouant la tête devant l'absurdité d'un tel scénario, je m'apprête à m'allonger lorsque la clenche de la porte est actionnée.

Quelqu'un essaie visiblement de rentrer!

...

Maman avait raison ?!

Je commence à me poser des questions lorsque l'on toque et une voix féminine se fait entendre.

- Il y a quelqu'un ? J'ai une place réservée dans ce compartiment !

Soulagée, je me sens ridicule d'avoir douté et m'empresse d'aller déverrouiller la porte

Une jeune femme, qui doit comme moi être début vingtaine se tient de l'autre côté.

- Bonsoir, désolée j'avais la musique, je ne vous avais pas entendue.

Elle sourit à mon mensonge et répond.

- Bonsoir,pas de problème c'est ma faute j'ai failli manquer le train je suis montée dans le premier wagon et le temps de venir jusqu'ici... Je peux ?

Je réalise que je me tiens toujours dans le pas de la porte, lui bloquant l'entrée. Je m'écarte rapidement, me confondant en excuses. Même en me reculant autant que possible, ça ne lui laisse pas une marge de manœuvre énorme pour se mouvoir.

Elle rentre en premier, tire sa valise avant de difficilement réussir à fermer la porte. Elle se retourne et me fait un sourire gêné.

- C'est plutôt étroit ici !

C'est un doux euphémisme, j'ai déjà vu des boites à chaussures plus grandes que cette pièce.

- A qui le dites-vous ! Et dire que normalement c'est fait pour quatre personnes !

- Oh à quatre enfants de 6-8 ans ce doit être confortable !

Elle se penche pour attraper sa valise, frôlant par la même occasion mon entrejambe de ses fesses. Involontairement, mes yeux se baissent pour contempler la scène, et mes pensées se mettent à divaguer. Je vois bien qu'elle n'a pas le choix vu la taille du compartiment, mais son geste, bien qu'innocent, ne me laisse pas indifférente.

J'ai envie de me presser davantage contre elle pour rendre le contact réel, sentir les muscles de ses fesses...

Ok. Stop.

Au vu de ma réaction, je peux dire que ça fait bien trop longtemps que personne ne m'a approchée. Désespérée et ayant envie de reprendre le contrôle de mes pensées et mon corps, je tente de me reculer, en vain. Je suis déjà collée contre la fenêtre et à moins d'apprendre à traverser les murs je n'irais nulle part.

Comme quoi faire vœu de chasteté ça demande une vraie vocation !

Alors que mes yeux se reposent malgré moi sur sa silhouette, en appréciant les délicates courbes féminines qui me font rêver depuis trop longtemps pour le dire, je l'entends racler sa gorge. Je ne réalise que trop tard qu'elle me regardait et n'a probablement rien manqué du petit voyage qu'ont entrepris mes mirettes.

Soit elle ne m'en tient pas rigueur, soit elle m'a vue sans vraiment voir, toujours est-il qu’elle ne dit pas un mot à ce sujet, se contentant d'un :

- Vous pouvez m'aider s'il vous plaît ? Je ne pense pas réussir à la porter toute seule.

Elle pointe l'énorme chose supposée contenir de quoi voyager mais quoi doit dans son cas être un complexe hotelier clandestin et malgré mon absence totale d'envie de l'aider, je me surprends à répondre :

- Bien sûr.

Elle se redresse et se décale autant que possible pour me laisser accéder à sa valise. Je me glisse dans son dos en direction de la porte et place mes mains où je peux, tentant d'avoir une prise correcte sur la valise.

- Attention c'est lourd !

Même à deux, on peine à soulever jusqu'au-dessus de nos têtes les 1,5 tonnes que pèse (au bas mot) sa valise.

On réussit à la glisser à l'endroit voulu, et j'espère pour elle qu'elle n'a besoin de rien qui se trouve là-dedans car il est hors de question que je ruine mon dos une seconde fois.

Je rabaisse mes bras avec soulagement, en plaçant un sur la couchette supérieure.

- Merci !

- De rien !

Ses yeux viennent trouver les miens pendant de longues secondes. C'est impoli de fixer, mais visiblement je ne suis pas la seule à avoir des soucis de politesse. Ce n'est qu'en voyant son regard interrogateur se poser sur mon bras que je réalise que je l'emprisonnais entre la vitre et moi, lui barrant le passage. Faisant un bond en arrière (de 10 bons centimètres!), je lui redonne son espace vital et tente de détourner l'attention de ma bourde en plaisantant :

- Vous avez mis quoi là-dedans, des agglos ?

Elle sourit et s'accoude d'un bras sur la couchette, restant debout les jambes croisées et adossée contre la vitre.

- Non, des chaînes !

Mes yeux s'écarquillent et mes sourcils sont à deux doigts de fusionner avec mes cheveux. Je suis prête à parier que j'ai aussi fait l'une des plus belles imitations de carpe jamais réalisée.

Ce n'est qu'en la voyant exploser de rire que mon génial cerveau comprend que j'ai été bernée.

- Relax, je plaisante. Vous avez l'air super tendue c'était une tentative pour détendre l'atmosphère.

Elle le serait sûrement autant que moi si elle aussi réalisait au pire moment possible à quel point ça fait longtemps qu'elle n'a pas eu un corps contre le sien. Et depuis quand dire qu'on a des choses louches dans son sac aide les gens à se mettre à l'aise ?

Pour toute réponse, je n'ai qu'un petit sourire à lui offrir. Bien vite elle s'inquiète :

- J'espère ne pas avoir été trop loin...

- Non, vous avez raison j'aurais bien besoin de me détendre...

Je laisse la fin de ma phrase en suspens et soutiens son regard. Je ne comptais pas faire sonner mes paroles comme... Comme une invitation, mais sais très bien que si l'occasion se présentait, je me laisserais aller. Ces derniers temps ma vie est triste et morne et je suis là pour qu'elle change.

Elle hoche la tête et reste silencieuse un moment, songeuse. J'ai envie de lui demander à quoi elle pense, quitte à faire ma fille, mais n'ose pas.

Elle passe à côté de moi et se retourne. Ses yeux cherchent les miens et le bruit sourd qui vient signifier que la porte est à présent verrouillée est immanquable...

Après sa dernière "plaisanterie", je pourrais / devrais me sentir en danger en la voyant faire ça. Ma seule réaction sera une contraction involontaire entre mes cuisses. Je ne connais pas cette inconnue qui vient de nous enfermer à clef dans ce compartiment exigu, et cette situation m'excite terriblement. J’en ai assez de passer mon temps à m'inquiéter pour tout et rien, ça n'en vaut pas la peine. Advienne que pourra.

Elle me sourit et une pointe de déception se fait sentir en la voyant aller s’installer sur sa couchette

Il faut que j'arrête de me faire des films, c'en devient limite ridicule. Il est temps d'écouter mes proches et me caser avant d'être irrécupérable. En plus j'ai déjà un matou, plus que 68 autres et c'est bon pour mon statut de « dame aux chats ».

Je dois oublier mes fantasmes d'amour au féminin et me trouver un mec avec qui ça se passe bien. Et c'est pas parce que jusqu'à présent toutes mes relations ont été hétéros et désastreuses qu'elles le seront dans le futur, hein ?

Imitant ses actions, je me hisse à mon tour sur ce qui va me servir de lit. Mon esprit n'est pas du tout fatigué et mon corps l'est encore moins, ce sera miraculeux si j'arrive à fermer l'œil de la nuit.

Je m'allonge malgré tout, consciente qu'à moins d'un mètre se tient une parfaite inconnue qui possède ou ne possède pas une valise remplie de chaînes.

Comme d'habitude, je m'installe sur mon côté gauche, faisant face à ma compagne de voyage.

Je n'arrive pas à m'empêcher de la détailler d'une manière tout sauf discrète qui me vaudrait une claque derrière l'oreille si ma mère me voyait faire. Je ne sais pas si l'inconnue se prête sans broncher à mon inspection, ou si elle ne sent pas le poids de mon regard. Après tout, elle est en train de lire.

Ses cheveux châtains clairs sont attachés en une queue de cheval faite à la va vite. Seule une mèche de cheveux s'échappe à l'avant.

Mon regard va détailler le galbe de sa poitrine que sa chemise partiellement ouverte laisse entrevoir.

Je m'imagine me lever et venir glisser ma main entre les replis du vêtement, et répondre au regard surpris qu’elle me lancerait par une caresse plus prononcée. Voyant qu'elle ne m'arrêterait pas, je déboutonnerais son chemisier de mon autre main, me délectant de l'envie dans ses yeux, sentant son pouls rapide sous mes doigts. Je la caresserais lentement pour commencer, voulant qu'elle aussi ressente le désir latent, sournois et puissant qu'elle a créé en moi. J'attendrais qu'elle n'en puisse plus, qu'elle soit à deux doigts de me supplier avant de chercher à lui offrir un quelconque soulagement. Elle me -

- Ça va ? Vous respirez étrangement.

Je suis sortie de mes rêveries aussi brusquement que j'y étais entrée et répond d'une voix teintée de désir que je reconnais à peine :

- Oui oui, j'ai un peu chaud c'est tout. Je vais essayer de faire attention, de... de respirer moins fort.

- Oh ne vous en faites pas, j'ai juste eu peur que vous ne fassiez une crise d'angoisse ou je ne sais quoi. Je ne saurais pas quoi dire au personnel médical, je ne connais même pas votre nom...

Je lui souris, trop gênée par l'énormité du mensonge que je viens de dire pour embrayer sur une conversation normale, me contentant de susurrer :

- Cécile.

- Enchantée.

Sans pour autant me dire son prénom, elle se lève et tripote les boutons situés au-dessus de la porte, avant de se diriger vers la fenêtre. Un petit sourire désolé aux lèvres, elle m'annonce :

- J’ai bien peur qu'il n'y ait rien que l'on puisse faire pour faire baisser la température.

Les lumières de la ville qui traversent la fenêtre créent un contre-jour qui fait d'elle une ombre féminine à l'aspect quasi fantomatique. J'ai presque l'impression que rien de tout ça n'est vrai.

Elle reste debout et s'adosse à sa couchette m'observant un moment avant de demander :

- Vous allez où ?

Je hausse les épaules et parle d'un ton qui trahit ma lassitude :

- Peu importe. Loin.

Elle semble réfléchir un instant à mes propos, tournant la tête vers la fenêtre pour regarder les lumières défiler.

- Qu'est ce que vous espérez trouver ailleurs ?

Je me redresse et me met sur le dos, appuyant ma tête contre le mur.

Ailleurs ? J'espère réunir le courage de me trouver. Rien que me rendre dans un bar gay me conviendrait, ou rencontrer des jeunes moins peureux que moi qui accepteraient de m'en parler. J'ai envie d'avoir des réponses, de savoir pourquoi je ne m'attache pas aux hommes que je rencontre... Même si au fond je connais la vérité, j'ai besoin d'être à un endroit où je ne connais personne pour me l'avouer.

Mes yeux eux aussi accrochent la fenêtre sale qui laisse entrevoir cette vie que je fuis et bien que ça ne regarde pas le moins du monde cette inconnue, j'ai envie de lui répondre avec honnêteté.

- Moi... Je veux dire... Ici, je me sens jugée, oppressée. J'ai l'impression de jouer un jeu et pas ma vie. J'ai envie de vivre pour moi, me lâcher, cesser d'avoir peur de tout. Je veux écouter mes envies et voir si ça me permet de répondre à mes questions... Même si ce n'est que pour un temps... J'en ai besoin.

- C'est compréhensible... Pour tout vous dire, je suis un peu dans le même cas.

Ah oui ? Toi aussi t'es une potentielle énorme lesbienne qui ne s'assume pas et qui étouffe dans son placard ? M'abstenant de formuler une réponse désobligeante et, il faut bien l'avouer, piquée dans ma curiosité, je m'empresse de demander :

- Comment ça ?

- Bah... J'en ai assez de cette vie monotone, j'ai pas envie de vivre pour travailler. Je sais pas comment l'expliquer mais il faut que ça change... J'ai envie de nouvelles expériences, de sortir de ma zone de confort.

Le silence s'installe quelques secondes et je crois qu'on déprime un peu l'une comme l'autre.

- Mais bon, regardez, même pas trente minutes après mon départ et déjà une nouvelle rencontre !

Je souris devant son enthousiasme mais vois très bien qu'au fond elle est aussi « abîmée » que moi. Pour remonter un peu le moral des troupes, je lance :

- Si j'avais de quoi boire, je trinquerai à ça !

Elle lève un verre invisible et s'exclame :

- Aux nouvelles rencontres !

Amusée, je décide de surenchérir.

- Je dirais même plus, a nous !

Elle mime un cul sec et pose sa « boisson » sur sa couchette. Ses yeux croisent les miens et soutiennent mon regard avec une grande intensité. Je reconnais cela comme étant une question muette mais ne sais pas laquelle, ni quoi en faire.

Je brise le contact en premier, distraite par ses mains qui jouent avec la chaîne à son cou. J'ai la gorge sèche et le désert de Gobi est une oasis comparé à ma bouche lorsque je vois qu'elle se mordille la lèvre en m'observant.

Mes pensées repartent dans un scénario dingue ou j'ai enfin l'occasion de découvrir l'amour au féminin autrement que dans ma tête.

J'essaie de maîtriser mon trouble mais doute de mon succès, d'autant plus que j'ai conscience du fait qu'elle me fixe toujours. Je me demande si elle a déjà été attirée par les femmes... Elle ne ressemble pas à l'idée que je me fais des lesbiennes, mais après tout je n'ai jamais osé mettre les pieds dans un bar gay, alors je ne connais que le stéréotype.

Perdue dans mes rêveries, je sursaute à moitié en l'entendant dire :

- Maintenant que vous l'avez fait remarquer j'ai chaud moi aussi. Ça vous dérange si je retire ma chemise ?

Une partie de moi se dit que c'est une très mauvaise idée, mais je l'emmerde.

- Non... Allez-y.

Si ma voix ne m'avait pas déjà trahie auparavant, cette fois elle l'aura fait. Mon autorisation sonnait entre la provocation et l'ordre

Ne voyant que son ombre, je ne suis pas sûre qu'elle me fixe, mais j'en ai la nette impression. Entre ça et le terme de « rencontre », je me surprends à espérer que ce déshabillage soit moins innocent qu'il n'y paraît.

Je n’essaie pas de cacher le fait que je l’observe se dévêtir. Je n’ai strictement rien à perdre, au pire elle me voit et puis quoi ? Elle me pointera du doigt en chantonnant « oh la lesbienneuuhh » ?

Ses doigts défont lentement ses boutons, me confortant dans l’idée que le spectacle m’est destiné. Ce ne sont pas les gestes habituels et mécaniques que l’on fait le soir, mais des mouvements contrôlés, sûrs et lents.

Elle se débarrasse de sa chemise et je suis navrée qu'elle ait décidé de porter quelque chose en dessous. Vraiment, vraiment navrée.

Se tournant vers ma couchette, les lumières extérieures illuminent le haut de sa poitrine que son petit caraco ne contient pas, et voilà que ma respiration refait à nouveau des siennes.

- Vous devriez faire comme moi avant de tomber dans les pommes...

Devant mon regard interrogateur elle précise sa pensée :

- Retirer votre haut je veux dire.

Son assurance me désarçonne. Est ce qu'elle se rend compte de ce qu'elle suggère à une parfaite inconnue ou au contraire est-elle naïve au point de ne pas réaliser que je suis à deux doigts de lui sauter dessus ?

Paniquant un peu devant son audace, je tente de désamorcer la tension sexuelle que je ressens en lançant :

- Vous me réanimeriez hein ?

Elle s'approche jusqu'à être juste devant moi qui suis toujours allongée, sa poitrine au niveau de ma tête. Elle s'accoude sur ma couchette, m'offrant une vue plus qu'appréciable.

Du bout des doigts, elle caresse mon bras dénudé. Ses yeux suivent ses mouvements et la chair de poule qu'ils provoquent, avant de venir se ficher dans les miens alors qu'elle dit :

- J'essaierais.

La sécheresse dans ma bouche ne s'arrange pas. Elle cesse tout mouvement et croise ses bras mais soutient mon regard.

Oh et puis merde, advienne que pourra.

Je n'ai pas l'amplitude nécessaire pour retirer mon haut depuis ma couchette et descends en une fraction de seconde à ses côtés dans l'allée centrale.

Elle est plus petite que moi mais me domine complètement par la confiance qu'elle dégage.

Elle s'adosse à la porte et ne me quitte pas du regard. Je me sens sous son emprise alors que mes doigts s'enroulent de part et d'autre de mon haut, sans même que ça soit une décision consciente. Je le retire d'un seul coup, façon sparadrap, de peur de me dégonfler.

Si elle avait un autre vêtement en dessous de sa chemise, ce n'est pas mon cas. Seul mon soutien gorge baldaquin habille la partie supérieure de mon corps.

Je reste plantée là, à attendre je ne sais quoi. Son aval peut être.

D'une poussée des bras elle se détache de la porte pour s'approcher de moi. Elle s'arrête une fois clairement à l'intérieur de mon espace personnel.

Je m'efforce de ne pas reculer, sachant très bien que de toute manière la vitre crasseuse est à moins de 10 centimètres dans mon dos.

Elle comme moi avons une respiration qui trahit l'apparente tranquillité de notre interaction.

Ses yeux descendent le long de mon corps, et les lumières de la nuit jouent maintenant en ma faveur. Je peux voir à quel point ses pupilles sont dilatées, et sa langue, qu'elle n'a probablement pas conscience de passer sur ses lèvres...

Elle remonte sa main le long de mon bras gauche, jouant avec la bretelle de mon soutien gorge. Alors que je suis persuadée qu'elle va l'abaisser, elle demande :

- Toujours chaud ?

J'acquiesce sans l'ombre d'une hésitation, voulant voir ce qu'elle compte faire ensuite. Et ce n'est certainement pas un mensonge, le mélange de peur et d'excitation qui me gagne me donne des bouffées de chaleur.

Ses yeux dans les miens, on s'observe, comme deux fauves engagés dans un combat à mort.

C'est elle qui brise le silence d'un ton à la fois doux et direct :

- Enlève ton pantalon.

Je ne peux m'empêche de noter qu'on est passées au tutoiement et que ce n'est pas une question. Mais j'en ai une pour elle :

- Et toi ?

Un sourire lent et séducteur vient jouer sur ses lèvres. D'un mouvement rapide, elle retire son haut et ses deux mains viennent faire sauter le bouton de son jeans, avant d'en baisser la braguette.

Elle avance encore jusqu'à venir se plaquer contre moi, pour me pousser contre la vitre. Ses lèvres se posent d'abord sur ma clavicule, puis remontent le long de mon cou. Elle prend le lobe de mon oreille entre ses lèvres et joue avec, me faisant frissonner.

Ma respiration se fait de plus en plus rapide et mes poings se serrent le long de mon corps dans un effort de retenue. Je n'ai pas la moindre idée de comment nous en sommes arrivées là. Et je m'en fous.

Elle se presse davantage contre moi et me murmure à l'oreille :

- J'ai encore plus chaud à l'idée de ce que je vais te faire.

Elle se recule brusquement, me laissant glacée là où elle se trouvait. Son regard est intense alors qu'elle caresse la limite entre mon ventre et mon jeans.

Elle s'accroupit devant moi et vient embrasser la zone où se trouvaient ses mains une seconde avant.

Je suis partagée entre fermer les yeux ou baisser la tête, sachant que la lumière qui traverse la fenêtre n'éclaire que la partie supérieure de la pièce.

Ma main se glisse dans ses cheveux, l'encourageant. Je note la longueur des mèches sous mes doigts, chose que j'associe à cette féminité qui me fait tant envie, ce qui ne m'aide pas du tout à maîtriser mon excitation. C'est en train d'arriver.

Elle finit par cesser et défait mon pantalon. Elle le fait glisser juste sous mes fesses et se relève, tapotant la couchette supérieure.

Sans même prendre le temps de réfléchir, je me hisse dessus, les jambes dans le vide.

Souriante, elle se débarrasse de tout ce qui se trouve sur son chemin, me laissant en sous-vêtements devant elle.

Elle écarte mes cuisses et embrasse l'intérieur de mes genoux, qui sont beaucoup plus sensibles que je ne l'aurais cru. Je me sens à la fois vulnérable et en sécurité, c'est une sensation très étrange.

J'ai envie de sentir son corps contre le mien et lui fais comprendre de venir me rejoindre. Me reculant, j'attends qu'elle grimpe à mes côtés. Avant de me rejoindre, ses yeux viennent capter les miens, tandis qu'elle retire un par un les divers vêtements sur son chemin, se retrouvant en sous-vêtements. La pénombre favorise le jeu d'ombre et de lumière, caressant et sublimant ses formes. L'ensemble me frustre. C'est à la fois trop et pas assez. Je veux en voir davantage mais ce que je vois est parfait.

La couchette est exiguë et je suis obligée de plier mes jambes, plantes de pied à plat contre le matelas si je veux tenir en longueur.

Elle prend appui sur ses bras et se hisse au niveau de mes pieds, s'arrêtant un moment pour m'observer.

Ne tenant plus, je contracte mes abdos pour venir lui saisir la main, l'encourageant à me rejoindre.

Elle se glisse entre mes jambes, se plaçant à quatre pattes au-dessus de moi, me surplombant. Nos corps ne se sont pas encore vraiment touchés que déjà mon sang palpite dans mes veines.

Mon autre main relâche la prise de la mort que j'avais sur le matelas pour venir découvrir son dos. Ses yeux cherchent les miens et elle me sourit.

D'un geste étonnamment tendre, elle place une mèche de cheveux derrière mon oreille.

- Je n'ai jamais fait ça, je ne suis pas sû-

Son index vient me réduire au silence.

- Crois le ou non, mais je n'ai pas pour habitude de faire ce genre de chose. C'est même la première fois... Tout ce que je sais, c'est que j'en ai envie... Mais si jamais tu veux arrêter, t'as juste à dire le mot.

Elle retire son doigt, me laissant la parole. Mon cœur bat à tout rompre. Ce n'est certainement pas sage, mais je veux continuer et voir où ça va nous mener.

Mes mains font pression dans son dos pour l'encourager à s'allonger sur moi.

Elle se laisse faire et s'accoude de part et d'autre de moi, supportant la majeure partie de son poids. Un soupir s'échappe de mes lèvres en sentant enfin sa peau contre la mienne. La sensation d'un corps féminin contre moi est mieux que ce que j'aurais pu imaginer.

Mes mains vont masser les muscles de son dos, tandis que je découvre son cou de mes lèvres.

Sa peau sent la pêche, elle est souple, douce, chaude et j'en veux davantage.

Je glisse l'une de mes cuisses entre les siennes et mordille sa nuque. Sa respiration se fait plus laborieuse et je suis fière de moi. L'idée que c'est moi qui la mette dans cet état m'excite au moins autant que ce que nous nous apprêtons à faire.

Elle se dérobe sous mes lèvres et je m'apprête à m'en plaindre lorsque je vois ou ses yeux se posent. C'est une question muette à laquelle je n'ai aucun mal à répondre.

La prenant par surprise, je soulève ma tête et viens capturer ses lèvres. Elle me rend mon baiser avec une intensité à peine croyable.

Tout ce qu'il pouvait me rester d'hésitation s'envole par la fenêtre, she feels right. Elle m'embrasse avec abandon, comme si elle était dans le désert et que j'étais la dernière goutte d'eau. Nos langues se rencontrent, nos souffles sont saccadés et je me sens en symbiose avec cette inconnue. Les pièces du puzzle de ma vie se mettent en place et elles s'imbriquent parfaitement.

Au fond de moi, je me dis qu'un baiser est quelque chose de trop intime pour être partagé comme cela... Mais quelque chose s'est passé, qui fait que j'avais besoin de ça, besoin de me livrer sans réserve, de lâcher la bride.

Je caresse sa nuque d'une de mes mains tandis que l'autre va découvrir le galbe de ses fesses. Je l'empoigne et l'attire plus à moi, la faisant s'appuyer sur ma cuisse.

A travers le fin tissu de son boxer, je sens son envie sur ma peau et savoure cette sensation nouvelle.

Elle tente de glisser un bras dans mon dos et je me soulève pour l'aider à dégrafer mon soutien-gorge.

D'ordinaire, il y a toujours un moment où je me sens vulnérable lorsque ma peau nue est exposée à l'air ambiant. Mais pas cette fois. Je me sens vivifiée, comme libérée.

Elle se redresse à moitié, le plafond bas du train ne lui permettant pas de se tenir convenablement à cheval sur moi.

Ses mains viennent caresser mes joues, descendent le long de mon cou, tracent mes épaules et parcourent mes bras jusqu'à mes mains placées sur ses cuisses.

De là, elle les fait courir sur mes flancs, me griffant légèrement les côtes sous ma poitrine, créant un énorme frisson. Je me cambre sous elle et l'entend sourire plus que je ne la vois.

Elle met enfin fin à mon attente et porte son attention sur ma poitrine. Ses doigts viennent jouer avec mes seins, et je me contracte involontairement sous elle.

- Sensible ?

- Très !

- Bon à savoir...

Elle se penche et capture mon téton entre ses lèvres. De sa langue, elle joue avec, ne me laissant aucun répit.

Le train passe aux abords d'une ville et je profite des lumières fugaces pour observer la scène. Elle voit très bien mon manège et se recule légèrement, me laissant apercevoir ce que fait sa langue.

Il n'y a même pas deux heures je n'avais jamais rencontré cette inconnue et elle est a cheval sur moi, quasi nue, et sa bouche fait des-- oh.

Assez pensé.

Je réalise soudain que sa position me donne accès à bien des choses et en profite pour me débarrasser de son soutien-gorge.

Elle le laisse glisser le long de ses bras et le jette sans égard. Je repense à mon rêve éveillé un peu plus tôt et découvre enfin sa poitrine de mes mains.

Elle n'a pas besoin de me le dire pour que je sente qu'elle aussi est sensible. Son corps réagit à mon toucher et j'ai envie de savoir jusqu'à quel point.

Nos lèvres se retrouvent presque violemment. L'une de ses mains vient saisir mes cheveux. Elle ne tire pas dessus, se contentant de les empoigner, mais c'est bien suffisant pour éveiller quelque chose en moi.

De ma main, je pars de son épaule, caresse ses côtes pour enfin glisser sur son bas ventre. Mon toucher est sûr et possessif alors que mes doigts viennent faire pression sur son sexe à travers le fin tissu. Savoir que je la tiens littéralement au creux de ma main me plaît à un point fou. Son excitation n'est plus contenue par le vêtement saturé et mon propre corps réagit en sentant cela.

Les réponses à mes questions sont littéralement au bout de mes doigts et mes derniers doutes s'estompent.

Elle gémit dans ma bouche et accroît sa poigne, ondulant sur ma main au rythme effréné de notre baiser. Je recourbe légèrement mes doigts et l'observe se frustrer en tentant d'en tirer profit, pour être finalement bloquée par les limites du tissu.

Je souris contre ses lèvres et elle se recule, venant murmurer à mon oreille :

- Tu trouves ça drôle ?

J'aurais du m'y attendre mais je suis surprise en sentant sa main me rendre la pareille. A travers mon sous vêtement, ses doigts font mine de me pénétrer, sans jamais vraiment pouvoir aller jusqu'au bout et cela me rend dingue !

De ma main libre, je saisis son seul vêtement restant et tente tant bien que mal de l'abaisser. Elle m'aide et l'on gémit en même temps lorsque je la découvre enfin sans barrière sous mes doigts.

Mon autre main empoigne sa hanche et l'encourage à venir s'empaler sur mes doigts. Elle s'exécute d'un seul mouvement, me gardant au plus profond d'elle. Je sens ses muscles se contracter autour de mes doigts pourtant fins.

Son souffle erratique caresse mon oreille et je l'entends murmurer :

- Tu sens ce que ça me fait ?

J'acquiesce sans un mot, me mordant la lèvre. Lentement, elle se met en mouvement, s'appuyant contre le mur au dessus de ma tête de la main qui était auparavant dans mes cheveux.

Le spectacle est à tomber par terre... Ses seins se balancent doucement au dessus de mon visage tandis qu'elle se sert de ma main à son gré. C'est l'une des choses les plus érotiques qu'il m'ait été donné de voir.

J'en veux plus !

Je n'y tiens plus et relâche un instant sa hanche pour saisir son poignet et la guider sous mon sous vêtement. J'ai besoin qu'elle me touche, qu'elle me possède. J'ai besoin que ça soit vrai.

Sachant très certainement quel pouvoir elle a sur moi, elle me torture et me caresse comme si elle avait tout le temps du monde... Puis sans prévenir, elle entre en moi. Je me raidis à la soudaine intrusion, parcourue par une vague de plaisir.

Elle place sa cuisse derrière sa main et calque ses mouvement sur ceux de son bassin, nous pénétrant l'une l'autre au même rythme..

Mes yeux scrutent la pénombre pour observer l'endroit où se trouvent nos mains, ce qui ne m'aide pas le moins du monde à me calmer.

Ses va et viens sont lents et profonds, mais je ne me fais pas d'illusions et sais que ça n'est que le calme avant la tempête. A la manière dont je bouge pour accentuer ses gestes, elle n'ignore pas que j'ai besoin de plus. Sa cuisse se recule et elle tire rapidement sur mon sous vêtement. Je l'aide de ma main libre, voulant qu'elle reprenne au plus vite.

Pour autant, mon autre main ne ralentit pas une seconde et je me délecte en sentant ses gestes saccadés de petites contractions. Ma victoire n'est que de courte durée. Elle s'abaisse un petit peu et alors que je regrette la vue, se doigts reviennent en moi.

L'angle est différent et beaucoup plus puissant. Un gémissement plus fort que les autres s'échappe de ma gorge, et pendant un quart de seconde je m'inquiète à l'idée qu'il puisse y avoir d'autres gens dans le wagon. Cette pensée est bien vite balayée lorsqu'elle se met en mouvement.

Dans cette position, ma main peine à l'atteindre mais pour être honnête, je ne suis pas sûre d'être encore capable de me concentrer sur ce que je fais.

Elle est sans merci et prend mon téton dans sa bouche tandis que sa main s'active entre mes cuisses. Comme si elle savait à quel point j'aime regarder, elle se décale légèrement, me laissant contempler à loisir la manière dont ses doigts entrent en moi, me possédant complètement.

Le plaisir m'envahit presque trop vite.

Je me cambre sous elle, nichant ma tête sur le sommet de la sienne pour étouffer mon gémissement. Elle ralentit mais ne s’arrête pas tout de suite, faisant durer mon plaisir jusqu'à ce que je saisisse son poignet pour la stopper

Ses lèvres retrouvent les miennes, me laissant un moment pour retrouver mes esprits et cesser de trembloter.

Imaginant qu'elle doit fatiguer à force d'être sur ses bras depuis tout à l'heure, je la laisse prendre ma place et m'installe sur son côté gauche, la tête au creux de son épaule. Je m'accroche à elle, à la fois pour ne pas tomber et parce que j'ai envie d'être le plus proche possible. Ma bouche parcourt tendrement son cou et je sens son pouls battre sous mes lèvres... Son bras se resserre et le silence redevient roi.

J'écoute sa respiration revenir à la normale et me laisse gagner par une grande paix intérieure. Tout ce que je n'avais jamais voulu m'avouer vient de s'imposer à moi en tant qu'évidence. Trop tard pour faire marche arrière. La seule chose que je regrette est d'avoir nié ce que je savais être vrai pendant toutes ces années.

Malgré la chaleur étouffante, je me sens vivifiée. Comme si, après des années passées à dormir, mon corps se réveillait.

Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, ni si je vais finir par réaliser ce qui vient de se produire, mais au fond je crois que c’est ce sentiment de liberté que je cherchais dans mon voyage.

Pas besoin d’aller loin, l’inconnu était simplement hors de ma zone de confort.

Mais l'heure est aux nouvelles expériences.

C'est sans hésiter que ma main serpente le long de son corps pour aller reprendre les caresses injustement interrompues. Je devrais sûrement m’inquiéter d'une potentielle piètre performance... Mais ce soir je n'ai plus peur de rien.

La nuit sans sommeil que je pensais connaître ne sera pas celle que j'avais imaginée et ce n'est que bien plus tard et le sourire aux lèvres que je me laisserai guider dans les bras de Morphée.

 

* * * * * * *

 

Je me réveille en sursaut lorsque le train en croise un autre qui klaxonne et m'éclate copieusement la tête contre le plafond. 

- Aiiiiie !

Je me frotte le crâne dans l'espoir de faire partir la douleur mais celle ci est totalement éclipsée lorsque je réalise que je suis seule dans le compartiment.

Pas une trace du passage de celle avec qui j'ai passé la nuit. Pas même son énorme valise potentiellement pleine de chaînes !

Mes yeux s'abaissent et sont confrontés à la vision de mon corps nu.

Bon... Peut être qu'il reste quelques indices. Mais des tout petits alors !

J'ai soudain peur que mon sac ait disparu en même temps qu'elle et me penche pour l'attraper sur la couchette d'en dessous.

En constatant qu'il est toujours là et exactement tel que je l'avais laissé, je me sens honteuse d'avoir douté.

Je me rhabille en vitesse étant donné que le jour pointe le bout de son nez et que le train rentre dans une agglomération.

Je descends dans l'étroite allée et m'étire. C'est bête à dire, mais une partie du poids sur mes épaules s'est envolé, je me sens plus légère ce matin que je ne l'étais hier soir.

Regardant par la fenêtre, j'observe le train se frayer un chemin à travers la ville qui s'éveille, puis s'arrêter à la gare.

Quelques passagers descendent et parmi eux une silhouette familière.

Mes yeux sont rivés à mon inconnue, même si je ne peux plus vraiment l'appeler comme ça. J'essaie de mémoriser chaque détail, son allure, son profil, la manière dont ses mèches de cheveux volent portés par la brise matinale, sa démarche... Je la regarde s'éloigner avec un pincement au cœur, déçue de je ne sais quoi. Peut être de ne pas lui avoir demandé son prénom, ou peut être de n'avoir aucun moyen de la remercier, de la revoir...

Et l'impossible se produit.

Elle se retourne.

Son regard parcourt les vitres du train et, lorsqu'elle m'aperçoit à la fenêtre, son visage prend une expression que je n'arrive pas déchiffrer. Elle fait demi-tour, traînant derrière elle le mammouth qui lui sert de valise.

Elle parvient à mon niveau alors que le contrôleur siffle, signifiant l'imminent départ du train.

Mes yeux cherchent les siens et j'espère qu'elle peut y lire ce que je ressens.

Elle me sourit, comme si elle était dans la confidence.

Je crois qu'elle a compris.

Sa main se lève et se pose à plat contre la vitre, entre deux tags. Sans l'ombre d'une hésitation, je fais de même de mon côté, créant cette connexion si particulière. Dans une secousse, le train se met en mouvement, détachant sa main de la mienne.

M'en foutant qu'elle ne soit pas propre, je me colle à la vitre pour la regarder jusqu'au bout.

Son regard me suit jusqu'à ce que le train m'emporte au loin.

Je reste un moment à scruter la ville où elle s'est arrêtée, puis m'assieds lourdement sur la couchette basse.

Finalement, c'est peut être pire de l'avoir revue.

J'attrape mon téléphone pour regarder l'heure et constate qu'il me reste encore un bon moment avant d'arriver à destination.

Su-per.

Je me lève et commence à faire les cent pas dans la minuscule allée.

En faisant face à la porte, je constate que le verrou est en place, ce qui veut dire qu'elle a dû aller chercher le contrôleur pour lui demander de refermer derrière elle. Je souris à cette idée, touchée qu'elle ait pensé à moi.

Mon téléphone vibre et je soupire, me préparant déjà au message type « J'espère que tu vas bien, fais attention aux inconnus, mamie te fait un bisou » de ma mère.

Je l'attrape en souriant, me disant qu'elle n'a jamais fait de préconisations sur les inconnuEs. Elle aurait peut être du !

Ah non, j'ai été médisante c'est pas ma mère. Un inconnu au bataillon.

Sûrement un faux numéro. Si c'est encore cette dame qui m'appelle Martine alors que je lui ai déjà dit trois fois qu'elle se trompait, je fais un malheur !

Merde, c'est un MMS.

Je suis à l'étranger, je vais payer un bras, c'est sûrement une tentative de fhishing... Vous voyez, j'ai conscience de tout ça... Mais je suis curieuse ! Et bim, télécharge moi ça !

Mes yeux s'écarquillent et ma mâchoire est à un cheveu d'une rencontre fracassante avec le sol.

Impossible !

L'écran de mon téléphone me renvoie le visage de mon inconnue, dans le hall d'une gare, levant un café à emporter dans ce qui ressemble à un toast.

"Aux nouvelles rencontres et au plaisir de (peut être) un jour te revoir. J'espère que tes vacances t'apporteront les réponses que tu cherches.

PS : L'étiquetage des bagages c'est bien, mais on sait jamais quel genre de zinzin pourrait relever ton numéro, tu devrais te méfier! .

PS 2 : Au fait, moi c'est Sam :) "

 

 

FIN

 

Just me, à moi de vous faire préférer le train (ou pas!)
Si vous avez aimé (ou détesté d'ailleurs), n'hésitez pas à commenter !

5 octobre 2013

Toast : Disclaimers

page0_blog_entry518_1 L'image ne m'appartient pas, j'ai juste écrit dessus mais je ne sais pas à qui donner le crédit

 

TOAST

 

 

Un nouveau oneshot, tout frais du jour (ou presque, jour, mois, année, tout pareil) ! Oui m'sieurs dames ! Avec en prime un titre rose bonbon pour satisfaire votre côté girly !

Sexe : Cette histoire est un PWP (Plot, what plot ? Ou en français : scénario, quel scénario ?). Le scénario est à peu près aussi recherché que celui d'un film porno. (C'est un ami qui en regarde et qui m'a raconté hein, moi je dis ça je dis rien :D ) . Bon, j'exagère peut être un peu, mais pas tant que ça. Si vous n'avez pas au moins 18 ans , faut pas lire !

 

Résumé (chiche de le faire en 5 mots ?) : Train de nuit, deux inconnues.

 

Nb : vous noterez (sans toutefois commenter dessus) le masochisme dont je fais preuve, moi qui déteste écrire des scènes sexuelles ! Bien évidemment cet écrit n'a pas été sponsorisé et ne serait sûrement pas approuvé par la SNCF. Comme vous l'aurez sans doute remarqué... OUI, j'étais supposée poster cette histoire l'été. Oui mais... euh... L'été... Ben.... C'est à dire que... Bref. Elle est là ! Et elle est courte, je tente de me remettre en selle et voir ce que ça donne !

 

Note – et après j'arrête et je passe à l'histoire- : y'a des histoires AVEC scénario qui sont déjà bien entamées et suivront (je dis pas quand) si l'inspiration le veut !

Rappel : Article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle : “L'auteur d'une œuvre jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.  [..] L'œuvre est protégée du fait même de son existence."

25 novembre 2012

Disclaimers

Test 3

Mon blog à 1 an !!! (Je peine à y croire, ça passe vite !) (oui, j'ai du retard par rapport à l'anniversaire :( )

Alors voilà, c’est l’occasion de remercier une fois encore ceux et celles qui ont pris le temps de me lire, parfois au dépend d’heures de sommeil à ce que j’ai cru comprendre ! \o/

Vos commentaires sont vraiment super motivants et arrivent même à me faire culpabiliser quand je glande joyeusement alors que je pourrais écrire (et ça, c’est horrible !).

Quoiqu’il en soit, je suis vraiment surprise d’avoir eu autant de réactions (agréablement, on s’en doute !), surtout qu’il n’y a pas de « pub » qui a été faite pour le blog et que beaucoup seront sûrement tombés dessus par hasard (tiens d’ailleurs oui, comment vous m’avez trouvée, ça m’intrigue maintenant que je le dis !?).

Bref, un petit oneshot, super différent du reste, on va dire que c'est un truc d'halloween en retard (sauf que c'est pas fait pour faire peur). En fait, je sais même pas pourquoi c'est fait, juste parce que c'était rigolo à écrire ! Ceci dit, il n'a pas été relu, alors désolée s'il y a des fautes :x

Fin voilà, pour une fois il n'y aura pas de sexe ( ohh :( ) et c'est bizarre (j'assume !)

 

Rappel : Article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle : “L'auteur d'une œuvre jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.  [..] L'œuvre est protégée du fait même de son existence."

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