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Fictions Lesbiennes :)

Fictions Lesbiennes :)
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6 octobre 2019

Hors Limites - Partie 3

Fuck fuck fuck fuck !

J’éteins la sonnerie stridente de mon smartphone à l’aveuglette.

Le réveil est difficile ce matin et affronter la réalité est la dernière des choses qui me fait envie.

Après mon moment “les yeux dans les yeux”, j’ai traîné ma conquête dans ma chambre.

Honnêtement, excepté un intense pic de stupidité, je ne sais pas pourquoi je ne suis pas ressortie avec elle pour aller continuer ça ailleurs.

Mais j’ai réalisé ça en fermant la porte derrière nous, une fois que c’était fait.

Ma mère m’a toujours dit “c’est pas quand on a chié dans le froc qu’on cherche les toilettes”. Pas question de faire marche arrière. Surtout si ça impliquait de repasser devant Kara...

Alors j’ai fait la seule chose possible : j’ai couché avec cette fille en m’assurant d’être suffisamment exceptionnelle pour que le reste du voisinage n’ait aucun doute là-dessus.

Au moins elle n’est plus là au réveil, c’est déjà ça de pris.

Roulant hors du lit, je suis à nouveau percutée par une vague de honte. Je ne comprends pas pourquoi Kara ne s’est pas manifestée… Si j’avais su qu’elle se trouvait dans le salon, elle n’aurait pas vu un quart de ce qui a eu lieu.

Enfilant les premières fringues à ma portée, je me rends dans la cuisine pour passer un coup d’éponge sur l’îlot central avant que mes colocs ne prennent leur petit déjeuner dessus. Même si techniquement j’étais tout habillée, ça n’est pas une raison pour faire fi des règles d’hygiène de base. Je suis en train de tout ranger lorsque Kara sort de sa chambre.

Évidemment, il fallait qu’elle se pointe pile au moment où j’efface les traces de mon “crime”...

Mon cœur se met à battre la chamade tandis qu’elle approche.

– Salut.

– Salut.

Je sens ses yeux sur moi, mais refuse d’être celle qui abordera le sujet. Si l’on devait ne jamais en parler, ça m’irait très bien. Je peux vivre dans un état de déni éternel, ça ne m’effraie pas !

– T’as rien oublié hier soir ?

Toute notion de pudeur et de dignité ? Ce que ça fait d’avoir de l’intimité dans la colocation ?

Ça m’agace qu’elle lance ça comme ça, je ne sais pas ce qu’elle veut entendre et me sens mise sous le feu des projecteurs. Du coup, j’opte pour l’attaque, désirant lui faire comprendre que ce n’était pas cool de sa part non plus de ne pas s’être manifestée :

– Excepté encaisser ton entrée pour le spectacle, pas que je sache…

Remarquant du mouvement, je lève la tête pour la trouver les yeux pétillants d’amusement, bras tendu, ma culotte pendant au bout de son index ganté.

– T’es sûre ?

Sérieux ?

J’attrape brusquement mon sous-vêtement et le fourre dans la poche de mon jogging en gardant le silence.

Je ne sais pas ce qui est pire. Que j’oublie ma culotte, qu’elle l’ait ramassée, ou qu’elle ait mis un gant pour me la rendre.

Doublement humiliée, voilà ce que je suis.

Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle se justifie, toute trace d’humour quittant son regard :

– Je ne savais pas pour combien de temps tu allais en avoir et je n’avais pas envie que mon frère trouve ça et ne déclenche la 3ème guerre mondiale en pensant que tu m’avais culbutée sur le plan de travail…

Mh. Je peux voir le raisonnement derrière ça.

– Merci, j’imagine.

Kara semble hésiter, ses doigts jouant avec l’armature du siège de bar et finit par se lancer :

– Naomi, par rapport à hier soir, je…

Même si c’est impoli, je décide de l’interrompre pour ne pas avoir à entendre ça :

– Est-ce qu’on a vraiment besoin d’en parler ?

Elle baisse les yeux et acquiesce d’un mouvement de tête :

– Non, mais je voulais juste —

Elle s’arrête net lorsque Nathan sort de sa chambre. Visiblement à moitié assoupi, il s’installe et ne repère pas la tension dans la pièce, s’adressant à nous d’une voix marquée par le sommeil :

– Salut. Comment ça va ?

Étant prête à tout pour changer de sujet et peut-être réussir à ignorer la honte que je ressens à l’idée que Kara m’ait vue pendant l’acte, je m’empresse de répondre :

– Nickel et toi ? Bien dormi ?

– Mhh. Au fait Kara, ça va mieux ta tête ?

Oh, c’est pour ça qu’elle était rentrée ?

– Oui, merci. J’ai pris un truc et j’ai été m’allonger.

– Tant mieux.

Malgré moi, je remarque qu’elle a dit qu’elle s’était allongée, pas qu’elle avait été se coucher.

Je m’apprête à réaliser un grand numéro de disparition pour aller me terrer dans ma chambre jusqu’à la fin des temps, mais ma coloc me devance :

– Bon, je vais devoir streamer bientôt, je vous laisse.

Elle s’éclipse et je la regarde partir avec soulagement C’est con, j’étais vraiment contente de nos interactions et là il y a comme un éléphant dans la pièce. Un éléphant avec un gigantesque sexe en érection difficile à ignorer.

Heureusement, je suis tirée de mes pensées déprimantes par Nathan :

– Ça te tente de m’aider à préparer des petits fours pour ce soir ?

– Y a quoi ce soir ?

– Aaron a organisé une fête maintenant que Kara est installée et a trouvé ses marques. Je croyais que tu savais !

– Oh, ok. Et non, il a dû oublier de m’en parler.

– Du coup ça te dit ?

Voyons voir… Aider à faire à manger et m’occuper une partie de la matinée ou ruminer ce qu’il s’est passé et ne pas réussir à travailler quoi qu’il arrive ?

Pas très dur comme choix.

– Ça marche, Commis Naomi à vot’ service !

– Tu devrais toujours t’adresser à moi de la sorte, j’adore.

– Un conseil, t’habitues pas…

– Oh t’en fais pas, je commence à cerner ton attachiante personnalité.

– La flatterie ne t’amènera rien !

Il sourit et semble se souvenir de quelque chose :

– Au fait, j’ai parlé de toi à une copine de mon chéri.

Prête à tout pour penser à autre chose, je m’enquiers :

– Ouh, ça y est vous êtes ensembles ? Tu m’as rien raconté ! Et en bien j’espère, pour la fille ?

Nathan me lance un regard qui signifie « t’as vraiment besoin de demander ? » avant de s’expliquer :

– Ouiiii je te raconterai tout t’inquiète ! Et oui. Comme ça fait un moment que tu n’as plus fait de… « sorties », je me suis dit que peut-être tu serais prête à rencontrer une femme qui cherche du sérieux.

Un moment, c’est ce qu’il croît.

Et je pense être prête, mais je ne sais pas si c’est une bonne idée.

Semblant conscient de mon manque d’enthousiasme, Nathan explicite :

– Rassure-toi, ce n’est pas un rencard arrangé et je ne lui ai rien promis. On parlait du fait qu’elle aimait les femmes assez féminines, qu’elle avait du mal à en rencontrer dans le milieu lesbien et ça m’a fait penser à toi.

Toujours suspicieuse, je demande :

– Du coup, qu’est-ce que tu attends de moi ?

– Rien. Je l’ai trouvée sympa, on a bien discuté et c’est une des amies proches de mon chéri, donc on sera sûrement amenés à la revoir.

– Mh. Ok, on verra. Et ce fameux chéri, quand est-ce qu’on le rencontre Aaron et moi ?

Nathan semble nettement moins enthousiaste à cette idée :

– Dès que vous aurez promis de ne pas le menacer.

Levant les yeux au ciel, je fais l’innocente :

– Menacer, tout de suite !

Peu convaincu par mon impeccable jeu d’actrice, il rétorque :

– Tu as dit à mon ex que s’il me faisait du mal, tu te servirais de tes compétences pro pour lui coudre les voies respiratoires avant de le lester et le jeter au fond d’un lac.

Je peine à retenir un sourire. Ça m’avait demandé un certain effort créatif, j’étais plutôt fière !

– Roh, je plaisantais. Il a compris l’idée !

– Il m’a dit que tu étais absolument terrifiante et qu’il avait peur de venir passer la nuit ici !

La psychopathe en moi se réjouit à cette idée. Mais bon, qu’on ne dise pas que je ne reconnais pas mes torts :

– Ok, peut-être que j’ai exagéré. J’irais mollo cette fois-ci, promis.

– Naomi …

– Quoi ? C’est mon rôle de coloc slash meilleure amie !

 

===========

 

Le bruit de mon crayon sur le papier est la seule chose qui brise le silence. Concevoir et évoquer les détails des costumes avec mes clients est ma partie préférée. J’espère que ma création va plaire !

Levant les yeux de la planche à dessiner, mon regard se pose immédiatement sur Kara, elle aussi à son bureau, la fenêtre de sa chambre étant en face de la mienne.

Soit elle parle toute seule, soit elle est toujours en train de streamer. Ce n’est pas impossible, car son planning a été chamboulé ces derniers temps suite à son emménagement.

Mes yeux s’attardent sur son profil, un sourire gagnant immédiatement mes lèvres. Je meurs d’envie d’attraper mon PC portable et de me connecter, rien que pour pouvoir entendre le son de sa voix.

Mais je ne sais pas si je devrais étant donné les circonstances. J’avais rien demandé, mais j’ai l’impression d’être une exhibitionniste, d’être salie.

Oh et puis merde.

Trois secondes plus tard, j’ai les yeux rivés sur l’écran et me demande si c’est comme ça que mon entreprise va faire faillite. Je vois déjà les gros titres « incapable d’arrêter de reluquer sa colocataire qui travaille également à domicile, une jeune entrepreneuse met la clé sous la porte ».

Plutôt que de me laisser gagner par la culpabilité, je salue le chat et me prépare à passer un bon moment.

Immédiatement, sa voix m’apporte le sentiment de familiarité usuelle.

Contrairement à beaucoup d’autres nanas sur Twitch, l’espace qu’occupe sa webcam n’est pas immense, elle n’a pas un maquillage de fou et porte des vêtements ne mettant pas spécialement en avant ses attributs. En clair, elle reste simple, n’essaie pas d’en faire des tonnes. À raison, son enthousiasme et talent en jeu suffisent à la rendre extrêmement divertissante ! J’ai toujours trouvé ça un peu triste de voir certaines miser clairement sur leur physique plutôt qu’autre chose.

Malgré moi, mon attention est captée par ses yeux. Je n’arrive pas à me sortir de la tête la manière dont elle m’observait hier.  

Si je n’avais pas eu la bonne idée de l’interrompre tout à l’heure lorsqu’elle a voulu se justifier, j’aurais peut-être su si l’intensité de son regard était quelque chose de positif ou non.

Non pas que ça aurait changé grand-chose au problème de fond.

J’ai parfaitement conscience d’être attirée par elle, je l’étais déjà avant même de la rencontrer, alors forcément ça n’a pas aidé. Mais ça n’ira pas plus loin.

Non seulement c’est la sœur de mon ami qui m’a expressément indiqué ne pas vouloir que je m’approche d’elle, mais elle n’a jamais été avec une nana. Et je m’en fous qu’elle soit bi-curieuse ou je ne sais quoi. Rien ne dit que je lui plais, je ne suis pas assez narcissique pour me croire irrésistible.

Je me souviens encore de l’intense sentiment de déception lorsqu’un soir, alors que l’on était en comité réduit sur Discord, elle avait dévoilé ne jamais être sortie avec une femme. Je ne pensais pas avoir une chance avant ça, juste… C’était comme si une porte se fermait.

Et je ne souhaite pas que ça arrive en amitié non plus. Ça impacterait la relation avec deux de mes colos, c’est pas quelque chose que j’ai envie de tenter.

Même si elle est potentiellement attirée par les femmes, ça ne veut pas dire qu’elle avait envie d’assister à cette scène… Certes, elle n’est pas blanche comme neige non plus, mais j’étais dans les parties communes et pour autant que je sache, il est possible qu’elle dormait au moment où l’on est rentrées. Se manifester après que l’on ait commencé aurait été… délicat, je peux comprendre qu’elle ait gardé le silence. Par contre, si elle jouait juste les voyeuses, ce serait différent…

Ok.

Il faut que je mette les choses à plat, je ne peux pas rester comme ça.

Le tout pour le tout.

Tapant rapidement au clavier, je valide avant de changer d’avis et attends dans le stress, gigotant ma jambe pour tenter d’évacuer le trop plein.

Immédiatement, ma donation anonyme s’affiche à l’écran, lue par la voix robotisée des alertes Twitch “je suis désolée pour hier soir, je ne t’avais pas vue. J’espère que l’on arrivera à passer outre”.

Alors qu’elle était en train de jubiler après avoir réalisé un coup magnifique, elle s’arrête soudainement et prends le temps de lire l’écran.

Le chat est visiblement intrigué par cette histoire et je m’efforce de faire semblant de me poser autant de questions que les autres pour éviter de sortir du lot.

Kara se mordille la lèvre, tourne la tête pour venir croiser mon regard à travers la fenêtre avant de répondre :

“Merci pour la donation. Tu veux toujours pas me dire ton pseudo ? On pourrait en discuter en privé si tu veux pas faire ça face à face”.

Très fin, le chat se lance dans des “je sais pas ce qui sonne le mieux, le chat privé kreyGASM-sou le face à faceGachiGASM-s” et autres “on peut faire “ça” quand tu veux !kreyGASM-s”.

Ses yeux dans les miens, elle attend que je me manifeste et j’espère qu’en le faisant je ferais un pas dans la bonne direction et non vers le perma-ban.

Plaçant mon curseur dans le chat, je me lance :

@Miss_Sassy_Pants on en a déjà parlé, mon vrai pseudo commence par un S…

Voyant que j’ai tapé quelque chose, elle arrête son observation pour scruter les commentaires. Bien évidemment, étant donné la façon dont elle a proposé, les ¾ des spectateurs disent qu’ils sont moi... Mais j’ai confiance en le fait qu’elle arrivera à faire la part des choses. Et effectivement, ses yeux s’écarquillent de manière comique lorsqu’elle tombe sur ma réplique.

Immédiatement, elle annonce :

“Petite pause, je reviens !”.

Elle retire son casque et je la vois se lever.

Pas besoin d’être un génie pour deviner qu’elle se dirige vers ma chambre.

Pendant une fraction de seconde, j’envisage de me planquer sous le lit ou je ne sais pas où, rien que par peur.

Elle toque à la porte et n’hésite pas une fois que j’ai lancé un timide “entre”.

Immédiatement, elle se penche vers mon PC portable encore ouvert sur la page du stream, se focalisant sur le coin haut droit, qui indique mon pseudo.

“Mazikeen”.

Se redressant, elle jette un regard incrédule, me file un coup de poing dans l’épaule et m’attire dans ses bras avant que je puisse m’offusquer des violences qui me sont faites.

Machinalement, je l’enlace en retour et tente de maîtriser mon côté pervers qui se réjouit du contact. C’est pas le moment.

Desserrant un peu son étreinte, mais sans se reculer, elle me chuchote à l’oreille :

– « Oh mon pseudo ? C’est pas important, vraiment, tu ne le reconnaîtrais sûrement pas ». Mes fesses ! Ça fait 3 ans qu’on discute et que tu me soutiens, j’ai même envisagé de te demander d’être modératrice !

Aussi stupide que cela soit, ça me flatte.

La plupart du temps elle a entre 2 000 et 4 000 personnes qui la regardent, alors savoir qu’elle m’a remarquée dans la masse, ce n’est pas rien.

Elle finit par se reculer et je me retrouve à la l’observer bêtement sans trop savoir quoi dire, passant une main à l’arrière de mes cheveux.

– Et pour répondre à ta donation… C’est moi qui te dois des excuses, c’était pas correct de ma part de ne pas m’être manifestée. Pour être honnête, j’avais la tête dans le cul et je n’ai pas tout de suite compris ce qu’il se passait. Et après coup, je me voyais mal annoncer ma présence. T’imagines la scène ?

Elle lève son index et fais mine de se racler la gorge en s’exclamant :

–  Ahem, désolée de vous interrompre, je retourne dans mes quartiers, faites comme si je n’étais pas là ! Nan, vraiment, vous dérangez pas pour moi !

Ça me soulage de l’entendre reconnaître ses torts, même si mes questions sur sa réaction restent entières. Ok, se manifester aurait été bizarre, mais pas faire semblant de dormir. Elle n’était pas obligée de regarder.

Bref. De toute manière, je préfère largement ne pas insister et faire abstraction de ce qu’il s’est passé que de continuer à en discuter :

– Excuses acceptées si les miennes le sont. T’es d’accord pour garder ça pour toi et ne plus jamais en parler ou même y penser ?

Vaut mieux demander ça que l’oubli, pas besoin qu’elle souligne son traumatisme ou le fait qu’elle sera marquée à vie.

– À une seule condition.

Fait chier.

C’était trop beau !

– Je t’écoute.

– Que tu acceptes de te joindre à moi pour un Stream.

Jouer avec elle a toujours été très agréable, ce ne sera pas vraiment une corvée ! Voulant éviter tout coup fourré, je demande des précisions :

– Off caméra ?

Elle frétille des sourcils et secoue la tête à la négative :

– Han han…

Évidemment… il fallait qu’il y ait anguille sous roche.

Voyant que le chat s’impatiente, je fais un signe en direction de mon PC et lance :

– Tu devrais y retourner, tu vas perdre du monde.

Plutôt que de me laisser m’en tirer à si bon compte, elle me tend la main et demande :

- Deal ?

– T’es pas gonflée quand même ! T’as ta part de torts !

M’ignorant, elle réitère :  

- Deal ?

À contrecœur, je glisse ma paume dans la sienne pour la serrer et annonce :

- Deal.

Visiblement ravie de ma réponse, elle quitte ma chambre en sautillant à moitié. Au moins l’une de nous est contente.

 

===========

 

La fête bat son plein, tout le monde s’amuse… Excepté moi.

Je sais qu’on en a parlé, mais c’est bizarre que Kara parvienne à faire comme si je n’avais pas joui en la regardant droit dans les yeux il y a moins de vingt-quatre heures. Parce que personnellement, j’ai vraiment du mal. Moi qui voulais absolument lui faire bonne impression, c’est réussi !

Je ne sais pas comment me comporter, divisée entre l’envie d’aller lui parler et la gêne.

En plus, je ne suis pas la seule à avoir remarqué à quel point elle est attirante dans sa tenue, puisque son mec la colle plus qu’une tique sur le dos d’un chien.

Ça me gonfle.

Il est mignon et gentil, mais s’il venait à mourir sous mes yeux, je doute que j’irais verser une larme.  

...

Cette situation est incroyablement frustrante. Je ne sais pas comment me comporter et c’est particulièrement déplaisant. Il faut que j’arrive à passer outre. Ma gêne, mon attirance, tout doit disparaître. Grand vide dans l’esprit de Naomi !

Je n’aurais pas dû boire ce soir, ça fait ressortir mon amertume. Et c’est bizarre, parce que d’un côté j’ai envie de capter son attention, de l’autre, ça me met mal à l’aise et je me sens hypocrite d’autant aimer ça.

Pour la trois millionième fois, mes yeux tracent les courbes de ma coloc, de son chemisier moulant à son jean près du corps, qui épouse parfaitement ses formes alors même qu’elle danse avec énergie…

Fuck. Il faut que je me prenne en main avant qu’Aaron ne remarque. Ou Mathieu.

Comme si elle sentait le poids de mon regard, Kara se tourne et demande :

– Tout va bien Naomi ?

– Mhh. Nickel.

Plaquant un faux sourire sur mes lèvres, j’espère qu’elle va lâcher l’affaire.

Bien évidemment, la chance n’est pas de mon côté et elle place une main devant mon visage :

– Danse avec moi.

Je devrais dire non.

Mais son mec m’observe d’un drôle d’air et je n’aime pas ce que je vois dans son regard.

Il se méfie.

Je prends ça comme un challenge.

Les doigts de Kara s’entremêlent aux miens tandis qu’elle m’attire sur la piste de danse improvisée près du bar. Ça ne devrait certainement pas me paraître aussi naturel, c’est flippant.

Elle se colle à mon corps, plaçant une main au creux de mes reins et laisse la musique nous guider.

– Détends-toi, profite du moment !

Plutôt que de se reculer, elle reste plaquée contre moi, sa bouche à proximité de mon oreille et son bras autour de ma taille. 

C’est la première fois que l’on est aussi proches physiquement en étant éveillées et mon attirance est absolument hors de contrôle. Ses cheveux sont lâchés et dégagent une odeur de monoï qui me fait penser à la plage et au soleil. Un verre de plus et je ne suis pas sûre de réussir à me retenir de déposer un baiser sur son crâne.

Parce que l’occasion s’y prête, je m’autorise à la regarder dans les yeux, répondant à son sourire. Elle prend la parole pour demander la chose la plus étrange qui soit :

– Est-ce que t’es un appareil photo ?

Je fronce les sourcils devant sa question :

– Hein ? Pourquoi tu demandes ça ?

– Parce que dès que je te vois, je peux pas m’empêcher de sourire.

Je lutte pour retenir le mien. C’est vraiment, vraiment mauvais !

– Tu ne dois pas être assez objective…

Z’avez pigé ? Objective, objectif… Hahaha.

Ouais, non.

C’est nul.

Mais j’ai bu, on me pardonne.

 Voulant détourner l’attention de moi, je demande :

– Tu comptes arrêter bientôt avec tes tentatives de drague ratées ?

En réalité, ça ne me dérange pas tant que ça. Évidemment, j’aime me faire pseudo courtiser par une jolie jeune femme. Mais pour le coup c’est comme si on te proposait le ticket gagnant du loto pour plaisanter. Ça ne devient plus très drôle si t’es dans le besoin.

– Ça dépend, est-ce que tu es folle de moi, me trouvant absolument irrésistible ?

Mon ton blasé est en totale inadéquation avec les battements erratiques de mon cœur :

– Si je dis oui, tu arrêteras ?

– Uniquement si c’est vrai !

Mh. Pas encore, mais je n’y tiens pas du tout.

Prête à tout pour qu’elle cesse et constatant qu’Aaron est occupé, mon cerveau alcoolisé décide de mettre en évidence les limites de son bluff. Approchant mes lèvres des siennes, je laisse nos souffles se mêler, prévoyant qu’elle va paniquer.

Honnêtement après le spectacle auquel elle a eu droit, je pensais vraiment qu’elle allait se reculer à toute vitesse, affolée à l’idée que je l’embrasse… Mais elle garde son sang-froid et attend sans broncher. À sa place, je m’inquiéterais également de la réaction de mon mec. D’ailleurs, j’aurais peut-être dû y réfléchir aussi…

Mais je ne comprends pas à quoi elle joue. Ce qu’elle en retire. Oui, c’est notre truc à nous et c’est rigolo, mais pas au point d’en faire des tonnes et de ne pas en louper une.

Défaite, je masque mon échec par un sourire et me recule, lançant dans un haussement d’épaules :

– J’imagine que tes atroces phrases d’accroche vont continuer...

– Mhhh, désolée, t’as dit quoi ? Je m’étais perdue dans tes yeux !

– J’abandonne, t’es irrécupérable.

Je me détache d’elle et la laisse en plan, choisissant d’aller me planquer dans le coin du balcon près de ma chambre, planquée derrière le barbecue, histoire de fuir les festivités sans en avoir l’air.

Je m’accoude à la rambarde et ai un total de 2,12 secondes de tranquillité avant que Kara ne me rejoigne. Je sais pas ce qu’il faut faire pour échapper à cette fille sérieux !

Elle prend appui sur le rail et regarde au loin. Mes sourcils se lèvent en la voyant sortir une cigarette électronique de sa poche et l’amener à sa bouche.

– Je savais pas que tu fumais.

– Je fume pas.

Mh mh, mais bien sûr. Devant mon air dubitatif, elle se redresse, place une main sur mon épaule et me tourne vers elle.

Elle approche son visage du mien et alors que je me demande ce qu’elle fabrique, elle me souffle lentement la vapeur dessus.

Je m’apprête à l’envoyer chier pile au moment où je relève les notes fruitées.

– Y’a pas de nicotine, je vapote juste de temps en temps, pour le goût. Tu veux tester ?

Elle me tend l’appareil et je n’hésite qu’un seul instant avant de tirer une bouffée. C’est pas mauvais, mais pas de là à acheter tout l’attirail juste pour ça !

Un sourire coquin gagne ses lèvres et je sais qu’elle va sortir une connerie avant qu’elle ne parle :

– On se passe la vapeur ?

Suspicieuse et naïve à la fois, je demande dans un froncement de sourcils :

– Comment ?

– Prends une bouffée, je te montre.

Qu’on soit clairs : j’ai conscience que c’est une très mauvaise idée, je le devine à ses yeux… Mais je le fais quand même. L’alcool que j’ai consommé a vraisemblablement entamé mes capacités cognitives.

Une fois fait, je me tourne pour lui faire face et ce n’est qu’en la voyant approcher son visage que je percute.

Par la bouche.

Elle veut que je lui transmette la vapeur avec la bouche…

Je me cogne l’arrière du crâne contre le mur en me reculant et manque de m’étouffer, la vapeur s’engouffrant dans le mauvais trou.

Alors que je suis en train de décéder, elle rigole de mon malheur.

– C’est pas drôle !

– Uniquement parce que t’as pas vu ta tête !

– T’aurais fait quoi si je m’étais pas reculée madame la maline ?

Elle hausse les épaules et lance d’un air nonchalant :

– Partagé la fumée.

Ça a le mérite de me faire lever un sourcil :

– T’oublies pas quelque chose ?

– Le dîner aux chandelles ?

Lui lançant un regard ne laissant pas douter de ce que je pense de sa tentative d’humour, je précise :

– Ton copain.

Elle fronce les sourcils, apparemment confuse, tant est si bien que je me sens obligée d’expliciter :

– … Mathieu.

– On n’est pas ensemble.

Alors ça c’est la meilleure.

– Excuse-moi de te le dire, mais vous avez l’air pas mal ensemble. Il est au courant ou c’est un récent développement ?

– Il le sait. J’ai des besoins, lui aussi, ça nous est arrivé de se retrouver au milieu. Y’a pas de promesse dans tout ça.

Je ne me faisais pas d’illusion sur leur relation, mais ça me fait quand même chier d’en avoir confirmation. Il est temps que je parte, autant dissimuler ma gêne derrière une tentative d’humour :

– Ewww. J’en ai assez entendu. Tu m’excuseras, je vais aller vomir dans le couloir.

Passant à côté d’elle pour retourner dans le salon, elle m’arrête d’une main sur mon bras :

– Toi en revanche, tu ressembles trait pour trait à ma future petite copine...

- Oh my God mais stop ! C’était une blague !

Sans compter que son frère me décapiterait s’il savait le genre de pensées que j’ai… Alors que je franchis la double porte, je l’entends surenchérir :

– Oh allez quoi, je m’appelle pas Raiponce, mais je te laisserai me tirer les cheveux…

Elle va plus loin que d’ordinaire et a probablement bu, mais c’en est trop pour moi !

Il faut que je mette les points sur les i. Si j’avais su qu’elle allait me prendre au mot, je n’aurais jamais plaisanté à ce sujet. J’ai besoin de comprendre pourquoi elle fait ça, d’avoir des réponses, parce que là ça me rend dingue.

Faisant volte-face, je demande :

– Je peux te parler en privé ?

Elle a à peine le temps d’acquiescer que je l’entraîne dans sa salle de bain, bien décidée à obtenir des explications. Je ne sais pas à quel jeu elle joue, mais ça a trop duré, il faut que je crève l’abcès.

Je la fais rentrer en premier et ferme la porte derrière nous.

Elle s’adosse au mur mitoyen avec sa chambre et demande :

– Qu’est-ce qui se passe ?

Rien ne sert de tourner autour du pot :

– J’aimerais savoir à quoi tu joues. Ça me met mal à l’aise.

Elle fronce les sourcils une seconde, avant qu’un lent sourire en coin ne la gagne :

– Mais de quoi tu parles ?

Agacée, j’avance dans sa direction, venant me placer face à elle et laissant 30 cm à tout casser entre nous :

– Tu sais très bien de quoi je parle.

– Explicite, qu’on en soit sûres.

Elle me provoque, c’est clair, mais pourquoi ?

– Ton comportement. Les propositions. C’était une blague, tu le sais. En quoi ça t’amuse d’essayer de me faire réagir ? Qu’est-ce que t’espères en tirer ?

Trop vite pour que je puisse réagir, sa main se place sur ma hanche et m’attire contre elle. Surprise, j’ai à peine le temps de plaquer une paume à plat contre le mur, juste à côté de sa tête, pour m’éviter de complètement l’écraser.

D’aussi près, c’est impossible de rater la manière dont ses pupilles se dilatent et ça me désarçonne tellement que j’en manque presque sa réponse :

– C’est pas évident ?

Elle ponctue sa phrase en s’humidifiant inconsciemment les lèvres et je bloque dessus quelques secondes, avant de finalement revenir à la raison, secouant la tête à la négative :

– Non. On ne va pas aller sur ce terrain-là.

Fière de ne pas avoir flanché, je tente de me reculer, mais son autre bras se glisse autour de ma taille, me maintenant contre son corps dans une prise lâche :

– Pourquoi pas !?

Levant les yeux au plafond pour éviter que ma faible résolution ne se perde dans son regard, je réponds :

– Parce que c’est une très mauvaise idée…

Consciente qu’il va me falloir me montrer plus convaincante que ça si je veux qu’elle adhère, j’ajoute :

– T’es ma coloc, ton frère me tuerait, je sais que t’as jamais été avec une femme... Je dois continuer ?

Je vois que mes arguments tombent dans l’oreille d’une sourde lorsqu’elle s’avance et me mordille la nuque avant de répondre :

– J’emmerde mon frère, je fais ce que je veux... Pour être honnête, j’ai pas arrêté de penser à hier soir… te regarder, c’était… disons que j’étais dans tous mes états… Et c’est pas parce que j’ai jamais été avec une femme qu’aucune ne m’a jamais attirée. On en a déjà parlé. Tu me plais… La question est : est-ce que tu me veux en retour ?

Oh bordel… Je devrais peut-être me pincer pour m’assurer que je suis bien éveillée. Je dois le faire, mais ce n’est pas pour autant que ça me fait plaisir de devoir annoncer :

– Peu importe Kara... Ce qui t’a plu c’est très certainement l’interdit, de savoir que ce n’est pas bien de regarder et le faire quand même, ça veut rien dire… Ça pourrait être moi comme n’importe qui.

La dernière partie était autant pour son bénéfice que le mien.

Loin de se laisser démonter, elle ignore ce que je viens de dire, optant pour me mettre une vérité en pleine face.

– Ose me dire que tu ne ressens pas de connexion entre nous… j’ai vu la manière dont tu me regardes quand tu crois que j’ai le dos tourné. J’ai envie de sentir cette passion.

Elle ponctue sa phrase de baisers dans mon cou qui entament sévèrement mes capacités cognitives. Elle vient de confirmer très clairement que mon attirance n’est pas à sens unique. C’est dur, mais je parviens tout juste à balbutier un faiblard :

– T —t’es pas sérieuse…  

Je ne sais pas qui j’espérais convaincre, mais c’est visiblement raté puisqu’elle se recule, plante son regard dans le mien et exige :

– Naomi, embrasse-moi.

Prenant une grande inspiration, je réunis tout ce qu’il me reste de raison — pas grand-chose — et fais un pas en arrière, voulant sortir de là le plus vite possible avant de craquer :

– Non. Si c’est une expérience que tu cherches, je peux te mettre en relation avec quelqu’un, mais c’est tout.

Un air de déception gagne son visage l’espace d’un instant et elle finit par dire :

– Je veux pas d’une expérience. Je te veux toi.

Fuck. Elle m’offre tout ce qui me fait envie sur un plateau… Mais qu’est-ce qui se passera si jamais elle décide que finalement ce n’est pas pour elle ? J’aurais perdu la confiance d’Aaron et je devrais vivre avec Kara sans pouvoir la toucher…

Ne sachant pas quoi faire d’autre, je marmonne un :

– Je peux pas…

Et quitte la pièce, allant me réfugier au milieu des invités.

Malgré moi, je remarque qu’elle met quelques minutes à sortir à son tour et me dis que j’ai pris la bonne décision lorsqu’elle est immédiatement accueillie par son “mec”.

Ok, elle n’est clairement pas emballée par sa présence et je croise son regard alors qu’il se penche pour l’embrasser. Elle détourne le visage au dernier moment, mais ça ne change rien à la situation.

C’est mort, il ne peut rien se passer.

Peut-être qu’à force de le dire dans ma tête j’arriverai à m’en convaincre…  

Il va bien falloir.

Les limites sont très claires, à moi de faire en sorte de m'y tenir.

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2 octobre 2019

Hors Limites - Partie 2

La porte s’ouvre brusquement, laissant passer un Nathan visiblement joyeux. D’un ton transpirant d’ironie, j’annonce :

– Entre sans toquer, fais comme chez toi !

Il ne prend même pas la peine d’avoir l’air désolé lorsqu’il rétorque :

– Oh allez, après quatre ans de vie commune, j’ai déjà vu tout ce qu’il y avait à voir…

Ew.

Pas faux, mais ew.

Décalant mon PC portable pour le poser à côté de moi, je me redresse, m’adossant à la tête de lit et m’enquiers :

– Qu’est-ce qui t’amène ?

Il jette un coup d’œil derrière lui avant de fermer la porte et s’asseoir au bord du matelas :

– Il faut que je vide mon sac ! Ça ne pouvait pas attendre ! 

Amusée, je demande :

– Laisse-moi deviner, t’as un nouveau chéri ?

Il amène ses mains à sa bouche, dissimulant très mal un large sourire :

– Pas encore, mais j’ai un rencard…

Il ponctue cette annonce d’un petit saut sur le lit. Emportée par son enthousiasme contagieux, je m’enquiers :

– Quiiii ?

– Tu te souviens du mec hyper mignon, celui qui bosse avec Aaron en tant que coach sportif ?

– Le dieu grec que tu m’as montré en photo ?

Ma description a l’air de l’étonner et le ravir à la fois. Je suis lesbienne, pas aveugle…

Il acquiesce d’un signe de tête, se mordant la lèvre inférieure.

– Ouhhh, je serais presque jalouse !

Immédiatement, il plisse les yeux, passant en mode « sur la défensive » :

– Pas touche hein !

Peu impressionnée, je lui adresse un regard équivoque qui le fait aussitôt changer de sujet :

– Et toi, quoi de neuf côté cœur ?

Excepté une attirance unilatérale envers notre nouvelle coloc, pas grand-chose… Mais bien sûr, je me garde bien de lui faire part de ça. Ça m’étonne qu’il n’ait pas encore mentionné l’incident « courses + sieste » d’ailleurs.

– Que dalle.

S’emparant de ma main, il hésite un instant avant de dire :

– Tu sais… Aaron et moi on s’inquiète…

Je sais très bien à quoi il fait référence. Ma réaction post-rupture avec mon ex. C’était ma première histoire sérieuse et elle s’est terminée à l’instant où je l’ai trouvée au lit avec une autre. Je n’avais aucun soupçon et suis tombée de très haut.

– Je sais. Ça va mieux, promis.

Je serre sa main dans la mienne, contente que ce soit la vérité. C’est con, mais l’arrivée de notre nouvelle coloc m’a vraiment apporté une bouffée d’air frais. J’étais dans une routine, perdue dans mes pensées, toutes mes soirées passées devant Twitch ou à emballer des inconnues, occupée à m’engourdir l’esprit.

La venue de Kara a bouleversé ça, me donnant envie de profiter de sa compagnie, donc du présent.  

– Content de l’entendre. Ma Nom-Nom me manque.

Fronçant les sourcils d’un air pseudo-menaçant, je réponds immédiatement :

– Je t’ai déjà demandé cent fois de ne pas m’appeler comme ça !

– Et cette fois encore, j’ai bien l’intention de faire ce que je veux !

 

=====

On est dimanche et de ce fait, je suis affalée sur le côté, en jogging devant la télé, à regarder des dessins animés. Enfin... regarder, comater, appelez ça comme vous voudrez.

J’ai peu et mal dormi. Enfin non. Je dormais bien jusqu’à recevoir un message de mon ex, visiblement alcoolisée. J’étais certaine d’avoir bloqué son numéro pourtant.

Lorsque j’entends une porte s’ouvrir, je considère changer de chaîne l’espace d’un instant, avant de me rendre à l’évidence : la télécommande est beaucoup trop loin pour que je fasse l’effort et j’ai réussi à enrouler la couverture pile comme il faut autour de moi.

À la légèreté des bruits de pas, je sais que c’est Kara qui va me trouver dans toute ma gloire.

Elle se traîne jusqu’au canapé, clairement pas réveillée et j’ai à peine le temps de replier mes jambes qu’elle s’affale de tout son poids.

Ses yeux semis-clos vont se poser sur la télé. Immédiatement, je propose :

– Tu peux zapper si tu veux…

Elle tourne lentement la tête dans ma direction, semblant se demander de quoi je parle. D’un mouvement de tête, je désigne l’écran plat :

– Je regarde pas, tu peux changer de chaîne.

– Oh. Nan c’est très bien.

Sa voix est encore pleine de sommeil, assez rauque et ses cheveux détachés font un pied de nez à la gravité. Ça m’extirpe mon premier sourire de la journée.

Ses yeux restent sur moi, suffisamment longtemps pour que je m’imagine avoir un gros bouton sur le front ou quelque chose du genre. Elle finit par demander d’un ton hésitant :

– Ça va ?

La vraie réponse est non. Je ne sais pas quoi faire pour passer à autre chose et j’en ai marre de me réveiller (ou pire, me faire réveiller) en pleine nuit à cause de ça.

M’efforçant de soulever un coin de ma bouche, je réponds un timide :

– On fait aller, toi ?

Ignorant ma question, elle s’exclame :

– MUNNTTTT, réponse insatisfaisante !

Amusée, je demande dans un sourire en coin :

– Ah, je dois aller vers le plus joyeux ou le plus triste ?

– Duh, le plus joyeux bien sûr. Je te demanderais bien la raison pour laquelle tu as cette petite mine Stalkerish, mais j’ai peur de la réponse…

Faisant mine de regarder autour de moi, j’annonce :

– La mini caméra que j’ai placée dans ta chambre est très haute résolution. J’ai peu dormi.

Je ponctue le tout du genre de sourire qui pourrait facilement me valoir une ordonnance restrictive.

Me prenant à contrepied, elle répond :

– Ah oui, je comprends mieux ta déception. Désolée, mais il fallait que je coupe ces ongles de pieds, ça devenait urgent !

Ma réaction est bien évidemment celle escomptée : une grimace de dégoût :

– Ewww, mais non !

Un air hautement satisfait fermement en place, Kara déclare :

– Tu l’as mérité. Oh et tu peux me filer un bout de couverture s’il te plaît ?

Opportuniste comme jamais, j’en profite sans vergogne :

– Tu me donnes quoi en échange ?

– Un câlin ?

Elle ponctue sa proposition d’un geste « bras écartés » dans ma direction et bien que ça soit trèèèès tentant, on n’est pas du tout à ce niveau de proximité et j’aime autant garder mes distances. À la place, je joue les blasées :

– Meh. Je passe.

Ce faisant, je m’emmaillote encore plus dans mon cocon de chaleur, jubilant ostensiblement.

Ses bras retombent et elle adopte une moue boudeuse qui me donne envie de prendre sa lèvre inférieure entre les miennes.

Naomi, non.

Pas touche on a dit.

Finalement, elle hausse les épaules et tire sur le tissu, s’engouffrant dans la brèche ainsi créée. Mon cri d’indignation est royalement ignoré tandis que Kara s’installe à l’arrière de mes jambes, collée à mes fesses :

– Hey ! Mon espace vital !

Feignant (très mal) l’innocence, Kara demande :

– Ton quoi ?

Argh, ce petit sourire narquois…

Elle se blottit un peu plus contre moi, son corps est ferme et chaud et je dois bien avouer que c’est loin d’être désagréable. Mais vous savez ce qui est désagréable ?

Moi.

J’ai une réputation en jeu et elle l’aura voulu.

Aux grands maux les grands remèdes :

– Je vais péter.

Ses yeux s’écarquillent et elle s’installe dans une position « prête à fuir au moindre signe de danger » :

– T’as pas intérêt ! Je viens d’arriver, t’es supposée me mettre à l’aise, pas m’enfumer.

Levant la tête pour estimer l’étendue des dégâts, force est de constater que même une anguille couverte de vaseline aurait du mal à se glisser entre nous. Pour toute réponse, je grommelle :

– Ouais bah t’as déjà l’air suffisamment à l’aise comme ça.

Ma réplique, bien que désobligeante, lui semble satisfaisante puisqu’elle émet un son de contentement et se blottit même un peu plus contre moi.

Intérieurement, je suis en panique, mais si je veux avoir l’ombre d’une chance d’un jour être en mesure de me comporter normalement avec elle, il va falloir que je prenne sur moi. Elle est exactement dans la vie comme à l’écran et j’ai imaginé ce que ça ferait de passer ce genre de moment avec elle des centaines de fois.

Sa voix me sort de mes pensées :

– Et sinon, qui es-tu Naomi ?

Fronçant les sourcils, je lui adresse un regard interrogateur :

– Tu viens littéralement de dire mon prénom.

Elle m’administre une tape sur la hanche tout en levant les yeux au ciel :

– Mais non, je veux dire… Tiens, quels mots tu utiliserais pour te décrire ?

Je ne sais pas si je suis mal à l’aise à l’idée de me dévoiler ou par peur de ne pas être discrète quant au fait que je veux tout apprendre d’elle en retour :

– On joue à 20 questions maintenant ?

– Pénible, bien noté. Couleur préférée ?

Soupirant, je comprends qu’elle n’a pas l’intention de me laisser m’en tirer à bon compte :

– Bleu nuit... Toi ?

Elle se ressaisit rapidement, mais je peux voir que le fait que je me prenne au jeu et lui retourne la question lui fait plaisir :

– Rouge. Nourriture préférée ?

Immédiatement, j’adopte l’air rêveur adapté à l’aliment délicieux que sont :

– Les frites !

Elle sourit devant mon enthousiasme quasi enfantin :

– Ça va, c’est pas trop dur à trouver au quotidien !

– Pourquoi tu dis ça, la tienne c’est quoi ? Une soupe berbère très spécifique ?

– Haha nan, pas vraiment. Je tuerai pour des gaufres.

Pourquoi ça ne m’étonne pas ? Si je prends en compte ce que je sais d’elle via Twitch, elle a une dent pour tout ce qui est sucré, ce n’est pas une surprise.

– Ok. Ne pas lui voler ses gaufres. Message reçu.

– T’as pas intérêt ! Hmmm… t’as un petit copain ?

Et merde. Mon sourire vacille sur mon visage, retombant un peu. J’assume ma sexualité, mais il y a toujours une légère appréhension lorsque je l’annonce pour la première fois.

– Je suis une célibataire qui joue pour l’autre équipe.

Je scrute sa réaction comme un aigle royal affamé fixerait un lapin, voulant m’assurer que cela ne va pas être un problème. Son visage marque l’étonnement, mais ne porte pas la moindre trace de jugement ou pensée négative :

– Oh ok, cool. C’est les mecs qui doivent être déçus.

Clairement, ce n’est pas le genre de conversation que j’ai envie d’avoir. D’ordinaire, je déteste quand les gens disent des choses comme ça, mais venant d’elle, ça passe. Et savoir qu’elle ne me trouve potentiellement pas désagréable à regarder n’aide pas du tout. C’est pourquoi j’opte pour l’ironie :    

– C’est vrai que je suis tellement un cadeau…

Kara se contente de hausser les sourcils, dédramatisant, les yeux rivés au téléviseur :

– Hey, t’as déjà l’emballage !

Je sais qu’elle plaisante, parce qu’elle demande à passer du temps avec moi alors à moins d’être totalement maso, elle comprend mon humour et ma façon d’être.

Blasée, je lui adresse un regard entendu. Techniquement c’est à mon tour de lui retourner la question, mais elle m’a déjà présenté le fameux Mathieu et l’idée de la voir s’épancher en me racontant à quel point il est formidable ne me tente pas du tout. En plus, je n’ai pas envie de m’éterniser sur le sujet « amours », qui est un peu sensible en ce moment.

À la place, je lui retourne sa toute première question :

– Si tu devais te décrire en un mot, ce serait quoi ?

Elle tourne la tête pour me faire face et glisse sa langue entre ses dents pour finalement lancer :

– Mhh… espiègle !

J’avoue, c’est plutôt bien choisi.

 

 ======= 

 

Quelques jours après notre tête-à-tête, je me lève tardivement et me rends dans la cuisine en traînant des pieds. J’y retrouve une Kara visiblement peu fraîche, les cheveux dans un chignon fait à la va-vite, en train de bailler aux corneilles.

– Hey.

– Salut.

Je me tourne vers le placard haut qui contient les céréales et tente d’ignorer le fait que je ne porte qu’un T-shirt et un mini short en tant que pyjama. Autant m’habituer à sa présence directement, elle me verra probablement dans une tenue pire que ça d’ici peu. Après tout, on n’est pas dans une démarche de séduction, peu importe.

Récupérant le lait, je m’installe à ses côtés et demande :

– Bien dormi ?

– Nickel et toi ?

– Mhh, ça peut aller merci !

N’étant pas du matin, j’espère que la conversation va s’arrêter là. Après tout j’ai sorti les banalités usuelles…

– Quoi de prévu aujourd’hui ?

Et merde.

– Finaliser les croquis de plusieurs costumes et les faire valider par mes clients.

Ses yeux s’illuminent immédiatement :

– Oh oui, c’est vrai, Aaron m’avait dit que t’es costumière ! C’est trop cool !

– Ouais. Je bosse principalement avec des théâtres, mais de temps en temps, j’ai une demande pour de l’aide sur du cosplay et c’est de loin les ensembles sur lesquels je préfère travailler !

– Tu pourrais m’en faire un ? J’ai toujours rêvé de devenir Nova dans Starcraft l’espace d’un jour ou le temps d’une convention. Chaque année je regrette de ne pas l’avoir fait ! Je te paierai hein !

Je dissimule mon sourire derrière une bouchée de céréales. Elle vient de basculer de moitié assoupie à totalement réveillée en une fraction de seconde. C’est adorable.

– Pas de problème, même si je ne suis pas convaincue que passer plus de temps que nécessaire en ta compagnie sera bon pour ma santé mentale.

– Pffft, tu m’adores Stalkerish, je le sais.

– Mhh mhh. L’essentiel c’est d’y croire.

– Tout le monde m’apprécie, sauf toi, c’est ça que tu essaies de me dire ?

Je dois avouer que son jeu d’actrice est plutôt bon, elle paraîtrait totalement sûre d’elle si je n’avais pas suffisamment regardé son stream pour savoir qu’elle n’a aucune idée de l’ampleur de son effet sur les gens. Le fait qu’elle reste humble est franchement plaisant.  

– Exactement.

– Et qu’est-ce qui m’assurerait de rentrer dans tes bonnes grâces ? Quel est le truc auquel tu ne peux pas résister ?

Feignant la réflexion, je lance d’un ton hautement ironique, sourire narquois aux lèvres :

– La flatterie. Qu’on me fasse sentir que je suis un être exceptionnel. Et n’hésite pas à donner du tien et y aller franchement, plus c’est direct mieux c’est. J’aime bien quand c’est bien insistant, limite lourd. Le type d’interactions qu’on peut avoir dans le métro, qui te fait te sentir valorisée si tu vois ce que je veux dire.

Clairement, je suis 100% provoc et m’attends à me faire remballer, mais absolument pas à sa réponse :

– Challenge accepté.

Les regrets sont immédiats :

– C’était pas un défi.

– Trop tard ! Prépare-toi à être totalement charmée.

Elle m’adresse un sourire ravageur et je me prends une telle vague de sex appeal que j’ai l’impression de me faire gifler.

Il faut que je tue cette idée dans l’œuf.

– Nan, vraiment Kara, j’insiste, ce n’est pas nécessaire.  

– Pourquoi ? T’as peur ?

OUI. Non seulement je finirais probablement déshydratée, mais en plus Aaron m’achèverait à coup sûr, persuadé que j’essaie de corrompre sa sœur. Mais je ne peux pas me permettre d’avoir l’air faible :

– Pffttt. Bien sûr que non !

Elle hausse les épaules et lance nonchalamment :

– Dommage, j’aurais bien voulu savoir que je fais battre ton cœur un peu plus vite, une jolie fille comme toi…

Elle n’arrive pas à dissimuler son sourire et il est évident qu’elle a conscience que c’est nul, c’est pourquoi je l’abats sans pitié :

– Tu te fais juste du mal, je t’assure. Je plaisantais.

 Ramassant son mug et allant le déposer dans le lave-vaisselle, elle chantonne :

– On verraaaaa…

Voulant changer le sujet avant qu’elle ne parte et ne commence à concocter je ne sais quel plan tordu, je demande :

– Et toi, quoi de prévu aujourd’hui ?

Elle passe derrière moi et me susurre à l’oreille :

– Je serai devant mon pc, caméra braquée sur moi, si tu veux je peux te donner le lien…

Alors qu’environ un milliard de frissons me parcourent tout le corps, je rétorque du tac au tac :

– Ça sera pas nécessaire, merci, j’ai déjà Nat Géo Wild si je souhaite regarder un reportage animalier.

Elle se recule, sourire aux lèvres, absolument pas perturbée par ma remarque désobligeante. Je suis persuadée qu’elle va partir dans sa chambre, mais elle se penche pour s’accouder à l’îlot central, son T-shirt lâche m’offrant une vue plongeante sur ses attributs.

Pour le coup je ne suis pas sûre que ça soit fait exprès. Dans un cas comme dans l’autre, je ne regarde pas, la fixant dans les yeux lorsqu’elle demande :

– Tu ne veux toujours pas me dire ton pseudo ?

– Je croyais que tu l’avais deviné ?

– Ohh allez quoi ! Rien qu’un indice !

Terminant mon bol, je simule un soupir et annonce :

– C’est pas important, vraiment, tu le reconnaîtras sûrement pas.

C’est un mensonge éhonté s’il en est un. Elle ne salue pas tous ses spectateurs et je suis bien placée pour le savoir. On a même déjà discuté à l’écrit sur Discord et fait une partie ensemble sur Apex.

– Mouais… Si c’était le cas, tu ne ferais pas toutes ces histoires… Je me trompe ?

Elle ponctue sa phrase par un battement de cils et je suis tellement faible que j’ai limite envie de tout avouer sur le spot.

– Oh ? Serait-ce mon téléphone que j’entends ? C’est peut-être un client, je ferais mieux d’aller décrocher !

Elle fronce les sourcils, ne comprenant pas tout de suite :

– De quoi tu parles, je n’entends ri — Naomi reviens ici !

Puérile, je m’enfuis à toutes jambes et suis rattrapée juste au moment où j’arrive au niveau de la porte, fonçant dedans. Évidemment, elle s’ouvre alors que j’essaie de prendre appui dessus et je me tape la gamelle du siècle, ayant à peine le temps de mettre mes mains devant moi avant de faire un magnifique plat.

Pas très loin derrière, Kara m’éclate la fesse gauche en se réceptionnant dessus avec sa main, avant de me couper le souffle en tombant sur moi, ses seins au creux de mes reins.

C’est elle qui se met à rire en premier, quittant mon dos pour rouler en direction du sol, demandant quand même :

– Ça va ?

– Si tu vois des trucs blancs sur le parquet, merci de me l’indiquer, c’est probablement mes dents.

Je pose ma tête à même le sol, la regardant et me met à rire moi aussi, avant de m’exclamer sans réfléchir :

– Tu m’as fait super mal au cul !

Souriante, elle n’en rate pas une et demande :

– Puis-je masser ton superbe postérieur pour me faire pardonner ?

Ne voulant pas continuer sur sa lancée dangereuse, même pour plaisanter, j’esquive sa main et me relève, lui tendant la mienne en retour.

– T’as pas un jeu ou deux à finir toi ? Tu t’humilies là, ça en devient gênant !

Elle se redresse et demande :

– Ça dépend ? Tu me laisserais pianoter sur ton clavier ?

Au vu du regard lubrique qu’elle m’adresse, je sais qu’elle ne parle pas de mon ordinateur portable…

Je sens mon visage entrer en état de combustion spontanée et son air amusé ne me réconforte pas du tout ! Elle n’a pas froid aux yeux, sachant qu’elle a connaissance de ma sexualité.

Comment j’ai fait pour me mettre dans un pétrin pareil ? Ça m’apprendra à toujours faire des réflexions désobligeantes pour plaisanter…

– Nan, reste avec tes joysticks et sors de ma chambre ! 

– Ok ok… Si tu me cherches… Tu sais où me trouver...

– Ouais bah si tu me cherches, je serai au magasin de bricolage le plus proche pour acheter un verrou supplémentaire pour ma porte et du scotch noir opaque pour le trou de la serrure. On n’est jamais trop prudente !

Visiblement amusée par ma répartie, elle s’en va et à la manière dont elle tourne des fesses, je suis quasi certaine qu’elle a conscience que je la regarde faire…

Et merde.

 

======

 

De retour à l’appart, je franchis le pas de la porte et m’arrête net, déposant mon sac au sol et lançant d’une voix forte pour couvrir le bruit : 

– On a attrapé le coupable ?

Kara stoppe le mixeur et m’observe d’un air confus :

– Huh ?

Je regarde autour de nous et précise :

– On dirait que quelque chose a explosé dans cette cuisine.

– Ah. Oui... Je veux faire une surprise à Mathieu.

M’approchant, je place mes mains au bord du plan de travail et retiens difficilement un sourire. Entre le tablier, les ingrédients et le livre de recettes, ce qu’elle fait paraît évident.

Visiblement, mon silence la fait parler puisqu’elle désigne la préparation d’un signe de tête et précise :

– Un… gâteau au chocolat. Mais je ne suis pas très douée.

Elle ponctue sa phrase d’un rire gêné et passe le dos de sa main sur son visage, se tartinant la joue de farine et de chocolat au passage. Je resserre mes pouces sur le rebord pour m’empêcher d’aller lui retirer, ayant parfaitement conscience que nous ne sommes pas assez proches pour ce genre de gestes.

– Tu viens de t’en mettre…

Du bout des doigts, je désigne la zone en question sur mon visage.

S’ensuit un monument de mignonnerie. D’abord elle rougit, puis elle attrape un chiffon à proximité et entreprend de s’essuyer avec.

Sauf que le bout de tissu n’était pas exactement propre et ça ne fait qu’aggraver les choses.

Je me mords la lèvre inférieure, essayant vaillamment d’endiguer un sourire.

Kara tourne ses grands yeux bleus vers moi, pleine d’espoir :

– C’est mieux ?

Ma bouche s’étire malgré moi et je secoue la tête à la négative, m’efforçant de ne pas rire.

– C’est pas mieux ?

Mince, va falloir parler. C’est mort, je n’arriverais jamais à me retenir de me moquer :

– Si tu visais un look poudré façon renaissance, avec une énorme mouche en chocolat, c’est très réussi, sinon… non.

Elle baisse la tête et je me mets à rire jusqu’à ce que je me prenne un coup de torchon sur le bras, m’envoyant un nuage de farine en plein visage. En plus je porte du noir, ça tombe bien.

Une fois que j’ai fini de tousser, je lui adresse un regard offusqué, yeux ronds et sourcils froncés :

– Tu cherches à mourir ?

Loin d’être impressionnée, Kara plonge son index dans le mélange chocolaté. Elle l’observe un moment, me tapote le bout du nez avec avant de le mettre dans sa bouche, les yeux pétillants.

– J’ai pas peur de toi Stalkerish… Je suis imbattable !

Hors de question qu’elle reste impunie. 

Détournant son attention, je réplique tout en avançant sa direction :

– C’est pas exactement comme ça que je me rappelle une certaine série d’échecs face à un boss final qui a créé une grosse demande pour l’émoticône « rage de perdre »…

C’est à son tour d’ouvrir la bouche d’un air totalement scandalisé et c’est le moment que je choisis pour frapper. Passant ma main sur le plan de travail afin de ramasser un maximum de farine, je lui en tartine les joues et le front !

L’espace d’un instant, je me dis que je l’ai faite buguer. Elle ne bouge plus, les yeux écarquillés et le visage intégralement enfariné.

Elle éclate de rire de manière soudaine et je ne peux m’empêcher de suivre.

– Ok, je laisse courir parce que c’était mérité.

Et moi j’abandonne la mission vengeance parce que la voir sourire me donne des palpitations.

Kara se dirige vers l’évier, mouillant un morceau d’essuie tout pour tenter d’effacer le plus gros des dégâts. Je la regarde faire, ayant toujours du mal à croire qu’elle se trouve face à moi.

Voulant m’occuper les mains, j’attrape l’éponge et commence à nettoyer tandis qu’elle termine de mixer les ingrédients avant de les verser dans le plat qu’elle avait préalablement beurré. 

C’est très domestique comme scène, on travaille ensemble sans se gêner, virevoltant de part et d’autre comme si c’était habituel pour nous.

Calme-toi Naomi. Tu l’aides à faire un gâteau pour son mec…

Elle place la préparation dans le four, se lave les mains, retire son tablier et part s’affaler sur le canapé, tapotant l’espace à côté d’elle dans une invitation muette.

Une fois que je m’estime suffisamment propre pour ne pas salir le cuir, je la rejoins.

On ressemble toutes les deux à des lamantins échoués, la journée ayant eu raison de nous.

Le silence est confortable.

Trop, si l’on considère que j’ai officiellement fait sa connaissance il y a peu.

– C’est bizarre.

Levant un sourcil, je tourne juste ma tête dans sa direction, questionnant sa phrase d’un son :

– Hm ?

– J’ai pas l’impression que je viens de te rencontrer, plus que je retrouve une vieille amie. T’es sûre que tu ne veux pas me dire ton pseudo ?

Oh putain. Elle lit dans mes pensées ou quoi ?

– Je préfère faire planer le suspense ! Et s’il te plaît, on approche de mon anniversaire, ne m’inclus pas dans une phrase avec vieille, c’est un sujet sensible !

– Haha je vais essayer.

– Réussir, tu vas réussir.

Je lui adresse un de mes fameux regards “fais ce que je dis ou meurs” qui fonctionne sur tout le monde. Tout le monde sauf elle apparemment, puisqu’elle me taquine quasi immédiatement :

– Ou sinon quoi ? Une nouvelle menace de mort ?

Mécontente qu’elle mette mon bluff en évidence, je reste évasive :

– Peut-être bien...

– De toute manière, t’essaies déjà d’attenter à mes jours.

– Pardon ?

À l’instant où elle tente de retenir un sourire, je réalise que j’ai bêtement marché dans son piège :

– À chaque fois que je te vois, tu es belle à couper le souffle. Je peux avoir ton 06 ou 07 mademoiselle ?

Je lève les yeux au ciel et soupire, masquant tant bien que mal mon amusement. Pas question de l’encourager. Même si elle plaisante, elle me plaît. Et ça a beau être grossier et évident, j’ai peur d’oublier que c’est une blague.

– Dis-moi franchement : est-ce qu’il y a une chance pour que tu avortes dès à présent tes atroces tentatives de flirt ? C’était vraiment pas un défi !

Elle m’observe, les yeux pétillants, avant de me donner un petit coup d’épaule :

– Tu fais genre, mais je sais qu’au fond de toi tu adores…

– Ouais bah si tu attends que j’admette un truc pareil, un conseil : ne retiens pas ton souffle !

Son sourire se fait plus doux et régresse lentement, jusqu’à disparaître :

– J’ai déjà entendu cette phrase quelque part… C’est frustrant, t’es sûre qu’on se connaît pas d’avant ? On a peut-être des amis en commun ?

Merde, je la dis tout le temps dans le chat… vite, trouve une excuse :

– C’est une réplique culte, forcément ! Et il est fort probable que ma charmante personnalité déteigne sur ton frère.

Son visage adopte un air malicieux et avant même qu’elle n’ouvre la bouche, je sais qu’elle va sortir une grosse connerie. Et effectivement, elle ne me fait pas mentir :

– Ça c’est bien vrai que vous êtes charmante mademoiselle. Z’êtes libre un de ces soirs, qu’on fasse connaissance si vous voyez ce que je veux dire ?

Elle ponctue “ça” d’un frétillement des sourcils trois fois trop long. Le plus triste, c’est que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, je me suis infligé ça toute seule. D’un air faussement mielleux, je l’abats sans concession :

– Vraiment, ça aurait été avec plaisir, mais je ne peux pas, j’ai poney.

Son ton est incrédule :

– Tous les soirs ?

Haussant les épaules, je reste stoïque et réponds naturellement :

– J’aime le poney.

Kara éclate de rire à côté de moi et aucune force au monde ne suffirait à retenir mon sourire. Si jamais j’étais encore en maternelle, je m’accorderais un bon point pour avoir réussi à l’amuser.

Ouais, ‘fin en l’occurrence c’est plus le cas et méfie-toi Naomi, c’est une pente glissante sur laquelle il ne vaut mieux pas t’engager.

On sait comment ce genre d’histoire finit. Elle ne fait que plaisanter, parce qu’elle est à l’aise avec toi. Ton cœur se remet à peine, inutile d’en rajouter.

Son rire diminue puis s’éteint, nous plongeant à nouveau dans le silence.

L’index de Kara se promène le long de la couture de mon jeans, longeant l’extérieur de ma cuisse sans un mot. Elle a l’air soudainement pensive et avant que je ne puisse lui demander ce qu’il se passe, elle prend la parole :

– Je peux te poser une question ?

Tournant la tête pour l’observer, je me fais prendre au piège par ses yeux l’espace d’une seconde, acquiesçant muettement.

– Indiscrète ?

L’un de mes sourcils se lève tout seul et un sourire en coin menace de gagner mes lèvres, mais un coup d’œil en direction de Kara me fait changer d’avis. Elle a l’air étonnamment vulnérable.

Quoi que ce soit, c’est important pour elle.

– Je t’écoute.

– Comment t’as su que t’étais attirée par les femmes ?

Alors ça… C’était la dernière des choses auxquelles je m’attendais.

Je me retrouve sans trop savoir quoi dire alors même que je connais la réponse à sa question.

Prenant une grande inspiration, plus pour gagner du temps qu’autre chose, je détourne mon regard de ma coloc et entreprends de formuler mes pensées :

– À vrai dire, j’avais tellement pas compris que c’en était drôle !

– Comment ça ?

Elle se tourne vers moi, son genou plié venant empiéter sur ma cuisse. Je me retiens de faire de même, le sujet de conversation étant suffisamment intime comme ça sans que je la regarde dans les yeux.

– À l’époque, j’étais ce qu’on pourrait appeler une croqueuse d’hommes. J’en changeais comme de chemise, sans jamais qu’un ne trouve grâce à mes yeux. Objectivement, je voyais bien qu’ils étaient sympas, mignons et compagnie, mais… j’sais pas, je n’arrivais pas à m’attacher.

– Et du coup ?

– Je les quittais dès que je sentais qu’ils commençaient à avoir des sentiments ou être trop pressants… si tu vois ce que je veux dire.

Lui jetant un regard du coin de l’œil, j’aperçois le sourire pervers qui peint ses lèvres. Avant qu’elle ne puisse embrayer sur une réponse sordide ou pire, une phrase de drague, je reprends :

– Bref. Je savais que le “problème” venait de moi, mais je n’avais aucune idée de quoi il s’agissait.

– Mais tu ne regardais pas les femmes ?

Haussant les épaules, je réagis sincèrement :

– Pas spécialement, non.

– Hmm.

Ma réponse n’a pas l’air de la satisfaire, puisqu’après une demi-seconde à peine elle demande :

– Comment tu l’as su alors ?

– Une copine a fait son coming out à ce moment-là. Elle était pas mal, je me doutais qu’elle avait des sentiments pour moi et je me suis dit que je n’avais pas grand-chose à perdre. Du coup, je suis allée la voir en mode “si ça te tente…”.

Kara se penche de plus en plus vers moi, la curiosité évidente dans sa voix :

– Vous l’avez fait ? Oh vous l’avez trop fait !

La manière quasi enfantine dont elle sort ça me fait rire et quitte à casser son délire, je rectifie :

– Non. Elle a eu peur de n’être qu’une expérience et m’a dit “je ne pense pas que tu puisses être lesbienne”. Et têtue comme je suis, j’ai pris ça comme un défi.

– T’as fait quoi ?

– Ni une ni deux, j’ai été créer un profil sur un site de rencontres LGBT, en mode “tu vas voir si je ne peux pas”.

– Haha je t’imagine tout à fait.

– Bref. Je parle avec une fille, qui n’avait pas de photo.

Je la vois me jeter un regard, mais l’arrête tout de suite d’une main levée :

– Oui oui, je sais, mais à l’époque c’était différent, je savais pas. Pi de toute manière, avec tous les catfishs qui traînent… Finalement, au bout d’une semaine, elle propose qu’on se rencontre. J’accepte et là…

Je garde le silence un moment, en partie pour laisser planer le suspense et partiellement pour voir ce qu’elle va dire :

– Bowchicawowow ?

Je secoue la tête en lui lançant un regard amusé :

– Tout de suite ! Non madame, je l’ai vue, j’ai eu le coup de foudre pour elle et on s’est embrassées le jour même.

– Awwww. C’est mignon.

Gênée, je souris en baissant les yeux.

Je meurs d’envie de savoir pourquoi elle me demande ça, mais ne sais pas comment le formuler sans avoir l’air d’une crevarde.

Fort heureusement, elle répond spontanément à mes interrogations :

– Parfois… parfois je me pose des questions…

Mon cœur manque quelques battements. Pourquoi elle me fait ça ?

Je suis prise de soudaines bouffées de chaleur. Particulièrement localisées. Quand est-ce que j’ai eu mes règles pour la dernière fois ? Est-ce que je ne serais pas en train de développer un cas de ménopause extrêmement précoce ?

Calme-toi Naomi.

Tu ne sais pas quel genre de questions. Peut-être qu’il s’agit de questions existentielles type « ma place dans l’univers »…

Tentant d’adopter un air vaguement détaché, je lance :

– Ah oui ?

– Je sais pas comment l’expliquer. Certaines femmes… m’attirent ?

Est-ce qu’elle a quelqu’un en particulier en tête ? Et attirer comment ? Façon “je suis intriguée par sa manière de penser et d’être” ou “je me demande à quoi elle ressemble quand elle jouit”?

La bouche sèche, je croasse :

– Amicalement ?

Son pied se met à gigoter, trahissant sa nervosité :

– Pas que, je crois. J’ai envie de passer tout mon temps avec, de tout apprendre sur elle…

Immédiatement, je jalouse celles qui ont su susciter son intérêt.

Le pire, c’est de sentir l’espoir qui me gagne.

C’est totalement stupide.

Elle n’est sûre de rien et se confie à moi probablement uniquement parce que je suis la seule lesbienne qu’elle connaît. Ça ne veut pas dire qu’elle est vraiment bi ni que je l’intéresse… Et si on a passé beaucoup de temps ensemble ces derniers jours, c’est parfaitement normal, on vit sous le même toit ! Sans oublier que j’ai fait une promesse à son frère…

Ma posture est très clairement celle de l’avocat du diable :

– Oui, mais… t’es sûre que c’est pas juste de l’admiration ou de la curiosité ?

Pour être honnête, j’ai besoin de ça. Si je ne vocalise pas mes doutes, je sais ce qu’il va se passer. Et tomber amoureuse d’une nana bi-curieuse et hors limites est la dernière des choses dont j’ai besoin.

Une chose est claire : ma réponse ne la satisfait pas.

Soupirant, elle se recule et se réinstalle dos au canapé. Le silence s’établit quelques secondes, mais avant que je ne puisse changer de sujet, elle se tourne à nouveau vers moi :

– Tu sais quoi ? Non ! Non c’est pas ça. J’admire beaucoup de gens, mais je ne me demande pas ce que ça ferait de les embrasser et je ne me réveille certainement pas en sursaut au milieu de la nuit parce que j’ai fait un rêve érotique dans lequel ils occupaient le rôle principal.

Je ferme les yeux une seconde, essayant de calmer les battements de mon cœur.

J’ai toujours aimé les femmes sûres d’elles et la voir défendre sa possible sexualité me plaît beaucoup plus que ça ne devrait. Franchement, je n’avais pas besoin de ça.

Évitant son regard, je consens d’un signe de tête :

– Ok. C’est toi la mieux placée pour savoir.

Elle acquiesce en souriant, visiblement contente de cette conclusion. J’espère qu’elle a trouvé des réponses à ses questions.

– Et toi Naomi, qu’est-ce qui te plaît le plus chez les femmes ?

Va regarder dans le miroir, tu sauras.

Levant une main en opposition, je l’arrête avant qu’elle ne puisse commencer :

– Non non, j’ai pas signé pour ça !

– Oh allez quoi, je croyais qu’on était amies !?

Amies… C’est déjà généreux vu que l’on vient à peine de faire connaissance, mais le terme me dérange quand même.

Comme souvent lorsque je me sens en danger, je me rabats sur un humour acerbe :

– Ouais, mais j’ai ni la patience ni les crayons qu’il me faudrait pour te faire comprendre.

J’ai rarement été aussi satisfaite de voir un air offusqué sur un visage…

Amies. Je peux gérer.

 

=======

 

Je pousse vaguement sur les coussins du banc de musculation, essayant de jauger l’intensité de l’effort à accomplir.

Etant donné qu’on vient tout juste de s’étirer et que je suis déjà à l’agonie, n’importe quel poids supérieur à “rien” sera de trop. Et c’est clairement le cas.

– Tu sais que je veux me remuscler, pas concourir aux championnats du monde d’haltérophilie hein ?

Insensible à ma tentative d’humour et totalement inflexible, Aaron réplique d’un ton las :

– Arrête de te plaindre et soulève !

– Pourquoi tu me fais ça ?

Mon coach d’un jour me fixe d’un air blasé et lance :

– Parce que tu me l’as demandé.

– Ouais bah je suis une idiote.

– Premier truc sensé que tu as dit de la journée !

Sérieux ? Je parie qu’il ne dit pas ça aux clients qui le paient !

Alors que je lui adresse un regard qui, je l’espère, va l’inciter à se lancer dans une litanie d’excuses, j’entends qu’on frappe à la porte de sa chambre :

– Ouais ?

Voulant faire mine d’être une athlète, je pousse de toutes mes forces pour faire bouger la fonte tandis que la tête blonde de Kara passe l’entrebâillement.

– Je peux me joindre à vous ?

– Comme si t’avais besoin de demander !

Elle rentre dans la pièce et à l’instant où mes yeux se posent sur elle, j’oublie ce que je suis en train de faire et les poids retombent dans un “clang” monstrueux.

Le frère et la sœur se tournent vers moi, me lançant des regards curieux. Priant pour que ma voix ne trahisse pas l’énormité de mon mensonge, je m’explique :

– J’avais fini ma série.

Acceptant visiblement ma réponse en l’état, ils retournent tous les deux à leur conversation.

Malgré moi, mes yeux parcourent avidement la silhouette de Kara. Manifestement prête à se joindre à nous, elle a choisi de porter des petites baskets, un pantacourt de yoga et une brassière de sport. Ses cheveux sont attachés dans une queue de cheval et ses épaules sont finement musclées. La brassière est noire et lui maintient suffisamment la poitrine en créant un décolleté discret, mais très appréciable.

Vérifiant qu’ils restent occupés, je continue mon inspection, tentant de mémoriser chaque parcelle de peau dévoilée.

Elle n’a pas une tablette de chocolat, mais on peut clairement deviner où se situent ses abdos. J’ai toujours eu un truc pour les ventres bien dessinés et le sien, avec son petit nombril creux est pile comme j’aime.

Voilà de quoi m’occuper les longues soirées d’hiver…

Ma séance de reluquage intensif arrive à son terme lorsqu’Aaron passe une main devant mon visage, essayant visiblement de capter mon attention :

– Ohé Naomi ! Tu en as fait combien ?

Concentre-toi perverse, on t’adresse la parole !

– Juste une série, désolée j’étais perdue dans mes pensées.

Kara a un petit sourire en coin qui me laisse imaginer qu’elle est au courant de la teneur exacte des “pensées” en question, mais son frère est (fort heureusement) beaucoup plus naïf. Se tournant vers elle, il tend le bras pour me montrer de la main en s’exclamant :

– Tu vois avec quoi je dois travailler ? Comment tu veux en tirer quelque chose ?

– Il faut trouver sa carotte, ce qui la motivera.

Marquant son mécontentement, Aaron souffle un grand coup et se dirige vers le tapis de course.

Pendant ce temps, Kara se penche en avant, posant ses mains sur ses genoux pour mettre son visage à hauteur du mien, qui suis assise sur le banc de musculation :

– Dis-moi Naomi, qu’est-ce qui te ferait envie ?

Je sais EXACTEMENT la vue que je pourrais avoir si je baissais les yeux rien qu’un peu. Mais m’est avis que c’est pile la réaction qu’elle souhaite déclencher alors je lutte pour maintenir mon regard dans le sien, même si ça me donne probablement un air constipé. Et je ne parle pas de la formulation… Malheureusement, je crois que ça l’amuse de flirter avec moi…

– Une petite pause et que tu cesses de me comparer à une ânesse !

Comme si ma réponse avait pour unique vocation de le provoquer, Aaron lève les bras au ciel avant de les laisser retomber, comme dépité. J’avoue que pour lui qui est hyper porté sport et dont c’est le métier, se retrouver face à moi ça doit faire un choc. Un peu comme si on larguait un citadin excentrique en pleine jungle amazonienne. Le choc des cultures !

Sa sœur abandonne moins facilement puisqu’elle demande :

– Quelle partie tu souhaites muscler en priorité ?

Malgré moi, mes yeux vont se poser sur son ventre et je n’ai même pas le temps de vocaliser mon choix qu’elle s’exclame :

– J’ai une idée, bougez pas.

Kara file dans sa chambre et revient quelques secondes plus tard, munie d’un ballon dégonflé et d’une pompe.

Tendant les deux à son frère, elle demande :

– Tu peux t’occuper de ça stp ?

– Pas de problème.

– Tu lui as échauffé le dos ?

– Oui madame.

– Parfait.

Elle se frotte les mains avant de se tourner vers moi, ce qui ne m’évoque rien de bon.

– Ok Naomi, tu préfères travailler quels abdos ?

J’y connais que dalle, pourquoi elle me demande mon avis ?

Pour éviter de faire étalage de mon inculture, j’opte pour la ruse :

– Euh… Les mieux pour moi, je te fais confiance !

– Tu penses que tu as besoin de travailler plus cette zone-ci, celle-là ou par ici ?

Comme si elle avait lu le manuel de « comment torturer une lesbienne lubrique », elle ponctue chaque option d’une contraction de la zone en question qu’elle montre du doigt. Mon cerveau la déteste, parce qu’il est évident qu’elle a conscience de ce qu’elle est en train de faire, mais mes hormones l’aiment beaucoup.

– Honnêtement ? Un peu tout.

– Pas de problème. Allez debout.

Elle s’empare du ballon à présent gonflé et me guide devant d’une main sur ma hanche :

– Ok, tu vas te mettre sur le côté, le flanc sur le ballon, les paumes derrière les oreilles. Il faudra garder les jambes tendues et croisées, un peu comme si tu faisais la planche.

 Je suis hautement sceptique quant au fait que je vais réussir à me placer dans la pose souhaitée, alors réaliser un exercice…

– Et après je fais quoi ?

– Rien, tu maintiens la position pendant 30 secondes, avant de faire une pause et faire l’autre côté. C’est pour gainer latéralement ta taille et tes fessiers.

Je jette un coup d’œil au ballon comme si c’était un nid de serpents venimeux. Quoique je crois bien que j’aurais préféré les reptiles. Mon intuition me crie « tu vas te ridiculiser, refuse de faire ça », mais il est hors de question de passer pour une trouillarde devant elle. Au pire je fais un fail épique, mais j’aurais eu le mérite d’essayer. 

Quand il faut y aller il faut y aller.

Alors que je m’installe sur l’engin de torture avec la grâce d’un sumo tentant de faire une représentation du lac des cygnes, Kara m’aide à trouver mon équilibre pour parer à une éventuelle chute avant même d’avoir commencé.

À peine en place, elle glisse une main sous ma taille, m’indiquant dans un tapotement vers le haut :

– Essaie de te tenir le plus droite possible pour éviter de te faire mal au dos.

Tant bien que mal, j’entreprends de m’exécuter et suis récompensée d’un :

– Parfait, c’est parti ! 1, 2...

Ok c’est pas aussi facile qu’il n’y paraît ! Le ballon bouge, c’est des muscles que je n’ai pas l’habitude de solliciter et ils me le font bien comprendre.

Le pire, c’est que je vois Aaron courir comme un dératé sur le tapis tout en ayant l’air de faire une promenade de santé tandis que sa sœur est en position chaise contre le mur et c’est tout juste si elle n’est pas à bailler.

C’est pas juste !

30.

Je me laisse glisser par terre, un peu comme une crêpe pas assez cuite qui viendrait s’écraser sur le mur après qu’on ait tenté de la faire sauter.

De prime abord, ils paraissent très différents l’un de l’autre, mais à les voir faire, il n’y a pas de doute que ces deux-là sont frère et sœur.

Comme pour corroborer ma pensée, Kara ne me laisse pas beaucoup de répit, comme son tortionnaire de frangin. Je me retrouve bien vite à faire l’autre côté tandis que tous deux adoptent un air détendu en faisant un entraînement digne des forces spéciales.

Je les déteste.

– Ok Naomi, parfait. Je te montre l’exercice suivant.

Elle s’installe à même le sol, mollets sur le ballon, jambes serrées, talons au sommet et pointe des pieds vers le plafond.

Une fois en position, elle m’indique :

– L’idée c’est de placer tes bras le long de ton corps, de contracter les fesses et les abdos, soulever le tout et pareil, tu tiens la position.

Elle me fait la démonstration et cette fois c’est sûr, s’il y a un club de fétichisme des ventres plats et légèrement musclés, je vais vite atteindre sa présidence. Ou lancer une nouvelle religion, j’hésite encore.

Loin de réaliser que je suis en train d’imaginer sa petite sœur avec le ventre contracté dans des circonstances totalement différentes, Aaron pointe du doigt les muscles que ça fait travailler, comme si ce n’était pas évident.

– Tu vois, ça tire dans toute cette zone en plus des fessiers. Maintenant, si tu n’y arrives pas avec autant d’instabilité, tu peux écarter un peu les jambes, ça te fera de meilleurs appuis. Kara ?

Elle redescend, attend qu’il maintienne le ballon, espace ses mollets et renouvelle l’opération.

Mes yeux sont comme aimantés par son entrejambe et si je m’écoute, le seul sport que je ferais serait de courir dans ma chambre pour récupérer mon appareil photo et immortaliser ce glorieux moment. Mais à la place, tentant de garder le peu de dignité qu’il me reste, je croise le regard de Kara alors qu’elle soulève la tête pour demander :

 – T’as compris le mouvement c’est bon ?

– Mhh mhh…

Me mettant en position, je commence l’exercice et espère que les résultats vont vite apparaître, parce que subir ça régulièrement sans voir d’amélioration ça mènera à l’abandon assuré.

Derrière moi, j’entends Kara dire :

– Je pense pas que soulever de la fonte soit la solution pour elle. Vaut mieux y aller doucement avec le ballon, en renforcement musculaire dans un premier temps, un truc ludique tu vois.

– Ouais, t’as sûrement raison. D’habitude je travaille surtout avec des potes mecs qui veulent prendre rapidement…

– Ça m’étonnerait qu’elle soit intéressée par de la gonflette, à moins que… Naomi ?

Au prix d’un effort surhumain, je parviens à lancer un :

– Pas intéressée !

Qui les fait rire tous les deux.

 

========

 

Les lèvres de la fille parcourent ma nuque et sont totalement contre-productives tandis que j’essaie vainement d’ouvrir la porte. Nathan, Aaron et Kara ont prévu une soirée à l’extérieur, j’ai donc l’appart rien que pour moi et bien l’intention d’en profiter.

Après ma rupture avec mon ex, j’ai eu une période intense niveau rencontres d’un soir. C’était mon pansement émotionnel à moi et j’ai rapidement arrêté car ce n’était pas très sain. Mais j’ai du mal à m’adapter à la présence de Kara et la familiarité de nos échanges. Je vois bien que je saute sur la moindre occasion de passer du temps avec elle et apprécie un peu trop sa compagnie … Il faut que je passe à autre chose avant qu’il ne soit trop tard. Et si « autre chose » est une magnifique inconnue, on ne va pas m’entendre m’en plaindre !

Je retiens un cri de victoire lorsque la serrure cède enfin.

Immédiatement, nous pénétrons dans l’appart plongé dans le noir. J’allume la petite lumière de la hotte pour lui permettre de voir quelque chose tandis qu’elle me plaque contre l’îlot central.

Ses mains ne manquent pas d’assurance et se montrent possessives, me gardant dans l’instant. Toute son attention est focalisée sur moi et je sens que je vais passer un bon moment.

J’ai à peine tiré sur le tissu qu’elle se débarrasse de son haut, me laissant apprécier sa poitrine tout juste couverte par un soutien-gorge à balconnet. Immédiatement, je penche la tête pour venir embrasser son décolleté, découvrant un sein de ma bouche, caressant l’autre de ma main. Ses soupirs d’encouragement parviennent à mes oreilles et je relève la tête pour lui sourire, capturant à nouveau ses lèvres des miennes.

Ses baisers ont un goût de reviens-y et je ne suis pas étonnée d’avoir la respiration un peu courte lorsque je demande :

– Ma chambre ?

Elle m’adresse un sourire, passant une main dans ses cheveux et m’observant de bas en haut avant de répondre :

– J’ai une meilleure idée…

Elle place ses mains sur mes hanches, m’incitant à m’asseoir sur le plan de travail. Je m’exécute et elle vient se positionner entre mes cuisses sans hésiter. Nos lèvres se retrouvent et toute sensation de culpabilité à l’idée de faire ça dans la cuisine me quitte en sentant la paume de sa main se placer à l’intérieur de ma cuisse, à la limite de ma jupe.

Bien vite, ses doigts viennent jouer avec mon sous-vêtement et je soulève les hanches pour lui permettre de le faire glisser le long de mes jambes.

Ses yeux me parcourent et je me contracte rien qu’en voyant la manière qu’elle a de me dévorer du regard, encore plus lorsqu’elle ajoute :

– À l’instant où je t’ai aperçue, j’ai eu envie de me retrouver entre tes cuisses…

Elle n’attend pas de réponse de ma part avant de glisser sa tête sous ma jupe. Honnêtement, je ne sais pas laquelle de nous deux gémit le plus fort en sentant sa langue contre moi.

M’appuyant d’une main en arrière, je soulève ma jupe de l’autre, avant de glisser mes doigts dans ses cheveux.

– Mhh… Si... j’avais su... on aurait pu être en train de faire ça.... depuis 30 minutes.

Je la sens rire plus que je ne l’entends, et j’ai limite envie de m’auto donner une tape dans le dos en voyant les vibrations que ça crée.

Ma coloc, quelle coloc ? Ça me fait du bien de penser à autre chose, il ne faut pas que je remplace mon ex par une autre situation malsaine pour moi.

Je sens l’un de ses doigts se présenter à l’entrée de mon sexe et je donne un coup de bassin dans sa direction, espérant que ça suffise à lui faire comprendre ce que je veux.

Hmmm…

Suffisant effectivement.

Faiblissant à vue d’œil, je place mon dos à plat sur le plan de travail, agrippant le rebord au niveau de mon cou et appuyant ma tête sur mon bras plié.

L’appartement est totalement silencieux et ça m’excite que les seuls bruits que l’on entende soient liés à sa langue et ses doigts qui travaillent sans relâche entre mes cuisses.

Les vagues successives de plaisir montent rapidement et je lâche ma prise sur le comptoir pour dégager quelques mèches de cheveux de son visage. Je penche la tête en arrière, partiellement dans le vide et les paupières fermées, me concentrant sur les sensations. Sentant que j’approche du but, ma prise dans ses cheveux se resserre et j’ouvre les yeux, voulant lever la tête pour jouir en la regardant faire.

Mais mes yeux viennent directement croiser ceux de Kara. La pièce est très faiblement éclairée, mais je n’ai pas l’ombre d’un doute que la forme sombre sur le canapé est ma nouvelle colocataire, en train de me fixer en silence.

Je n’ai pas le temps de comprendre ce que ça signifie avant d’atteindre le point de non-retour.

Le plaisir me gagne et je suis incapable de détacher mon regard de celle à laquelle je ne devrais SURTOUT pas penser à ce moment-là.

Tout du long, Kara me fixe en retour.

29 septembre 2019

Hors Limites - Partie 1

Avant de commencer, quelques petites définitions juste des fois que : 

Streaming (locution) : Technique permettant de diffuser des flux de vidéos notamment, en temps réel et de manière continue.

Streamer (personne) : individu diffusant des vidéos en direct pour une audience.

Twitch : Twitch, ou Twitch.tv, est un service de streaming et de VOD de jeu vidéo, de sport électronique et d'émissions apparentées.

 

Au moment où j'écris ces lignes, à ma connaissance ( = recherche du nom dans Twitch), le pseudo n'existe pas ou n'est pas utilisé par une streameuse. Si jamais il venait à l'être à l'avenir, la personne n'a strictement rien à voir avec cette histoire, qui est une "oeuvre" de fiction ! 

Pour expliquer un peu le plan de leur appart, j'ai réalisé ce fabuleux modèle (xD c'est moche, mais c'est l'intention qui compte). Ça n'est pas évident, mais il y a une fenêtre face au bureau de la chambre de Naomi et la même dans la chambre opposée. (Oui, c'est bien une capture du jeu auquel vous pensez, et il faut imaginer ça en appart au premier étage d'une maison découpée, j'avais la flemme de prendre de la hauteur)

 

appart_explique

 

========

 

Levant les yeux au ciel, je m’exclame :

– Mais pour qui tu me prends ?

Aaron me fixe et répond calmement :

– Tu sais très bien de quoi je parle ! J’ai vu passer suffisamment de conquêtes pour toute une vie !

– Ça fait un moment que j’ai pas ramené de “conquête” comme tu dis ! Et pour ta gouverne, toutes étaient consentantes.

Il s’empare de ma main, dans un mouvement destiné à me calmer :

– Hey… j’essaie pas de te faire passer pour ce que tu n’es pas. Désolé. T’avais tes raisons et même sans ça, c’est pas mes affaires.

– Exactement !

– Je ne voudrais juste pas que ça le devienne.

Oh my God !! Mais qu’est-ce qu’il faut pour qu’il comprenne ?!

– On a besoin de quelqu’un d’autre pour le loyer. C’est toi qui as suggéré ta petite sœur ! Maintenant si tu penses que je suis incapable de me retenir de sauter sur tout ce qui bouge, on peut aussi rencontrer de parfaits inconnus en guise des colocs potentiels !

Il semble réfléchir un instant avant d’arriver à une conclusion :

– Nan, c’est ok… Tu promets ?

Essayant de dissimuler mon exaspération, je réponds tout de même dans un soupir :

– Oui, promis je n’ai pas l’intention de me jeter sur ta très certainement irrésistible petite sœur.

Lui adressant un sourire faussement mielleux, j’attends son verdict :

– … Ok. Merci.

Malgré son manque évident d’enthousiasme et de confiance en moi, je préfère ne pas m’éterniser sur le sujet :

– Ça m’arrange, je dois partir toute la semaine prochaine. Elle pourra prendre ses marques, je compte sur toi pour lui expliquer les règles de base.

– Ahh oui c’est vrai, le salon pro dont tu m’avais parlé. Je ferai de mon mieux, mais si j’étais toi, je n’hésiterais pas à faire un rappel à mon retour.

Il n’a pas tort. Autant Nathan est un coloc de rêve, autant Aaron est dur de la feuille en ce qui concerne les règles de base à respecter.

==========

De retour à l’hôtel, je m’allonge avec soulagement sur le lit. Tous mes clients ont adoré leurs costumes et le mini bout de stand que l’on m’a donné pour présenter mon travail porte ses fruits. J’ai peut-être passé des heures debout, mais j’ai eu de nombreux contacts. C’est une bonne chose !

Tendant la jambe, je traîne mon pc portable jusqu’à moi avec mon pied, ayant la flemme de bouger.

J’ouvre l’appli Twitch et consulte la liste des streamers en direct. Mhh… Pas grand-monde ce soir. Mon regard s’arrête net sur un pseudo connu.

Yes, elle est en ligne !

Immédiatement, son visage familier apparaît sur l’écran et je m’empresse de dire bonjour dans le chat.

Sa voix légèrement rauque de nature, me répond “Salut Mazikeen”. C’est fou le sentiment d’appartenance à une communauté qu’elle arrive à créer. Je la regarde jouer, comme toujours enchantée par le ton enjoué de son stream et son charisme naturel.

Ok, il se peut que je sois modérément sous le charme de ma streameuse préférée. Si ça fait de moi quelqu’un de pathétique, soit. Mais après des journées à galérer pour me faire un nom en tant que costumière, ça fait du bien de décompresser dans une atmosphère amicale et détendue.

Ce soir comme beaucoup d’autres, j’ai bien l’intention de m’endormir au son de sa voix.

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 Je déverrouille la porte et prends un instant pour me préparer. Les premières rencontres sont souvent décisives et je ne veux pas rater celle-là. Non seulement elle va vivre sous mon toit, mais en plus c’est la petite sœur d’Aaron. Honnêtement, je ne sais pas trop à quoi m’attendre, il n’a pas été très bavard à son sujet, elle a toujours fait partie de son jardin secret.

Je ne devrais pas tarder à obtenir des réponses…

J’ouvre la porte et découvre ma nouvelle colocataire affalée sur le canapé dans une tenue décontractée. Son profil me paraît étrangement familier et...

Fuck me…

Sérieusement ?

Devant moi se trouve Kara, ma streameuse préférée. Comme d’habitude, ses cheveux blonds sont détachés et relativement décoiffés. Ses yeux bleus à moitié ouverts se posent sur moi et mettent quelques instants à se focaliser. Immédiatement, elle bondit hors du canapé et vient me faire la bise, se présentant :  

– Oh. Tu dois être la colocataire mystère. Kara, enchantée.

– Naomi, de même.

Est-ce que je devrais lui dire la vérité, que je la connais ?

Si elle l’apprend ultérieurement, je passerais pour la nana louche qui la suit sur les réseaux sociaux en restant volontairement dans l’ombre. Mais si je lui dis d’entrée, je risque de me faire cataloguer en tant que fangirl de service, ça pourrait la mettre mal à l’aise… Arghhh.

Advienne que pourra :

– À vrai dire, Aaron m’avait caché que sa petite sœur était connue…

Elle fronce les sourcils et pince les lèvres, comme ça peut lui arriver lorsqu’un jeu la rend confuse et demande :

– Connue ?

M’amusant de son air déconcerté, je lui donne un os à ronger :

– Miss_Sassy_Pants ?

Immédiatement, ses yeux s’écarquillent de manière comique :

– Tu as déjà regardé mes streams ?

La “connaissant” suffisamment pour supposer qu’elle ne le prendra pas mal, je m’amuse de l’avantage qui m’est donné :

– C’est possible...

– C’est quoi ton pseudo ?

Voulant la faire mariner, je fais mine d’hésiter :

– Je sais pas trop si je dois te le dire…

Contre toute attente, elle n’essaie pas de m’extirper les vers du nez et me provoque juste :

– Oh, t’assumes pas... C’est ok Stalkerish, on n’est pas tous parfaits…

Elle me sourit par-dessus son épaule en retournant s’installer sur le canapé.

Je rêve ou elle vient d’insinuer que je suis le type qui postait des commentaires vraiment flippants dans le chat et qui s’est récemment fait bannir pour avoir dépassé les bornes ?

Refusant de la laisser avoir le dernier mot et sachant qu’elle ne pense pas vraiment que c’est moi sinon elle serait certainement en panique, je surenchéris :  

– Ça m’a brisé le cœur que tu m’exclus… Mais maintenant j’ai mieux que la Cam ! On va bien s’entendre toi et moi…

Je ponctue ma phrase d’un clin d’œil accompagné d’un frottement de mains, persuadée qu’elle va prendre ça à la rigolade, voire même rentrer dans mon délire. Moi qui m’attendais à ce qu’elle joue les vierges effarouchées, je manque de m’étouffer sur ma salive lorsqu’elle répond d’un ton suave :

– J’ai hâte…

Ses yeux viennent se fixer dans les miens et je me déteste de ne pas réussir à soutenir son regard plus de quelques instants.

J’ai un côté timide ok ?

Détournant la tête en premier, je suis malgré tout ravie d’entendre le rire que j’aime tant s’échapper de ses lèvres, même à mes dépens.

Ok.

Pas cool.

Briefing stratégique dans ma chambre, illico.

Resserrant ma prise sur mon sac de voyage, je lance :

– Je vais déposer mes affaires et si tu veux on pourra parler du fonctionnement de la coloc, le connaissant, ton frère t’en a probablement donné une version très sommaire…

– Avec plaisir !

Larguant mes bagages au sol, je m’adosse à la porte et prends une seconde pour réaliser.
La personne que je passe des heures à regarder jouer est ma coloc et j’ai déjà l’impression de la connaître. Elle est aussi la sœur de mon pote et totalement chasse gardée. Évidemment, en plus il fallait qu’elle soit carrément plus belle en vrai.

Nickel.

Nan, vraiment, parfait !

Passant mes mains sur mon visage, j’essaie de me raisonner :

– C’est ok Naomi, tu peux tout à fait gérer. Garde bien à l’esprit que c’est la sœur d’Aaron et que tu ne la connais pas en dehors du Net. Ce n’est pas parce qu’elle est drôle, pas bête et physiquement plaisante qu’elle est irrésistible…

Rassurée dans l’idée que je mérite plus de crédit qu’Aaron ne m’en donne, j’attrape quelques affaires de rechange et sors prendre une douche rapide. Ça va faire du bien d’effacer les traces du voyage !

Fraîche comme la rose (ou presque), je retourne dans le salon, où Kara est dans la même position qu’un peu plus tôt :

– Hey.

Elle m’adresse un signe de tête et rétorque :

– Stalkerish.

Je lui lance un regard blasé, auquel elle répond par un sourire en coin.

– Prête pour le tour des règles de la maison ?

Elle se redresse et amène sa main tendue à son front dans un salut militaire :

– Prête mon capitaine !

Ok. Sa manière d’agir pourrait être considérée comme mignonne, mais je ne suis pas du genre à me laisser facilement impressionner :

– Si j’avais dû poursuivre une carrière dans l’armée, j’espère bien que je serais au moins général !

– Tsss… Difficile à satisfaire, je vois.

Je suis assaillie par des flashs d’elle tentant de me satisfaire d’une tout autre manière, et décide qu’il est plus sage de ne pas m’embarquer sur un terrain glissant :

– Bon… Je pense que nos règles sont raisonnables : laisser l’espace commun propre, si tu salis quelque chose, tu le nettoies, ton bazar reste dans ta chambre si tu n’es pas en train de t’en servir....

– Jusque-là ça me va...

– Chacun est responsable des dégradations qu’il fait et des éventuelles répercussions sur la caution. Tu peux t’amuser à dessiner sur les murs, mais c’est toi qui financeras la peinture… Tu me suis ?

– Je te suis !

Je me dirige vers la cuisine et commence mon speech :

– Techniquement, on est supposés faire à manger à tour de rôle. Dans les faits, c’est souvent Nathan qui s’y colle, je vous laisserai vous arranger entre vous. La vaisselle va dans le lave-vaisselle et on le vide quand on voit qu’il a fini de tourner. Rien de sorcier. Pour la nourriture, j’imagine qu’Aaron t’a expliqué notre système ?

Elle acquiesce d’un signe de tête. Il est temps d’aborder la partie gênante, car je suis 100% certaine que mon coloc n’a pas évoqué ce sujet avec sa petite sœur. Elle n’a que 2 ans de moins que moi, et du haut de mes 27 ans je sais que c’est un point qu’il est utile de préciser.

– Nickel. Ah oui : PAS de sexe sur le canapé. Si tu dois absolument céder à tes pulsions dans l’espace commun, je répète : pas sur le canapé, c’est du cuir et on s’occupe de le nourrir avec les produits adéquats, il n’est pas nécessaire d’y étaler tes fluides corporels. Dans tous les cas, si vraiment ça ne peut pas être fait dans ta chambre, merci de désinfecter les lieux après.

Kara combat vaillamment le sourire qui menace de se glisser sur son visage :

– Donc… Pas sur le canapé ? Même pas sur l’accoudoir ?

Refusant de rentrer dans son jeu, je lui adresse un regard entendu et continue comme si elle n’avait rien dit :

– De même, si le volume sonore d’éventuels ébats pouvait rester raisonnable, je suis sûre que ton frère, Nathan et moi t’en serions reconnaissants. Surtout ton frère.

À peine ma phrase terminée, elle explose de rire.

J’attends patiemment qu’elle ait fini, luttant contre le sourire qui tente de gagner mes lèvres.

– D’autres règles ?

– Tu sais comment on fonctionne avec le ménage ?

– Oui.

– Alors c’est tout pour moi ! Si t’as des questions…

– Une seule.

– Je t’écoute.

À sa tête, ça va être une connerie, et effectivement :

– Pour le canapé, c’est définitif ?

Tendant le bras, index pointé, je m’exclame :

– File tout de suite avant que je m’énerve.

– Oh ça va, ça va. On t’a déjà dit que t’es une rabat-joie ?

Croisant les bras pour signaler que je ne suis PAS impressionnée par sa tentative d’humour, je réplique :

– Oui, ton frère me le rappelle tous les jours.

Elle passe son bras autour de mon épaule et lance d’un ton amusé :

– Je sens qu’on va bien s’entendre toi et moi.

– Pas étonnant. Ma mère m’a toujours dit que j’étais adorable. Je ne peux pas en dire autant de tout le monde…

– Je n’en doute pas. Tout comme je suis certaine qu’elle est très objective…

Choisissant de ne pas commenter, je m’installe sur l’un des fauteuils tandis qu’elle reprend sa position sur le canapé.

Je n’ai pas le temps de demander ce qu’elle regarde que Nathan rentre dans l’appart, accompagné d’un inconnu plutôt mignon.

– Hey ! Oh, Naomi, t’es revenue ! T’es rentrée quand ? Comment ça va ? Alors, ce salon ?

Riant, je me lève pour lui faire la bise et lance :

– On se calme, une question à la fois. Ça va et toi ? La convention ça a été merci.

Je m’apprête à demander à mon ami si le mec est son petit copain lorsque ce dernier se penche sur Kara pour déposer un baiser au coin de ses lèvres avant de se tourner vers moi, main tendue :

– Mathieu, enchanté !

Ok, petit copain, mais pas de Nathan donc. Essayant de ne pas céder à la tentation de le détester parce qu’il a les faveurs de Kara, je lui souris et lance : 

– Naomi, de même !

Nathan semble réaliser quelque chose et plutôt que de répondre à la question, s’exclame :

– Oh c’est vrai, vous ne vous étiez pas vues !

M’attrapant par les épaules, il me tourne vers lui et demande :

– Alors, tu penses quoi de notre nouvelle addition ?

Consciente que Kara ne perd pas une miette de notre échange, je me penche pour lui chuchoter à l’oreille :

– Officiellement, je réserve encore mon pronostic. Officieusement —et que ça reste entre nous… – elle marque déjà énormément de points en étant ma streameuse préférée.

Il se recule et on voit à son visage qu’il vient d’apprendre une nouvelle croustillante qu’il apprécie à sa juste valeur :

– Ouhhh… Ça devient intéressant !

Évidemment, elle ne résiste pas à la tentation et s’enquiert :

– On peut savoir ce qu’elle a dit ?

Voulant éviter à Nathan d’avoir à répondre tout en pouvant sortir une horreur, j’invente :

– J’ai demandé s’il avait gardé le numéro des autres candidats, juste au cas où…

Plutôt que de s’offusquer, Kara se contente de marmonner, sans quitter les yeux de la télé :

– Mathieu, tu peux la frapper stp, j’ai la flemme de me lever ?

Le pauvre petit n’avait rien demandé et se retrouve tellement mal à l’aise que je prends pitié de lui :

– Nul besoin, je vais dans ma chambre, et Kara ?

– Oui ?

– Souviens-toi : l’accoudoir, c’est non aussi.

Les deux garçons m’adressent des regards confus que j’ignore somptueusement, partant comme une reine.

======

Entendant mon prénom, je sors de ma chambre pour retrouver tous mes colocataires dans la cuisine. Tandis que je salue Aaron, Nathan m’annonce :

– On pensait commander des pizzas et se faire une soirée télé entre nous, t’en dis quoi ?

– Avec plaisir !

Malgré moi, mon regard se pose sur Kara. Elle est supposée streamer ce soir, ça ne lui ressemble pas de ne pas respecter son emploi du temps. Mais ce ne sont pas mes affaires et le mentionner ne ferait que mettre en évidence que j’ai mémorisé son planning… Ce qui n’est pas le cas bien sûr, ce serait ridicule.

C’est vraiment étrange d’avoir hâte d’apprendre à la connaître en ayant l’impression que c’est déjà le cas. Parce que même si l’on n’a pas forcément beaucoup échangé directement, j’ai pu voir sa manière d’être, de penser…

Une fois les pizzas commandées, on reste assis autour de l’îlot de la cuisine à discuter.

M’adressant à Aaron, je demande : 

– C’est toujours bon pour commencer mon entraînement courant de semaine prochaine ?

– Oui oui, t’inquiètes.

Nathan y va de son commentaire :

– Je ne sais vraiment pas pourquoi tu as l’intention de t’infliger ça…

Amusée, je rétorque dans un sourire en coin :

– Tu parles du sport ou de la compagnie d’Aaron ?

– Les deux !

Habitué à ma manière d’être, pour toute réponse, Aaron lève les yeux au ciel tandis que sa sœur annonce :

– Au moins ça me rassure de voir qu’il n’y a pas que moi que tu portes en haute estime Naomi…

Allant jusqu’à braver la mort en me pinçant la joue, Nathan s’exclame :

– Oh ne t’y trompe pas, c’est sa manière de montrer son affection.

Repoussant sa main sans ménagement et lui lançant un regard noir, je marque une pause avant de faire face à Kara, précisant :

– Il ment.

La sonnette retentit, me sauvant. Je ne me fais pas prier pour aller accueillir le livreur et récupérer nos pizzas.

– Bon app !

Trois “bon app” me répondent en chœur.

À peine le carton ouvert, je réalise que j’ai vraiment faim et comme tout le monde à table, commence immédiatement à manger.

Entre deux bouchées, on essaie de se mettre d’accord sur le film ou la série qu’on va regarder ce soir. Finalement, sous l’influence de Nathan et Kara, on opte pour Spartacus.

Je ne suis pas dupe...

Ça fait longtemps que la série est terminée alors ils ont probablement choisi ça pour pouvoir reluquer à loisir des hommes musclés semi-nus et luisants. Autant dire que je ne partage pas leur enthousiasme pour ces attributs, même si je ne peux que reconnaître que certains acteurs sont beaux. Mais bon, ça fait un bail que je n'ai pas regardé d'épisode alors pourquoi pas.

J’ai hâte que Kara fasse moins la maline lorsqu’il y aura une scène de sexe alors qu’elle sera entourée de son frère et deux quasi inconnus !

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20 minutes plus tard, je regrette déjà.

Les trois pervers autour de moi n’ont pas l’air perturbés du tout, Aaron se rapprochant même de l’écran, tandis que je suis mortifiée de voir ça en leur présence.

Qu’on soit bien d’accord, je ne suis pas une prude, la scène en soi ne me dérange pas, mais avec eux à côté… Disons que c’est presque aussi gênant que l’idée de regarder un porno en compagnie de ma mère. Merci, mais non merci.

Partageant le canapé, mais pas mon tourment, Kara se moque :

– Tout va comme tu veux Naomi ? Tu m’as l’air un peu rouge…

J’ai dit que je l’appréciais ? Nan oubliez, je ne l’aime pas du tout. Un vrai suppôt de Satan.

Grommelant, je me contente d’un faiblard :

– Pas de doute, t’es bien la sœur de ton frère…

– Je plaisaaaante et pour être honnête, ça te va bien !

Elle ponctue sa phrase en tapotant ma cuisse et je vois Aaron plisser les yeux dans ma direction.

Hey, j’y suis pour rien, j’ai pas demandé à être moquée ou palpée !

Je reporte mon attention sur l’écran, tâchant d’ignorer la proximité de Kara et les menaces non verbales que son frère est en train de m’adresser.

Ça commence mal cette cohabitation, j’espère que ça ne viendra pas en travers de notre amitié…

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Je me recule pour admirer mon travail. Pas mal du tout, mais l’ourlet côté droit pourrait être un peu plus marqué… Hmm…

Mes pensées sont interrompues par quelqu’un frappant à ma porte.

– Oui ?

La tête blonde de Kara se glisse dans l’embrasure et elle demande :

– Je vais aller faire des petites courses, tu veux venir ?

Elle ponctue sa phrase d’un sourire timide et je reconnais son invitation à passer du temps ensemble pour ce qu’elle est.

Qu’une chose soit claire. Ça fait deux ans que je suis en coloc avec Nathan et Aaron et je n’ai JAMAIS mis les pieds au magasin, préférant largement me faire livrer ou passer au drive. J’ai ni le temps ni la patience pour ce genre de choses.

C’est pourquoi je suis la première surprise lorsque je m’entends répondre sans l’ombre d’une hésitation et même avec un certain enthousiasme :

– Avec plaisir !

Ok… Apparemment, si la requête vient de Kara, j’ai une espèce de réflexe pavlovien me poussant à accepter sans réfléchir.

Naomi, tu veux m’accompagner chez le pédicure ? Bien sûr !

Naomi, une visite à la pharmacie, ça te tente ? Clairement !

Naomi, et si on allait sauter dans ce feu de forêt ? Yes, j’arrive !

Pfff…

Abandonnant tout ce que j’étais en train de faire sans un regard en arrière, je l’accompagne jusqu’au magasin le plus proche.

Une conclusion s’impose : je suis un être pitoyable.

Enfin non. En gentille colocataire, j’essaie de faire en sorte qu’elle se sente bienvenue et acceptée.

Voilà.

Rien à voir avec le fait que j’ai envie de connaître tout ce qu’il y a à savoir à son sujet…

Par exemple, si j’apprenais que son petit déjeuner consistait en une plâtrée de choux rouge accompagné de rosé, ça casserait un peu le mythe !

Ne me demandez pas pourquoi quelqu’un voudrait manger ça de bon matin, il n’y a pas d’explication logique, c’est juste ce qui m’est venu en tête.

On se retrouve toutes les deux dans les allées, panier en main et mes zygomatiques me font déjà mal. Elle est absolument trognon. On jurerait voir une enfant, tous les mètres elle s’arrête et lance un “ouhhhh ça a l’air bon, tu crois qu’on devrait en prendre ?”, avant de se tourner vers moi avec de grands yeux.

Autant dire que j’ai estimé qu’il était absolument nécessaire d’acquérir : du préfou, des bonbons piquants, des cookies triples pépites de chocolat, quatre bouteilles de différents sodas et trois paquets de chips aux goûts improbables.

Pour ce qui est des vertus d’une alimentation saine, on repassera. Je ne sais pas comment elle peut être en aussi bonne forme physique en mangeant ces cochonneries…

Voilà pourquoi c’est mieux de faire ses courses en ligne : pas de tentation. Et si je peux éviter les petites vieilles qui se servent de leur caddie comme d’un tank et n’hésitent pas à vous aplatir les pieds au passage, on ne m’entendra pas m’en plaindre !

Quarante minutes plus tard, on se retrouve affalées sur le canapé, à regarder une émission sur le bushcraft, testant les capacités de survie des participants dans la nature, un paquet de chips entre nous.

Je n’ai jamais eu l’occasion de construire quoi que ce soit de mes mains, mais j’ai une vie entière d’expérience télévisuelle sur le sujet, c’est pourquoi je me permets de commenter allègrement :

– Tsk. Sa bauge ne va pas tenir, il met de l’herbe fraîche, tout le monde sait qu’il faut utiliser de la paille ou un équivalent, quelque chose de sec qui ne va pas pourrir à l’intérieur du mur !

Kara me lance un regard amusé et se moque :

– J’ignorais que l’on avait une spécialiste parmi nous !

Plutôt que de m’offusquer, j’opte pour une approche différente :

– Il y a beaucoup de choses que tu ignores à mon sujet, jeune Padawan.

– Je ne demande qu’à apprendre !

Deux minutes plus tard, alors que le présentateur vient inspecter leur construction, il fait EXACTEMENT la même remarque que moi. Me déclarer fière serait un euphémisme.

Sans dire un mot, je lève les bras au ciel et attends qu’elle me donne la reconnaissance qui m’est dûe. A moi la gloire !

Son regard blasé vient croiser le mien et elle finit par concéder sa défaite :

– Bon. Ok. Peut-être que tu sais de quoi tu parles.

– Merci !

On continue à suivre l’émission dans un silence confortable. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui se passe, mais je n’arrive pas mettre mon doigt dessus.

Elle vient tout juste d’emménager et pourtant je suis hyper à l’aise en sa compagnie. Probablement parce que je la « connais » déjà quelque part.

Après, au vu des sourires qu’elle m’adresse régulièrement et des regards complices qu’on échange, elle partage mon avis, c’est quasi sûr. Je ne sais pas comment c’est possible, étant donné qu’on est encore des inconnues, mais il y a un lien, une connexion. On est sur la même longueur d’onde.

Ok Naomi, calme-toi avant de lui demander de signer tes sous-vêtements.

C’est probablement ton côté “fan” qui s’imagine des trucs et elle qui est suffisamment sympa pour endurer sans broncher.

Et si j’ai l’impression de sentir son regard sur moi dès que mon attention est portée ailleurs, je prends simplement mes désirs pour des réalités.

Comment ferait-elle de toute manière ? J’ai un mal fou à ne pas la fixer en permanence. Sans compter le cher Mathieu, son copain.

C’est dur de faire la part des choses, je l’admets. Elle est exactement dans la vie comme à l’écran : de bonne humeur, hyper souriante, prenant tout avec humour… Typiquement le genre de personnalité qui illumine une pièce. La dernière des choses que je veux, c’est l’effrayer d’entrée en étant trop intense.

Trois heures plus tard, la voix de Nathan nous réveille. J’ouvre les yeux et me retrouve nez à nez avec Kara, qui n’arrête pas de cligner des paupières, un air confus sur le visage. J’ai des fourmis dans le bras et ses cheveux sont justement aplatis de ce côté-là.

On dirait bien qu’on s’est endormies comme des crottes ! Bras dessus bras dessous, collées comme il faut.

Une fois qu’on a compris ce qui se passait, notre attention se porte sur Nathan, qui nous regarde, sourire aux lèvres :

– J’en connais qui sont déjà à l’aise l’une avec l’autre.

Grognant, je m’étire et tâche d’émerger. Je ne dors JAMAIS en journée et mes colocs le savent très bien. Alors autant dire que me retrouver en train de faire une sieste improvisée avec Kara est quelque chose d’extrêmement surprenant. Et je n’ai pas spécialement envie qu’il lui fasse reconsidérer notre proximité avec ce genre de commentaires.   

Voulant certainement expliquer comment on en est arrivées là, Kara commet une boulette sans le savoir :

– On a été faire les courses ensemble, faut croire que négocier âprement sur la marque de chips à prendre rapproche !

Mes yeux s’écarquillent en même temps que ceux de Nathan. Et merde.

– Avec Naomi ?

– Oui.

Voulant probablement être sûr d’avoir bien compris, il hausse les sourcils et précise :

– Naomi t’a accompagnée au magasin ? Puis vous êtes revenues et vous êtes endormies devant la télé ? 

Kara m’observe d’un air confus et répond d’un petit :

– Oui ?

Je lance un regard noir à Nathan et passe mes doigts tendus de gauche à droite sur ma gorge dans le signe universel de “stop”, mais le mal est déjà fait :

– Wow. Aaron va pas le croire.

Avant qu’il puisse s’armer d’une pelle et m’enfoncer davantage, je mets fin au sujet :

– Nathan… Arrête de la faire marcher, c’est pas sympa.

Il ouvre la bouche, certainement pour remettre les choses dans l’ordre, mais un simple coup d’œil à mon visage promettant une vie entière de souffrances s’il me contredit suffit à le faire changer d’avis. L’avantage de côtoyer quelqu’un au quotidien, c’est que l’on est en mesure de développer une communication non verbale étonnamment efficace.

Il sourit d’un air entendu et j’ai conscience que je vais devoir m’expliquer ultérieurement, mais accepte de me couvrir :

– Pas cool. J’y étais presque !

Avant de pouvoir être incriminée pour quoi que ce soit d’autre, je jette un coup d’œil à ma montre et réalise qu’il faut que je me bouge si je veux espérer avoir fini mon travail à temps. Pour une fois, je ne peux pas dire que ça m’attriste.

22 septembre 2019

Hors Limites - Disclaimer

hors_limites

Sexe : ahem... OUI. Vous êtes prévenu(e)s. La lecture est prévue pour les personnes majeures et vaccinées uniquement ! Il est entre autres fait mention et usage d'un sex-toy, vous voilà prévenu(e)s.

Résumé : "On veut toujours ce qu'on ne peut pas avoir", c'est la conclusion à laquelle arrive Naomi, une fois qu'elle a rencontré la soeur de son coloc. Coloc à qui elle a promis qu'elle resterait à bonne distance... 

Rappel propriété intellectuelle : Je n'autorise pas la reproduction sur d'autres sites, encore moins si vous avez l'intention de vous l'approprier. Si vous aimez l'histoire, commentez, ne la volez pas. Ce(tte) oeuvre est mise à disposition selon les termes de  la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle : "L'auteur d'une oeuvre jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous [..] L'oeuvre est protégée du fait même de son existence." 

L'image a été trouvée sur un site de photos libres de droits (Unsplash). 

Nota : désolée d'avoir mis du temps à l'annoncer "officiellement". J'ai longtemps hésité à le faire car j'ai reçu beaucoup de messages désagréables ces derniers temps, je n'étais pas sûre que continuer vaille le coup si c'est pour me prendre des réflexions gratuites dans les dents. On verra bien comment ça se passe / je me sens après celle-ci. 

16 mai 2019

Partie 7

 

Sans réfléchir, je me rue en direction de Chloé. J'ai jamais tapé un sprint pareil. La voiturette approche rapidement et l'espace d'un instant, j'ai peur de ne pas arriver à temps. Elle relève la tête juste avant que je ne l'atteigne, lui rentrant dedans à pleine vitesse.

Une chose apparaît évidente, j'ai raté une carrière dans le rugby ou le foot américain, car je nous envoie toutes les deux valser comme des poupées de chiffon.

En plein vol, j'ai la présence d'esprit de placer une main à l'arrière du crâne de ma collègue, ne voulant pas avoir fait tout ça pour que son crâne vienne s'ouvrir en deux comme un oeuf lors de l'impact avec le goudron.

Notre atterrissage n'est pas du tout gracieux et j’essaie de me rattraper comme je peux sur ma cheville. Malheureusement, non seulement on s’étale quand même comme des crottes, mais en plus elle plie beaucoup plus que prévu.  

Le pépé distrait n'a même pas vu mon acte héroïque et continue sa route tandis que j'amène immédiatement une main à ma jambe.

Nan mais le danger public quoi, il manque de renverser des piétons et ne s’en aperçoit même pas !

A mes côtés, Chloé m'observe avec des yeux écarquillés, ses mains survolant mon corps, paumes ouvertes mais sans me toucher.

- Claire, ça va ?

- Putain de bordel de merde, ça fait mal ! Toi ça va ?

Elle se mord la lèvre inférieure et annonce :

- Oui. Merci.

Elle se relève et me tend une main, m'aidant à faire de même. Je reste à cloche pied, n'étant pas sûre qu'il soit sage de poser mon pied à terre sans savoir ce que j'ai.

Chloé place une main sur mon épaule, me stabilisant, tout en regardant au loin, sourcils froncés :

- T'as relevé la plaque ?

- Non. Toi ?

- Quelques lettres seulement, pas assez. Mais j'irais demander à voir la vidéosurveillance du parking et glisser tout ça à nos collègues, ce type ne doit pas rester sur les routes !

J'avoue que de là où je me tiens, c'est difficile d'être en désaccord avec elle. Ma cheville pulse à chaque battement de coeur et je peux la voir enfler à vue d'oeil. Définitivement pas une bonne réception.

- Le suspect, t'as vu qui c'était ?

- De dos, mais Salomé est reconnaissable, t'avais raison.

YASSSS ! * Danse de la victoire intérieure *

Je le savais !

Même si elle n'en fait pas état, je peux sentir que Chloé est déçue de ne pas l'avoir attrapée et essaie de la réconforter :

- Entre ton témoignage, la pièce à conviction et la vidéosurveillance, ça devrait suffir à la confondre. On va l'avoir quoi qu'il arrive.

Confuse, elle fronce les sourcils et me corrige :

- Y a pas de vidéo, elle a fui par la sortie de secours.

- Ouais, mais justement. Elle ne sera jamais repassée par l'accueil. Il suffit de voir qui est rentré, qui est sorti et de faire la soustraction.

Un petit sourire fait son apparition sur ses lèvres et je suis contente d'avoir pu la rassurer.

N'ayant pas oublié ce pourquoi on est là, j'entreprends de retourner à la salle à cloche pied.

Chloé lève les yeux au ciel et me contourne pour s'accroupir devant moi :

- Grimpe.

Elle est sérieuse là ?

- Nan, je t'ai vue souffler y'a deux minutes, t'es crevée.

Elle m'adresse un regard entendu, avant de me remettre à ma place :

- C'est pas 30 pauvres secondes de sprint qui m'ont fatiguée... Elle m'a envoyé un énorme conteneur poubelle dessus et entre l'odeur infâme et la gueule de bois, j'ai dû m'arrêter à cause de nausées. Sinon je l'aurais rattrapée, merci bien !

Haha, j'aurais payé pour voir ça ! Mais je ne peux pas lui dire alors je me moque à la place, lançant d'un air peu convaincu :

- Mh mh, si tu le dis.

Son visage se fait plus sérieux et elle annonce :

- Grimpe ou je te traîne.

Sachant qu'il est fort probable qu'elle mette sa menace à exécution, et ne tenant pas spécialement à galérer, je place un bras sur son épaule et enroule ma jambe endolorie autour de sa hanche avant de sauter sur son dos.

Elle encaisse mon poids comme si de rien n'était, commençant à marcher en direction de l'entrée de la salle, l'issue de secours s'étant automatiquement refermée derrière nous.

Une chose est limpide : il est temps pour moi de mettre fin à ma diète sexuelle puisque cette simple démonstration de force suffit à m'exciter... J'imagine toutes les circonstances dans lesquelles elle pourrait supporter mon poids et...

- Y'avait un cliché dans la cabine ?

Le retour de mon petit monde imaginaire est brutal et déplaisant :

- Oui. Immonde. Pire que les autres.

- C'est possible ?

- Tu verras par toi même. J'ai vraiment hâte de savoir le motif derrière tout ça, j'espère qu'elle va se mettre à table...

On arrive devant la salle et les portes automatiques s'ouvrent sur notre passage. Gladys nous adresse un regard effaré, se demandant très probablement ce qu'on fabrique. Non pas que je puisse la blâmer.

Autant vous dire qu'après ça, j'espère ne jamais plus la revoir de ma vie !

Chloé se dirige vers l'un des bancs de musculation et pose un genou à terre, me déposant tout en douceur et annonçant :

- Ok, laisse moi deux minutes pour appeler Sydney et une équipe de police scientifique et je t'amène à l'hôpital.

C'est son enquête aussi et après avoir autant galéré avant d'avoir des résultats, je n'ai pas envie de la priver des derniers instants. Ni de la vue de cette atroce photo.

- T'embête pas, je peux demander à Emilie de venir me chercher.

Chloé regarde autour de nous, s'assurant que personne n'écoute avant de s'accroupir et m'expliquer d'un air agacé :

- Tu as risqué ta vie pour me mettre hors de danger. C'était complètement crétin sachant que je m'en serais voulue s'il t'était arrivé quelque chose de grave, mais je t'en suis reconnaissante. Alors la moindre des choses que tu peux faire est de me laisser t'accompagner à l'hôpital, capice?

Ouh !

Oui maîtresse !

J'accepte les règlements de compte par fessée !

Enfin, je veux dire :

- Compris m'dame.

Son visage passe de la contrariété à l'amusement et c'est le regard rieur qu'elle me dépose un bisou sur le front avant de se lever, direction les vestiaires.



====

 

- C'est bientôt à nous tu crois ?

D’une voix qui trahit sa lassitude, elle m’indique :

- Non. On vient à peine d'arriver et la salle d'attente est comble.

Sa réponse ne me satisfait pas du tout, en ayant déjà marre.

J'ai envie de parler du baiser qu'on a échangé dans les vestiaires, de savoir ce qu'il veut dire, où on en est... Mais avec toutes ces personnes autour, ce n'est pas le bon moment.

J'ai besoin d'une distraction :

- Du coup, si c'était pas elle, pourquoi Maud t'a flashée ?

Chloé a l'air gênée et j'ai ma réponse avant même qu'elle ne parle :

- Ce matin, elle m'a proposé d'aller boire un verre un de ces quatre.

- Oh. Et t'as dit quoi ?

La direction qu'est en train de prendre notre conversation ne me plaît pas du tout.

- J'ai dit oui.

Petit miracle, mes yeux réussissent à rester à l'intérieur de ma tête même lorsque je les ouvre en grand, n'en croyant pas mes oreilles. Sans réfléchir, je m'exclame :  

- QUOI ?

Quelques têtes se tournent pour nous adresser des regards désapprobateurs auxquels Chloé répond d'un sourire gêné avant de se tourner vers moi, un air réprobateur sur le visage :

- Shhh, on est dans un hôpital. Et tu voulais que je fasse quoi ? Elle était notre deuxième suspecte et on avait besoin d'infos !

Mouais. Elle se donne pour la cause, bravo la martyr ! Si elle attend une médaille, j’espère pour elle qu’elle est patiente !

Je n'ai pas le temps de rétorquer quoi que ce soit que mon nom est appelé. Bah, de toute manière ce n'est pas bien grave.

Je me redresse, immédiatement suivie par Chloé qui m'offre son épaule en soutien. A deux, on clopine derrière l'infirmière jusqu'à un box. Je m'assieds au bord du brancard qui s'y trouve et même pas une minute après, une doctoresse franchement canon fait son apparition.

D'une voix mélodieuse, elle se présente comme étant Dr Jasmine Frost et me pose une question que je rate totalement. En même temps, avec ses cheveux corbeau en queue de cheval et ses yeux noirs, elle est carrément distrayante ! J'ai des circonstances atténuantes !

Chloé me file un coup dans l'épaule, sachant très probablement pourquoi il y a un délai dans ma réponse. Adressant un sourire désolé à la doctoresse, je demande :

- Pardon, vous pouvez répéter ?

C'est tout juste si je ne bats pas des cils, espérant avoir l'air mignonne.

Elle m'adresse un sourire charmeur, jette un coup d'oeil à l'ordinateur et s'agenouille devant moi, demandant :

- Vous avez fait une mauvaise réception sur votre cheville droite c'est bien ça ?

L'espace d'un instant, je reste juste à cligner des yeux, complètement fascinée par la vue du Dr. Frost à genoux devant moi. Fantasme #83, bonjour !

Chloé me rappelle à l'ordre sous la forme d'une moquerie accompagnée d'une pas-si-petite tape dans mon dos :

- Oui c'est ça. Mais vu qu'elle semble avoir des moments d'absence je commence à me demander si sa tête n'a pas pris un coup elle aussi.

Fuck.

Est-ce que je suis en train de rêver ou Chloé est jalouse ?

L'attitude passive agressive de ma collègue n'échappe pas à la doctoresse qui lui adresse un sourire entendu avant de s'adresser à l'idiote mutique que je suis, posant une main sur mon genou :

- Vous souhaitez que votre petite amie reste dans la pièce pour l'examen ?

Sa question me sort de mon silence, mais ce n'est pas franchement pour le mieux :

- Mugh. Quoi ? Elle pft moi non xfk. Euh...

Chloé est écarlate et pas beaucoup plus éloquente, tandis que l'on essaie toutes les deux de s'expliquer. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que cette consultation va être longue.

 

====

 

Deux jours plus tard, armée de béquilles, je me rends au bureau de Chloé, sachant que Salomé ne devrait pas tarder à venir se présenter suite à sa convocation. On a le résultat du relevé d'empreintes papillaires trouvées sur l'infâme photo.

Me voyant arriver, ma collègue fronce les sourcils. Je ne l'ai pas vue depuis l'hôpital et la première chose qu'elle me dit est :

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Lui adressant mon plus beau sourire, je me penche pour déposer un baiser sur sa joue avant de répondre :

- Bonjour Chloé, contente de te voir également ! Et je viens pour l'interrogatoire de la suspecte.

- Tu devrais te reposer, il ne faut pas fatiguer ta cheville.

- J'ai des béquilles et si tu crois qu'une petite entorse va m'empêcher de venir profiter du spectacle, tu te trompes !

La manière dont elle lève les yeux au ciel est adoucie par le sourire affectueux qui l'accompagne. Sachant probablement qu'il est inutile de discuter (après tout, je suis l'être le plus têtu de la galaxie), elle se lève pour m'apporter une chaise, la plaçant aux côtés de la sienne, plus proche que strictement nécessaire.

Non pas que je m'en plaigne.

Alors que je prends place avec grâce et élégance, elle s'empare d'un mug propre avant d'y verser du café et me le tendre.

- Merci.

Elle s'installe à mes côtés et commence immédiatement par me taquiner :

- Alors, dis-moi la vérité. T'es là pour espérer avoir le fin mot de l'histoire ou voir Salomé en difficulté.

Je porte la tasse à mes lèvres, sachant très bien que mon sourire n'est que partiellement dissimulé :

- Mh, un peu des deux. T'imagines si elle n'a même pas de mobile ? Qu'elle trouve juste ça cool ? Peut-être qu'elle espère créer des vocations masturbatoires !

Je ponctue ma phrase d'un frétillement de sourcils auquel Chloé répond d'un air absolument écoeuré :  

- Ew. Tu me dégoûtes.

Sachant que c'est beaucoup dire pour quelqu'un qui avait sa langue dans ma bouche il y a un peu plus de 48 heures, je ne peux pas résister :

- C'est pas ce que tu avais l'air de dire dans les vestiaires...

Je ponctue ma taquinerie d'un clin d'oeil, tout en réalisant qu'amener ce sujet n'était pas un coup de génie. On n'en a pas du tout parlé et je ne sais pas ce qu'elle en pense.

Et effectivement, l'atmosphère change et Chloé me sonde du regard avant de demander :

- Dîner chez moi une fois que tu seras remise de ta petite entorse ?

J'osais pas l'espérer mais suis absolument ravie de la tournure que prennent les événements. Mais avant, je préfère clarifier quelque chose :

- Ça dépend, c’est quand ton rencard avec Maud ?

Visiblement fière de me clouer le bec, Chloé rétorque :

- Jamais, j’ai annulé !

- Bon dans ce cas… T'es sûre de pouvoir attendre aussi longtemps ?  C’est quand même dans une semaine !

Elle m'adresse un sourire en coin, répondant du tac au tac :

- Et toi t'es bien sûre de toi tout à coup !

Haussant les épaules, j'opte pour l'honnêteté :

- J'essaie un nouveau truc : la confiance. Tu m'as dit que je te plais, alors je te crois.

Chloé hausse les sourcils en faisant la moue, faussement impressionnée, avant de répondre :

- Je crois que c'est une très bonne initiative et - une seconde.

Elle décroche son téléphone, faisant ainsi cesser la pire sonnerie de l'univers. Quelques secondes plus tard, elle repose le combiné et m'annonce :

- Elle est là. Je vais la chercher je reviens !

Je la regarde partir en souriant, contente que l'on soit à nouveau à l'aise l'une avec l'autre. On dirait bien qu'elle va me laisser ma chance malgré tout !

Quelques minutes plus tard, elle est de retour accompagnée de notre coupa- suspecte. Présomption d'innocence, Claire.

Salomé se laisse tomber dans la chaise de l'autre côté du bureau, passant sa langue sur ses dents, un air menaçant sur le visage. Elle croise comme elle peut ses énormes bras musclés que son débardeur met en valeur et me lance un regard assassin lorsque je lui envoie un "bonjour" un chouïa trop guilleret auquel elle ne daigne même pas répondre.

Je crois l'entendre marmonner un "des putains de flic, j'aurais du m'en douter" mais elle n'assume pas suffisamment pour le dire à voix haute.

Gros muscles, pas d’ovaires.

Imperturbable, Chloé s'installe et demande :

- Bon, j'imagine que vous savez pourquoi vous êtes là ?

Pour ses efforts, ma collègue est récompensée d'un véritable grognement :

- Non.

S'attendant à cette réponse somme toute typique, Chloé ne tarde pas à s'expliquer :

- Nous souhaitons vous entendre dans le cadre de l'affaire des clichés à caractère sexuel placardés dans la salle de sport.

Salomé nous regarde de la même manière que quelqu'un fixerait le la crotte de chien dans laquelle il vient de marcher :

- Et ?

J'ai un mal fou à me retenir de lever les yeux au ciel. Elle sait que Chloé l'a reconnue hier... Il n'y a pas 60 000 femmes qui une fois de dos, ressemblent à s'y méprendre à un taureau sur ses pattes arrières...

N'étant pas beaucoup plus disposée que moi à se laisser mener en bateau, Chloé passe à l'offensive :

- Et la question est : pourquoi ? Qu'est-ce qui vous a poussée à faire ça ?

Ma collègue garde ses mains au dessus du clavier, espérant certainement que cette fois elle va obtenir autre chose qu'une réponse monosyllabique. Salomé se repositionne, s'adossant encore plus à sa chaise, comme pour être le plus loin possible de nous :

- Je me rappelle pas avoir fait d'aveux.

Sa réponse m'extirpe un sourire et j'annonce :

- On va faire un relevé ADN à l'issue de l'audition, ça terminera de vous confondre. Pourquoi ?

Elle laisse s'échapper un souffle dédaigneux, comme si ce que je disais était ridicule :

- Z'avez rien contre moi.

Un lent sourire gagne les lèvres de Chloé, qui choisit de mettre en évidence ses contradictions :

- Pourquoi vous avez couru si ce n'est pas vous ?

- J'ai pas couru.

D'un calme olympien face à la montagne de muscles et de mauvaise foi devant nous, Chloé ajoute :

- Salomé... J'étais derrière vous. Je connais tous les gabarits des personnes présentes à la salle, je vous ai reconnue formellement et je suis prête à témoigner sous serment que c'était bien vous.

- Ta parole contre la mienne.

Agacée que comme la moitié des suspects, elle se permette le tutoiement une fois acculée, je décide d'intervenir bien qu'étant officiellement en repos, mettant mon grain de sel dans la conversation :

- Et aussi la caméra de vidéosurveillance qui a filmé tout le monde en train de quitter les lieux, sauf vous. Donc soit vous avez développé un incroyable don d'ubiquité et vous vous trouvez toujours sur place, soit vous êtes bien la personne qui s'est enfuie.

De très mauvaise grâce et après un temps de réflexion important, probablement nécessaire à l'élaboration d'une pitoyable excuse, elle annonce :

- J'avais peur que vous ne vouliez me mettre ça sur le dos, comme j'ai un casier...

Chloé annonce :

- Pour des faits minimes qui n’ont strictement rien à voir et vous le savez, arrêtez de changer le sujet. Pourquoi ?

Salomé fronce les sourcils et se penche en avant, mains sur les genoux, pour lancer d'un ton venimeux :

- J'en... Sais... Rien. C'est pas moi, faut vous le dire en quelle langue ?

Ouh, elle s'agace. C'est généralement bon signe avec ce genre d'individus. Ça montre qu'elle n'arrive plus à s'en tenir à ses réponses monosyllabiques du début.

Sentant qu'il est temps de pousser, Chloé en remet une couche :

- Puisque vous êtes totalement innocente, peut-être que vous pourrez nous expliquer pourquoi vos empreintes ont été trouvées sur la dernière pièce à conviction ? Oh, et pour les aveux, le français fera l'affaire.

C'est avec fascination que j'observe l'apparition d'une énorme veine au milieu du front de Salomé. La suspecte souffle comme un boeuf, ayant visiblement du mal à se maîtriser. Mais elle garde le silence.

Après trente secondes, je décide d'intervenir à nouveau, sachant que comme elle ne peut pas me blairer il est possible que ça constitue la goutte d'eau :

- C'est quoi le deal derrière tout ça ? Ça vous excite c'est ça ?

Elle tourne son regard vers moi et si je n'étais pas dans un commissariat en pleine journée, je serais probablement nettement moins tranquille devant la quantité de rage et de dégoût qui s'y trouve :

- Bien sûr que non !  

Oh donc Madame nous gratifie d'affiches pornographiques équivoques mais s'offusque qu'on questionne ses goûts et motivations ?

Ben tiens !

Chloé comprend qu'elle tient quelque chose et surenchérit :

- Alors pourquoi ? Par exhibitionnisme ?

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- Non ! Non pour qui vous me prenez ?

Ma collègue sent que c'est le bon moment pour jouer la carte de l'empathie :

- Là, tout de suite, on ne sait pas quoi penser. On a suffisamment de preuves pour vous confondre quoi qu'il arrive. On voudrait juste comprendre pourquoi. Sans compter que c'est dans votre intérêt de collaborer si vous ne voulez pas que l'on aille vers les mauvaises conclusions... Au vu de la nature des clichés, vous pourriez terminer au fichier des délinquants sexuels...

Elle essaie de le cacher, mais c'est évident que Salomé est ébranlée à cette idée. Sa jambe se met à tressauter et elle se mord la lèvre pendant bien quinze secondes avant de décider de passer à table :

- Ok, c'est bon. Oui, c'est moi.

Je me penche un peu en avant, excitée à l'idée d'avoir enfin le fin mot de l'histoire. Après m'être torturé l'esprit dans tous les sens à essayer de deviner, sans succès même après des heures passées seule dans un placard, je suis vraiment curieuse de savoir comment elle compte justifier ça.

- Avant l'ouverture de la salle, la patronne avait entamé des démarches pour faire partie de la franchise FitGoGo. Sauf que les franchisés ont une zone d'exclusivité commerciale contractuelle à respecter. Et l'emplacement empiète clairement sur la zone d'une autre salle.

Je me rappelle soudain la toute première fois où je me suis rendue sur place. C’est vrai que j'avais été interpellée par le nombre de clubs de fitness à proximité. Mais je ne suis toujours pas sûre de voir le rapport. Heureusement, une fois lancée, Salomé ne s’arrête plus :

- Même si elle n'y connaît rien en sport, elle a entendu que c'était porteur alors elle s'est pointée chez le franchisé en place pour lui proposer le rachat de son établissement. Il n'a pas voulu et elle est repartie comme elle est venue. Sauf qu'elle avait pris des photos des locaux, des programmes et des tarifs sans qu'il le sache. Et elle a ouvert sa salle quasi à l'identique, mais avec 5 € de moins sur le prix des forfaits et une meilleure flexibilité au niveau de l'abonnement. L’autre pouf a même tenté de recruter certains de ses coachs sportifs là-bas. Eux ne sont pas venus, mais une bonne partie de la clientèle, si.

Chloé profite d'une pause dans le récit pour terminer de taper l'explication et demander :

- Et comment vous en êtes venue à faire ça ? Je n'arrive pas bien à saisir le rapport.

Salomé déglutit et acquiesce d'un mouvement de tête, expliquant :

- Le franchisé, c'est mon mec. Il sait pas que j'ai fait ça, mais ça fait des années qu'il me soutient, m'accompagne en compétition et tout... Je pouvais pas laisser une poufiasse assoiffée de fric ruiner sa vie. Cette salle, c'est son bébé. Elle aime même pas le sport !

Ok, c'est un peu plus clair, mais pas de beaucoup.

- Mais pourquoi des photos pornos ?

- Elle a repris tous les codes de la franchise, les couleurs et le programme s'adressent clairement plus aux femmes. C'est elles la clientèle principale de ce que j'en ai vu. C’était une copie claire et nette de la recette miracle mais les responsables de la franchise ont refusé de lancer une action en justice.  Donc je me suis dit que si les nanas pensaient qu'il y avait un pervers dans les locaux, elles allaient vouloir se tirer de là rapidement. La salle de mon chéri est juste à côté et propose aussi des cours de base en self défense... Je placardais les photos et quand on me parlait d'insécurité, je mentionnais l'air de rien la prise de cours de self défense.

Putain. Maintenant qu'elle me le dit, je me souviens que Chloé avait mentionné entendre ça.

C'est vraiment hyper tordu, y a pas de doute, mais ça pouvait marcher.

Qu'est-ce que je raconte, ça a marché, plusieurs abonnées m'ont dit qu'elles ne comptaient pas rester.

J'avoue être déçue qu'il y ait une explication "logique" derrière tout ça. Je l'aime pas, j'avais aucun mal à l'imaginer en espèce de vicelarde malsaine...

Chloé hoche la tête en signe de "oui", terminant de taper la confession de Salomé, avant de demander :

- Et votre compagnon n'est pas mêlé à tout ça ?

Immédiatement, la suspecte le défend :

- Nan, il a rien à voir dans l'histoire si ce n'est que j'ai fait ça pour lui. Il méritait pas ce que lui a fait l'autre connasse... Il pense que je cherchais de nouveaux sponsors… Je voulais pas lui dire parce que sinon il aurait essayé de m’arrêter.

Chloé me regarde et je sais qu'elle essaie de déterminer si je crois Salomé.

Ça m'emmerde, mais oui. Pour le coup, je pense qu'elle dit la vérité. Si la salle est vraiment le "bébé" de son mec, il n'aurait pas voulu la mettre encore plus en péril.

- Et la personne sur les clichés ?

Elle hausse les épaules, comme si ça allait de soi :

- Des images de promo pour des films porno haute définition, recadrées pour pas que ça soit évident.

Oh. Charmant.

Chloé pose la dernière question à laquelle je m'attendais :

- Toutes issues du même film ?

Euh… elle a perdu la boule ? Elle veut en faire l'acquisition ou quoi ?

Salomé aussi à l'air de se demander où elle veut en venir, tant est si bien qu'elle grimace avant de répondre :

- Non. Après me demandez pas les titres, pour être honnête c'était peu ragoutant j'ai pas trop fait gaffe…

Sa réponse extirpe un sourire satisfait à Chloé qui se tourne vers moi et annonce :

- J'te l'avais bien dit que c'était pas la même femme ! Le grain de beauté !

Elle est sérieuse ? La petitesse de remettre ça sur la table, juste pour dire qu'elle avait raison :

- Oh ça va. Mais bon je te l'accorde, pour une fois que t'es dans le vrai…

 

====

 

Elle a de la chance que je daigne apporter du vin après avoir refusé de me voir avant mon rétablissement. J’ai dû patienter, c’est un scandale !

En vrai, ma cheville me donne toujours l'impression d'être un peu instable mais je n’ai pas l'intention de lui dire.

Dans l’ascenseur, mon téléphone portable vibre, m’indiquant l’arrivée d’un nouveau message. L’espace d’une fraction de seconde, je crains que Chloé n’ait changé d’avis, mais heureusement c’est un SMS d’Emilie :

Merde ! J’attends des remerciements pour mon coaching et un récit extrêmement détaillé à l’instant où tu quittes les lieux.

Bah voyons… Ne voulant pas la laisser s’emballer, je réponds immédiatement :

100 balles et un Mars aussi ? Et t’emballes pas, peut-être qu’elle veut juste célébrer la fin de l’enquête. Quoi qu’il arrive, je resterai muette.

Satisfaite de ma réponse, je sors de l’ascenseur, avançant dans le couloir et n’ai pas fait 3 mètres avant que mon téléphone ne vibre à nouveau.

Pff.  Comme si tu pouvais me cacher quoi que ce soit ! Considère-ça comme une manière de te faire pardonner pour les mois durant lesquels j’ai dû te supporter et te voir te plaindre de sa simple existence alors qu’elle n’avait rien fait.

Connasse ! Ça mérite même pas une réponse.

J’ai à peine frappé que la porte s’ouvre, dévoilant une Chloé à couper le souffle.

Deux choses me viennent à l'esprit :

  1. Pour avoir été aussi rapide elle devait être à proximité de l'entrée. (Est-ce qu’elle avait hâte que j’arrive ?)

  2. Je suis la femme la plus chanceuse de l'univers.

Ses yeux me parcourent des pieds à la tête et j’en profite pour faire de même. Elle porte un jean noir sans fioritures et un haut vert d’eau qui fait ressortir ses yeux, déjà laaargement mis en avant par un maquillage charbonneux qui lui donne l’air dangereuse.

Ses cheveux ébène sont lâches et tombent sur ses épaules en de sublimes grandes boucles.

Elle a fait des efforts, c’est évident.

Ha !

Amies, mon cul.

- Hey.

Je m'approche, place une main sur sa hanche et dépose un baiser un peu plus long que nécessaire sur sa joue, me reculant lentement.

Elle jette un coup d'œil à mes lèvres et ça me conforte dans l'idée qu’il ne s’agit ni d’un dîner entre collègues, ni d’une manière de me remercier de l’avoir poussée hors de danger.

Sa voix est quasi silencieuse lorsqu’elle me répond :

- Hey. Entre, je t’en prie.

- Merci. T’es superbe…

Elle se décale et j’en profite pour la frôler au passage, passant mon doigt le long de son avant bras et savourant la chair de poule qui s'ensuit.

Dans le couloir, je retire mon manteau et lui donne la bouteille que j’ai amenée. Je n’y connais pas grand chose, mais le pépé spécialiste que j’ai alpagué et supplié de m’aider dans les rayons du supermarché m’a dit qu’il était bon… Chloé prend mes affaires et pars les mettre je ne sais où dans un “je reviens, tu connais le chemin”.

Ne sachant pas si elle est maniaque, je laisse mes chaussures à l’entrée et arrive dans la pièce à vivre. Mes sourcils se haussent d’eux mêmes lorsque je réalise qu’elle a déjà mis une superbe table en place sur l’îlot de la cuisine. À l’instant même où elle est de retour, je lui fais savoir :

- Wow, si tu cherchais à m’impressionner, c’est réussi.

Un rose pâle vient teinter ses joues tandis qu’elle répond timidement :

- Attends au moins d’avoir goûté ce que je propose avant de me complimenter !

Immédiatement, mon esprit pervers m’amène là où elle n’a certainement pas voulu aller. D’ailleurs elle n’a rien proposé de tel !  

J’essaie de le dissimuler mon côté obsédée tant bien que mal, mais je vois le coin de sa lèvre frémir, comme si elle luttait pour masquer son amusement :

- Pas comme ça, perverse… Prends place, je t’en prie. J’espère que t’as faim !

Je m’exécute et lève les paumes dans sa direction, annonçant :

- Ok ok, étouffe mes espoirs dans l’oeuf. Et j’ai toujours faim !

- Bonne nouvelle ! Tu nous sers un verre de vin pendant que je ramène le plat ?

- Avec plaisir.

M’emparant du tire bouchon posé sur la table, je m’attèle à ouvrir la bouteille en ayant l’air de savoir ce que je fais.

J’ai à peine terminé de la servir qu’elle se retourne avec un plat dont l’odeur seule suffit à me faire saliver.

La première bouchée confirme mes craintes.

C’est foutu.

Je n’ai plus le choix.

Plus qu’à la séduire et la convaincre de m’épouser !

C’était déjà peu probable, mais maintenant c’est sûr, je ne trouverai pas mieux.

Malgré moi, je laisse s’échapper un son qui ferait fureur dans les doublages de films pour adultes et m’empresse de la complimenter avant qu’elle ne relève :

- C’est vraiment délicieux ! Je ne savais pas que tu cuisinais !

Elle termine sa bouchée et m’explique dans un sourire nostalgique :

- C’est ce qui nous rapprochait ma mère et moi.

On continue de manger en silence et terminons par un sorbet citron-menthe maison. Chez elle, elle semble nettement plus décontractée qu’à l’accoutumée et ça me rassure de voir qu’elle se sent à l’aise en ma compagnie.

- On migre vers le canapé se regarder un petit film ?

- Ça me va !

Je la laisse choisir ce qu’elle veut regarder, espérant bien en rater une partie parce que je serai en train de l’embrasser…

On s’installe, côte à côte, sans se toucher mais suffisamment proche pour que je sente la chaleur de son corps. Je crois que c’est bon signe, ce canapé est immense et l’on est quasi collées.

Les premières minutes se passent dans un silence quasi religieux et je me décide à tenter gentiment ma chance.

Réduisant à néant l’espace entre nous, je pose ma tête sur son épaule et attrape sa main dans la mienne. Ne voulant pas la brusquer ou la mettre mal à l’aise, je demande :  

- Ça va comme ça ?

Plutôt que d’acquiescer, elle retire sa main pour passer son bras autour de moi, m’encourageant à me blottir contre elle dans un sourire.

Je n’hésite pas une seule seconde avant de m'engouffrer dans la brèche, me collant littéralement contre elle. De ce que je peux en sentir, son corps est doux, ferme, chaud et tout simplement divin.

Je passe une main le long de sa taille et tente de retourner au visionnage du film.

Sauf que c’est tout bonnement impossible.

Du bras qui m’enlace, elle me caresse du bout des doigts, peut-être même sans s’en rendre compte et ça me rend absolument dingue.

En plus, d’aussi près, je peux sentir le parfum floral que j’associe à présent à elle mais aussi d’autres notes, plus sucrées… Son odeur à elle. Celle de sa peau.

Et j’en veux beaucoup, beaucoup plus.

Abandonnant tout prétexte, je relève ma tête pour nicher mon visage au creux de son cou, laissant simplement mon souffle caresser sa peau dans un premier temps.

Chloé marque un temps d'arrêt dans sa respiration mais reste détendue, ce que je prends pour un feu vert.

Dans un premier temps, je me contente de la frôler du bout du nez, appréciant à sa juste valeur la chair de poule que mon geste crée. Mais bien vite, je ne tiens plus et place mes lèvres contre sa peau. Elle penche légèrement la tête et c'est tout l'encouragement qu'il me fallait. J'embrasse toute la peau que je trouve, me faisant violence pour ne pas l'embrasser elle ou remonter la main qui se trouve autour de sa taille. Si l'on doit en arriver là, c'est Chloé qui devra en prendre l'initiative. Je pense que mes intentions sont limpides.

Je remonte vers son oreille et prends son lobe entre mes dents, prenant bien garde de m'assurer que la caresse de mon souffle lui crée des frissons. Le bras autour de moi se resserre et du coin de l'oeil, je vois qu'elle ferme les yeux.

Cet instant de calme, d'acceptation de ce qu'il se passe entre nous, la manière dont elle se montre malléable sous mes lèvres est à l'opposé de la tension habituelle entre nous. Et pourtant, c'est maintenant, alors qu'elle semble avoir baissé sa garde, qu'elle m'excite le plus.

J'aime la Chloé qui prend les choses en main, mais cette version plus vulnérable me plaît énormément.

Après s'être laissée torturer pendant de longues secondes, elle resserre sa prise autour de moi et m'incite à venir me positionner à cheval sur elle. Il ne me faut qu'un millième de seconde avant de passer à l'action.

Ma jambe à peine de l'autre côté d'elle, ses mains viennent sur poser sur mes hanches, tandis que je place mes paumes à plat de part et d'autre de sa tête, contre le canapé.

Mon regard vient croiser le sien et il est évident que je ne suis pas la seule à désirer l'autre. Son regard émeraude est assombri par l'envie, même si j'y décèle des traces de vulnérabilité. Vu notre passé, à ses yeux me faire confiance représente certainement un risque.

Sans me quitter du regard, elle remonte une main le long de mon dos, par dessus mes vêtements, s'arrêtant à l'arrière de ma nuque et venant faire pression.

Je m'abaisse en même temps qu'elle se cambre légèrement, me retrouvant à mi-chemin dans un baiser brûlant.

On s'embrasse avec urgence, retombant à l'unisson contre le dossier. Sa langue vient retrouver la mienne et je ne sais pas laquelle de nous deux laisse échapper un gémissement d'approbation. Je fais glisser l'une de mes mains jusqu'à sa mâchoire, prenant le contrôle du baiser. Alors qu'elle cherche à approfondir le contact, ma langue se dérobe volontairement. Je cherche à l'allumer, qu'elle en vienne à prendre plutôt que de recevoir.

L'attente ne dure pas longtemps.

Elle place une main à plat dans mon dos, m'attirant à elle tandis que l'autre vient englober ma fesse dans une prise extrêmement possessive.

Cette fois, le gémissement étouffé que l'on entend est très clairement le mien alors que mon bassin bouge de lui même, cherchant à soulager la sensation entre mes cuisses.

La main dans mon dos vient se placer en bas de mon haut, se glissant en dessous avant de tirer délicatement dessus dans une question silencieuse.

Au prix d'un effort surhumain, je parviens à détacher mes lèvres des siennes et lève les bras pour lui faciliter la tâche alors qu'elle retire mon vêtement d'un mouvement fluide.

Si elle avait des réserves, on dirait qu'elles ont quitté les lieux alors qu'elle me dévore du regard. À cheval sur elle, je sais que ma poitrine généreuse est mise en avant par le soutien gorge noir et bleu électrique le plus sexy que je possède. J’étais pas sûre de comment la soirée allait se dérouler, mais ça ne veut pas dire que je n’étais pas prête !

Soudainement, la confiance que je porte en ma capacité à la séduire grimpe en flèche.

Sa main gauche retourne sur ma fesse, tandis que la droite part à la découverte de ma peau. Du bout des doigts, Chloé caresse mon cou, suit la ligne de ma clavicule, descend jusqu'à mon sein qu'elle contourne en en suivant le galbe. Ses yeux suivent le tracé et je pense qu'elle aime ce qu'elle voit puisqu'elle fait remonter sa main avec révérence, avant d'englober ma poitrine de sa paume.

Elle exerce une unique pression avant de craquer, joignant l'autre main à la fête.

Son front contre le mien, je la laisse m'embrasser quelque secondes avant de me reculer, ne voulant pas rater ma chance :

- Toi aussi.

Je mets le strict minimum de distance entre nous et m'empare du bas de son haut. Un coup d'oeil à son visage pour avoir confirmation et je soulève le vêtement. Faisant appel à un self control que je pensais m'avoir désertée depuis longtemps, je prends mon temps pour relever le tissu, savourant l'instant.

Une fois retiré, je le jette le plus loin possible sans regarder où il atterrit. J'ai bien mieux à faire....

Sous mes yeux se dessinent des kilomètres de peau parfaite, un ventre plat et une poitrine absolument superbe qu'un soutien gorge en dentelle noire dissimule partiellement.

Je viens croiser son regard et c'est d'une voix que je reconnais à peine comme étant la mienne que je lance :

- T'es absolument magnifique...

Chloé se mord la lèvre inférieure et passe une main dans son dos, dégrafant son soutien gorge.

J'ai les yeux rivés sur elle et ose à peine respirer lorsqu'elle enroule sa main autour d'un de mes poignets, l'amenant à son épaule, là où la bretelle est toujours en place.

Sans attendre d'encouragements supplémentaires, je l'abaisse et lui libère un bras, puis l'autre.

Son souffle est toujours court et la manière dont sa poitrine se soulève à chaque inspiration mériterait qu'on écrive un livre à ce sujet. Avec des images. Beaucoup d'images. Mais je serais la seule personne ayant le droit de l’acheter.

Elle est encore plus belle que je ne l'imaginais... Et pourtant j'ai imaginé !

Mes paumes restent un instant à survoler ses seins avant de les prendre en main, ce qui extirpe de Chloé le son le plus sexy au monde.

Ils sont sublimes, ni trop petits, ni trop gros, surmontés de tétons assez sombres qui contrastent avec sa peau. Je la masse, appréciant la manière avec laquelle elle se cambre pour avoir plus de contact avant de me reculer pour venir jouer des pointes érigées entre mon index et mon pouce.

Je suis tellement concentrée à la tâche que je mets quelques instants à réaliser qu'elle vient d'abaisser l'un des bonnets de mon soutien gorge. Par pur instinct, mes mains la quittent pour venir s'ancrer dans ses boucles ébène à l'instant où elle pose ses lèvres sur moi.

Fuck...

Je baisse les yeux et la vois, le visage à quelques millimètres de ma poitrine, sa bouche brûlante englobant mon téton. Le vert de ses iris est à présent totalement éclipsé et c'est d'un regard noir qu'elle me fixe, se reculant juste assez pour que je constate la prise qu'elle a entre ses dents. Elle la relâche, pour mieux la battre rapidement du bout de la langue. Malgré moi, mon bassin adopte un rythme assez proche, à la recherche d'une friction inexistante.

C'en est trop pour moi.

Je me débarrasse de mon soutien gorge et ne lui laisse pas le temps d'apprécier la vue avant de l'attirer dans un nouveau baiser. Profitant de sa distraction, je me décale pour venir chevaucher l'une de ses cuisses, laissant échapper un gémissement de soulagement en sentant son muscle sous moi. Je glisse une main à l'arrière de son crâne, au milieu de ses cheveux, comme j'ai rêvé de le faire des centaines de fois, tandis que l'autre descend en direction de son pantalon. Passant le revers de mes ongles sur ses côtes, ma descente est volontairement lente, lui donnant l'opportunité de m'arrêter. Lorsqu'elle ne fait rien, je fais sauter le bouton de son jeans avant de baisser sa braguette.

Elle interrompt le baiser quasi immédiatement :

- Ma chambre.

Le souvenir du fameux "juste une fois, pour t'oublier" est bien trop frais pour que je risque ça. Secouant la tête à la négative, je réplique :

- Non, ici.

J'aurais pu sortir une excuse du type "trop loin", mais la vérité est que j'ai malgré tout peur que ça soit mon unique chance avec elle. Alors j'aime autant faire en sorte qu'elle ne puisse plus s'asseoir ou même regarder ce canapé sans penser à moi.

Je me remets debout, contente que mes jambes flageolantes réussissent à soutenir mon poids et m'assure qu'elle n'en manque pas une miette alors que je me débarrasse lentement de mon pantalon, embarquant mes chaussettes au passage.

Rapidement, je me penche en avant pour amener mes mains à son jean. Une nouvelle vague d'excitation me parcourt devant la manière dont elle soulève instantanément ses hanches pour me laisser le champ libre. Je la libère et me détourne un instant pour jeter son pantalon. Lorsque je me tourne pour lui face face, je constate qu'elle a avancé, se postant au bord du canapé. Chloé m'adresse un sourire prédateur, faisant glisser ses mains de mes hanches à ma poitrine alors que ses lèvres viennent frôler la limite de mon sous vêtement.

Elle s'amuse de me voir frissonner sous ses lèvres et ses yeux pétillent lorsqu'elle glisse sa langue dans le creux entre l'os de ma hanche et le tissu.

De là où elle est, je suis certaine qu'elle peut me sentir et sais exactement ce qu'elle va trouver à l'instant où elle retirera le minuscule bout de tissu saturé qui me fait office de sous-vêtement.

Honnêtement ?

Tant mieux.

Après tout ça, autant qu'elle sache réellement l'effet qu'elle a sur moi.

Ses doigts quittent mes seins pour venir accrocher le bord de mon sous-vêtement. Chloé m'observe et sourit à nouveau lorsque j'acquiesce sans perdre un instant.

J'ai l'air impatiente ? C'est parce que je le suis !

Très vite, je ne porte plus rien sur moi.   

Chloé prend son temps pour me regarder, ne réalisant pas que si elle ne me touche pas rapidement, je risque d'imploser.

L'air frais me fait réaliser à quel point mon désir est transparent et je crève d'envie de retirer sa dernière barrière pour la voir elle aussi.

Mais avant que je puisse faire quoi que ce soit, elle passe la pulpe de ses doigts à l'arrière de mon genou, me donnant une petite tape pour m'indiquer de placer mon pied sur l'accoudoir.

Machinalement, je m’exécute tout en étant dubitative.

Nan...

Nhh nhh.

C'est pas pratique elle peut pas sérieu-

Hmffff, elle peut.

Je lutte pour garder les yeux ouverts, voulant graver cet instant dans ma mémoire. Sa langue est putain de divine et en d'autres circonstances, j'aurais honte de la manière dont mon bassin bascule immédiatement pour venir à sa rencontre. Mais aux vibrations que je sens au plus près de moi, je suis certaine de ne pas être la seule à apprécier...

Bien trop tôt, elle se recule aussi soudainement qu'elle a commencé et je me fais violence pour ne pas la suivre. D'une main, elle vient placer pouce et index de part et d'autre de mon sexe, avant de souffler, un air diaboliquement sexy sur le visage. Le courant d'air est à la fois trop et pas assez et je suis tentée de me dérober lorsque son autre main se place sur ma fesse et m'attire à elle.

Oh bordel, c'est reparti.

Cette fois, je suis incapable d'empêcher ma main de venir se plaquer à l'arrière de son crâne et je suis totalement éhontée dans la recherche de mon plaisir.

Sauf que je suis à dix secondes de jouir plus vite que Lucky Luke ne dégaine et bien que peu surprenant, ce n'est pas du tout le plan. Plutôt que de lui demander d'arrêter et risquer la confusion, je resserre ma prise sur sa tête et me recule brusquement, reposant mon pied au sol. À vrai dire, je me recule tellement vite que j'ai le temps de la voir fermer sa bouche et cette image va probablement me servir de matériel pour séances solos dans les années à venir...

Avant qu'elle ne puisse s'inquiéter, je lance :

- T'es un peu trop douée à ce jeu là... Et trop habillée.

Un sourire satisfait gagne ses lèvres encore luisantes et la manière dont elle passe sa langue dessus pour se "nettoyer" est juste maléfique. De la torture.

- On peut y remédier.

Elle s'adosse au canapé, jouant avec son sous-vêtement quelques secondes avant de l'abaisser, s'en débarrasser d'un mouvement de la cheville et d'écarter lentement les jambes, s'exposant à ma vue.

Mes yeux se posent immédiatement sur son sexe et je peux constater qu'elle est dans le même état que moi.

Ça tombe bien, j'en ai pas fini avec elle.

Elle est absolument parfaite et j’ai hâte d’explorer ce que son corps a à offrir…

J'ai l'intention de lui rendre la monnaie de sa pièce mais Chloé m'attire à elle, m'encourageant à chevaucher sa cuisse.

Sinon ça c'est bien aussi...

Je retrouve ses lèvres et me sentir encore présente sur sa langue manque de me faire basculer.

Une distraction.

Il me faut une distraction.

J'ai besoin de la toucher, de l'entendre gémir.

Je glisse un bras entre nous, ma main parcourant l'intérieur de sa cuisse avant de remonter vers la zone qui m'intéresse.

Sa voix se fait entendre à l'instant où mes doigts entrent en contact.

Il y a quelques temps encore, lui plaire me paraissait improbable mais j'en ai là la preuve incontestable.

Je frôle sciemment son clitoris, savourant la façon dont son bassin vient à la rencontre de mes doigts, cherchant plus de contact. Elle grogne et me mordille la lèvre mais ça ne me fait que sourire dans le baiser, sachant que pour ma part je passe un très bon moment avec son quadriceps.

Mon instant de gloire est de courte durée puisqu'elle recule sa cuisse pour faire place à sa main, n'hésitant pas avant de me pénétrer, sa paume plaquée contre moi.

- Hmpff. Tricherie.

Ok, c'est peut-être pas éloquent, mais je parle, ce qui constitue un petit miracle en soi.

C'est à son tour de sourire, puis mettre fin au baiser pour venir mordiller la jonction entre mon épaule et ma nuque, tandis qu'elle m'encourage à chevaucher ses doigts en accompagnant ma hanche de sa main libre.

Je décale la tête et me laisse faire le temps de réaliser qu'il s'agit d'une tactique de diversion.

Ne voulant pas être en reste, je vais placer mon majeur à l'entrée de son vagin, restant quelques secondes à la sentir se contracter pour essayer de m'attirer avant d'entrer en elle.

Elle laisse s'échapper un gémissement de plaisir et c’est une révélation : j'ai trouvé le nouveau but de ma vie.

Lui faire reproduire ce son encore et encore.

Elle penche la tête pour venir capturer mon sein du bout des lèvres et de la langue et j'ai toutes les peines du monde à rester concentrée. Je peux sentir la manière dont ses doigts fléchissent en moi et j'ai l'impression que tous mes sens sont exacerbés. Si j'avais su qu'elle était aussi douée de ses mains et sa bouche, j'aurais probablement couché avec elle, pari ou pas.

Malgré les distractions, Chloé se contracte rythmiquement autour de mon majeur et je pense qu'elle n'est plus très loin. Savoir qu'elle en est là alors que je l'ai à peine touchée ne m'aide pas à ne pas jouir instantanément. J'ajoute mon annulaire à l'équation sachant qu'elle est en mesure de l'accommoder et voulant qu'elle passe le meilleur moment possible.

Profitant de ma mobilité, je viens placer mon genou à l'arrière de ma paume et m'en sers pour toujours faire pression sur son clitoris. Dans cette position, mon poignet me fait un mal de chien mais je donne tout ce que j'ai lorsque je l'entends gémir contre moi. J'accélère le mouvement et Chloé est tellement perdue dans son plaisir qu'elle met plusieurs secondes à remarquer qu'elle n'est plus en moi alors que je me suis légèrement reculée pour gagner en confort, précision et puissance.

Après seulement quelques dizaines de secondes, sa tête bascule violemment en arrière, venant s'appuyer sur le dossier du canapé et son ventre est parcouru de multiples contractions. De là où je me trouve, je peux voir les vagues de plaisir la gagner et je l'accompagne du mieux que je peux, de mes doigts en elle à mes lèvres qui viennent caresser sa poitrine.

Quelques glorieux instants plus tard, elle retombe mollement et je cesse mes mouvements, mais pas de l’observer.

Elle reprend son souffle et ouvre un oeil pour me regarder, juste avant de se plaindre :

- Et tu oses me traiter de tricheuse !

Je l'observe, sourcils levés l’air de dire “ah ouais ?“ et rétorque :

- J’ai gagné à la loyale, t’es juste une mauvaise perdante.

Je ponctue ma réplique en retirant ma main, amenant mes doigts à mes lèvres et m’assurant qu’elle voit bien ce que je fais lorsque je les place dans ma bouche, la goûtant pour la première fois.

Et j’ai bien l'intention de réitérer, mais sans intermédiaires.

Ma provocation fait réagir Chloé, qui semble gagner un second souffle et m’ordonne :

- Debout.

À son ton, je suis nettement plus excitée qu’inquiète et m'exécute, me tenant sur mes jambes en coton et attendant la suite.

D’un signe de l’index, elle m’indique de me tourner.

Ce n’est pas ce à quoi je m'attendais mais je suis curieuse de voir où elle veut en venir.

Elle parcourt mon dos de ses mains, puis mes fesses, puis mes cuisses, avant de remonter et me tirer en arrière par les hanches.

J’ai peur de l'écraser mais réalise qu’elle s’est mise bien au fond et que je suis à présent entre ses jambes écartées.

Elle passe une main dans mes cheveux, décalant ma tête et en profitant pour venir jouer avec mon oreille.

Je place mes mains sur ses cuisses, la serrant pour l'encourager.

- Tu sais provoquer… mais est-ce que tu sais aussi recevoir ?

On verra bien mais j’aime beaucoup la direction que ça prend.

Elle termine en plaçant ses mains sur ma poitrine,réveillant tous mes sens.

Je m'entends marquer mon appréciation et ne sais pas si je dois me concentrer sur ce qu’elle me fait ou sur la délicieuse sensation d'elle nue dans mon dos. Sa bouche descend au niveau de mes trapèzes tandis que sa main se glisse bien plus au sud.

J’aimerais dire que je reste calme mais ce serait une grossière exagération, car à l’instant où elle me pénètre en mordillant mon épaule, je manque de me liquéfier.

Chloé ne me laisse strictement aucun répit et me prend à un rythme soutenu. Je laisse tomber ma tête en arrière, m'appuyant sur son épaule et haletant comme jamais. Je n’ai aucune idée de comment je peux ne pas être en train de jouir car le plaisir qu’elle me donne est carrément intense.

Chloé dépose un baiser sur ma mâchoire et je me tourne pour l’embrasser du mieux que je peux avant d'être remise dans le droit chemin :

- Regarde ce que je suis en train de te faire…

Elle soulève lentement son épaule pour m'encourager et je baisse les yeux pour faire le constat. Ses doigts plongent en moi et ressortent rapidement, sa paume venant frapper mon clitoris à chaque va et vient.

C'est sur cette vue que le plaisir m’envahit, mes yeux se fermant malgré moi alors que je suis parcourue de spasmes.

Normalement, c’est le moment pour moi de lui sortir une réplique maline sortie de mon chapeau pour ne pas lui laisser le dernier mot, mais mon esprit est totalement vide.

Le blanc total.

On pourrait entendre les mouches voler là dedans.

 

Passant mes jambes par dessus sa cuisse, je réunis ce que j’ai d’énergie pour me tourner sur le côté, me retrouvant perpendiculaire à elle.

Une seconde.

C’est le temps qu’il me faut pour passer de “parfaite satiété” à “du rab, filez moi du rab !”. Juste le temps de baisser les yeux et voir nos corps nus l’un contre l’autre.

Et cette fois, je pense qu'elle me laissera goûter ce qu’elle propose, quoi qu’elle ait dit tout à l’heure à table !

Profitant de mon inattention, elle capture mes lèvres dans un baiser très tendre qui contraste totalement avec ce qu’il vient de se passer. Je me recule et viens poser mon front contre le sien, demandant d’un ton amusé :

- C’est à ça que tu pensais en m'invitant à dîner ?

Elle laisse s'échapper un rire et joue avec mon nez du bout du sien :

- Haha, pour qui tu me prends exactement ?

On est loin de la Chloé “on dirait que je sors de chez le coiffeur” du quotidien.

Je lui adresse un sourire entendu avant de la remettre en place :

- Si tu veux jouer les vierges effarouchées, garde ça pour les gens qui n’ont pas vu ce que tu sais faire…

Elle se mord la lèvre et surenchérit d’un ton séducteur :

- T’as pas encore tout vu...

Chloé tente de se pencher pour m'embrasser mais aussi sublime qu’elle soit, cheveux ébène complètement décoiffés et yeux ayant perdu toute trace de vert, je l'arrête d’une main sur la cage thoracique.

- Nhh nhh… t’en as assez fait pour l’instant, je crois bien que c’est à mon tour de faire mes preuves… Allonge toi.

Son air confus se mue en une moue coquine et je ne crois pas l’avoir déjà vue bouger aussi rapidement de toute ma vie.

 

====

 

Il est 3 heures et quelques du matin, on vient de migrer sur son lit maintenant qu’elle m’a mise en confiance et je suis à deux doigts de partir dans les bras de morphée quand j’ai une question.

- Chloé ?

- Ouais ?

- T’as eu quoi comme médaille aux JO ?

- Pfft, j’ai fini 8ème.

Quoi ?

Ok Emilie n’a jamais dit qu’elle avait gagné, mais j'espérais ! Même pas au pied du podium quoi !!

D’une voix faussement dévastée, je m’exclame :

- J’y crois pas… Je viens de coucher avec une perdante.

Elle me file un coup sur le ventre avant de venir se blottir contre moi :

- Oh je sais pas, selon moi j’ai plutôt tout gagné ce soir.

Ça me fait sourire et je dépose un baiser sur le haut de sa tête, me contentant d’un simple :

- Pour être honnête, moi aussi.

 

FIN

 

Et voilàààà ! Merci à tous ceux qui ont participé et ceux qui ont / vont commenter ! 

Pour info, j'ai posté un récap des choix (et %) de chaque partie en commentaire de ce message, ainsi qu'une indication des idées que j'avais pour les alternatives, pour ceux que ça intéresse.

Je n'ai pas encore changé le titre car je voulais poster le plus tôt possible et je ne suis pas encore convaincue que ça ne va pas faire complètement foirer le menu. Lisez tranquillement, je changerais ça d'ici quelques temps ! 

Merci de ne pas reposter cette histoire sur un autre site / une autre plateforme. 

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8 mai 2019

Partie 6

- Va pour le bar... 

Ni une ni deux, elle attrape son sac à main, ferme derrière nous et nous voilà parties.

Lorsque je comprends qu’Emilie a l’intention de me traîner au bar où l’on va avec les collègues, elle ne me laisse pas d’autre choix que de râler :

- Sérieux ? Tu connais pas d’autres bars ?

- Pas aussi bien !

- Ouais mais le but c’est d’oublier toute cette histoire, pas de risquer de croiser des gens qui m’y feront penser !

Emilie lève les yeux au ciel :

- Arrête de pleurnicher. Y’a plein de monde, ça va être cool.

Même si mon instinct m'indique que c'est probablement une mauvaise idée, je suis ma collègue à contrecoeur. Après tout, vu ses exploits des mois passés, mon intuition peut aller se faire voir...

- Ouh, il y a une table qui se libère, go go go, file comme le vent, je vais commander.

Ni une ni deux, Emilie me bouscule dans la direction souhaitée, se ruant pour sa part vers le bar. J'espère juste qu'elle va garder à l'esprit qu'on bosse demain. Aller faire du sport l'après-midi avec une gueule de bois de l'enfer ne me fait pas du tout envie !

Lorsqu'elle revient avec un mètre de shooters, il est clair qu'elle n'a pas reçu le mémo.

- Emilie ! Je suis supposée être en mesure de rentrer chez moi après !

Loin d'être repentie, elle me fourre un verre dans la main, lançant :

- Bah, t'auras qu'à dormir à la maison. A ta connerie !

Mon regard est clair, il dit "vraiment Emilie ?". Pas impressionnée, elle rétorque sans sourciller :

- Quoi ? Tu dois avouer qu'il y a matière à célébration, elle a atteint des proportions inégalées !

Malgré moi, ça m'extirpe un sourire. Levant mon shooter, je surenchéris :

- A ma connerie, qui impose le respect !   

- C'est ça, t'as saisi l'idée !

Alors qu'il descend dans ma gorge, l'alcool m'apporte sa chaleur familière et un peu de réconfort. J'espère vraiment que je vais réussir à arranger les choses avec Chloé. Je me demande quelle serait la meilleure approche...

- Tut tut tut ! Non non non, je te vois réfléchir ! Visiblement tu n'as pas bien saisi le but de l'exercice ! Ce soir, tout va bien ! Tiens.

Elle fait glisser un nouveau shooter dans ma direction, m'indiquant de m'en occuper d'un coup de menton. Oh et puis après tout, qu'est ce que j'ai à perdre :

- Ce soir, tout va bien.

Je bascule la tête en arrière et repose le shooter bruyamment contre la table. J'ai une très faible tolérance à l'alcool et quoi que ce soit que je suis en train de boire, je sais que ça va avoir raison de moi !

Emilie et moi enchaînons rapidement nos verres et je commence à me détendre. Une fois que l'on est venues à bout du mètre, elle me demande :

- Une bière ou un cocktail pour faire passer le tout ?

C'est une mauvaise idée...

- Yep !

Elle part en sautillant en direction du bar, clairement affectée elle aussi.

Elle revient même pas trente secondes plus tard, les mains vides (affront) et l'air secouée. Un sourire détendu fait son apparition sur mon visage et je demande :

- Heyyyy relaaaaax. Qu'est-ce qu'il se passe ? T'as l'air bizarre ?

Emilie se penche pour me murmurer à l'oreille :

- Chloé est au bar.

Quoi ? Nan, je voudrais un peu de répit niveau drama s'il vous plaît.

Voulant la rassurer, j'essaie de paraître plus calme que je ne le suis :

- T'inquiète, je vais rester en dehors de son chemin et je ne pense pas qu'elle va venir me voir. J'aime autant qu'elle profite de sa soirée en compagnie de non-débiles...

Emilie m'agrippe le bras, écarquillant les yeux :

- Elle a pas l'air de profiter. Et vu son état apathique, la seule personne avec qui elle partage quoi que ce soit c'est une conversation avec le barman pour être resservie.

Et moi qui pensais naïvement que j'avais atteint le sommum de la culpabilité... Je me sens encore plus mal maintenant que je sais qu'elle est plus affectée que je ne le pensais.

Haussant les épaules, je m'exclame :

- Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ?!

- Vas la voir.

Je la regarde comme la cinglée qu'elle est :

- Ça va pas la tête ? Je suis la dernière personne qu'elle a envie de voir !

Emilie s'accroupit devant moi, prenant mes mains dans les siennes :

- Si c'était le cas, elle ne serait pas là. Vas la voir.

- Emilie, vraiment, je ne pense pas...

- Claire. Vas-y.

- Et toi ?

Elle croise les bras et adopte un ton plus sérieux :

- Je suis une grande fille, j'arriverai retrouver mon chemin. Vas-y.

J'ai déjà vu cet air. C'est sa tête de cochon. Elle et moi savons comment ça va se terminer... Après 3 heures d'argumentation, elle va finir par me contraindre à aller dans son sens, par la force s'il le faut.

Autant m'épargner ça.

Pétulante, j'abdique :

- Ok. Mais si ça finit mal, ce sera ta faute !

- Et si ça finit bien, vous avez intérêt à appeler votre premier né comme moi.

Fronçant les sourcils, je ne réfléchis pas au ridicule de notre conversation avant de demander :

- Même si c'est un mec ?

- Emilio fera l'affaire dans ce cas.

Sourire narquois fermement en place, elle fait un mouvement de tête en direction du bar. Me voilà congédiée.

Je me lève, fais mine de remettre en place mes vêtements histoire de gagner quelques précieuses secondes avant de me frayer un chemin en direction du bar.

Là tout de suite maintenant, je ne fais pas du tout la fière.

J'aperçois rapidement Chloé, assise à une extrémité, accoudée au bar, une main dans ses cheveux noirs. Elle est tête baissée, ses yeux restant fermement fixés sur le verre devant elle.

Je flippe grave. Mais Emilie avait raison (j'irai pas lui dire !), elle n'a pas l'air de profiter. Si je m'écoute, je pars immédiatement devenir dompteuse de chevaux sauvages en Mongolie, plaquant tout derrière moi pour aller me terrer là où personne n'aura l'idée de venir regarder.

Mais Emilie m'a dit qu'aller la voir était la chose à faire, alors j'aime autant l'écouter. Prenant mon courage à deux mains, je me lance, me glissant entre Chloé et son voisin de tabouret.

- Hey.

Ses yeux verts viennent se poser sur moi, avant de retourner à leur position d'origine. La seule indication qu'elle m'a vue est la manière dont sa main se raidit autour de son verre.

Fuck.

Je m'attendais à de la colère, de l'agacement, mais pas ça. Et je ne sais pas du tout comment réagir.

J'opte finalement pour rester à ses côtés en silence.

Le type dans mon dos n'apprécie que très modérément la manière dont j'empiète sur son espace vital et me le fait savoir en me plantant son coude dans la colonne avant de quitter son siège.

Ni une ni deux, je ne lui adresse même pas un regard et m'empare du tabouret, le rapprochant de celui de Chloé. Elle me regarde faire du coin de l'oeil, avant de pincer les lèvres puis prendre une grande lampée de son whisky.

Finalement, alors que je commence à me sentir sérieusement ridicule, elle prend la parole :

- Vas-t'en Claire, tu ne vois pas que je suis en train de parier ?

Elle détache un instant sa main de son verre pour se pointer elle-même du doigt :

- Cette garce sans-coeur rencontre un succès fou ce soir !

Je ferme les yeux et encaisse, contente qu'elle me parle, même si c'est pour dire ça.

- Chloé... C'était pas...

Je soupire en réalisant que je n'ai pas envie que l'on s'explique dans ces conditions et opte finalement pour ne rien ajouter.

Pendant ce temps, elle s'empare de son verre, le finissant cul-sec. Elle fait signe au barman de lui en apporter un autre et je m'assure qu'elle ne me voit pas alors que je lui fais "non" de la tête.

Heureusement pour moi, il a l'air d'avoir compris le message puisqu'il se tourne vers d'autres clients, ignorant l'étagère sur laquelle sont disposées les bouteilles d'alcool fort.

Aussi peu claire qu'elle soit, Chloé comprend le message et laisse s'échapper un chapelet de jurons, contrariée.

Elle se lève et enfile sa veste, ayant clairement l'intention de quitter les lieux.

Je la suis à l'extérieur et résiste à l'envie de passer mon bras autour de sa taille lorsque je vois qu'elle titube légèrement.

Elle se met en route et je me positionne environ 1 mètre derrière elle, voulant la laisser respirer. L'air frais me fait du bien, dissipant le reste de la brume que l'alcool avait semée dans mon esprit.

On marche en silence pendant une dizaine de minutes et elle s'arrête finalement devant un immeuble résidentiel. Chloé glisse sa main dans sa poche, attrape ses clefs, avant de les faire tomber. Je les ramasse et les lui tend gentiment. Elle s'en empare rapidement, faisant passer le bip pour ouvrir la porte et se dirigeant vers l'ascenseur. Elle presse le bouton du 3ème étage et je me demande pourquoi je la raccompagne. Clairement, elle est saoule mais capable de rentrer chez elle sans encombre.

Mais bon, maintenant que je suis là, autant aller jusqu'au bout. L'ascenseur ouvre ses porte et Chloé tourne à droite dans le couloir, s'arrêtant devant la deuxième porte.

Elle essaie de viser la serrure à plusieurs reprises, sans succès, jurant à chaque échec. J'enroule ma main autour de la sienne et la guide jusqu'à ce que la clef glisse sans résistance.

Elle déverrouille la porte et je m'apprête à partir lorsque je remarque qu'elle l'a volontairement laissée ouverte derrière elle, comme si elle voulait que je la suive.

Bon... Bah c'est parti j'imagine. 

J'entre dans son appartement et ne suis pas déçue. Il est exactement comme je l'avais imaginé. Immaculé, de bon goût et semblant sortir tout droit d'un catalogue.

Je l'entends se faire couler un verre d'eau du robinet et me donne une contenance en regardant les étagères en pin brut qui occupent l'espace autour de sa télé.

Le plan est simple. Tu lui souhaites une bonne nuit, lui indiques que tu aimerais vraiment beaucoup clarifier les choses entre vous demain et rentres chez toi.

Mon super plan tombe à l'eau lorsque j'ai un sursaut de 15 mètres en sentant les bras de Chloé s'enrouler autour de ma taille.

Euh...

What the fuck?

Qu'est-ce qu'elle fait ?

Nan, plus important : qu'est-ce que je dois faire ?

Elle détache l'une de ses mains pour venir décaler mes cheveux, déposant des baisers dans mon cou.

Je suis toujours raide comme la justice, immobile et les yeux écarquillés.

Pourquoi je n'ai pas juste refermé la porte derrière elle ? J'aurais tellement pu, il y a juste un poussoir côté extérieur, c'est le genre qui se verrouille dès qu'elle claque...

Des frissons parcourent intégralement mon corps alors qu'elle est en train de mordiller la jonction entre ma nuque et mon épaule. Mes tétons m'indiquent clairement qu'ils sont là, venant presser inconfortablement contre le bonnet de mon soutien gorge. Elle n'a quasi rien fait et je suis déjà au bord de la liquéfaction lorsqu'elle annonce d'une voix pleine de promesses :

- Ma chambre est au bout du couloir...

Oui, bah ravie de l'apprendre, mais je viens de me souvenir que j'ai ce truc très très important à faire chez moi.

Prendre une douche froide.

La main qu'elle a sur ma taille se glisse sous mon haut et commence à remonter sur mes côtes, me faisant comme un électrochoc. Je bondis hors de son étreinte, mettant deux bons mètres entre nous.

Je lève les mains, paumes dans sa direction, avant de prendre la parole :

- Hm. Ok. Wow. Je ferais mieux d'y aller. On se voit demain.

Elle fronce les sourcils, visiblement perplexe face à ma réaction :

- Juste une fois. Pour t'oublier.

Super.

Je n'ai jamais prétendu être une déesse du sexe, mais là c'est limite offensant. Ma performance serait mémorable, j'en suis sûre ! 

Sans compter que je n'ai pas du tout envie qu'elle m'oublie.  

- Bonne nuit, n'oublie pas de boire beaucoup d'eau avant d'aller te coucher.

Je me dirige vers la porte et l'ouvre avant d'être interpellée par sa voix, clairement confuse :

- Mais… C'est pour ça que tu m'as suivie, non ?

Ironie du sort, je suis blessée qu’elle puisse penser ça de moi. Merci Karma, vraiment. Toujours face au couloir, je m’explique :

- Non Chloé, je voulais juste m'assurer que tu allais rentrer en toute sécurité. Bonne nuit, n'oublie pas de boire beaucoup d'eau.

Je quitte les lieux sans demander mon reste, tâchant d'ignorer le sentiment de déception qui m'envahit.

Elle est saoule et malgré ça, ça me fait chier qu'elle ait pu penser que je comptais profiter d’elle. Alors je n'imagine même pas ce qu'elle a ressenti en découvrant la piètre image que j'avais d'elle.

Je ferme la porte derrière moi, poussant un peu pour m'assurer qu'elle est bien verrouillée avant de partir.

 

===



J'arrive au commissariat et suis attendue de pied ferme par Emilie. En rentrant chez moi hier, j'ai pas réussi à dormir.

- Salut. Et wow, t'as pas dormi de la nuit ou quoi ? Tu ressembles à rien.

- Merci, je suis au courant, j'ai des miroirs à la maison.

Moqueuse, elle rétorque :

- Clairement, t'en fais pas bon usage...

Je lui lance un regard noir, prenant ma tête entre mes mains en espérant que ça va faire partir la migraine que je me traîne.

- J'ai enfin reçu les retours d'enquête sur nos principaux suspects et je dois regarder leurs dossiers avant d'aller au prochain cours en fin d'après-midi...

- Et tu devrais pas faire ça dans ton joli bocal ? Tu évites ta promise ?

- Relax, je suis juste passée te dire bonjour, même si là tout de suite, je me dis que ça ne valait pas le coup. Et non, ma "promise" donne des cours ce matin.

- Ça s'est bien passé hier soir ?

Je hausse les épaules, me contentant d'un :

- Je l'ai raccompagnée chez elle.

- Et ?

J'hésite à évoquer ce qu'il s'est passé une fois arrivées à son appart et opte pour garder le silence. Ça ne regarde que nous.

- Et rien, je suis rentrée chez moi.

- Pas marrant. Tu réalises que je compte sur toi pour vivre une vie amoureuse par procuration ?

Je lève les yeux au ciel, me sers dans sa cafetière et me dirige vers la salle de réunion / mon bureau plutôt que de la gratifier d'une réponse.

Je m'affale sur la chaise inconfortable, me souvenant très bien du baiser de Chloé dans cette même pièce.

Concentre-toi, c'est pas le moment de flancher. Vous avez une enquête à résoudre ! 

Je consulte les fichiers que Sydney m'a retourné.

Ok donc Marie est commerciale, en couple et vient à la salle environ 3 fois par semaine, uniquement aux cours collectifs.

Fabrice est ingénieur, célibataire invétéré et vient tous les jours.

Salomé est culturiste, en couple et vient à la salle 2 à trois fois par semaine.

Maud est responsable marketing, célibataire et vient une à deux fois par semaine.

Minute.

Culturiste.

Seulement 2 fois par semaine ?

Y'a quelque chose qui va pas.

Je l'ai bien regardée, Madame Montagne-de-muscles, et je suis certaine que l'on obtient pas ce genre de résultats en quelques heures par semaine. Même en y allant à grand renforts de compléments alimentaires sur-protéinés ! Et encore moins en participant à des cours collectifs...

Maintenant que j'y pense, on trouve ce genre de physiques devant les miroirs, à soulever de la fonte, pas en train de faire de la cardio ou je ne sais quoi.

Plus j'y pense, plus je trouve ça bizarre.

Elle est hyper baraquée, pourquoi elle irait s'inscrire à du renforcement musculaire ?

Intriguée, je cherche son nom dans les rapports que Chloé et moi avons fait.

J'ai l'impression d'être sur une bonne piste. Enfin un os à ronger !

Mais si c'est elle, quel serait le mobile ?

Pourquoi aller placarder des photos de quelqu'un d'autre ? Parce que bon, il est clair que ce n'est pas son corps. Elle se serait faite griller direct !

Peut-être qu'elle joue dans notre équipe et que les organes génitaux féminin représentent sa version de l'art ? Un frisson d'effroi me parcourt à cette idée. J'espère pas ! 

Un coup d'oeil au rapport fait par Sydney me suffit à constater qu'elle sort avec un mec.

Mh. A priori non, à moins qu'elle ne soit bi mais je préfère la laisser à la gente masculine, donc on ne va pas trop y penser.

Ça n'a pas de sens, ce n'est pas vraiment une piste, mais c'est la première réelle incohérence que je trouve et ça m'intrigue énormément.

Je n'ai qu'une hâte, aller en parler à Chloé. Avec un peu de bol, l'excitement de la situation (on avance enfin \o/) va lui faire oublier qu'elle est fâchée contre moi.

 

====

 

Patientant tant bien que mal, je regarde avec envie le petit bout de peau qui dépasse à proximité de mon pouce.

Si je m'écoute, je l'arrache, sachant très bien que j'aurais mal après.

J'attends Chloé, lui ayant donné rendez-vous dans le même parking que la dernière fois, plus tôt que nécessaire.

Elle a vu mon texto, mais pas répondu.

J'espère qu'elle sera là.

Avec du bol, elle me laissera une chance de m'expliquer avant son cours de l'après-midi. Cette fois, je n'ai pas l'intention d'attendre des mois avant d'avoir une discussion avec elle.

Je suis soulagée de la voir arriver au loin, lunettes de soleil sur le nez malgré le temps maussade. Elle s'approche et rien qu'à sa voix éreintée, je sais qu'elle a une gueule de bois :

-  Hey. Tu voulais me parler ?

Il se met à pleuvoir, alors je lui ouvre la portière arrière de ma voiture, à la fois pour être au sec et m'assurer que personne ne surprendra notre conversation.

Même avec ses lunettes de soleil, je sais qu'elle me regarde et hésite. Je peux la comprendre, je ne me ferais pas confiance non plus.

Visiblement, la fatigue joue en ma faveur puisqu'elle soupire et se glisse de l'autre côté de la banquette, tandis que je monte à mon tour et referme derrière nous.

Elle retire ses lunettes et même la jolie couleur verte de ses iris ne suffit pas à lui donner une apparence humaine. Je m'attendais à devoir faire toute la conversation, mais Chloé me surprend en prenant la parole :

- Désolée pour hier soir.

Merde. J'étais persuadée qu'elle avait oublié ou qu'elle n'allait pas en parler, du coup je ne m'étais pas du tout préparée à cette éventualité :

- C'est ok. T'avais bu, le karma en a profité pour me donner une leçon.

Même si ça m’a blessée, peut-être que si je n’en fais pas tout un plat, ça la mettra dans de bonnes dispositions pour me pardonner ? Mes méthodes puent le désespoir, mais ça ne m'empêche pas d'espérer. 

- Hm. Désolée quand même, j'aurais pas dû.

On reste toutes les deux silencieuses et je sais que c'est à moi de faire le premier pas.

- Est-ce que l'on peut parler de... du quiproquo ?

J'observe les muscles de sa mâchoire se contracter, avant qu'elle ne tourne la tête en direction de la fenêtre, annonçant :

- Je ne vois pas ce que tu pourrais me dire qui changerait quoi que ce soit, mais je t'écoute.

J'ai les mains hyper moites et à la manière dont son buste est tourné dans la direction opposée à la mienne, j'ai vraiment l'impression que je me fatigue pour rien.

Pour autant, j'essaie :

- J'ai eu tort de présumer le pire et ne pas venir t'en parler. Si tu veux me couronner la reine des abruties, dis-moi juste la date de la cérémonie et je t'assure que je serai là, parce que je le pense aussi…

Silence. Bon, continuons :

- Tu m'as jamais donné de raison de douter de toi et c'est ce que j'ai fait.

Elle tourne sa tête vers moi, demandant très sérieusement :

- Pourquoi ?

Incapable de soutenir son regard, je baisse la tête et joue avec mes doigts, prenant une grande inspiration avant de m'humilier davantage en avouant :

- Honnêtement ? C'était trop beau pour être vrai.

Je sens qu'elle s'apprête à m'interrompre et relève la tête, m'expliquant :

- Chloé, t'es... T'as tout pour toi. T'es intelligente, douée, belle à couper le souffle... Et moi, je suis... juste moi.

Je termine en haussant les épaules, une moue défaite sur le visage. Elle s'empare de ma main, voulant ajouter quelque chose mais aussi petit soit-il, cet acte de soutien me donne le courage de continuer sur ma lancée :

- Le fait que tu puisses t'intéresser à moi me paraissait difficile à croire de base. Mais après les fléchettes... j'ai fini par me dire que peut-être j'avais mes chances. Et t'as pas idée à quel point j'avais à la fois hâte et peur de cette soirée. Alors quand j'ai surpris cette conversation, je sais pas comment dire... Je me suis sentie tellement... j'ai même pas de mots.

Chloé serre ma main dans la sienne et demande :

- Pourquoi t'es pas venue m'en parler ? C'est ça que je comprends pas ! On aurait pu régler ça !

- Le peu de fierté qu'il me restait. J'étais incroyablement humiliée et me sentais stupide d'avoir cru que tu pouvais sincèrement t'intéresser à moi. Je voulais pas que tu saches que j'avais découvert le pot-aux-roses, parce que comme ça, toi aussi tu seras restée le cul entre deux chaises.

Chloé passe une main sur son visage, semblant absorber ce que je viens de lui dire. Finalement, elle soupire et laisse retomber sa tête contre la vitre, demandant :

- Pourquoi t'étais aussi agressive envers moi ? Si j'avais vraiment été faire des paris, ça m'aurait mis la puce à l'oreille ! J'aurais deviné que tu savais ! 

La pluie tombe dru sur l'habitacle de la voiture et entre ça et notre discussion, c'est assez oppressant je dois dire.

L'emmener dans un minuscule espace clos n'est pas ma meilleure idée.

Pas la pire non plus ceci dit.

- Peut-être, mais j'avais besoin de m'assurer que tu restes bien loin de moi et être aussi immature et agressive que possible me paraissait être la méthode la plus simple.

- Pourquoi tu voulais que je reste loin ? Pourquoi tu m'as pas confrontée ?

Et merde.

On en arrive PILE là où je ne voulais pas en arriver.

Bon.

Tant pis.

C'est parti.

- Parce que même avant ce fameux jour au café, j'étais déjà en train de tomber amoureuse de toi.

Ses yeux s'écarquillent tellement que c'en serait presque drôle. Avant qu'elle ne puisse relever, je continue :

- Parce que j'avais peur qu'en te laissant t'expliquer t'arrives à me retourner la tête. Parce qu'à chaque fois que je pose les yeux sur toi, j'ai...

J'en ai déjà trop dévoilé. Lâchant un énorme soupir, je regarde à mon tour par la fenêtre :

- Peu importe. Au moins maintenant tu sais.

Chloé garde le silence à mes côtés et j'ai l'impression d'avoir copieusement étalé mes tripes sur ma banquette arrière, tout ça pour rien.

Finalement, elle prend la parole et son ton est hyper calme, ce qui ne présage rien de bon :

- Tu sais le pire dans l'histoire ?

Ah parce qu'il y a pire ?

- Non.

- Je me souviens de cette fameuse discussion. J'avais changé le sujet parce qu'Olivier se moquait allègrement de moi. Tu serais arrivée cinq minutes plus tôt, t'aurais su à quel point moi aussi j'avais hâte.

J'encaisse, mais je ne peux pas dire que ça me fasse plaisir de savoir ça. Amère, je me contente d'un :

- Désolée. J'ai raté ma chance. Si tu veux bien je vais aller prendre l'air deux minutes, tu peux rester là.

J'amène ma main à la poignée intérieure mais Chloé m'interrompt en me tirant délicatement sur le bras :

- Demande moi.

- Quoi ?

- Demande moi ce que je lui ai dit.

Je secoue la tête à la négative.

Nope. Le masochisme, très peu pour moi. 

Je crois que je ne préfère pas savoir.

J'ai déjà une intense envie de m'auto-gifler, il est préférable qu'on en reste là si on veut éviter que ça n'escalade en hara-kiri.

Je me tourne vers elle et lui adresse un regard suppliant :

- Chloé... J'ai grave merdé c'est vrai. Et je t'assure que je m'en veux déjà à mort. Y a pas besoin de ça.

- Je crois que si.

Son regard vient croiser le mien et elle tire tellement fort sur mon bras que je tombe dans sa direction. Ses bras m'enlacent immédiatement, sa bouche venant se poser à proximité de mon oreille. Mon coeur bat la chamade, un mélange de terreur et d'excitation. J'ai envie de savoir, mais peur de ne pas être capable de gérer la déception qui s'en suivra :

- Je lui ai dit que j'étais la plus chanceuse du monde. Que t'avais tout ce que je recherche chez une femme. Sympathie, humour, intelligence, talent, beauté… Et que j'espérais vraiment être à la hauteur. Je lui ai avoué que j'avais peur que tu me trouves trop fade, trop rigide pour toi et que tu changes d'avis…

Je sais pas quoi répondre à ça, alors je me contente de me reculer, venant croiser son regard, cherchant à savoir si elle dit vrai.

Elle a l’air vulnérable et j’ai envie de tout faire pour la réconforter.

Mes yeux descendent en direction de ses lèvres et j'hésite à réduire la distance entre nous mais suis interrompue par l'intéressée secouant la tête à la négative.

Je ferme les yeux et lui rends son espace vital, retournant de mon côté de la banquette.

Sa voix est timide, presque hésitante lorsqu’elle propose :

- Je peux pas. C’est trop frais. Je suis trop en colère, trop déçue. Mais l’on peut essayer d'être amies, t’en dis quoi ?

Hier soir j'étais en fuckzone, ce matin je suis en friendzone. Yay ! 

Honnêtement je prendrais n'importe quelle zone tant qu’elle s’y trouve. Son regard inquisiteur est posé sur moi et je n’ai pas l'intention de rejeter son offre somme toute plus généreuse que ce que je ne mérite.

J’ai probablement tort, mais je vis sa proposition comme un “pas maintenant” et non un “c’est mort”.

Mon sourire est timide mais vaillant et ma voix décidée lorsque je réponds :

- J’aimerais vraiment.

Le coin des lèvres de Chloé se soulève devant ma réponse et je sais que c'était la bonne.

Je laisse passer quelques instants, savourant la paix retrouvée entre nous, les possibilités pour le futur. Je sais qu’elle ne m’a pas pardonnée, mais elle me laisse une chance de regagner son amitié et c'est plus que ce que je mérite vu mon comportement odieux.

Finalement, c’est elle qui prend la parole :

- Ce matin, j’ai appris quelque chose d'intéressant.

- Ah ?

- Maud a payé ses études en faisant du mannequinat. Des photos de lingerie. Parfois très dénudées…

- Oh…  intéressant.

J’ai pas envie de savoir, mais je demande quand même :

- Comment t’as su ça ?

- Après le cours, on parlait de travailler les muscles pectoraux pour les femmes et elle a sorti son téléphone pour me montrer ça. C'était hyper bizarre…

- Mh. C’est louche. Tu crois que tu l'intéresses, que c'était de l'exhibitionnisme, ou…?

- Aucune idée. J'ai pas trop compris. Une minute on parlait normalement, celle d'après j'avais une photo extrêmement provocatrice sous les yeux.

Je ne suis pas jalouse, je trouve ça juste très limite de la part de Maud. Elle ne connaît même pas la sexualité de Chloé, c’est un peu malsain comme comportement. Et si c'était elle qui se cachait derrière tout ça ? 

Mettant de côté mes réservations sur la suspecte, j’essaie de rester objective et d'en savoir plus :

- Et le cliché, c'était le même genre d’angle que sur les autres photos ?

- Nan, il était clairement de qualité professionnelle lui aussi, mais plus destiné à des magazines spécialisés… Et ça ne veut rien dire, un angle ça se change. Je pense qu’on devrait creuser de son côté.

- Bonne idée, je vais demander à Sydney de faire une recherche approfondie sur elle. J'ai aussi une piste. Salomé.

Chloé lève un sourcil, à la fois intriguée et moqueuse :

- Ah ? T’es sûre que c’est pas parce que tu ne peux pas la voir ?

- Écoute ce que j’ai à dire et vois par toi même !

 

===

 

Le cours s’est terminé et j’ai marqué Maud à la culotte tout du long, espérant en apprendre plus. On a décidé qu’il était plus sage que Chloé s'occupe de Salomé car après nos premiers échanges, je crois qu’elle ne me porte pas dans son coeur. On se demande bien pourquoi ! 

Mais bon, malgré tous mes efforts, je n’ai pas avancé d’un iota. Ah pour s'exhiber devant ma charmante collègue y'a du monde, mais pour ma part mes mirettes sont hyper sèches, j'ai pas eu la chance de me rincer l'oeil ! 

Tout le monde se dirige vers les vestiaires et Chloé et moi traînons un peu en arrière, chacune de notre côté, attendant que les cabines se décongestionnent. La plupart des gens ont déjà quitté les lieux et Chloé pénètre dans la cabine la plus proche lorsque j’écarquille les yeux.

Ni une ni deux, j’empêche ma collègue de refermer derrière elle et m’immisce dans le cubicule à ses côtés, refermant derrière moi.

Je vois qu’elle s'apprête à râler mais place un doigt sur ses lèvres.

L'espace n’est pas pensé pour deux personnes et nous sommes tellement à l'étroit que je n’ai que très peu de chemin à faire pour lui murmurer à l'oreille :

- Une ancienne suspecte vient d'entrer dans la pièce. Elle sait qui je suis, je ne voulais pas risquer de me faire voir…

Malgré moi, je remarque la manière dont Chloé frissonne lorsque mon souffle vient caresser sa peau.

Elle m’indique qu’elle a compris d’un hochement de tête et elle comme moi tendons l'oreille, attendant impatiemment le bruit d’un verrou. Evidemment, comme par hasard, l'autre prend biiiiien son temps. Cette fois c'est sûr, je suis maudite. Ou j'étais un monstre dans une vie antérieure ! 

Ses vêtements de sport ne laissent que peu de place à l'imagination alors je n’ai pas d'autre choix que de croiser le regard de Chloé si je veux espérer rester maîtresse de moi même. Depuis sa proposition hier, j'ai eu le temps d'imaginer ce qu'il aurait pu se passer si j'avais des notions morales plus que discutables... Dans un cas comme dans l’autre, c’est de la torture.

Elle ne brise pas le contact visuel et je peux voir la couleur émeraude de ses yeux se faire grignoter par ses pupilles. Je sais ce que ça signifie.

La tension semble toujours passer de zéro à cent avec elle.

Elle fait un pas vers moi et je me retrouve plaquée contre la porte, le souffle court, bras ballants, ne sachant pas quoi faire.

Je me souviens très bien de ce qu’on s’est dit dans la voiture et ça ne me paraît pas DU TOUT en adéquation ! Elle me dévore littéralement du regard et empiète sur mon espace vital… Désolée mais ça ne crie pas “sois mon amie”!

Ses yeux vont se fixer sur mes lèvres et je la vois se pencher, puis marquer une pause.

Ce n'est ni l’endroit, ni le moment et ce qu’il me reste de conscience professionnelle m’indique que je devrais l'arrêter.

 

Maintenant, de préférence.

Mais j’en suis incapable.

Alors comme je ne peux pas reculer, encore moins la repousser, je ne bouge pas. En cet instant et avec le peu de contrôle qu'il me reste, c'est le mieux que je puisse faire. 

Quelle que soit sa décision, c’est à elle de la prendre. Je me contente de l'observer, voulant mémoriser chaque trait, chaque expression.

Chloé ferme les yeux un instant, fronce les sourcils et à l’instant où ses paupières se soulèvent à nouveau, je sais.

Je lis la détermination et j’ai à peine le temps de passer ma langue sur mes lèvres qu’elle franchit les derniers centimètres sans hésiter, plaquant son corps au mien, ses lèvres contre les miennes.

Fuck.

On ne devrait peut être pas, mais putain ce que c’est bon ! Je ne sais pas comment c’est possible, mais elle est à la fois hésitante et assurée.

Combien de fois j’ai rêvé de sentir sa bouche contre moi, de la manière dont son souffle se mêlerait au mien ? Bah laissez moi vous dire que j'avais fait un très mauvais travail. Rien ne vaut cette réalité.

Je ne tarde pas à passer ma langue sur ses lèvres, lui demandant la permission d’entrer, ayant besoin de plus. Nos langues se rencontrent et j’ai tout juste la présence d’esprit de ne pas gémir mon approbation. Elle m’embrasse avec passion et lorsque j’écarte les jambes, sa cuisse vient immédiatement faire pression là où j’en ai besoin.

Sans que je réalise, ma main est venue se placer à l'arrière de sa tête, l'empêchant de se reculer. Non pas qu’elle essayait.

La main qu’elle a sur ma hanche s'apprête à passer sous mon haut lorsqu’on entend quelque chose.

Chloé se recule immédiatement, yeux grands ouverts, aussi étonnée que moi. Ses lèvres semblent gonflées par nos baisers, son souffle est tout aussi erratique que le mien mais pourtant il faut que je parvienne à me concentrer.

Nan, c’est pas…

Le bruit se répète et cette fois il n’y a pas de doute. Du scotch. Puis un verrou, la porte qui grince.

Notre coupable.

Immédiatement, je m'avance, déverrouillant le loquet et me collant à Chloé afin d'ouvrir la porte dont le battant est vers l'intérieur.

On se rue toutes les deux à l'extérieur, ayant à peine le temps d'apercevoir une basket blanche.

Chloé lance un “stop”, immédiatement suivi de bruits de course alors que notre suspect prend la fuite.

Elle me lance :

- Sécurise la pièce à conviction.

Et se met immédiatement à courir après la personne tandis que je pousse les portes des cabines une a une.

Je trouve mon “bonheur” dans la dernière.

Ew.

 

Mais non !

De pire en pire.

Qui que soit le malade qui fait ça, je n’ai pas envie que Chloé se retrouve seule avec cette personne.

Je cours vers mon sac et rentre dans la cabine avec. J’attrape un mouchoir propre et ferme délicatement le verrou, le touchant le moins possible. Avec du bol, on trouvera des empreintes. Au pire, il y aura la photo.

Dès que c'est fait, je m’allonge à même le sol pour glisser sous la porte, mes baskets crissant à même le sol alors que j'entre dans le couloir à toute blinde.

Je cours vers l'accueil et m'adresse à Gladys :

- Chloé, la prof. Dans quelle direction elle est partie ?

Elle me regarde vraiment curieusement, se demandant certainement si j'ai à nouveau l'intention de la violenter et je m'apprête à réitérer ma question lorsqu’elle répond enfin :

- Elle est pas encore sortie je crois. Du moins je l'ai pas vue.

Fuck.

La sortie de secours.

Je fais demi tour et presse la barre permettant d’ouvrir la porte, qui s’ouvre sans résistance.

Pas sous alarme, évidemment.

J’aperçois immédiatement Chloé au loin, à la sortie d’un parking, mains sur les hanches, reprenant sa respiration et regardant fébrilement autour d’elle.

Je trottine dans sa direction et panique immédiatement.

Sous mes yeux, un papi déboule au volant d’une voiture sans permis, en train de farfouiller dans sa boîte à gants, les yeux partout sauf sur la route.

J’en suis certaine, il ne l’a pas vue.

 

1 mai 2019

Partie 5

Nah. Elle n’en vaut pas la peine.

Levant la main dans un au-revoir amical, j’adresse un sourire à ma collègue, lui lançant :

- Merci pour la séance, à une prochaine.

Je n’attends pas de retour de sa part, souriant également à Gladys avant de quitter les lieux, direction mon appart.



===

 

Postée dans mon superbe bureau aquarium, j’attends ma collègue. Je ne me suis pas exactement levée de bonne humeur, j’ai passé la journée à recouper nos informations, alors il vaut mieux pour elle qu’elle ne me fasse pas trop poireauter.

Chloé se pointe enfin, comme une fleur, avec plus de dix minutes de retard :

- Désolée, j’ai été retenue à la salle.

On se demande ce (/qui) elle pouvait bien faire !

Je tâche d’ignorer mon envie de rappeler à son bon souvenir que la salle de sport est le lieu de notre enquête, pas son nouveau terrain de chasse.

De toute manière, je doute que mon avis lui importe.

- T’as découvert des trucs intéressants ?

Elle se laisse tomber sur l’une des chaises, visiblement dépitée :

- J’ai entendu Marie évoquer l’incident, apparemment c’est elle qui a découvert la dernière photo, la pire.

- C’est peut-être pour ça qu’elle m’en a parlé aussi. Elle en parlait avec qui ?

- Fabrice, deux femmes que l’on ne connaît pas et Salomé.

- Et ils en disaient quoi ?

- Salomé lui a dit qu’elle pouvait lui donner l’adresse d’un endroit où ils proposent des cours de self-défense, si jamais elle ne se sentait pas en sécurité. Fabrice s’est gentiment proposé de la protéger...

Chloé lève les yeux au ciel, clairement peu impressionnée par la lourdeur du type.

- Et t’as pu approcher d’autres suspects ?

J’irais lire ses rapports quoi qu’il arrive, mais je préfère toujours débriefer en face à face, juste au cas où il me reste des questions. Chloé me répond sans hésiter :  

- Dans le groupe que t’as vu, j’ai essayé de discuter avec Maud mais elle était très fuyante, j’ai préféré ne pas insister. Sinon j’ai aussi approché deux hommes dans le cours que j’ai donné ce matin, l’un était hyper timide je ne le vois pas oser faire ce genre de choses, l’autre est mécontent de la situation, parce que ça a échaudé les nanas.

Je remarque immédiatement qu’il manque quelqu’un dans la petite liste qu’elle vient de me donner et n’arrive pas à me retenir de demander :

- Et miss univers, t’en as tiré quelque chose ?

Chloé fronce les sourcils, faisant probablement semblant de ne pas comprendre :

- Qui ?

- La superbe rousse que tu as abordée hier avant que je ne parte.

Ma collègue soupire, visiblement agacée par mon attitude, mais répond néanmoins :

- C’est une prof aussi, elle était juste venue se présenter.

C’est ça.

A d’autres.

D’un ton hautement dubitatif, je me contente d’un :

- Mh mh. Si tu le dis.

Elle a qu’à essayer de se la taper à même le banc de musculation, je m’en fous, mais qu’elle assume au moins.

Chloé soupire et passe une main dans ses cheveux ébène, se décoiffant totalement au passage. Elle finit par se lever, allant abaisser les persiennes. Amusée, je la regarde faire, me demandant où elle veut en venir. Elle ne tarde pas à me le faire savoir, se retournant et croisant les bras :

- Si t’as quelque chose à dire, dis-le, qu’on en finisse.

Voulant la faire sortir de ses gonds, je me contente de l’observer en silence, un sourire aux lèvres.

Elle ne tarde pas à m’envoyer balader :

- Ok ! Puisque qu’apparemment t’as rien à dire, on passe à autre chose !

Elle se dirige vers son pc portable mais s’arrête net en m’entendant dire :

- C’est ce que tu fais de mieux.

Immédiatement, elle fait volte face, me fusillant du regard :

- Pardon ?

- Passer à autre chose, comme si de rien n’était.

Elle laisse s’échapper un petit souffle, pas tout à faire un rire mais suffisant pour que je comprenne qu’elle trouve mon accusation ridicule :

- J’aimerais mieux.

- Qu’est-ce que ça veut dire ?

Ne me répondant pas, elle à l’intention de se tourner vers la table, mais je m’empare de son bras, répétant ma question :

- Chloé, qu’est-ce que ça veut dire ?

- Lâche-moi.

Je la laisse se dégager, mais je veux savoir, alors j’insiste :

- Réponds-moi !

Lèvres pincées, essayant de rester maître d’elle même, Chloé finit par prendre une décision.

Bien trop vite pour que je puisse réagir, elle passe sa main à l’arrière de ma nuque et m’attire à elle.

Mon coeur explose dans ma poitrine.

Ses lèvres sont aussi douces que je l’avais imaginé, mais le baiser ne l’est pas.

Elle m’exprime toute la colère et la frustration qu’elle ressent, allant jusqu’à mordiller ma lèvre inférieure alors qu’elle se recule brusquement, me laissant sur ma faim.

Mes lèvres picotent alors que je reste totalement immobile, sous le choc. Je crève d’envie qu’elle recommence, tout en sachant que ça ne peut pas se reproduire.  

Le vert de ses yeux est totalement éclipsé par le noir de ses pupilles et l’ensemble est fixé sur mes lèvres. Pourtant, lorsqu’elle prend la parole, c’est d’un ton étonnamment défait :

- T’as ta réponse… J’aimerais bien passer à autre chose, mais apparemment j’y arrive pas. A toi.

Encore complètement perturbée, je pose mes fesses sur la table, ayant besoin du soutien, avant de demander :

- Comment ça ?

- Dis-moi pourquoi.

Je secoue la tête à la négative.

Non non non.

Lui dire, c’est admettre m’être presque faite avoir.

J’essaie de me détourner, mais sa main s’abat sur la table, coupant ma fuite :

- Non Claire, pas cette fois.

Je lui adresse un regard mauvais, ma jambe se mettant à tressauter nerveusement.

La dernière fois qu’elle a essayé de m’extirper des réponses, c’était dans la salle de pause et tout le commissariat sait comment ça s’est terminé. Avec des états de service impeccables, c’est étonnant qu’elle prenne le risque de retenter sa chance, même toutes persiennes fermées.

J’observe Chloé, cherchant à estimer sa détermination.

Après quelques secondes, j’ai ma réponse.

Laissant échapper un soupir, je me mets à table.

 

=====

 

[ Quelques mois plus tôt ]

 

Sourire aux lèvres, je me dirige rapidement vers le bureau de Chloé. Je sais qu’on s’est donné rendez-vous ce soir, mais j’ai trop hâte et me suis dit que je pouvais passer pour savoir quoi porter, plutôt que de lui envoyer un texto.

Ok, c’est juste une excuse pour la voir, mais avec du bol, ça elle ne le saura pas.

J’ai tellement hâte, ça n’a pas de sens !

J’espère que la nuit se terminera par un baiser, car je ne pense qu’à ça depuis hier dans la ruelle.

La porte est semi close et je m’arrête devant, prenant une seconde pour calmer mon cœur battant, comme à chaque fois que je m’apprête à la voir. C’est dingue l’effet qu’elle a sur moi. J’ai l’impression d’être une gosse avant Noël.

Je lève la main pour toquer avant de m’arrêter, interpellée par la voix d’Olivier, son collègue :

… tirée ?

Immédiatement, je reconnais la voix de Chloé, qui lui donne la réplique d’un air enthousiaste :

- Nan pas encore, mais je la travaille au corps. Ça ne devrait plus tarder, c’est presque trop facile de les convaincre, j’te jure !

Hein ? C’est quoi ces histoires ?

Ils rient tous les deux et Olivier demande :

- Et tu crois vraiment que tu peux te la faire ?

- Oh s’il te plaît, ça n’a jamais été un problème… Le plus dur est fait. Maintenant si t’as peur tu peux retirer ton pari, ça remontera peut être ma cote…

Mon cœur s’arrête, la nausée me gagne.

- Haha, tu doutes vraiment de rien.

Je les entends rire, puis se taper dans la main…

Un pari ?

Je suis un pari ?

J’ai l’impression que l’on m’a coupé les jambes.

J’ai envie de me taper la tête contre le mur d’avoir été aussi conne.

Je comprends mieux pourquoi elle ne m’a pas laissée l’embrasser dans la ruelle.

On ne s’improvise pas bookmaker, il faut être sûre de son coup avant d’accepter les paris…

Bien que flageolantes, mes cuisses m’amènent jusqu’aux toilettes.

Je m’enferme dans l’une des cabines, fermant le loquet derrière moi et baissant le couvercle avant de m’asseoir.

Putain !

J’ai beau être la victime, je me sens atrocement mal. Usée, humiliée, tout ce que vous voulez. Je me suis quasiment jetée sur elle, j’ai jamais douté de sa sincérité… Et pendant ce temps, elle se foutait royalement de ma gueule et de mes sentiments.

J’avais l’impression qu’il y avait quelque chose de spécial entre nous, qu’elle s’ouvrait à moi, et..

Pfff.

Je suis vraiment trop conne.

Ma seule consolation est de m’en être rendue compte à temps.

Elle risque de m’attendre un moment ce soir. J’espère que ça va lui coûter cher.

 

===

 

[ Présent ]

 

J’observe attentivement le visage de Chloé, espérant que la honte va changer de camp.

Son visage marque le choc, puis elle fait trois pas en arrière, mettant de la distance entre nous.

C’est vrai qu’au début j’aurais bien aimé la frapper, mais ça m’est passé, elle n’a pas à s’inquiéter de ça.

La colère par contre, est toujours d’actualité.

Et c’est aussi un moyen m’assurer qu’elle reste à bonne distance.

Elle se mord la joue, puis commence à remballer toutes ses affaires à la hâte.

Je vois...

Elle n’a même pas le courage d’assumer ses actes apparemment. Ça n’aurait rien changé mais des excuses auraient été bienvenues.

Alors qu’elle se dirige vers la porte, je l’interpelle :

- T’as rien à dire ?

De la paperasse et son PC dans les bras, elle se raidit, tourne la tête dans ma direction et annonce :

- Non, j’ai plus rien à te dire. T’as qu’à demander à Emilie, après tout elle avait parié sur moi !

Sans un mot de plus, Chloé quitte la pièce, me laissant avec la bombe qu’elle vient de lâcher.

Je comprends pas.

Emilie était aussi dans le coup ?

C’est pour ça qu’elle m’aurait poussée à tenter ma chance ?

Un coup d’oeil à ma montre m’indique qu’elle devrait déjà avoir fini son service.

Moi aussi et ça tombe bien, je sais où elle habite.

Ni une ni deux, j’attrape mes affaires et me dirige vers ma voiture.

 

====

 

La manière dont je tambourine vigoureusement sur la porte n’est pas sans rappeler celle qu’utilisent mes collègues lorsqu’ils vont faire une perquisition à l’aube, s’attendant à trouver le suspect encore endormi.

Même à travers l’aluminium, j’entends Emilie se plaindre :

- Ça va, ça va, j’arrive, deux minutes !  

Elle ouvre la porte en grand, un air franchement agacé sur le visage, qui se mue en perplexité lorsqu’elle voit que c’est moi :

- Claire ? Ça va ? Il y a le feu ou quoi ?

Ne voulant pas me donner en spectacle devant le voisinage, je demande:

- Je peux entrer ?

Elle s’écarte pour me laisser passer, ne semblant pas réaliser que je suis sur les nerfs.

Refermant derrière nous, elle s’installe sur son canapé et m’annonce :

- Si tu veux quelque chose à boire ou à manger, n’hésite pas.

- Non merci.

Je choisis de rester debout, étant trop sous tension pour rester assise sans bouger :

- J’ai parlé avec Chloé.

La réaction d’Emilie n’est pas du tout celle à laquelle je m’attendais :

- Oh, génial ! Vous avez résolu vos différents ?

- Pas exactement non. Mais j’ai appris quelque chose d’intéressant. Apparemment, tu avais parié sur elle toi aussi…

Je scrute son visage, attendant l’instant où elle réalise que je sais.

Quand elle saura que je sais qu’elle sait.

Elle fronce les sourcils, secouant la tête avant de hausser les épaules l’air de dire “et alors ?” :

- Euh… Comme à peu près tout le commissariat…

De mieux en mieux…

Je fais les cents pas, avant de me tourner vers elle, poings serrés :  

- Donc tout le monde était au courant ?

Elle acquiesce d’un rapide signe de la tête, je continue donc :

- Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Elle ouvre les mains, paumes vers le haut, semblant complètement paumée :

- Ce n’était pas exactement un secret hein ! Mais… Enfin… Je comprends pas pourquoi t’es aussi énervée !

- Pardon ?

Oh putain.

Me faire prendre pour la conne du siècle, sur mon lieu de travail, apprendre que la fille que j’aimais bien jouait juste avec mes sentiments…  

Je suis supposée réagir comment au juste, si ce n’est en m’énervant ?

Je devrais en rire ?

Je crois pas non !

- C’était des mises plus symboliques qu’autre chose, il n’y avait pas vraiment d’argent à se faire.

Super, c’était pour le fun.

Nan, vraiment, génial.

Et apparemment je ne suis même pas la première de sa liste de victimes…

- Y’en a eu d’autres ? Combien ?

- En tout ? Je dirais une quinzaine.

Une quinz… Oh mon dieu.

C’est encore pire que ce que je pensais.

Tu m’étonnes qu’elle soit toujours en bonne forme physique, elle ne perd pas de temps.

Emilie se lève, venant placer sa main sur mon épaule. Je suis trop sous le choc pour la repousser :

- Hey… Parle-moi.

Comment je peux être la seule choquée par cette histoire ?

La morale, c’est un truc dépassé ?

Secouée, je me laisse tomber sur le canapé, demandant :

- D’où ça vient ? Comment ça a commencé ? C’est Chloé qui en a eu l’idée ?

Emilie m’adresse un regard inquiet, venant s’asseoir à mes côtés et prenant ma main entre les siennes :

- Nan. En fait ce sont les gars qui sont venus la voir pour lui proposer, ils voulaient se mesurer à elle.

Ok, elle est jolie, mais ce genre de “concours” est juste cruel. On a passé l’âge de ces jeux de cour de récré !

Je m’attendais à mieux de mes collègues.

Totalement dégoûtée, je lance d’un ton las :

- Je comprends pas l’intérêt.

Elle hausse les épaules, n’ayant pas la réponse :

- Voir qui a la plus grosse. En l'occurrence, Chloé les a éclatés. Quand le gérant de la salle de tir a vu ce qu’elle pouvait faire et était en totale pâmoison, ça a froissé quelques égos et les paris ont commencé comme ça.

Minute.

La salle de tir.
Oh non...

Non non non.

Tournant rapidement la tête en direction d’Emilie, je m’assure d’avoir bien compris cette fois :

- Vous faisiez des paris sur le fait que Chloé allait battre nos collègues au tir ?

Elle acquiesce immédiatement :

- Oui. Avec le biathlon c’était du tir à la carabine, mais en extérieur et après l’effort, alors même si elle leur laissait choisir les armes, elle leur roulait dessus.

Je m’adosse au canapé, passant mes mains sur mon visage.

Merde merde merde…

Tout s’explique.
Pourquoi Chloé avait l’air de n’avoir aucune idée de ce que je pouvais lui reprocher.

Pourquoi, après deux semaines à se faire agresser sans raison, elle a commencé à être désagréable en retour.

Fuuuuuuck.

J’ai tout foutu en l’air avec mes insécurités à la con, à tirer des conclusions hâtives.

- Claire ? Parle-moi, je pourrais peut-être aider !

Et je dois des excuses à Emilie aussi. Elle ne m’a jamais donné de raison de douter de son amitié mais même devant sa nonchalance face aux faits, je l’ai jugée plutôt que remettre mes idées en question…

Je suis vraiment la reine des idiotes.

Plus qu’à assumer maintenant. De toute manière, même si je garde le silence, rien ne garantit que Chloé ne va pas me balancer. Parce que je l’ai mérité, à sa place je l’aurais mauvaise.

- Tu te souviens comme j’avais hâte de passer la soirée avec Chloé ?

- Ouais.

- En fin d’après-midi, ce jour là, j’ai voulu passer la voir. [...]

Je termine mon récit et suis confrontée au jugement d’Emilie. Comme à son habitude, elle est directe :

- T’es vraiment, mais alors vraiment trop conne.

- Déjà au courant, merci.

Elle me colle un coup de poing dans le bras, avant d’ajouter :

- Et ça c’est pour avoir douté de moi, espèce de pouf !

J’encaisse sans broncher, n’ayant pas exactement pléthore d’arguments pour ma défense :

- Je suis désolée, je plaide la bêtise.

- Mh. Au moins t’en as conscience !

Défaite, je laisse passer l’insulte et pose la seule question qui m’importe vraiment :

- Tu crois que j’ai ruiné mes chances avec Chloé ?

Sa grimace m’indique le fond de sa pensée avant même qu’elle ne parle :

- Honnêtement ? C’est possible. Elle t’a laissée l’approcher alors qu’elle est toujours très secrète, et t’as rien trouvé de mieux à faire que de lui retirer le bénéfice du doute…

Je sais que sa réponse est raisonnable, mais j’aurais préféré qu’elle me mente.

“Tout va bien se passer Claire, elle va être compréhensive et vous serez en couple d’ici la fin de la semaine.“

Soupirant et ne voulant pas laisser le désespoir me gagner, je demande :

- Qu’est-ce que je devrais faire ?

- Déjà, commences par lui présenter tes plus plates excuses. Et… Dis-lui honnêtement pourquoi t’as sauté sur cette conclusion.

- Tu dois avouer que leur conversation était plutôt incriminante !

Emilie m’adresse un regard peu impressionné :

- Oui, mais ça n’explique pas pourquoi tu as toujours refusé de lui en parler…

Quand même. Qui a envie de dire “hey, sur une échelle de 1 à 10, à quel point tu penses que j’ai été conne de croire que tu pouvais t’intéresser à moi ?”.

Personne !

- Mh. Mais tout à l’heure elle m’a dit qu’elle n’arrivait pas à passer à autre chose et m’a embrassée. C’est plutôt bon signe non ?

Immédiatement, Emilie écarquille les yeux et fond sur moi tel un oiseau de proie :

- Quoi ? Quand, comment, raconte ?

Ce souvenir là m’extirpe un sourire :

- Tout à l’heure, je viens de te le dire. Je l’ai agacée en insinuant qu’elle n’avait aucun mal à passer à autre chose… Et elle m’a attrapée par la nuque et embrassée avant de me dire que visiblement elle n’y arrivait pas.

- YESSSS girl !!! C’est ce genre d’action qu’on veut. C’était quel genre de baiser ? Elle embrasse bien ?

- Le genre qui te dit “je sais pas si j’ai plus envie de t’embrasser ou t’étrangler”. Et honnêtement, j’étais trop choquée pour en profiter pleinement. Mais j’en veux plus. Surtout maintenant que je connais le fin mot de l’histoire…

Elle frétille des sourcils, voulant en savoir davantage :

- Ouuuh, sexy ! Et après, t’as fait quoi ?

- Pas grand chose, c’est là qu’elle m’a forcée à lui avouer…

- Oh.

Ouais, oh.

Joie de courte durée. Ca a coupé l'ambiance bien comme il faut ! 

On garde toutes les deux le silence, jusqu’à ce que je demande :

- Et maintenant, je fais quoi ?

- Tu connais son adresse ?

- Non.

Emilie m’adresse un sourire désolé :

- Alors rien. On peut rester boire ici, ou on peut aller faire ça au bar.

- Pourquoi les deux choix impliquent que je finirais saoule ?

Grimaçant, elle m’annonce quelque chose que je sais déjà :

- T’en as besoin je crois.

Bon bah quand il faut il faut hein.

 

25 avril 2019

Partie 4

 

 

Et merde. J'y vais à l'instinct.

La première idée qui me vient à l'esprit est d'attraper Chloé et de lui rouler la pelle de sa vie.

Mais c'est mort.

Même pas en rêve.

L'envie de l'embrasser m'est passée et m'a laissé le même souvenir impérissable qu'une intoxication alimentaire dans un avion.

En plus, connaissant sa légendaire décontraction, je me retrouverais sûrement à embrasser la réincarnation d'une planche, yeux grands ouverts et bras ballants.

Le but est d'arrêter la personne qui s'amuse à redécorer les cabines, pas que l'on pense que je suis derrière tout ça, me jetant sur n'importe qui !

Réfléchissant à la vitesse de la lumière, je place une main dans le bas de son dos, l'autre derrière son cou, amenant sa tête au creux de ma nuque. Je me laisse tomber en arrière, sachant que le mur est derrière moi et que Chloé est côté placard, ce qui veut dire qu'elles ne verront pas sa tête étonnée. Au moment où la lumière du couloir nous illumine, je place mes lèvres contre sa peau avant d'entendre un cri.

Feignant la surprise, je me tourne vers nos “invitées”, qui ont l'air totalement perplexes, mais surtout… silencieuses.

Chloé, en revanche, continue de gémir.

Je la repousse avec la ferme intention de lui faire comprendre qu'elle en fait dix fois trop, mais la vois porter sa main à son front, me lançant un regard assassin.

Oh merde. En m'adossant rapidement, je réalise que je lui ai éclaté le crâne contre le mur.

Ses yeux verts viennent se planter dans les miens, me foudroyant littéralement :

- Sérieusement ?

Je lève une main pour lui expliquer que je n'ai pas fait exprès, les mots d'excuse mourant sur mes lèvres alors qu'elle me bouscule pour sortir, sa paume toujours sur son front, des larmes aux yeux.

Nos deux spectatrices s'écartent sur son passage, trop étonnées et confuses pour oser poser des questions.

Mais ça ne va pas durer.

Et je ne veux pas être celle qui devra y répondre.

Fuck.

Adressant un sourire crispé à Gladys et la femme de ménage, je m'empresse de suivre Chloé, m'enfuyant tant que je le peux.

 

====

 

J'arrive sur le parking avec un sac de sport, deux cafés et des excuses méritées. Je n'ai pas réussi à la rattraper hier et je n'ai plus son numéro... Elle m’a indiqué le lieu de rendez-vous dans un email hyper professionnel et je me voyais mal lui expliquer à quel point je suis désolée à l’écrit.

À l'instant où j'aperçois Chloé adossée à sa voiture, je me sens hyper mal. Elle a appliqué une généreuse dose de fond de teint, mais il est clair que plus de 12 heures après, le choc est toujours visible, une zone rougeâtre bel et bien présente.

M’est avis qu’on n'a pas dû passer loin de la bosse…

- Hey.

Elle ne lève pas les yeux de son téléphone et me répond d'un ton glacial :

- Hey.

Déposant mon sac au sol, je lui tends le café que j'ai commandé spécialement pour elle. Elle plisse les yeux, fronçant les sourcils et l'espace d'une seconde je me demande si je ne vais pas finir brûlée au troisième degré…

Chloé lâche un soupir, place son téléphone dans la poche arrière de son jeans, attrapant finalement ma branche d'olivier et soulevant le couvercle, reniflant le contenu.

Intriguée, je mords à l'hameçon :

- Tu fais quoi ?

- Je vérifie qu'il n'y a pas d'arsenic, on n'est jamais trop prudente.

Sa réaction m'agace. Au début de notre “conflit”, elle voulait tout le temps que l'on s'explique, maintenant que les rôles sont inversés, je n'entends plus de “parlons-en entre adultes”.

C'est évident que la blesser n'était pas dans mes intentions !

Du coup, je me laisse aller :

- Pour ta gouverne, ce café ne contient rien, il est noir et amer, comme ton âme. Et l’arsenic peut être inodore.

- Ce genre de commentaire ne m’aide pas à avoir confiance...

Avant qu’elle ne puisse m’envoyer son café au visage pour de bon, je pose une main sur son avant-bras :

- Mais pour ce que ça vaut, je suis désolée, je n’ai pas vraiment fait exprès.

Ses traits restent hostiles et j’ai parfaitement conscience qu’elle essaie de déterminer si je suis sincère ou non, du coup je continue sur ma lancée :

- Pour me faire pardonner, tu n’as qu’à choisir nos rôles.

Cette nouvelle lui extirpe un demi-sourire :

- Ok, prof et élève.

Je hausse un sourcil :

- Qui jouera la prof ?

Elle s’auto désigne du pouce :

- Étant donné que j’étais dans le milieu du sport, je me dis que je serais sûrement plus crédible. J’en avais parlé avec la patronne et elle a justement un coach en arrêt maladie, alors ça l’arrangerait que quelqu’un le remplace aux frais du contribuable.

Hein ? Complètement confuse, je me demande à quoi elle fait référence :

- Comment ça ? Enfin oui, comme tu veux pour les rôles. Mais c’est quoi cette histoire de sport ?

Chloé à l’air mal à l’aise, passant sa main à l’arrière de sa nuque, faisant par la même cascader ses cheveux noirs et m’envoyant une bouffée de shampoing floral :

- Bah tu sais… La police, ma reconversion…

Euh… Non.

Non, je ne sais pas du tout.

Genre… zéro idée.

Mais je ne veux pas mettre encore plus en avant mon ignorance totale et absolue.

Et comment elle peut s’être déjà reconvertie ? Elle a le même âge que moi et j’en suis aux débuts de ma carrière.

Bref, je verrai plus tard.

Il suffira d’appeler Emilie, commère comme elle est, elle saura à coup sûr.

- Ah, ouiii ! Et donc, tu vas faire un cours de quoi ?

- Renforcement musculaire. L’idée, c’est qu’on interagisse avec le maximum de personnes possible, histoire d’essayer de débusquer le ou la coupable.  

- Ça me va.

J'espère que c’est la collègue Gladys qui s’occupera de la réception aujourd'hui, je n’ai pas du tout envie de la voir.

Chloé s’apprête à se mettre en mouvement lorsque je demande :

- Oh, et tu peux me passer ton numéro s’il te plaît ?

Ne voulant pas risquer qu’elle interprète ça autrement, j’ajoute :

- Ça peut être pratique en cas de piste, pour l’enquête.

- Tu ne…

Elle soupire, puis reprend : 

- Nan rien. Passe-moi ton tel.

Je lui donne, la regardant pianoter pour entrer son numéro. Je demande :

- Tu veux le mien ?

- T’as changé ?

- Non.

- Alors je l’ai.

Elle a gardé mon numéro ?

Avant que je ne puisse poser plus de questions, elle s’empare de son sac et tourne les talons.

Sachant que l’on ne peut pas arriver ensemble, j’en profite pour envoyer un message à Emilie :

Hey. J’ai besoin de tes talents de concierge. Chloé était une sportive avant d’entrer dans la police ?  Elle m’a parlé d’une histoire de reconversion ? T’es au courant ?

 

===

On a décidé de se rendre à d'autres cours que ceux des mardis et jeudi soir, car certains de nos suspects s’y trouvent et comme ça on pourra avancer sur plusieurs fronts. Techniquement, ça devrait nous permettre de diviser le nombre de personnes à sonder dans un seul cours tout en évitant les risques que quelqu'un surprenne une conversation qui mettrait l'enquête en péril.

Heureusement que je suis en bonne forme physique avec mon métier, sinon vu le planning qui nous attend, j’en aurais chié.

Et pour l'instant ça me permet de réussir les exercices sans trop de problème et d’engager la conversation avec les suspects sans cracher mes poumons au passage.

Les autres sont en train d’avancer sur les mains et les pieds, presque comme à quatre pattes mais les genoux à proximité du sol sans le toucher et une demi-douzaine de personnes et moi attendons notre tour.

Je me tourne vers ma voisine, qui fait partie des suspects qu’il reste à identifier et qui semble à l’aise et “normale”. Non pas que ça la disculpe. Elle est jeune et j’opte pour le tutoiement, ne voulant pas avoir l’air trop formelle :

- Ça fait longtemps que tu viens ici ?

Oh my God, ça sonnait pas comme une vieille phrase de drague dans ma tête...

Elle se tourne vers moi et m’adresse un sourire par pure politesse :

- Environ 5 mois, toi ?

- C’est mon premier cours collectif. J’espère que je vais réussir à tenir le rythme ! Oh, je ne me suis pas présentée, Claire, enchantée.

Elle serre ma main tendue et annonce :

- Maud, de même. Et t’en fais pas, ça va aller. Ce sera peut-être un peu dur au début mais si c’est le cas ça viendra très rapidement. Ah, c’est à nous.

Sans attendre de réponse, elle se met en position tandis que j’imite tout le monde. Je me sens un peu ridicule à avancer comme un singe, d’autant que Chloé nous demande d’être volontairement lents. Au début, je ne percute pas bien quelle est la difficulté, mais très vite je sens que ça fait travailler le gainage. Et puis ça me permet d’observer les mains de Maud. Les doigts ne correspondent pas à ceux de la photo je dirais…

Arrivées de l’autre côté de la pièce, je réfléchis à un moyen de reprendre la conversation, mais elle me bat à mon propre jeu :

- Tu vois, ça a été !

- Oui, mais ce n’est que le début. C’est plus les courbatures de “l’après” qui me font peur.

Je ponctue ma phrase d’un sourire malicieux, avant de demander :

- Sinon les gens sont sympa ici ?

- Globalement, oui, très.

- Globalement ?

Elle se tourne vers moi, cherchant visiblement à savoir si je suis digne de confiance, avant de se pencher pour me dire à l’oreille :

- À moins que tu n’apprécies tout particulièrement les gros machos pervers, à ta place je resterais loin du type en vert. Et si tu veux des conseils pour te muscler, mets-toi à côté de Salomé, elle t’en donnera sans même que tu aies à demander.

D’un mouvement de tête rapide, elle me désigne la femme-tank de l’autre côté de la pièce. Ok. Monsieur “vas me chercher un sandwich” et madame “conseils non-demandés”, c’est noté. Les deux sont dans la liste des suspects, avec une autre fille près de moi. Il s’appelle Fabrice je crois et Madame Muscle c’est Salomé.

J’ai bien envie d’aller le voir, mais j’ai peur des répercussions que ça aurait sur mon image auprès de Maud.

Il est misogyne et obsédé ? Oh coool, j’ai trop envie d’aller lui parler !

Ouais.

On va éviter hein.

Je finis par capter le regard de Chloé. J’articule le prénom de Fabrice sans faire de son, espérant qu’elle arrive lire sur mes lèvres et lui montre de qui il s’agit d’un mouvement des yeux.

Elle détourne la tête mais acquiesce, semblant avoir compris le message.

On change d’exercice, travaillant cette fois les jambes.

Franchement, c’est plus dur que ce à quoi je m’attendais, réflexion faite, je ne suis pas sûre de pouvoir faire toutes les séances qu’on a prévues…

Malgré moi, je ne peux m’empêcher de regarder la manière dont son pantalon de yoga épouse les formes de Chloé alors qu’elle enchaîne les squats sans sourciller, nous montrant ce qu’elle attend de nous.

À peine l’exercice a-t-il débuté qu’elle se dirige vers mon potentiel suspect, lui demandant visiblement de descendre plus bas.

Il pose une question et quelques instants plus tard, je la vois faire une nouvelle démonstration. Ce n’est pas franchement compliqué, s’il n’arrive même pas à comprendre ça sans assistance, je doute qu’il soit assez malin pour être notre coupable et ne pas s'être faire prendre.

Et puis, je comprends.

Les yeux du type comme les miens sont focalisés sur autre chose que la posture parfaite que Chloé adopte et j’ai un peu honte de me retrouver dans le même panier que lui. Mais pour ma défense, je suis dans le dos de ma collègue et ce qu’elle me présente sur un plateau est carrément sexy. En tant que lesbienne célibataire et sexuellement frustrée, c’est presque un devoir de regarder quand l'occasion se présente !

Secouant la tête pour me remettre les idées en place, je reprends l'exercice.

Je tends l’oreille, espérant que quelqu'un aborde le sujet pour lequel je suis ici, histoire que je puisse poser des questions sans être immédiatement grillée. Malheureusement personne ne fait d’effort et mes yeux retournent se poser sur ma collègue. Le type a abandonné tout exercice, fléchissant ses biceps. Chloé le palpe avant de contracter et pincer sa propre cuisse.

Elle est naïve ou quoi ?

Il la drague, ça se voit comme le nez au milieu de la figure !

La situation ne me plaît déjà pas beaucoup, mais lorsqu'il pose sa grosse paluche sur son quadriceps, se faisant visiblement plaisir, j’ai envie d’aller lui coller mon poing dans la face.

Elle lui a pas dit qu’il pouvait toucher, pour qui il se prend ?

Une suspecte sur ma droite, Marie je crois, semble remarquer les regards meurtriers que j’envoie et les interprète très librement :

- Si il te plaît, reste après le cours, il traîne généralement sur le banc de musculation.

Toute la bonne volonté du monde n'aurait pas suffi à retenir ma grimace de dégoût face à son insinuation :

- Ew, merci, mais non merci.

Amusée elle prend une grosse voix et annonce :

- Quoi ? T’es pas séduite par : mate moi ces abdos poupée !

Elle ponctue cela d’un furtif soulèvement de son haut de sport. Bon point pour elle, je remarque qu’elle a un grain de beauté sur le ventre et que son nombril ressort un peu, contrairement à celui des photos. Mauvais point : elle m’a rencontrée il y a moins de 30 secondes et me montre déjà des parties de son corps, le tout sans sollicitation.

- Pas vraiment non. Les gens imbus d’eux-mêmes ou exhibs c’est pas trop mon truc !

Son visage adopte un air amusé et je sais qu’elle s'apprête à sortir une connerie :

- T’es au mauvais endroit alors !

- Comment ça ?

Allez, pitié, faites qu’elle parle des clichés !

- Excepté le fait que la moitié des gens sont ici pour se montrer… tu sais, le scandale.

Elle termine sur un ton conspirateur et je dissimule ma joie du mieux que je peux :

- Euh, non, de quoi tu parles ?

Elle m'entraîne à l'écart en me tirant par le bras :

- Un cinglé affiche des photos pornos dans les vestiaires des femmes.

Essayant de me remémorer le dégoût que j’ai ressenti en voyant les clichés en lieu et place de l'excitation que je ressens réellement, je produis une superbe grimace de déplaisir :

- Quoi ? Ew ! Mais qui ? Pourquoi ?

Elle regarde autour d’elle, s'assurant que personne n’espionne notre conversation, avant d'expliquer :

- On sait pas. Mais on flippe. Pas mal de nanas envisagent de partir.

- Et personne ne sait qui c’est ? Même pas une petite idée ? Tu commences à me faire stresser, je viens de m'inscrire !

Je rajoute la dernière partie pour ne pas faire que poser des questions.

- Non… on n’en a aucune idée.

Je m'apprête à demander autre chose lorsque la voix de Chloé m'arrête net, indiquant la fin de l'exercice.

Je lui fais les gros yeux mais il est clair qu'elle ne pouvait pas faire durer plus longtemps sans que les gens ne commencent à se plaindre.

La séance de torture continue par un autre exercice bien connu : la planche.

Je me dirige vers ma bouteille d’eau que je termine avant d’aller me placer à côté de Madame Muscle.

M’installant en position, après 30 secondes je manque de m’écrouler lorsque Chloé vient m’appuyer dans le dos avec enthousiasme.

- Mhhhfff !  

Quelle salope !

J’y crois pas !

Abus de position dominante !

Sans vergogne !

Elle voit pas que je galère déjà avec les deux magnifiques poids que j’ai d’accrochés en permanence à l’avant du buste ?

D’une voix mielleuse qui tranche avec la noirceur de son âme, elle m’indique :

- Plus bas, plus bas. Voiiiiilà.

Je suis en train de mourir et ne peux pas me permettre de gaspiller mon précieux souffle, mais croyez-moi que le regard assassin qu’elle se prend devrait être plus que clair !

Imperturbable, elle fait mine de faire son lacet et me murmure :

- Ça c’est pour m’avoir valu les pires minutes de ma vie ! Prépares-toi à souffrir lors des prochaines séances.

J’y suis pour rien si le type était un gros lourd !

Offusquée, je m’apprête à clamer mon innocence (toute relative) mais ma collègue est déjà partie, complimentant ma voisine, qui y va de son petit commentaire désobligeant :

- Merci, je m’applique à faire ce qui m’est demandé. La planche, pas la tente, haha.

Qu’elle continue comme ça et elle va voir le pied.

Au cul.

Le mien précisément.

C’est décidé, je ne l’aime pas !

C’est pas parce qu’elle est aussi féminine qu’Hulk qu’elle peut se permettre ce genre de réflexions ! Et Chloé qui rigole à sa “blague”...

Elle ne perd rien pour attendre !

Mes tentatives de discussion “vestiaire” avec le steak à mes côtés sont toutes très vite avortées, c’est tout juste si elle ne me demande pas de la fermer. Pourquoi elle ne va pas juste soulever de la fonte si elle refuse de parler avec les gens de son cours collectif ?

Les exercices s’enchaînent et Maud n’avait pas menti, elle n’est pas bavarde mais en revanche cette chère Salomé n’est pas avare en conseils non-désirés.

“Tu devrais te mettre plus comme ça”. “Tu n’as pas la bonne posture”. “Mouais, je ne suis pas sûre que ça fasse travailler grand-chose là”.

Si, ma patience.

Juste au moment où je pondère la possibilité de sa mort violente par strangulation (je ne suis pas sûre que mes deux mains suffiront à faire le tour de son énorme cou de taureau, d’où le temps de réflexion), Chloé lui sauve la mise :  

- On va clôturer la séance comme il se doit : des étirements !

On commence et je crois bien avoir trouvé le talon d’Achille de la montagne protéinée à mes côtés. Aussi souple qu’un parpaing, ses mouvements font franchement peine à voir.

Me parant de mon plus beau sourire mauvais, je lui dis :

- Plus bas, plus bas, il faut que ça étire !

Tout en sachant qu’elle ne pourra pas le faire.

Fort heureusement, ça ne l’empêche pas d’essayer, prenant ça comme un défi. Je jubile à la vue de la veine palpitante qui apparaît sur son front sous le coup de l’effort.

Elle semble satisfaite de son résultat, alors évidemment, je surenchéris dans un haussement d’épaules :

- Oh, bon, peut-être la prochaine fois !

Ce faisant, je me mets en position de grand écart frontal avant de m’allonger le long de ma jambe droite.

Elle fulmine, c’est évident.

C’est l’un des plus beaux moments de ma vie.

Si je pouvais, je la prendrais en photo.

Ma collègue m’arrête à nouveau dans le tissage de cette amitié bourgeonnante, demandant au groupe :

- Certains font du yoga ?

Quelques mains se lèvent et j'imagine que c'est la réponse qu'elle attendait :

- Alors c'est parti pour Adho Mukha Svanasana, la posture du chien tête en bas.

Personnellement, ça ne m'évoque rien du tout mais je suis apparemment l'une des seules, puisque quasi tout le monde se place à quatre pattes, avant de se relever petit à petit. Leur position finale est : penché en avant, mains au sol, à bonne distance des pieds et tête dans l'alignement du corps.

Ne tenant pas particulièrement à me retrouver à proximité du cul tendu d'inconnus, je m'écarte légèrement de la masse de corps avant de les imiter.

Chloé se déplace parmi nous d'un pas nonchalant, distillant quelques conseils par ci par là.

Je sursaute en sentant ses mains se poser de part et d'autre de mes hanches, me tirant vers son bassin et s’arrêtant juste avant que l’on entre en contact.

Elle a perdu la boule ou quoi ? Je n'ai pas signé de contrat indiquant que j'étais partante pour faire sa co-star de mime d'accouplement surprise !

Ignorant la réaction de mon corps devant son geste possessif, je relève la tête brusquement, prête à lui faire remarquer que contrairement à ce qu'elle a l'air de croire, elle n'est pas à l'abri d'une plainte pour harcèlement sexuel. J’ai à peine le temps d’ouvrir la bouche qu’elle resserre sa prise sur ma hanche d’une main tandis que l’autre se place en bas de mon dos, faisant pression.

Ok ça va trop loin.

Si elle mime le geste de la fessée, je lui en colle une, auditoire ou pas.

Ils n’auront qu’à la coffrer elle pour les photos !

Affaire résolue, merci, au revoir.

Mes pensées meurtrières sont interrompues par sa voix :

- Il faut que tu alignes ton bassin avec ton dos, ton pubis est trop en avant.

Oh.

Elle me repositionne.

Je me sens stupide d’avoir pu penser qu’il s’agissait d’autre chose… Après tout, ce bateau a coulé depuis un moment maintenant. En même temps c’est sa faute, elle m’a déjà provoquée tout à l’heure !

Malgré tout, mon agressivité retombe comme un soufflé, remplacé par un autre sentiment sur lequel je n’arrive pas mettre le doigt.

Je me détourne, me replaçant face au sol. Chloé retire ses mains, me laissant avec une sensation de froid à la place.

On continue avec d’autres étirements et une fois terminé, je m’empresse de me rendre dans les vestiaires, espérant capter quelques conversations.  Chloé reste derrière pour échanger avec les abonnés et répondre à leurs éventuelles questions. J’espère qu’elle va avoir trouvé quelque chose, parce que j’ai hâte de pouvoir retourner à ma petite vie.

Tendant l’oreille, je prends mon temps pour me changer, mais excepté quelques ragots, il paraît vite clair que je ne vais rien apprendre d’intéressant.

Changée, je me dirige en direction de la sortie, essayant d’ignorer la vague de honte qui me traverse lorsque je vois que Gladys a repris son poste.

En chemin, je constate que Chloé est en grande discussion avec une superbe fausse rousse qui la trouve apparemment hilarante, à en juger par ses petits gloussements débiles. Levant les yeux au ciel, mon regard croise celui de Gladys à l’instant où il redescend.

Elle a l’air désolée pour moi.

Génial.

Maintenant non seulement elle pense que je suis du genre à fricoter dans les placards, mais qu’en plus Chloé est déjà passée à quelqu’un d’autre. Même pas 24 heures après.

La classe.

Ne supportant les généreuses pelletées de pitié que la réceptionniste est en train de m’adresser, je me dirige vers le distributeur de boissons. Alors que j’attends que la machine me livre ma bouteille d’eau, je jette un coup d’oeil à mon téléphone portable. Emilie m’a répondu :

T’es tellement sympa avec moi, je ne sais pas si je devrais t’aider… Mais ouais, jsuis au courant, tout le monde en parlait à son arrivée, tu vivais sous une roche ou quoi ?! Elle était biathlète, elle a fait les JO et tout !

Oh !

Ceci explique cela. Je ne peux m’empêcher de jeter un coup d’oeil furtif à ma collègue. Athlète olympique ? Ça rigole pas.

Elle a l’air un peu trop à l’aise avec son interlocutrice.

J’ai fait la liste et je suis 100% certaine qu’il ne s’agit pas d’une suspecte.

Et même si sa voix est semblable au son d’ongles sur un tableau, niveau physique, je dois avouer que la nana est totalement irréprochable. Genre “madame, madame, vous vous êtes trompée de bâtiment, miss univers c’est à côté”, irréprochable.

J’ai envie d’aller interrompre leur idylle, partiellement parce que si je suis sympa, ça montrerait à Gladys que cette situation ne me dérange pas, partiellement parce que je ne suis pas convaincue que Chloé est effectivement en train de chercher à faire avancer l’enquête.

J’attrape vigoureusement la bouteille d’eau, sentant toujours le poids d’une paire d’yeux dans mon dos. Je ne sais pas si je devrais. Si jamais elle est réellement en train de bosser, elle pourrait s'agacer et je lui ai déjà éclaté la tête hier, il ne faudrait peut-être pas exagérer... 

 

16 avril 2019

Partie 3

 

- Tu te sens de t’occuper de la patronne ?

- Ouais, pas de problème.

- Ok, c’est parti alors.

Chloé me regarde, semblant vouloir dire quelque chose, avant d’acquiescer, ramasser ses affaires et quitter la pièce.

Bon vent.

===

[ Le lendemain ]

Je décide de commencer par les enregistrements, pour pouvoir mieux savoir quels champs sont couverts par les caméras et quelles zones sont situées dans un angle mort. Honnêtement, j’ai très peu d’espoir de sortir quoi que ce soit d’intéressant de ce visionnage.

Les clichés ont été scotchés à même les parois des cabines des vestiaires, où l’activité n’est bien évidemment pas sous surveillance. Du moins j’espère.

Mais bon, sait-on jamais, peut être que cela me permettra de repérer quelques personnes louches.

Je m’installe sur la chaise droite du bureau, sachant que j’aurais les fesses en bouillie d’ici peu. Les persiennes restent ouvertes et même si je suis moins qu’enchantée à l’idée que tout le monde va pouvoir me voir, ça m’évitera de m’assoupir.

4h plus tard.

Ugh. Je regrette tous mes choix de vie alors que je bataille vaillamment pour retenir un énième bâillement. Franchement, j’aurais pu m’en tirer avec une audition, quelque chose d’interactif et de sympa, mais noooon, il a fallu que j’opte pour l’option “par derrière, sans vaseline”. Et si vous avez l’impression que j’exagère, sachez que la seule raison pour laquelle je suis toujours sur cette chaise inconfortable, c’est parce que je crains l’instant où le sang recommencera à circuler dans mon postérieur.

Grâce à l’heure indiquée sur les enregistrements, en recoupant avec le timing de scan des pass abonnés, j’ai pu effectuer une sorte de trombinoscope d’une partie des clients présents les soirs des faits. Comme on le craignait, il y a des inconnus venus en tant qu’accompagnants.

MAIS (bonne nouvelle), tous n’étaient pas présents tous les soirs des faits. Au final, il me reste une trentaine de suspects potentiels. Nettement mieux qu’au départ, mais ça reste encore un nombre important.

Je sens que mes yeux sont fatigués, ils n’arrêtent pas de cligner. Clairement, j’ai bien mérité ma petite sortie. Je passe par mon vrai bureau, attrapant le sac de sport que j’ai préparé et me rends à ma voiture.

C'est une fois affalée derrière le volant que je réalise. 

 

Merde, c’est quoi l’adresse déjà ? Réfléchis Claire, hors de question d’y retourner.

Mhh…

Bon, sinon j’ai qu’à me rendre dans le quartier et je regarderai sur mon téléphone.

 

Oui, voilà, ça fera l'affaire.

15 minutes après, j'arrive sur place.  

J'ouvre l'application Google Maps et recherche les salles de sport à proximité.

Oh merde, il y en a un paquet pour une si petite zone.

Je fais défiler la liste des retours potentiels et finis par reconnaître le nom de notre salle.

Je m’y rends à grandes enjambées, sachant que je pourrais rentrer chez moi après. On est dans l’hyper centre ville, en zone piétonne et ce n'est pas une surprise que de trouver une superbe façade en pierre de taille. Situé à proximité du métro et proche des boutiques, l'emplacement est idéal mais doit coûter plus cher qu’un trimestre de mes salaires.

Je rentre et donne mon nom à la réceptionniste afin de bénéficier de l’offre d’essai gratuit. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour pouvoir jeter un coup d’oeil l’air de rien.

Le temps qu’elle crée mon compte, je repère la caméra qui couvre l'entrée. Après avoir passé ma matinée derrière l'écran, je sais qu'il y en a d’autres, mais c’est la seule qui est réellement exploitable dans le cadre de l’affaire.

Mon interlocutrice m'indique l'emplacement des vestiaires, j'emprunte donc le couloir face à moi, passant le placard à balai et une issue de secours. Il faudra que je demande si elle est sous alarme, que l’on sache s’il s’agit d’une potentielle porte de fuite pour le ou la coupable.

Les vestiaires ressemblent à ceux d’une piscine. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, un mur de séparation au milieu. Quelque part, ça conforte mon impression que l’auteure des faits est une femme. S’il venait à se faire surprendre du mauvais côté, un mec passerait immédiatement pour un pervers et serait probablement signalé, ce serait trop risqué. D’un autre côté, peut être que quelque chose à été placardé côté garçons mais qu’aucun d’entre eux n’a trouvé quoi que ce soit à y redire…

Un frisson me parcourt en réalisant que certains seraient peut-être même contents d’une telle trouvaille.  

Bref.

D’un côté se trouvent des cabines, comme celles qu’on peut trouver dans les magasins pour les essayages, de l’autre, une rangée de casiers.

Sortant mon téléphone et profitant que les lieux soient vides, je prends une série de photos afin de me les envoyer sur mon adresse pro. C’est en voulant le faire que je réalise que nous sommes dans un vieux bâtiment et que je n’ai absolument pas de réseau. Partie remise j’imagine.

Optant pour me changer dans la cabine du fond, je me demande si les clichés ont tous été scotchés dans la même, car certaines sont plus en vue que d’autres. Je prends mon temps pour enfiler ma tenue de sport, essayant de m’imprégner des lieux.

====

Sans demander l’autorisation, je m’installe sur le siège en plastique de l’autre côté du bureau de Chloé.

- Alors ?

Sans relever la tête, elle continue d’écrire et prend la parole d’un ton monocorde :

- Bonjour à toi également, Claire.

- Bonjour. Alors ?

Elle dépose son stylo, croise les mains et annonce :

- C’est un miracle qu’il reste des cheveux sur ma tête. Non seulement elle me prenait clairement de haut, mais en plus elle était désagréable au possible.

Souriant, je demande :  

- Plus que moi ?

- N’exagère pas quand même !

Lui administrant un regard noir, j’annonce :

- Quoi qu’elle ait pu faire, ma journée était pire.

- J’en doute. Après avoir passé trois heures trente en sa compagnie, les conclusions que j’ai pu en tirer sont maigres.

- Raconte, je te dirais ce que j’ai après.

- En gros, elle est issue d’un milieu très riche et a investi dans ce business parce que cette franchise rapporte beaucoup. Tu vois le cliché de la bourgeoise proprette, accent très chic, qui regarde nous autres manants de haut ? Bah c’est elle. Elle ne sait pas qui a découvert les clichés, n’a pas posé de questions pour ne pas que ça se sache et m’a juré ne pas avoir d’ennemis. Vu son abjecte personnalité, j’en doute fortement. J’ai perdu une après-midi de ma vie à essayer de l’aider, tout ça pour qu’elle m’indique qu’il serait de bonne augure que je travaille sur mes manières, étant un peu rustre. En résumé : mobile, suspects, indices, rien. Remarques désobligeantes : beaucoup trop.

Outch.

Malgré moi, je souris. Le malheur des uns fait le bonheur des autres… Finalement je ne m'en tire pas si mal. Je regrette juste d’avoir raté ça et aussi un peu de ne pas avoir réalisé l’audition moi même, ça aurait pu être drôle. Chloé, rustre. Hahaha. Si elle m'avait eue en face, elle aurait certainement fait une syncope. 

- Si ça peut te consoler, après plusieurs heures passées à inspecter des vidéos de surveillance aussi passionnantes que de regarder de la peinture sécher, j’ai réalisé une sorte de trombinoscope des personnes présentes les soirs des faits.

Je fais glisser une version imprimée dans sa direction, la laissant en prendre connaissance tandis que je reprends la parole : 

- On a à présent une trentaine de suspects, pas tous identifiés. Et je me suis rendue sur place, comme prévu. J’ai pris quelques photos de la disposition des lieux, elles sont dans le dossier. Rien de fantastique et je confirme que la seule caméra exploitable est celle de l'entrée... 

Chloé pianote sur son PC, accédant aux clichés.

- Ok… Bon boulot. Même si on n’est pas vraiment plus avancées... Qu’est-ce qui pourrait avoir déclenché ce soudain “affichage” ?

Secouant la tête, je croise les jambes et annonce :

- Vendetta contre la patronne, exhibitionnisme, vengeance contre une ex, déclaration d’amour… T’en sais autant que moi, ça pourrait être tout et n’importe quoi, pour l’instant il ne faut écarter aucune supposition, aussi farfelue soit-elle.

Chloé lève un sourcil, un sourire au coins des lèvres :

- Déclaration d’amour ?

Haussant les épaules, je m’explique :

- Certaines personnes sont vraiment bizarres, ne les juge pas.

 

Un sourire totalement incrédule gagne ses lèvres, alors qu'elle me donne la réplique d'un ton moqueur :

- C’est toi que je juge en ce moment.

- Bref. T’as des suggestions pour la suite ? Jérôme et Sydney pourront pas nous aider si ce n'est niveau accessoires, on capte que dalle à l’intérieur.

- Et toi et moi on ne pourrait pas s’installer quelque part dans les locaux ? Planter un micro dans les vestaires ? 

Ça me rappelle quelque chose…

=====

[ Quelques mois plus tôt ]

- Elle est juste superbe, tu trouves pas ? Mate mate mate !

A mes côtés, Emilie semble complètement insensible aux charmes de la collègue que je reluque, sirotant sa bière et répondant d’un ton ironique :

- Oh si, je regrette de ne pas avoir mis de culotte dis donc dis donc.

Je lui adresse un regard noir, ponctuant ça d’une remarque désobligeante :

- Tu sers vraiment à rien. Je comptais sur toi pour être ma coach de drague !

Emilie se tourne vers moi et éclate de rire :

- Moi ? Chérie, je suis tellement seule que si j’écartais les jambes, il y aurait sûrement une colonie de chauves-souris qui en profiterait pour se faire la malle… Si je suis ton dernier espoir, t’es dans la merde.

Voyant qu’en disant ça, elle a sévèrement entamé mon enthousiasme, elle tente immédiatement de se rattraper :

- Je sais ! Et si toi et moi on allait s’installer à leur table ?

J’observe ma collègue et amie avec des yeux ronds. Ça y est. Je savais que ce n’était qu’une question de temps, mais ça a été encore plus rapide que prévu. Elle a perdu la boule.

- Hmmm… Ou pas ? Tu les connais ?

- Oui, vaguement, de nom. Mais ta future femme est avec eux, ça va le faire.

- Donc la réponse est non. Et ne l’appelle pas comme ça.

- Allez, relax, j’ai un plan. Et vis un peu, qu’est-ce que tu risques à tenter ta chance ?

Voyons… me faire jeter comme une merde ? Qu’elle me rie au nez ? La perte du peu de confiance en moi qu’il me reste ?

Après tout, je n’ai pas la moindre idée de sa sexualité. Tout ce que je sais avec certitude, c’est qu’elle a refusé ou s’est montrée insensible aux avances de tellement d’hommes que certains commencent à se poser des questions. Et aussi qu’avec ses yeux verts et ses cheveux ébène, elle est à tomber à la renverse…

Ça fait plusieurs semaines que l’on passe du temps ensemble en dehors du travail, juste comme ça. Pile assez pour que je développe un coup de coeur digne d’une ado. Plus je la côtoie, plus elle me plaît et maintenant c’est totalement hors de contrôle.

Sans attendre de réponse de ma part, Emilie se lève, m’attrape le bras d’une poigne de fer et me traîne jusqu’à la table autour de laquelle sont affairés nos collègues.

Sans gêne, elle s’y installe et demande :

- Hey. Avec Claire on se demandait si vous étiez intéressés par une partie de fléchettes ?

Immédiatement, les mecs refusent, étant clairement trop éméchés pour l’exercice.

Je sens le regard de Chloé sur moi et n’ose pas vraiment l’observer alors qu’elle répond “ouais, avec plaisir”.

Je la suis et affronte ma première épreuve : ne pas regarder ses fesses. L’uniforme lui réussit déjà très bien, mais pour cette soirée “détente”, elle porte un jeans près du corps, un haut noir épuré et j’ai cru observer une veste en cuir en arrivant. Autant dire que si vous entendez le bruit de quelque chose qui tombe, c'est probablement mes sous vêtements !

Elle fronce les sourcils, observant quelque chose par dessus mon épaule.

Me retournant, je ne peux que constater qu'Emilie n'a pas quitté la table.

Oh bordel.

Je ne perds pas de temps avant de l'interpeller, lui faisant les gros yeux :

- Tu fais quoi ? On t'attends !

Elle m’adresse un sourire en coin qui me fait immédiatement regretter de lui avoir fait confiance :

- Jouez toutes les deux, à trois ce serait bizarre.

Chloé et moi nous regardons, consciente qu’il s’agit d’une excuse totalement merdique. C’est franchement pas cool de la part d’Emilie. Soudainement, je suis tentée d'aller faire l'acquisition de mort aux rats afin d'en saupoudrer généreusement son café de demain. 

Je m’apprête à la menacer de sévices physiques si jamais elle ne venait pas dans la seconde, quand je sens une légère pression sur mon avant bras.

Elle me touche !

Je baisse les yeux pour vérifier, ce qui lui fait retirer sa main, un très léger blush aux joues :

- C’est pas grave, si ?

Bien évidemment, je m’empresse de la rassurer :

- Non, non ! Si ça te va, ça me va.

Mes efforts sont récompensés par un sourire qui me fait l’effet d’un coup de poing en plein coeur. Je ne sais pas pourquoi je réagis à ce point… Elle est magnifique, c’est clair, mais je ne sais pas, il y a quelque chose chez elle qui me fascine.

- 501 ça te va ?

J’acquiesce, profitant du fait qu’elle s’occupe de régler le mode de jeu pour m’auto encourager : ce soir, je passe la seconde.

Qu’elle me repousse ou non, il faut que je sois fixée.  

Je dépose ma bière sur le tonneau qui sert de table à proximité, m’accoudant avec plus de nonchalance que je n’en ressens.

Chloé se retourne et me demande :

- Tu veux commencer ?

- A toi l’honneur, je t’en prie.

Elle se retourne et vise, tirant la langue.

Ce n’est que lorsque sa première fléchette frôle le triple vingt que je réalise que j’ai plutôt intérêt à m’appliquer si je veux avoir une chance de l’impressionner.

Optant visiblement pour la sécurité, les deux fléchettes suivantes se contentent d’un vingt.

Alors qu’elle se dirige vers la cible pour les retirer, je me mets en mouvement. M’approchant, je place ma main dans le bas de son dos, priant pour ne pas me faire gifler :

- Laisse, je m’en occupe.

Chloé se retourne partiellement, son regard étonné venant croiser le mien. Je ne suis pas du tout tactile, elle le sait très bien.

On s’observe mutuellement pendant 2 à 3 secondes et je suis ravie qu’elle ne fasse pas le moindre mouvement pour se dérober ou faire cesser le contact. C’est bon signe.

Finalement, la surprise s’efface et elle me sourit, déposant la fléchette détachée au creux de ma paume.

Je retire mon bras et pivote sur mes talons, la libérant sans pour autant me reculer.

Son regard émeraude va très brièvement se poser sur mes lèvres alors qu’elle me frôle pour partir récupérer son verre et je me tourne rapidement vers la cible pour dissimuler mon sourire.

YES YES YES !

Que je gagne cette partie ou non, j’ai réellement l’impression d’avoir marqué des points.

Je me positionne à la distance réglementaire et joue mes trois coups. Près de 120 points en tout. Décidément, j’assure grave sur tous les tableaux ce soir !

Frôlant l’arrogance, je jette un regard satisfait à Chloé et vais détacher mes fléchettes.

Le reste de la partie se déroule quasi normalement, excepté des contacts somme toute innocents, mais répétés. C’est elle qui m’a “caressé” la main en récupérant ses fléchettes, c’est moi qui ai empiété sur son espace vital soit disant pour récupérer ma bière…

Je n’ose pas regarder en direction de la table où se trouvent ses collègues et Emilie, par peur qu’ils n’aient repéré notre petit manège.

La partie est serrée, mais je finis par l’emporter d’une très courte tête. Autant dire qu'elle va en entendre parler ! 

Avant même que je ne puisse me la péter, Chloé demande :

- On va dehors prendre l’air deux minutes ?

- Je te suis.

On franchit la porte et elle s’engage dans la rue adjacente :

- Ici on peut profiter encore un peu du soleil.

J’espère secrètement qu’elle m’a amenée à l’abri des regards indiscrets parce qu’elle souhaite faire quelque chose sans que nos collègues ne nous voient plutôt que par réelle envie d’air pur.

Je m’adosse au bâtiment, prenant un instant pour observer la manière dont le soleil met en valeur ses cheveux noirs, avant de demander :

- Du coup, qu’est-ce que je gagne ?

Elle glisse ses mains dans ses poches arrières, adoptant un air amusé avant de demander très sérieusement, une touche de défi dans sa voix :

- Je sais pas, qu’est-ce que tu veux ?

Maintenant ou jamais…

Me détachant du mur, je viens me positionner face à elle, à une dizaine de centimètres, pas plus.

Mon coeur s’emballe, n’ayant aucune certitude.

S’il faut, je me suis fait des idées, tout est dans ma tête et je m’apprête à ruiner ce qu’il y a entre nous.

Le vert dans ses yeux se fait de plus en plus discret mais elle ne bouge pas d’un pouce, pas même lorsque je joue avec une mèche de ses cheveux, remontant jusqu’à passer ma main à l’arrière de sa tête, mes intentions claires.

Mon regard se porte sur ses lèvres et je m’apprête à franchir les derniers centimètres lorsque je sens sa main sur mon épaule, exerçant une légère pression, m’incitant à prendre mes distances.

Je ferme les yeux et fais trois pas en arrière, ne sachant pas quoi dire ni faire.

Fuck.

Fais chier !

Comment j’ai pu y croire ?

On joue pas dans la même cour, c’est évident ! Elle s’est montrée sympa, m’a laissée voir ce qu’il se cache derrière ses airs un peu froids et débile que je suis, j’ai interprété ça comme ça m’arrangeait.

Mon auto-flagellation est interrompue par Chloé elle même :

- Claire...

J’ouvre les yeux et développe une soudaine fascination pour le goudron à mes pieds. Les ouvriers ont fait du bon travail.

- Je... Désolée. Ça ne se reproduira pas.

Je la vois s’approcher et n’ai pas le coeur à résister lorsqu’elle glisse sa main sous mon menton, m’encourageant à venir croiser son regard.

J’ai toutes les peines du monde à m’exécuter, n’ayant pas envie de voir la colère ou pire, la pitié dans son regard émeraude.

Elle m’adresse un sourire franc que je ne sais pas comment interpréter jusqu’à ce qu’elle prenne la parole :

- Est-ce que ça te dirait qu'on dîne ensemble demain soir ?

Fort heureusement pour moi, ses doigts sont toujours sous ma mâchoire, sans quoi elle serait certainement venue se briser à même le sol.

Elle m’a arrêtée parce qu’elle veut m’emmener en rancard ? Ou est-ce qu'elle veut juste traîner ensemble ?

Avec ces conneries, j’ai peur de tirer de mauvaises conclusions et aussi de demander.

Sentant mon hésitation, Chloé s’empare de ma main, entrelaçant nos doigts avant de reprendre la parole :

- Juste toi et moi, ça te tente ?

- C'est… ce que je crois ?

Elle me sourit et hausse les épaules, un air malicieux sur le visage :

- Accepte et tu sauras.

Rah, comment vous voulez que je lui refuse quoi que ce soit, alors que ses yeux verts pétillent et que ses cheveux volètent légèrement dans la brise, le tout au soleil couchant ?

 

======

[ Présent ]

J'arrive pas à y croire.

Oh la douce ironie.

Trois soirs que je suis enfermée dans ce maudit placard à écouter des conversations de vestiaire… Moi. La définition même de la lesbienne.

Si vous pensiez que votre vie avait touché le fond, c'est le moment de relativiser !

J'en peux plus. Sydney m'a filé une oreillette qui me fait hyper mal, je suis forcée d'endurer des conversations d'un niveau intellectuel proche de celui de la télé réalité et pour couronner le tout, je commence à développer un sérieux cas de claustrophobie.

Je jette un coup d'oeil à ma montre, soulagée de savoir que Chloé ne devrait pas tarder à me remplacer. À elle le glamour de cette merveilleuse planque, ça lui fera les pieds. Et j'espère qu'elle aura droit à une nouvelle édition de “oh la la t'as vu le prof comme il est bien gaulé ? Je te le dis, soit il aime vraiiiment beaucoup le saucisson de pays, soit il est monté comme un poney !”.

J'ai presque vomi dans ma bouche.

Fini le saucisson ! Plus jamais.  

En attendant, c'est moi qui vais rentrer chez moi avec toujours une vague odeur de serpillère et détergents dans le nez...

Le pire c'est que pour tout résultat, on a mis des prénoms sur les visages des quelques accompagnants inconnus grâce au visionnage en direct des images de vidéosurveillance. Pas exactement la meilleure utilisation que l'on peut faire de notre temps.

Chloé arrive avec quasiment dix minutes d'avance, vraiment bizarre étant donné que je suis certaine qu'elle n'a pas plus hâte que moi de commencer. Le temps qu'elle ouvre la porte, j'entrapercois son visage d'ordinaire impassible, qui cette fois laisse transparaître un certain agacement. Je me surprends à demander en chuchotant :

- Tout va comme vous voulez capt'aine sourire ?

Oui, le fait que je demande ça, c'est un peu l'hopital qui se fout de la charité, j'en ai conscience !

À travers le fin rai de lumière passant sous la porte, je devine à sa silhouette qu'elle dépose son sac à même le sol, soupirant avant de répondre :

- Non. Non seulement cette planque est de loin la pire de l'univers, on n'a pas avancé d'un poil, tu me détestes toujours sans raison, -.

Croisant les bras même si elle ne peut pas me voir, je rétorque :

- Il y a une raison !

- Oh pardon. Tu me détestes sans vouloir me dire pourquoi, mais en plus je viens de me faire passer un savon par Michel.

Notre commissaire, engueuler sa chouchou ? A ce rythme là, demain on va m'annoncer que la terre est plate... Evidemment, je suis intriguée. Et si elle pouvait me décrire en détail à quel point ça lui a brisé le coeur, ce serait un plus : 

- Ah ?

- Apparemment, notre chère patronne de club de gym est à la fois bonne amie avec le préfet et membre de la belle famille du commissaire. Quoi qu'il en soit, elle estime que nos mesures de surveillance sont à la fois désuètes et ridicules comparées à l'ampleur du problème. Oh et aussi que l'enquête n'avance pas assez vite.

Ça me coûte de le reconnaître, mais elle n'a pas totalement tort. Nos méthodes puent le désespoir, ça fait une semaine et l'on a rien si ce n'est une liste de suspects… Mais ce n'est pas exactement de notre faute. 

- Et qu'est ce que cette fine limière suggère ?

Chloé prend une grande inspiration, comme pour se calmer avant d'annoncer :

- Elle ? Rien. Michel veut que l'on passe la vitesse supérieure, qu'on aille sur le terrain sous couverture.

- Ensemble j'imagine ?

- Hmm. En tant que prof et abonnée ou amies allant à la salle ensemble.

Bien sûr.

Génial.

Manquait plus que ça.

Quoique ça veut dire plus de placard pour nous, ce qui est une victoire en soi.

- Ok… tu p- attends, chut, quelqu'un arrive.

Chloé et moi gardons le silence et retenons presque notre respiration alors que des pas rapides se font entendre. Je reconnais la voix de Gladys, qui travaille à l'accueil :

- Madame, votre collègue ne vous l’a pas dit ? Les horaires ont changé pour les semaines à venir,, il faudra revenir après minuit.

- Tsk. Non. J'ai pas signé un contrat de nuit, je dérangerai pas vous inquiétez pas, la musique des cours collectifs est tellement forte qu'ils n'entendront même pas mon aspirateur.

Oh merde, c'est la femme de ménage.

Elles viennent ici.

La poignée de la porte s'abaisse et j'ai une poussée d'adrénaline soudaine. Je sais ce qu'elles vont trouver : deux femmes adultes, dans le noir, dans un placard comportant un aspirateur, un sceau et une serpillère, des produits ménagers et une chaise en plastique délocalisée pour que l'on ne soit pas à même le sol. On aura forcément l'air vraiment bizarres. Or, on est supposées rester incognito pour le bien de l'enquête. Même la réceptionniste ignore la raison de notre présence.

Que faire ?

 

 

8 avril 2019

Partie 2

 

Mes bras m’indiquent que j’ai plutôt intérêt à me décider rapidement si je ne veux pas tout réceptionner sur mes pieds donc je vais au plus proche : la salle de réunion.

Hors de question que je me terre dans un endroit miteux juste à cause d’elle !

La pièce est assez grande, composée d’une imposante table rectangulaire entourée de chaises ainsi que d’un bureau avec ordinateur. Il y a même le traditionnel panneau en liège géant pour y punaiser des informations pendant une présentation.

Me connaissant, si je me mets à la table, je vais réussir à la recouvrir de paperasse. Or, il vaut mieux que je reste organisée, je n’ai pas l’intention de m’éterniser dans cette collaboration forcée. Larguant mon carton sur la surface du bureau, je démarre l’ordinateur. Immédiatement une chose à laquelle je n’avais pas pensé me saute aux yeux. La salle est au milieu de l’espace et entièrement vitrée.

Immédiatement, je me sens comme un animal au zoo. Ce n’est pas le sentiment le plus agréable qui soit...

Je n’ai même pas le temps de battre un cil que Chloé pénètre dans la pièce, ordinateur portable dans les bras.

Sérieusement ?

Immédiatement sur la défensive face à ce que je considère comme étant une invasion, je croise les bras et demande d’un ton laissant paraître qu’il ne s’agit pas de quelque chose qui me réjouit :

- Qu’est-ce que tu fais là ?

Elle dépose ce qu’elle porte sur la table et rétorque :

- Ça ne se voit pas ? Je viens profiter de l’aura de bonne humeur qui t’entoure.

Elle ponctue le tout d’un sourire mauvais et j’avoue, sa réplique est plutôt drôle. Heureusement, trop occupée à se glisser sous la table pour trouver une prise, elle n’en saura rien.

L’espace d’une fraction de seconde, mes yeux vont se poser sur la paire de fesses située directement dans ma ligne de vision, avant que je ne me reprenne.

On ne fraternise pas avec l’ennemi, Rosenberg.

Apprends de tes erreurs et prends-toi en main.

Et pas d’une manière sexy.

Chloé se redresse, époussetant sa tenue pourtant impeccable. Une mèche de cheveux d’un noir ébène s’est échappée de son chignon et c’est un petit miracle en soi vu comme ce monstre a l’air serré. Parfois je me demande si elle n’a pas un business alternatif de coiffeuse pour mariages ou je ne sais quoi.

J’aimerais bien, j’ai toujours rêvé de dénoncer quelqu’un au fisc.

Elle prend place à la table, dos à la porte vitrée et me fixe sans rien dire, bras croisés.

Honnêtement, je suis lasse de cette situation entre nous. La tension, les prises de tête.

Mais maintenir cette animosité, aussi puérile que ce soit, me permet d’être certaine qu’elle garde ses distances. Je l’ai laissée s’approcher une fois de trop.

Trop fière pour re-demander ce qu’elle veut, je m’installe face à elle et l’observe en retour. Puisqu’elle veut jouer au con, jouons !

Fuck, ses yeux sont vraiment magnifiques, d’un vert émeraude qui interpelle par son intensité.

Elle ne cligne pas des paupières, alors moi non plus.

C’est vraiment bizarre.

J’espère que personne ne nous regarde.

Ou s’ils le font, qu’on a l’air de faire un truc cool, comme communiquer par télépathie. Pas juste se regarder dans le blanc des yeux sans raison.

Après même pas dix secondes, j’ai peur d’être la première cow-girl moderne à se mettre à pleurer en plein duel. Mes paupières ont très clairement envie de faire leur boulot et je lutte pour les garder ouvertes alors même que mes yeux s’embuent.

En cet instant, je suis quasi certaine d’avoir l’air constipée.

Ses épaules se mettent à bouger en premier, puis c’est tout son corps qui est pris de soubresauts alors qu’elle se met à rire.

Humiliée, je me rappelle qu’elle porte parfois des lunettes, ce qui signifie qu’elle doit actuellement avoir des lentilles… Sale tricheuse !

Je me relève et demande d’un ton hautement ironique :

- La ferme ! Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de ta venue ?

Elle cesse de rire, sans pour autant avoir la décence d’avoir l’air désolée, avant de faire un signe de tête en direction du bureau, annonçant :

- Michel t’a filé l’unique version imprimée du dossier. Autant y jeter un coup d’œil ensemble.

- Mh.

Toujours agacée par son attitude, je marche jusqu’au bureau en prenant bien soin de taper des pieds. Oui, j’ai la maturité émotionnelle d’un enfant de quatre ans, allez vous faire voir !

J’attrape l’énorme dossier cartonné et vais m’installer à côté de ma collègue, sachant que me mettre en face ne serait pas pratique. A l’instant même où elle se décale pour me laisser approcher, je sens son odeur caractéristique : un mélange d’assouplissant et de parfum floral.

Elle s’apprête à plonger immédiatement dans le vif du sujet (et je m’en voudrais de la retenir trop longtemps !) mais je place ma main sur la couverture du dossier avant qu’elle ne puisse l’ouvrir :

- Il peut y avoir des clichés sensibles, une seconde.

- Bien pensé.

Je fronce les sourcils devant sa réponse, me relevant pour abaisser les persiennes de la pièce, seule la porte vitrée restant comme elle est. Elle n’a pas saisi la dynamique de nos interactions ou quoi ?

Avec ses conneries j’ai peur de me retourner. S’il faut elle est déjà en train de me tricoter un bracelet de l’amitié. Si c’est le cas, j’y rajouterai quelques perles octogonales pour qu’elle le sente mieux passer quand je lui enfilerai là où je pense.

Mon sourire sadique est remplacé par un lever d’yeux au ciel en constatant qu’elle est encore et toujours en train de me fixer.

Qu’elle prenne une photo, ça durera plus longtemps.

M’étant montrée suffisamment puérile pour la journée, je garde mes pensées pour moi et prends place.

Voyons quel genre de clichés ce pervers s’amuse à placader. Étant donné qu’elle est en train de boire à sa bouteille d’eau, je prends la liberté d’ouvrir le dossier.

Immédiatement, j’émets un son à la dignité discutable et referme le battant en carton, tandis que Chloé part dans une quinte de toux.

Oh mon dieu !

Il n’avait pas précisé, mais à l’instant même où Michel a indiqué qu’il s’agissait de clichés à caractère sexuel, je m’attendais à quelque chose de très... phallique.

Le next level de la dick pic non sollicitée, affichée partout par un militant de l’érection libre.

Mais non.

Je jette un coup d’œil en coin à Chloé, potentiellement en train de mourir à côté de moi, qui recule sa chaise pour mieux pouvoir se pencher et cracher ses poumons.

Profitant de l’occasion, je lève une main et viens l’abattre à plat au centre de son dos, m’apprêtant à renouveler l’opération avant d’être arrêtée net d’un simple regard distinctement assassin adressé à mon attention.

- Oh ça va, j’essayais de rendre service !

Je ré-ouvre avec appréhension le dossier et pose mes yeux sur le cliché en haut de la pile.

Oui, j’avais bien vu la première fois.

Une foufoune en gros plan. Genre microcosmos rencontre le télescope de la nasa, gros plan.

Voilà voilà...

Ce n’est vraiment pas le genre de clichés très haute définition qu’on a envie de regarder avec des collègues. En tout cas, pas dans mon corps de métier.

Voulant détendre l’atmosphère soudainement chargée, je dis :

- Plus qu’à trouver qui possède à la fois du très bon matériel de photographie et des goûts discutables… Facile.

Chloé m’adresse un sourire timide, visiblement aussi peu à l’aise que moi.

D’une main hésitante, elle soulève le premier cliché afin que l’on puisse voir celle du dessous. Elle comme moi sommes soulagées de constater qu’elle est “moins pire”. Il s’agit cette fois d’un cliché ayant pour vocation de nous mettre à la place de la personne sur la photo. L’angle de vue est positionné juste au-dessus de la poitrine et l’on peut voir un ventre plat et une main visiblement occupée entre des cuisses écartées.

Déglutissant, Chloé se met à parler, vraisemblablement plus pour avoir quelque chose à faire que pour apporter sa pierre à l’édifice :

- Notre suspecte est en bonne forme physique… Mais en même temps, ça se passe dans une salle de sport.

Prenant bien soin de ne pas croiser son regard, j’ajoute :

- Sans compter que rien ne nous indique que les photos sont récentes, ni qu'elle sont de la personne qui colle les "affiches". Le sujet pourrait très bien faire 150kg. 

- C’est vrai.

On passe les clichés suivantes en revue et il paraît très vite évident que l’on fait tout pour ne pas laisser la gêne s’installer, mais ce n’est pas chose facile. Après tout, on n’est plus exactement proches, donc si j’avais dû choisir quelqu’un avec qui regarder du contenu érotico-porno, elle aurait probablement été tout en bas de la liste. Mon seul lot de consolation est que sur la demi-douzaine de photos, excepté pour la première, le reste du temps une main cache le sexe du modèle.

Heureusement, le supplice prend fin pour être remplacé par un autre : les rapports écrits.

On lit la déposition de la patronne du club, prenant bien soin de noter les dates des incidents. À priori ils se sont déroulés les mardis et jeudi soir, ce qui n’arrange pas nos affaires car ce sont les jours où il y a le plus de cours collectifs organisés. Apparemment, les personnes ayant trouvé les « affiches » sont venues les déposer à l’accueil mais n’ont pas été entendus en nos locaux.

La responsable nous a communiqué la liste des clients de la salle ainsi qu’un extrait du logiciel de scan des cartes d’abonnés. Avec ça, on saura qui a pointé présent les jours des faits. Malheureusement, étant donné qu’il y a une offre “un abonnement pour deux”, il est possible voire même probable que notre suspecte soit venue en tant qu’invitée et que son nom ne figure pas sur la liste…

Un post-it est collé sur l’une des dernières pages, nous communiquant le mot de passe du dossier sécurisé sur l’intranet dans lequel les éléments du dossier ont été déposés.

Me laissant la version papier, Chloé s’empare de son PC portable et y accède. J’en profite pour prendre mes distances, contente que la salle soit immense. La collaboration forcée combinée à la promiscuité aurait été trop pour moi je crois.

J’ouvre les persiennes et m’installe au bureau, relisant les informations à notre disposition, commençant à recouper les éléments.

Une demi-heure plus tard, Chloé émet un petit bruit de confusion qui me fait sortir le nez de ma paperasse.

Levant les yeux dans sa direction, je l’interroge du regard.

- Je crois que l’on cherche deux personnes.

Je fronce les sourcils en entendant ça. Deux personnes ? Genre photographe et modèle (si on peut appeler ça comme ça) ?

- Comment ça ?

Les joues de Chloé prennent une teinte rouge vif, faisant ressortir ses yeux verts et c’est un ton limite penaud qu’elle m’annonce :

- Je pense que ce n’est pas le même sexe sur toutes les photos.

Mes sourcils partent fusionner avec mon cuir chevelu. Pardon ? C’est quoi cette histoire ?

Intriguée, je m’approche et me rassieds à sa gauche.

Face à mon air confus, elle décale son PC portable entre nous, me permettant de voir de quoi il retourne.  

Elle ouvre et fait glisser l’une des photographies sur le bord de droite de l’écran, faisant de même avec une autre sur le bord gauche, nous permettant de les comparer. L’une est le premier gros plan vomitif, l’autre une photo de masturbation. Le sexe est moitié dissimulé derrière une main de femme.

Euh… Je ne suis pas sûre de savoir ce que je suis supposée y voir. Je me tourne vers elle, un air interrogatif sur le visage, pas certaine de savoir comment formuler mes doutes.

Comprenant où je veux en venir, Chloé rougit de plus belle avant de pointer l’écran du bout de l'index, s’approchant :

- Là, regarde.

Elle zoome et à côté des doigts, on voit un point noir qui n’est pas présent sur l’autre cliché.

- Mouais, je ne sais pas trop. C’est flou, ça pourrait être n’importe quoi.

- C’est un grain de beauté, j’en suis quasi sûre.

La confiance en soi peut être une qualité plaisante à petites doses, mais là on est clairement dans l’excès. Agacée, je réponds avec un peu plus de vitriol que prévu :

- Si tu le dis, après tout, c’est ton domaine de prédilection.

Doigt toujours sur l’écran, elle tourne la tête dans ma direction, sourcils froncés, clairement sur la défensive :

- Ça veut dire quoi ça ?

Pour une fois qu’elle ne reste pas indifférente face à mes agressions, je n’en perds pas une miette :

- Oh allez, à d’autres, tombeuse. T’as du en voir un bon paquet non?

Ses lèvres se pincent, ses narines se dilatent et les muscles de sa mâchoire se contractent violemment. Je ne peux même pas vous dire à quel point c’est agréable de voir Chloé lutter pour rester maîtresse d’elle-même. D’ordinaire, elle est toujours composée, limite froide. Là, ses yeux sont vibrants et dangereux, quasiment aussi noirs que ses cheveux.

La tension est à son comble et je m’attends à ce qu’elle me saute à la gorge d’une seconde à l’autre, lorsque la porte vitrée s’ouvre derrière nous, nous faisant sursauter.

Chloé a le réflexe de rabattre l’écran de son PC, mais clairement, c’est beaucoup trop tard.

Emilie, immense sourire aux lèvres, referme derrière elle et nous dépose des DVD sur la table :

- Ne vous dérangez surtout pas pour moi… Mais attendez au moins que je sois partie pour agir sur la tension sexuelle entre vous.

Je vais la buter.

J’ai toujours refusé de lui dire pourquoi les choses se sont dégradées entre nous du jour au lendemain, alors elle a pris sur elle d’inventer des théories fumantes.  

Maintenant qu’elle nous a surprises, face à face, les têtes à 4 millimètres de photographies pornographiques, Emilie ne me laissera jamais en voir le bout.

Sachant qu’elle ne le prendra pas mal, je la remballe sans concession :

- Occupe-toi de ton enquête et arrête de mettre ton nez dans celles des autres.

- Oh je ne mets mon nez nulle part, moi. C’est pas ma faute si vous avez choisi un espace intégralement vitré alors que vous aviez connaissance de la nature de l’affaire ! Et je ne parle même pas des regards que vous vous lancez. A votre place, je songerai à faire payer, vous tenez quelque chose les filles.

Chloé lève les yeux au ciel et expire lentement, comme pour se calmer, avant de demander d’une voix totalement neutre :

-  Qu’est-ce que c’est ?

- Les enregistrements des caméras de vidéosurveillance.

- Nickel. Merci.

Et par nickel, il faut comprendre : youpi youpi tralala…

Les émissions de télé sur la police montrent rarement l’envers du décor. La plupart du temps, on est très loin des courses poursuites haletantes et de l’action non-stop. Ce genre d’enquête est nettement moins glamour et peut durer des mois. Et croyez-moi, personne n’aime éplucher les factures détaillées (fadettes pour les intimes) des suspects pendant des heures, le tout sans garantie de résultat.

- Bon sur ce, je vous laisse.

Sans attendre de réponse, Emilie repart comme elle est venue.

Je recule ma chaise, mettant de l’espace entre nous, n’osant pas regarder Chloé.

Même si j’en pense chaque mot, je me suis laissée emporter par mes émotions et n’aurais pas dû l’agresser de la sorte. Elle n’en vaut pas la peine :

- J’ai été trop loin, désolée.

Mes excuses sont minables, mais ont le mérite d’exister. Il ne faut pas perdre de vue notre objectif : trouver la personne derrière tout ça. Le reste importe peu.

N’importe plus.

Dans mon champ de vision, Chloé passe ses mains sur son visage, avant de relever la tête, demandant d’une voix éreintée :

- Claire, je... J’aimerais juste comprendre pourquoi.

Pour toute réponse, je me relève en silence, retournant à mon bureau, soulagée de pouvoir mettre de la distance entre nous.

A chaque fois que je pose les yeux sur elle, sur ses yeux verts expressifs, ses pommettes hautes, ses cheveux impeccablement coiffés, je suis ramenée quelques mois en arrière. Au sentiment d’humiliation. A la honte, au dégoût.

Alors non, on ne va pas en parler.

Venant croiser son regard, je nous recadre, on n’est pas là pour ça de toute manière :

- Comment tu veux répartir le boulot ?

Elle baisse les yeux, semblant momentanément accuser le coup, avant d’adopter un masque, le visage dénué d’expression :

- Le mieux c’est qu’on se sépare et qu’on fasse le point après. Tu préfères regarder les enregistrements vidéo et aller jeter un coup d’œil aux locaux sans attirer l’attention… ou entendre la patronne, qu’on ait quelque chose, une piste, n’importe quoi, parce que là on marche à l’aveugle ?  

 

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