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Fictions Lesbiennes :)

Fictions Lesbiennes :)
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22 février 2016

Chapitre 11 : Pique nique

En voiture avec Lucie, je sens le stress monter.

Elle a organisé une sorte de pique-nique au milieu de nulle part, dans une zone forestière dédiée à la découverte de la nature, le tout avec Batou et Anna. En "omettant" bien sûr de communiquer à Anna la liste complète des participants. Bref, comme d'habitude, elle assure.

Je vais tâcher de faire de même.

Elle se gare et me laisse quelques secondes pour me préparer. Ça fait une semaine que je ne l'ai pas vue et j'appréhende sa réaction. C'est une belle journée, c'est de bonne augure déjà.

Nous sortons de la voiture et nous dirigeons vers le point de rendez-vous. Baptiste et Anna sont sur place, nous tournant le dos. J'observe ma kiné à son insu. Elle a visiblement l'air décontractée, de son petit pull et son jeans à ses cheveux attachés en un chignon un peu lâche. Tant mieux.

Batou nous repère en premier, nous faisant de grands signes alors même qu'on est à environ cinq mètres seulement.

- Salut les filles !

Je ne sais pas si c'est le "les" qui lui met la puce à l'oreille, mais Anna se retourne façon diable de Tasmanie. Visiblement, le secret de ma présence avait été bien gardé. Je fais d'abord la bise à mon meilleur ami, qui en profite pour me chuchoter à l'oreille :

- Cette fois rate pas ton coup, boulet ! 

Sa remarque lui vaut une petite tape dans le dos. Il va me porter la poisse cet imbécile.

Penaude, je m'approche d'Anna d'un pas incertain. J'ai un peu peur de sa réaction mais elle me salue, peut être avec plus d'hésitation que d'ordinaire mais sans rien dire.

Je lance un timide :

- Coucou.

Elle me répond "salut" mais sans croiser mon regard.

Avant que ça ne devienne bizarre, Baptiste se moque de moi et pour une fois je lui en suis reconnaissante ! Pointant ma tenue du doigt, il s'enquiert :

- Inès, une petite question, tu comptais te cacher dans les fourrés pour flasher d'innocents passants ?

- Ha ha très drôle. J'avais peur qu'il y ait du vent ! Et pour ta gouverne ce que je porte s'appelle un trench et j'ai des habits en dessous.

- Montre pour voir ?

Pour blaguer, je me rue sur lui en écartant les pans du vêtement à la manière d'une exhibitionniste, poussant même le vice jusqu'à faire des mouvements de bassin !

Absolument pas effarouché, il baisse les yeux pour inspecter mon corps tout à fait décent puis s'adresse à Lucie et Anna par-dessus mon épaule :

- Elle disait vrai... Ça valait le coup d'essayer !

Souriante, Lulu n'en reste pas moins pragmatique :

- Maintenant que ce sujet est clos, ça vous tente de se mettre en route avant que le soleil ne se couche ? Le panier ne s'allège pas avec les minutes qui passent je vous signale.

Me tournant vers elle, je rétorque :

- Je t'avais dit de prendre un sac à dos.

Royale, elle me répond de la même manière qu'une bourgeoise prout prout le ferait avec un clochard qu'elle aurait trouvé sur son canapé :

- Ma chère, les pique-nique c'est sacré et tu n'es pas sans savoir que le rituel requiert un panier en osier et un plaid ou une nappe à carreaux !

Sortant de son silence, Anna va plutôt dans mon sens :

- J'ai dû louper ce cours-là !

Baptiste écarquille grand les yeux et tire sa cousine par le bras pour l'éloigner de Lucie :

- Malheureuse, on ne contredit pas la sorcière avant d'entrer dans un bois, t'as jamais lu les

contes pour enfants ? Au mieux elle t'y abandonne, au pire elle te garde en esclavage pour nettoyer une maison remplie de nains !

Mon regard croise celui de Lucie tandis que nous levons toutes les deux les yeux au ciel devant les singeries de Baptiste. On leur emboite le pas et malgré mon apparente sympathie je ne peux m'empêcher d'ajouter :

- Lu'... Fais gaffe t'as un truc là !

Je pointe le bout de mon nez du doigt. Pour ma plus grande joie, elle tâtonne la zone en question sans rien trouver, allant presque jusqu'à loucher avant de demander :

- Quoi ?

- Une pustule.

Je suis plutôt contente de ma vanne pourrie en voyant les cousin-cousine en rire. Sa Majesté n'en a cure et me répond du tac au tac, indiquant son oeil et lançant dans un sourire mielleux :

- Inès, fais gaffe tu vas avoir un coquard là !

Je marmonne un "rabat joie" et annonce tout haut :

- Maintenant c'est sûr, au moyen âge on t'aurait brûlée.

La connaissant par cœur, j'évite sans problème le croche-pied qui m'était destiné.

Alors même qu'il ne fait pas extrêmement chaud, entre la marche et le soleil, c'est une balade très agréable. Ma kiné ne m'a pas vraiment adressé la parole mais ne m'ignore pas non plus, donc l'un dans l'autre, je suis soulagée. Avec une bonne dose de glu, je pense pouvoir réparer les pots cassés.

On finit par arriver aux abords de ce qui semble être une clairière, entourée de petits arbustes et bordée de fleurs.

Lucie pose son panier et s'étire. Je m'en empare dans le but d'en extirper la nappe et m'exclame :

- Ça pèse le poids d'un âne mort ton truc, fallait le dire !!

Elle continue à gesticuler, cherchant certainement à remettre en place les vertèbres qu'elle s'est à coup sûr déplacées :

- Je l'ai fait. Ca m'a valu de me faire traiter de sorcière !

- Tu marques un point.

Sans un mot, Anna m'aide à mettre "la table" et je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse de sortir des couverts !  Même si ça n'envoie pas du rêve, au moins on partage quelque chose.

Nous sortons les salades avec l'aide de Lucie alors que Baptiste s'émerveille du décor et ne nous calcule même plus.

Finalement, Anna s'empare d'un grain de raisin et le lui lance dessus avec la précision d'un sniper, le rappelant à l'ordre. Ne sachant pas trop où sont les limites, je me suis mise à distance de ma kiné, laissant suffisamment de place pour que Baptiste se situe entre nous. Mais ça, c'était sans compter sur le fait que Monsieur souhaite bronzer :

- Anna, tu peux te décaler s'il te plaît ? Je voudrais être face au soleil.

Un peu de mauvaise grâce, elle se rapproche de moi malgré tout. Je me demande s'il l'a fait exprès avant de réaliser que ce type est incapable de faire quoi que ce soit discrètement.

Une fois qu'on a fini de manger, je me sens l'âme d'un paresseux. J'ai zéro envie de bouger. Je poserais volontiers ma tête sur les jambes d'Anna mais la proximité des couverts m'incite à garder mes distances. La séduction ne faisant déjà pas partie de mes points forts, à part une fan de pirates, mon succès auprès des femmes serait encore plus limité si j'étais éborgnée...

Oui, bon, ok, il serait réduit à néant, inutile de jouer sur les mots !

Lucie ne se gêne pas et m'utilise comme oreiller personnel. Au moins il y en a une que je n'ai pas encore réussi à faire fuir. Elle ferme les yeux et demande d'un ton sans appel :

- Fais-moi des papouilles !

Je ne peux pas m'empêcher de relever son infinie délicatesse :

- C'est si gentiment demandé, comment refuser !

Malgré ma remarque, je ne perds pas de temps pour m'exécuter. Comme je sais qu'elle aime bien ça, je joue avec ses cheveux et alterne avec des mini massages du cuir chevelu.

- Mhhh c'est trop bien !

Baptiste en profite pour s'éclipser, appareil photo en main. Vu l'endroit où on se trouve, il devrait avoir de quoi se faire plaisir.

Souriante, je me tourne machinalement vers Anna. Son regard est posé sur ma main caressant Lucie et je ne crois pas me tromper en disant qu'elle aimerait être à sa place. Pour ma part je ne dirais pas non.

On reste en silence pendant un bon moment, savourant l'instant et les pépiements des oiseaux.

J'ai envie de parler à Anna, mais je ne suis pas convaincue que Lucie dort et mon quota d'adresse n'a d'égal que mon potentiel en tant qu'oratrice... Réfléchis Inès, trouve un sujet.

- Alors Anna, tu profites du beau temps pour faire de la moto ?

Immédiatement, un sourire se fait sur ses lèvres :

- Ohh que oui !

Rolala, si j'étais à la maternelle je me donnerais une image ! Bon choix, continue à la faire parler de choses qui lui apportent le sourire !

- C'est quoi qui te plait le plus ?

Les yeux dans le vague, je vois qu'elle est passionnée par le sujet :

- La sensation de liberté, de sentir la moto entre tes cuisses, savoir qu'il suffit d'ouvrir les gaz pour partir à  toute vitesse et tout laisser derrière.

Ok, je suis la seule à lire une connotation sexuelle dans ses propos ? Parce que dit comme ça, ça me fait presque envie ! Et pour peu que j'imagine Anna dans sa combinaison, ça me fait CARRÉMENT envie. J'adresse une petite prière pour que ma voix sonne "normale" et lance :

- Ça a l'air bien effectivement !

Omg... Je suis à l'origine de cette voix prépubère ? Que quelqu'un vienne m'achever !

Anna fait un sourire en coin qui me laisse penser que mon auto-humiliation n'est pas passée inaperçue. Oh joie.

- Tu devrais essayer à l'occasion.

Je hausse les épaules :

- J'ai ni le permis ni la moto !

- Ça c'est pas un problème, Baptiste ou moi on peut te prendre derrière !

Sa phrase me laisse pensive... A choisir, je sais avec qui je préfère monter...

Cette fois c'est certain, mon adolescence est de retour et les dérèglements hormonaux avec. Je vois des sous-entendus partout.

- Ça me tenterait bien à l'occasion ! Ce serait ma première fois !

Ok, visiblement mon esprit pervers et ma bouche sont de connivence ! Je suis la spectatrice impuissante de ma totale perversion.

Elle écarquille les yeux en entendant ça. Mince, je me suis faite griller !

- Sérieux ? Même avec Baptiste ?

Ewww, mais bien sûr que je n'ai jamais rien fait avec lui ! Minute... Se pourrait-il qu'elle parle effectivement de moto ?

- Surtout avec lui ! Je l'ai vu jouer à moto GP, c'est pour ça que j'ai toujours refusé qu'il me promène !

Ma remarque la fait pouffer mais doit cacher un semblant de vérité puisqu'elle dit :

- C'est pas faux !

Lucie ouvre les yeux et fixe le ciel qui commence à se couvrir. Se redressant dans un grognement, elle annonce :

- Je vais aller chercher le Japonais avant qu'on ne se prenne la sauce, il a intérêt à ne pas être parti trop loin.

Ce faisant, elle m'abandonne en compagnie d'Anna et mes prières pour que tout se passe bien.

Un regard en direction des nuages me convainc du fait qu'il est effectivement temps de se bouger :

- On devrait commencer à ranger tu crois pas ?

Anna acquiesce avant de demander :

- Comment on peut être sûres qu'ils ne se sont pas éclipsés pour qu'on fasse les corvées à leur place ?

- Ah ça... Je ne parierai rien là-dessus perso !

- Tu m'étonnes.

A peine a-t-on terminé de tout remballer dans le panier que les premières gouttes se mettent à tomber.

Anna se tourne vers moi et demande dans un grimace :

- J'imagine que tu n'as pas de parapluie ?

Sa tête indique qu'elle connait déjà la réponse.

- J'ai bien peur que non.

Alors qu'elle veut replier la nappe, je l'arrête d'une main sur son avant-bras :

- Ça peut nous faire office de protection, c'est toujours mieux que rien non ?

- T'as raison.

On plie la nappe en deux et nous abritons dessous alors qu'il commence à pleuvoir des cordes.

Anna et moi nous regardons d'un air gêné, j'imagine que c'est un peu trop tôt pour partager un si petit espace. Elle jette un coup d'œil circulaire et demande :

- Je ne pense pas que ça va durer mais j'ai un peu peur que ça ne nous protège pas longtemps. Tu vois un abri ?

- Non.

Saisissant mon téléphone, j'essaie d'appeler Baptiste et Lucie mais aucun des deux ne répond.

Et merde. La nappe commence à ne plus être très étanche et j'aimerais autant ne pas choper une pneumonie aujourd'hui. En plus mes bras me font un mal de chien à force d'être en l'air.

- J'arrive pas les joindre... Faut qu'on se bouge si on ne veut pas attraper la crève.

- Je valide... Il y a un panneau là-bas !

Sans un mot de plus, on s'empare d'une anse chacune et portons l'âne mort le panier jusqu'à ce qu'on puisse lire l'indication.

Le visage d'Anna s'illumine devant ce qui est écrit :

- Serre botanique, donc un espace couvert, yes !

On se met en route dans la bonne direction aussi vite que possible mais la nappe ne sert plus à rien. Elle est tellement trempée que rien qu'à la tenir l'eau glacée ruissèle le long ma manche et c'est loin d'être ma sensation préférée.

À mon grand soulagement, le bâtiment est enfin en vue.

La porte s'ouvre sans difficulté et nous sommes accueillies par une chaleur plus qu'agréable !

Immédiatement, nous nous débarrassons du tissu mouillé et faisons l'état des lieux.

Anna se tourne vers moi et éclate de rire en découvrant ma coupe de cheveux, même si elle n'est pas en reste. Je me peigne à la main et me retiens d'aider Anna à faire de même, ne sachant pas si mes attentions seraient les bienvenues.

Son pull a l'air trempé et lui colle a la peau, j'ai froid pour elle. Comme pour me donner raison, elle est parcourue d'un énorme frisson.

Malgré ma compassion, je ne peux pas m’en empêcher et lance :

- Alors, on rigole moins de mon trench maintenant hein ? C'est peut être un manteau d'exhibitionniste, mais il est un minimum imperméabilisé au moins !

Elle rit mais je vois bien qu'elle grelotte. C'est une serre tropicale, il y fait chaud mais l'air est humide, ce qui ne va pas aider à sécher ses habits.

Je m'approche doucement d'elle et pose ma main sur son épaule :

- Ça va ?

- J'ai vraiment froid.

M'inquiétant trop pour elle pour ne rien faire, je m'assure que nous sommes seules et retire mon manteau puis mon pull sans un mot.

Anna me regarde comme si j'avais perdu la tête et je m'efforce de ne pas penser au fait qu'elle me voit à nouveau sans mon haut et avec mes imperfections.

Je renfile mon manteau, lui tendant mon pull.

- Mets ça, tu vas être malade sinon.

- Et toi, tu vas prendre froid aussi !?

Elle ne s'empare pas du vêtement et je me permets d'insister :

- Moi ça va aller. S'il te plaît...

Elle prend enfin mon haut, toute tremblotante.

- Merci.

- De rien, j'aurais juste une requête.

Elle lève un sourcil dans une question muette.

- Pas de commentaires à ton cousin sur ma tenue ou en l'occurrence absence de tenue sous mon trench !

Elle éclate de rire et m'annonce :

- Je ferai de mon mieux mais je ne peux pas promettre que ça ne va pas m'échapper !

Grommelante, je sais néanmoins reconnaître ma défaite, essentiellement parce que je n'aurais jamais le cœur de lui reprendre quoiqu'il arrive :

- Bon... Je vais m'en contenter.

Sans plus attendre et sans même me laisser le temps de me retourner, elle retire son vêtement trempé. Malgré toutes les bonnes manières que ma mère m'a inculquées, je ne peux m'empêcher de l'observer. C'est une chose de la voir en maillot, une autre en soutif... J'ai beau savoir qu'il n'y a rien d'ambigu dans son geste, mon cœur s'emballe et c'est la seule confirmation qu'il me manquait. Même après avoir foiré et potentiellement ruiné toutes mes chances, je ne suis pas prête à renoncer à elle. Oh joie.

Ses tétons sont visibles à travers le tissu devenu semi-transparent et je jurerais que la serre vient de prendre 15 degrés. Elle enfile mon vêtement et je l'aide à remonter le bas des manches que la nappe a mouillé. Elle se frotte les mains et tente de se réchauffer comme elle peut. Des habits secs c'est un début, mais il va falloir trouver autre chose...

Dans le coin de la pièce, niché dans un écrin de plantes luxuriantes se trouve un banc sur lequel je vais m'asseoir. Étant donné que l'une des extrémités est placée contre le mur, je peux m'installer à cheval, une jambe de chaque côté et le dos contre la pierre. Une fois une position, je tente ma chance en disant "viens là" a Anna, tenant les pans de ma veste dans les mains sans pour autant les écarter mais pour qu'elle comprenne l'idée.

Elle hésite clairement, ce qui me contrarie bien plus que ça ne devrait, mais finit par s'approcher d'un pas incertain.

- C'est juste le temps qu'on reprenne des couleurs. Promis je mords pas.

Sauf si c'est demandé gentiment et bizarrement je doute qu'elle le fasse.

Elle s'installe dos à moi et me laisse passer mes bras autour d'elle.

J'essaie de me concentrer sur tout sauf sa proximité, me sentant un peu coupable de profiter de l'instant, mais pas assez pour ne pas le faire.

Boulet oui, mais pas conne non plus !

La pluie bat toujours les parois de la serre et rendant agités les quelques oiseaux en cage.

Je n'ose pas parler de peur de dire une bêtise et briser l'instant.

Ses cheveux sont absolument glacés et je les écarte d'un geste certainement un peu trop tendre puisque je la sens se crisper. Mon souffle dans son cou lui donne la chair de poule et je suis plutôt contente de moi. Ignorant les signaux qu'elle m'envoie, je tente malgré tout ma chance et dépose un baiser sur sa nuque. Rien de bien méchant, mais pas anodin non plus.

Sa réaction ne se fait pas attendre puisqu'elle s'enfuit comme si je lui avais apposé le fer rouge à la place de mes lèvres, glissant plus en avant sur le banc sans pour autant se retourner.

Tant bien que mal, j'essaie de rattraper le coup :

- Pardon je... Je sais pas ce qu'il m'a pris !

Visiblement ma force de conviction n'est plus ce qu'elle était car elle pousse un gros soupir et me dit d'un ton las :

- Je pensais que j'avais été claire.

- Tu l'as été...

Un peu trop à mon goût, mais ça je m'abstiens de l'ajouter.

- Je n'ai pas réfléchi, je ne recommencerai pas...

Elle frotte ses mains sur ses bras, pour se réchauffer ou se réconforter, je ne sais pas trop.

- Reviens s'il te plaît, je ne voudrais pas que tu attrapes la mort à cause de mes bêtises.

Ses yeux cherchent les miens et je prie pour qu'elle y trouve les réponses qu'elle attend. 

Elle ouvre la bouche, puis la referme, pour finalement se détourner et annoncer :

- Non c'est bon ça va aller.

... Bon... Voilà qui me remet à ma place.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que ça fait mal d'entendre ça. C'est comme si elle m'avait donné un coup de poing en plein sur le plexus.

Les bras autour d'elle même, dos à moi, son langage corporel est limpide... On dirait une huitre et je ne suis pas la bienvenue !

Tremblotante, elle est visiblement gelée mais préfère ça à être contre moi. Je resserre les pans de mon manteau, me sentant très vulnérable.

Les minutes passent et le silence devient de plus en plus pesant. Fort heureusement, Laurel et Hardy sortent enfin de leur mutisme et m'appellent. Je mets immédiatement le tel en haut-parleur et demande : 

- Vous êtes où ? 

Au bout du fil, Lucie me répond sur un ton totalement détendu :

- En train de boire un bon chocolat chaud tiens, c'est le déluge dehors.

Je roule des yeux et regarde Anna d'un air entendu. Pourquoi ça ne m'étonne pas !

- Merci, on avait remarqué ! Vous avez des parapluies ? Il faudrait qu'on rentre, j'ai peur qu'Anna ne prenne froid !

- Euh pas sur nous mais il y a une boutique de souvenirs à côté du café, on pourrait en acheter et se retrouver. Vous êtes où ?

Je regarde autour de nous dans l'espoir d'obtenir des indices sur notre position. Anna fait de même et hausse les épaules d'un air de dire "je ne sais pas".

- Dans un genre de serre botanique tropicale. 

- Ok, bougez pas, on demande où c'est et on vous rejoint !

Je raccroche, soulagée que mon calvaire touche à sa fin. Anna s'écarte et va faire quelques exercices, sans doute dans le but de se réchauffer. Perso, je suis drainée de toute énergie. Je ne sais pas ce que j'attendais d'aujourd'hui, mais pas ça ! 

Ils arrivent et éclatent de rire devant notre apparence. On décide de rentrer sur le champ. Immédiatement, Anna va se réfugier sous le parapluie de Baptiste, me signifiant une fois de plus qu'elle veut garder ses distances. Un peu dépitée, je rejoins Lucie et nous repartons en direction des voitures. 

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22 février 2016

Chapitre 10 : Justification difficile

On est le jour J. C'est maintenant ou jamais !

Heureusement que je stressais tellement que j'ai commencé à me préparer des plombes à l'avance car j'ai mis quatre heures à me ravaler la façade...

Dont trois à essayer de choisir la tenue qui la séduira mais sans en faire trop.

Un look "ouais je suis méga belle et encore là j'ai pas forcé tu vois...". Car bien évidemment l'idée est d'avoir l'air décontractée... Limite comme si je me réveillais comme ça.

Du coup, j'ai opté pour un haut bleu, légèrement moulant et accompagné d'un jeans clair.

Arrivée à 50 mètres de chez elle, je panique et me cache derrière une haie pour observer la maison et jauger la situation. Sauf que ne vois pas grand-chose à travers le feuillage.  Jetant un coup d'œil autour de moi, j'espère que personne n'a remarqué mon petit manège, c'est pas le moment de me faire questionner par la brigade des mœurs. Inès ou comment passer pour une psychopathe.

Non pas que ça soit tellement éloigné de la réalité.

Bref. Je me remémore mon speech dans ma tête et prends quelques instants pour rassembler le courage au fond de moi.

Au bout de 30 secondes, force est de constater qu'il est visiblement très très au fond et que si j'attends là-dessus je risque d'attendre longtemps.

Allez, je me lance.

Je sors de derrière ma planque l'air de rien et me dirige vers la maison d'Anna, super anxieuse.

J'espère que je ne vais pas tout foirer.

Ma main vient timidement appuyer sur la sonnette et je me retiens consciemment de trépigner, le cœur dans la gorge. J'ai l'impression qu'elle met des plombes à venir. Et si elle avait changé d'avis ? Et si elle n'était même pas là ?

Finalement, ses pas se font entendre et mon stress atteint son paroxysme. La porte s'ouvre et ma bouche juste après.

Omg.

Je crois que je suis en état de mort cérébrale.

Devant moi, Anna à un petit air gêné et s'excuse :

- Coucou ! Désolée je pensais que j'avais le temps de prendre une douche vite fait.

Mes globes oculaires ont visiblement leur propre idée de l'acceptable puisqu'ils parcourent sans vergogne sa silhouette en serviette. J'aurais probablement honte de mes manières si je n'étais pas trop occupée à reluquer ma kiné.

Elle ouvre un peu plus la porte et le demande :

- Entre s'il te plaît j'ai un peu froid !

- Pardon ! Je... J'étais...

Tout en fermant la porte, elle rigole et se fout de moi :

- Te fatigue pas, je crois que je sais ce que tu faisais !

Me sachant prise en flagrant délit, je rougis et tente de me racheter :

- Tu devrais aller te changer, tu risques d'attraper la mort. Je t'attends ici.

- Ça marche. Mais va sur le canapé tu seras mieux.

Elle s'éloigne, un sourire aux lèvres. Pendant une fraction de seconde, je me demande si c'est parce qu'elle a conscience du fait que je vais regarder ses fesses.

Soulève-toi petite serviette, je t'en supplie ! Là c'est cruel, juste assez ce qu'il faut pour donner l'eau à la bouche, mais en même temps pas assez...

Je me pose sur le canapé, ressassant mon speech dans ma tête. À peine quelques instants plus tard elle revient, les cheveux mouillés et tellement jolie que si elle m'annonce qu'elle passe aux vingt heures dans cinq minutes je la croirais.

Même s'il n'est que 17h et des poussières, c'est pour dire.

Elle s'installe à côté de moi et adieu beaux discours, bonjour anxiété et bafouillages...

Espérant à la fois gagner du temps et tâter le terrain, je prends sa main dans la mienne. Bien qu'elle fasse une drôle de tête devant mon geste, elle ne se recule pas.

Peut-être que je n'ai pas encore tout fait foirer.

Bon, quand faut y aller, faut y aller :

- Pardon pour hier soir... Je sais que c'est pas une excuse mais j'ai paniqué, j'ai pas réfléchi.

Son visage semble se fermer et elle retire sa main. Aïe. C'est pas bon signe. Un gros soupir plus tard, elle passe les doigts dans ses cheveux et m'assène l'équivalent d'un coup de massue :

- Non, c'était pour le mieux, j'ai eu tort de faire ça.

Quelque part, je m'attendais à un discours du genre, mais ça ne fait pas moins mal pour autant. Piquée au vif, ne voulant pas qu'il y ait la moindre ambiguïté et n'ayant pour tout dire plus rien à perdre, je réplique immédiatement :

- Tu sais quoi ? Moi je crois que t'as eu raison. Je crois que ce baiser était la meilleure chose qui puisse nous arriver. Et je crois que tu le sais !

À peine les mots ont-ils quitté ma bouche que je n'en reviens pas d'avoir osé lui balancer ça comme ça !

Malheureusement, ma répartie a vraisemblablement moins impressionné Anna que moi. Elle secoue la tête dans un signe de négation et lance :

- Je ne veux plus en parler. On devrait oublier ce qui s'est passé.

Elle est sérieuse là ? "Oublier ce qui s'est passé" est entre "séduire Mac Lesgy" et "lécher le sol du métro parisien" dans ma liste de trucs à faire en priorité. Autant vous dire que c'est très très loin en bas.

- Et si je ne peux slash veux pas ?

Elle se lève du canapé et je sens que la discussion est en train de totalement m'échapper lorsqu'elle déclare d'un ton amer :

- Karen saura te persuader du contraire, je n'en doute pas un seul instant.

Et voilà. On en vient au coeur du problème.

Je vais tâcher d'être aussi claire que possible :

- Il n'y a rien entre elle et moi.

Elle croise les bras et m'annonce ce dont j'ai déjà pleinement conscience :

- Tu t'enfonces... Je sais ce que j'ai vu.

Je me lève à mon tour et m'approche d'elle :

- Quand tu es partie, je l'ai faite rentrer et je lui ai dit qu'il ne pourrait rien se passer. C'est tout.

Je n'arrive pas le moins du monde à déchiffrer son expression faciale, mais je peux presque entendre les rouages tourner. Finalement elle demande :

- C'est tout ? Juste une petite explication ?

Sans l'ombre d'une hésitation, je m'exclame en écartant les bras:

- Oui, je te le jure !

Elle se dirige vers la porte d'entrée et l'ouvre en grand :

- C'est là où tu fais erreur. Je n'étais pas partie. Je comptais m'excuser et j'ai attendu qu'elle s'en aille... Elle a duré longtemps votre discussion dis-donc.

...

Et merde.

- Anna, c'est pas ce que tu crois, je peux t'expliquer... Elle a uniquement dormi à la maison, il ne s'est rien passé...

- T'en as assez dit... Si tu veux bien...

D'un mouvement de tête, elle m'indique la direction de la sortie.

J'hésite.

Je n'ai pas envie de la quitter là-dessus, mais elle est trop agacée pour que je puisse lui faire entendre raison.

Alors que je suis sur le pas de la porte, ne sachant pas quoi faire pour m'en sortir, mon téléphone se met à sonner.

Je regarde machinalement l'écran, qui affiche une photo de Karen.

Photo que je ne suis pas la seule à avoir vue.

Pile au mauvais moment et juste quand je pensais que les choses pourraient difficilement être pire...

Je m'apprête à m'en débarrasser comme d'une patate chaude ou en tout cas le fourrer au fond de mon sac, mais Anna me fait un sourire tout sauf chaleureux et demande :

- Tu décroches pas ?

Je sais reconnaître un défi quand j'en entends un et je peux vous assurer que c'est le cas.

Agacée, non seulement je décroche mais je mets le haut-parleur, lançant un "Allo".

Aucun grésillement ni problème de réseau ne vient gêner la compréhension et c'est très distinctement qu'Anna et moi entendons :

- Salut ma belle, comment ça va depuis ce matin ?

 

BAM.

 

Et une porte en pleine face, une.

- Je te rappelle.

Je raccroche sans même donner à Karen le temps de répondre et tambourine à la porte.

- Anna ! ANNA ! Laisse-moi t'expliquer.

Je m'apprête à frapper une nouvelle fois quand la porte s'ouvre à nouveau sur ma kiné, pour le moins énervée :

- Je veux plus entendre tes mensonges. Que ça soit très clair entre nous, tu as deux choix. Soit tu oublies toute cette histoire et on verra pour l'amitié, soit tu m'oublies.

Désemparée, je ne sais pas quoi répondre excepté :

- Tu me punis pour quelque chose que je n'ai pas fait !

Anna rétorque, sans trace d'humour :

- Dire la vérité ?

Je suis tellement défaite que mon quasi-désespoir transparaît dans ma voix :

- Je ne fais que ça. Pourquoi tu ne veux pas me croire ?

Anna regarde partout sauf là où je me trouve et ça me fait mal d'entendre la sincérité dans son ton lorsqu'elle dit :

- Je ne peux pas refaire les mêmes erreurs encore et encore.

Sentant une opportunité, je m'approche et prends à nouveau sa main dans une poigne légère, juste pour renouer le contact :

- De quoi tu parles ? Si effectivement je te plais, qu'est-ce qui nous empêche de tenter le coup ?

Ses yeux viennent trouver les miens, m'ouvrant une fenêtre sur ses sentiments. Quoi que soit cette "erreur", visiblement le souvenir en est encore frais.

- Mon travail.

J'ai enfin l'occasion de creuser cette histoire et pas l'intention de la laisser passer :

- Pour être honnête, je ne comprends pas en quoi ce serait si grave, même si ça venait à se savoir...

Son regard me transperce, tant par son intensité que par la tristesse que j'y perçois. Mais ce sont ses paroles, accompagnées d'un haussement d'épaules, qui m'achèvent :

- C'est tout ce que j'ai.

Je répondrais bien "tu m'as moi" mais étant donné la situation dans laquelle je me trouve, ça reviendrait à être cible de lancer de couteaux avec un aveugle comme partenaire : la recette d'un désastre !

- Dis pas ça...

Avant que je ne trouve comment formuler "au contraire t'as tout pour toi" sans sonner comme une fangirl de la première heure, Tami fait son apparition. Étant donné le déroulement de la discussion jusqu'à présent ne sais pas si je dois la bénir ou la maudire d'arriver à ce moment-là. Au moins j'aurais pu avoir des réponses.

Elle a l'air surprise de me voir, ce qui j'imagine, signifie qu'Anna ne lui avait pas annoncé que l'on devait se retrouver... Indirectement ça veut aussi dire qu'elle pensait qu'à *coup d'œil à mon téléphone* 17h25 elle en aurait déjà fini avec moi...

J'ai comme l'impression que malgré ce qu'elle a pu laisser entendre en acceptant de me rencontrer, je n'ai jamais bénéficié de la présomption d'innocence.

Son employée et amie me fait la bise et demande d'un ton enjoué :

- Tu te joins à nous ? Cool !

Au moins j'en ai une de mon côté, c'est toujours ça de pris ! Je m'apprête à tirer parti de sa question pour m'incruster lorsqu'Anna me fait généreusement profiter de mes propres recettes :

- Non j'en ai peur, Inès était justement en train de partir ! Et bien merci d'être passée !

Sans attendre de réponse, elle fait demi-tour et s'engouffre dans la maison, laissant la porte ouverte pour Tami.

Mais pas pour moi.

Cette dernière me lance un regard totalement perplexe, attendant certainement une explication à ce à quoi elle vient d'assister.

- Je t'expliquerai tout en temps voulu, c'est promis... D'ici là, est ce que tu peux essayer de voir si j'ai la moindre chance de réparer les pots cassés s'il te plaît?

Elle acquiesce sans un mot mais je ressens le besoin d'ajouter :

- Et je ne sais pas comment elle va te présenter les choses mais il y a un point sur lequel je ne veux pas que tu aies un seul doute : il ne s'est rien passé avec Karen, je ne l'ai pas trompée.

Mon petit discours semble avoir empiré son état d'incompréhension :

- Minute, vous n'êtes pas ensemble, si ?

En voyant comme elle a interprété mes propos, je réalise ce que je viens de dire et à quel point ça m'a paru normal. Je hausse les épaules et glisse mes mains dans les poches de mon jeans, les yeux rivés au sol :

- Non... Juste dans mon coeur.

Je relève la tête juste à temps pour voir l'effet qu'ont mes paroles, adresse un petit sourire triste à Tamiko et m'éclipse. Plus qu'à espérer.

 

 

 *         *          *          *          *          *

 

Arrivée à la maison, je me fais couler un bon bain dans le secret espoir que ça me détende. J'allume quelques bougies pour l'ambiance et me glisse dans l'eau avec délice. Au bout de quelques minutes, je sens mon corps qui commence à se relaxer. J'inspire profondément et expire lentement imaginant que mes soucis partent en même temps que l'air quitte mes poumons. Je plonge la tête sous l'eau et juste quand mes efforts commencent à payer, j'entends mon téléphone vibrer. J'ai un message...

Au revoir détente, ce fut bref, mais appréciable.

Séchant mes doigts sur une serviette, j'attrape mon Smartphone et le consulte avec appréhension.

Le SMS de Tami a le mérite d'être clair :

What the fuck? Anna m'a raconté !

N'ayant pas envie d’éponger mon autre main, je lui réponds non sans mal :

Verdict ? Plans quinquennaux sont tombés à l'eau?

Non seulement ça, mais t'as pris vos chances, tu les as jetées par-dessus bord attachées à une enclume et à 20km des côtes un jour de tempête... J'ai tenté de minimiser le tout mais tu ne m'as pas facilité les choses ! 

Ça n'est pas une annonce surprenante, mais le lire me fait mal au cœur.

Je me redresse dans la baignoire car l'eau chaude ne me fait plus un effet cocon mais me donne l'impression d'étouffer.

Les questions se bousculent dans ma tête mais je ne sais pas comment les formuler auprès de Tami. J'opte finalement pour le plus simple :

Tu crois que je devrais faire quoi ?

Honnêtement ? Jpense que pour l'instant au moins tu devrais garder tes distances parce que c'est relativement mort. Être amicale avec Anna, mais ne pas t'attendre à plus. Avec un peu de chance, elle finira par réaliser que tu étais maladroite mais sincère.

Maladroite mais sincère... L'histoire de ma vie ! Un second texto vient enfoncer le dernier clou sur mon cercueil :

Tu l'as vraiment blessée. T'avais réussi à passer la plupart de ses "barrières", et juste quand elle t'ouvre la porte, tu lui files un méga coup de pied dans les tibias et tu te barres en courant. J'essaie de ne pas te jeter la pierre mais j'avoue que je m'attendais à mieux de ta part.

Le caillou en question a pourtant bien été catapulté, vu que je me prends son commentaire en pleine tête.

... Moi aussi. C'était vraiment, vraiment (mais alors vraiment) (j'ai dit vraiment ?) pas mon intention. Je sais que j'ai sérieusement merdé.

Le truc c'est que justement tu sais pas !

Je fronce les sourcils. Euh, pardon ? Je pense que me retrouver dans une situation qui équivaut à être enfoncée jusqu'à la gorge dans un tas de fumier, ne plus supporter l'odeur et ne pas savoir comment m'en sortir me donne une assez bonne perspective. Mais bon, elle protège son amie, je peux le comprendre, il faut que je reste à ma place :

Comment ça ?

T'as bien vu qu'elle est très "sur la défensive" comme nana, qu'elle ne se laisse pas approcher facilement... Ben elle a ses raisons.

C'est sûrement un peu tard, mais j'ai envie de connaître le pourquoi du comment, surtout qu'Anna a sous-entendu que sa retenue était due à son passé. L'eau refroidit à vue d'oeil, mais je sais par expérience qu'il faut battre le fer tant qu'il est encore chaud. Hors de question que je rate cette occasion parce que je n'ai pas insisté tout de suite, trop occupée à régler le thermostat ! :

Explique !

Si je te le dis, elle va me tuer.

Seulement si elle l'apprend... Promis je cafterai pas et de toute manière elle n'a plus l'intention de m'adresser la parole... Sérieux... Je voudrais comprendre !

Bon... En gros avant elle était pas comme ça. Elle faisait confiance aux gens. Un peu trop. Elle était en couple depuis quatre ans avec son amour de jeunesse qu'elle avait retrouvé sur le tard. A l'époque, Anna venait juste de se lancer dans le cabinet et avait beaucoup de boulot.

J'ai comme l'impression de savoir où tout ça mène et un peur de lire la suite.

Elles habitaient ensemble et tout allait pour le mieux en apparence... Jusqu'à ce qu'Anna rentre plus tôt et trouve sa chère et tendre au lit avec un mec. Elles se sont pris la tête et elle a fini par expliquer à Anna que c'était la première fois, que ses longues absences la travaillaient et qu'elle avait craqué avec lui parce qu'elle avait l'impression que c'était "moins tromper" si c'était pas une femme.

Je retire ce que j'ai dit, c'est pire que ce à quoi je m'attendais.

C'est affreux...

C'est pas tout. Elle était prête... Peut-être pas à pardonner mais à la croire, quand elle a découvert que ça n'était pas la première et unique fois, loin de là. En réalité ça faisait des mois que pendant qu'elle partait bosser, cette fille qu'elle aimait et à qui elle donnait tout sans rien attendre en retour la trompait dans son dos.

Mon Dieu... On dirait un scénario des feux de l'amour... Quand tu crois que ça peut pas être pire, bim, et bah si !

Il s'est passé quoi après ?

Anna l'a virée de chez elle et de sa vie et s'est encore plus impliquée dans son job. Pour oublier. C'est pour ça que le fait qu'elle ait "voulu tenter" avec toi malgré ton statut d'ex-patiente m'a surprise. Elle s'était jurée que son boulot passerait en premier, qu'elle serait irréprochable, quitte à en venir à des extrêmes. Elle avait peur de se lancer en amour et que le scénario se reproduise...  

Et voilà que j'arrive avec mes gros sabots, lui donne l'impression qu'il y a une autre femme et tente de m'en sortir par des demi vérités. Bien joué Inès.

Vu ce qu'elle vient de me raconter, je comprends pourquoi Anna faisait tout un pâté du fait que notre rencontre a eu lieu à son travail. C'est le seul facteur "sûr" dans sa vie et elle n'a pas envie de risquer de perdre cette ancre-là.

Maintenant que je suis au courant, je me sens encore plus misérable. Mon bain est froid à présent, mais je ne fais pas le moindre mouvement pour y remédier.

Je suis drainée de toute énergie.

Savoir ça et réaliser à quel point j'ai dû faire du mal à cette femme adorable... C'est comme si j'avais été percutée par un bus.

Tami avait raison, je ne savais pas à quel point j'ai merdé... J'étais focalisée sur mon malheur, le fait que j'avais ruiné mes chances auprès de mes deux "prétendantes" sans avoir rien fait de mal... Égocentrée.

Je me dégoûte.

Ok je n'ai pas couché avec Karen mais j'ai manqué de respect à Anna par deux fois, en la congédiant et en tentant de m'en sortir..

Tu pouvais pas connaître son passé. Et t'as du bol parce que sinon j'aurais été dans l'obligation de te botter le cul.

T'aurais pu. Tu peux. Je mérite pas mieux.

Dis pas ça, ça peut peut-être encore s'arranger...

Après ça ? Je ne vois pas comment. Au fond ce n'est pas tant le "râteau maladroit" que la manière dont j'ai voulu dissimuler le fait que Karen soit restée dormir qui a fait le plus de mal.

Je vais tout faire pour. J'accepterai ce qu'elle voudra bien me donner. Regagner son amitié serait déjà bien...

Viens aux soirées, elle est trop bien élevée pour te prendre à parti à ce moment-là. ;)

Un sourire triste gagne mon visage. J'avais mes chances avec cette femme formidable et j'en suis réduite à échafauder des stratagèmes pour conserver un semblant d'amitié. Y a pas à dire, je suis au foirage ce que Michaël Jackson était à la pop...

Ayant besoin de réfléchir, je sens qu'il est temps pour moi de mettre fin à la conversation :

En tout cas merci pour tout Tami. Sincèrement. J'apprécie tes conseils et le fait que tu me fasses confiance.

De rien. Ne me donne pas tort.

Je comprends mieux les choses à présent. Je te laisserai pas tomber.

C'est pile quand je l'ai perdue, probablement à tout jamais, que je réalise... Je croyais que j'avais craqué sur elle... Mais maintenant je suis sûre. J'ai pas craqué, ou flashé ou peu importe... Je l'aime.

Le coeur au bord des lèvres, je ressens le besoin d'ajouter, quitte à être borderline gnan gnan :

Et pour ce que ça vaut, je n'ai pas su le montrer mais j'ai des sentiments pour elle. J'ai toujours voulu que son bonheur et je suis prête à faire ce qu'il faudra pour qu'elle le trouve.

L'idée me brise le cœur et je me garde bien d'en parler à Tamiko, mais je ne mens pas quand je dis ça. Je suis prête à tout. Même si ça implique potentiellement de la voir s'épanouir dans les bras d'une autre qui saura mieux l'aimer que moi.

Maintenant que je sais ça j'ai encore plus envie d'envoyer un message d'excuse a Anna. Mais vu ce qui se passe quand j'écoute mes voix intérieures ou suis mon instinct, je décide de ne pas le faire pour éviter une énième boulette. En plus elle a sûrement besoin de temps pour digérer tout ça et je veux le lui laisser.

Demain est un autre jour et (j'espère) le début du remontage de pente !

22 février 2016

Chapitre 9 : Tourner la page

Une semaine et demie.

Onze longues journées sans voir mes amis ensemble.

Depuis le désastre, j'évite Anna autant que mon client du moment évite d'être sympathique. En soi, c'est un job à temps plein. Étant donné que Baptiste l'invite systématiquement aux soirées, je l'ai très peu vu lui aussi. Du coup, le sevrage est brutal. D'ordinaire on se donne rendez-vous quasi tous les jours, ça fait étrange.

Mais bon, il faut ce qu'il faut.

J'en ai besoin.

Je dois prendre le temps de me reconstruire émotionnellement et c'est pas en voyant ma kiné tous les jours que ça va se faire. Et j'ai tout à fait conscience du fait que malgré mes absences répétées elle n'a même pas pris la peine d'envoyer le moindre message pour avoir de mes nouvelles. Selon moi, ça en dit long.

Comme dirait ma mère : donne à manger à un âne il te fera des crottes.

C'est fini, je ne nourrirais plus cet âne. Enfin ânesse. Anna. Bref, vous voyez le truc.

C'est pourquoi ce soir j'ai un rencard avec Karen.

C'est aussi pourquoi je suis complètement en train de flipper ! La panique doit certainement affecter mes connexions neuronales puisque je roule en direction du bar où bosse Lulu dans le secret espoir qu'elle me mette en condition psychologique. Après tout, c'est sûrement elle qui la connaît le mieux. Elle doit avoir des conseils !

Normalement, elle quitte à 17 heures, logiquement je devrais arriver pile au moment où elle débauchera.

Du moins j'espère, car elle ne sait pas que je viens. Elle a passé les derniers jours à s'excuser et j'ai eu peur qu'une arrivée annoncée ne l'encourage à me tendre un guet-apens pour arranger les choses avec Anna. Donc je me suis bien gardée de la prévenir. Comme qui dirait, l'enfer est pavé de bonnes intentions.

 

Un coup d'oeil à l'intérieur me confirme qu'elle est toujours là et je m'adosse à la devanture pour faire le pied de grue le temps qu'elle termine son service.

A peine quelques minutes plus tard elle me rejoint :

- Ah tiens, la femme invisible ! Hellooooooo ! Comment ça va ? Ça fait plaisir !

Si c'était venu de quelqu'un d'autre, j'aurais probablement remballé la personne en l'entendant dire ça, mais c'est ma Lulu et c'est juste sa façon de s'exprimer, alors je laisse couler :

- Ça va merci ! La même ! Toi la forme ?

Je m'apprête à me mettre en route vers chez elle lorsqu'elle m'arrête d'une main sur le bras :

- Nickel, tu me connais, rien ne m'abat ! Attends, ya Tam' qui vient aussi me chercher normalement.

Mon visage doit très clairement indiquer ce que je pense en grosses lettres fluorescentes puisqu'elle s'empresse d'ajouter :

- T'en fais pas, Anna l'a laissée partir plus tôt, elle ne se joindra pas à nous.

Cette annonce me fait pousser un soupir de soulagement. A quelques heures de mon premier rencard avec potentiel depuis un bon moment, j'ai besoin d'encouragements, pas d'être abattue !

Comme prévu, Tamiko arrive comme une fleur.

- Tiens, bonjour vous ! Salut Lu'!

Lucie, beaucoup plus à l'aise que moi, lui fait la bise dans un "Coucou ma belle !" tandis que je croasse un "Salut !".

Je ponctue le tout d'un signe de la main pas franchement naturel. Je regrette d'être venue.

Est-ce que si je me barre en courant, sans un mot, ça aura l'air louche ? Parce que c'est tentant !  Ne trouvant pas d'excuse valable pour m'enfuir sans en avoir l'air, je les suis jusqu'à la voiture, grimpe à l'arrière et m'efforce fusionner avec la banquette. Visiblement, il faut encore que je bosse mon look, puisque Lucie demande :

- Au fait, non pas que je ne n'apprécie pas ta venue, mais quel bon vent t'amène ?

Je croise son regard dans le rétroviseur et me retrouve face à un dilemme. D'un côté j'ai envie de crier sur tous les toits que j'ai un rencard (et que, par conséquent je n'ai pas besoin d'Anna), de l'autre... Je me sens coupable de le dire. Alors que je n'ai pas de raison.

Elle a été très claire. Limpide même. Je veux dire, j'étais prête à donner tout ce que j'avais, à ME donner et elle m'a laissée tomber comme une socquette trouée dont on aurait en plus perdu la jumelle.

C'est décidé.

Je refuse de rester une vieille chaussette !

A présent, je serai un... Un pull. Non, pas ça. Un truc plus sexy.

Je serai un... sous-vêtement porte-bonheur !

- Je venais te demander conseil pour mon rencard avec Karen ce soir.

Voilà. C'est dit.

Immédiatement, le regard de Lucie croise le mien dans le rétro et je vois à ses yeux qu'elle sourit :

- Bien ça !!

- Ouais... Oui !

Dans le genre "je n'ai pas l'air convaincue" on ne fait pas mieux !

Si j'arrivais à me départir de l'idée que c'est ma dernière chance de ne pas finir mes jours toute seule, peut être que je serais un brin plus détendue !

Cherchant du soutien, Lucie file une tape sur la cuisse de Tami et demande :

- J'ai pas raison ? C'est une super nouvelle ! Fais-lui entendre raison elle a pas l'air sûre d'elle.

- Si si, c'est cool.

Quelque part, je suis soulagée de constater qu'il y a pire menteuse que moi.

Fort heureusement, on arrive dans la ZAC avant que l'une ou l'autre puisse continuer la conversation. N'écoutant que mon courage, je n'hésite pas une seule seconde et change le sujet en demandant "vous voulez vous acheter quoi au juste ?" :

Lucie me répond sans entrain :

- Rien de particulier. Des fringues...

Mais se reprend bien vite :

- Mais maintenant que je sais que le jour J est arrivé, j'ai bien l'intention de faire de toi la plus belle pour aller danser.

Sans se concerter, Tami et elle se regardent et ajoutent en chantonnant : danseeeeeer !

-_-

Bref.

- Alors déjà, on ne va pas danser, enfin pas que je sache... Et puis je suis déjà habillée. Je veux des conseils d'ordre psychologique, c'est tout !

Lucie lève un sourcil et pointe mon corps dans un aller-retour du doigt. S'en suit un piétinement allègre de mon peu de confiance en moi :

- Euh chérie, si c'est ça que tu appelles prête, dans l'heure à venir ta vision du monde va changer ! CHANGER !

Je baisse les yeux vers ma tenue.

Ok c'est pas franchement glamour, mais c'est confortable. Je préfère me sentir à l'aise ! Il n'y a pas de mal à ça !

- N'exagère pas, c'est pas si mal. Si ?

Levant la tête, je jette un regard plein d'attentes en direction de Tamiko, l'élevant au rang de juge de paix. Elle se balance d'un pied à l'autre et n'a pas l'air de savoir quoi dire, ni comment le formuler... Ouais... Ok. Message reçu.

Blasée, je m'adresse à mon amie et m'avoue vaincue :

- T'as gagné, je te suis. Mais que ce soit clair, j'ai un droit de véto et je n'hésiterai pas à en faire usage !

À peine ai-je vocalisé mon accord qu'elle s'enfuit en direction d'une boutique dans un "oui oui" (cause toujours), tellement vite que je me demande s'il n'y a pas le feu quelque part.

En bonne fashionista, elle virevolte de pile en pile et après deux minutes dans le magasin, revient vers moi les bras chargés de vêtements. Sans même me demander mon avis, elle me fourre le tout dans les bras et me pousse jusqu'à la cabine d'essayage. Bien évidemment, Tamiko ne lève pas l'ombre du petit doigt pour m'aider !

J'ai cependant un regain d'espoir et m'imagine déjà échapper à l'essayage en constatant que le nombre de vêtements qu'il est possible d'emmener en cabine est limité. Malheureusement, mes attentes sont bien vite annihilées lorsque Lucie, en véritable habituée des lieux, va saluer la dame responsable des essayages.

Le rideau se referme derrière moi. Je détaille pour la première fois les habits choisis. Pas mal.

Minute! :

- Lu', comment tu connais ma taille ?

- L'oeil de l'experte chérie, essaie le haut rouge, il va faire ressortir tes yeux ! Je vais regarder si je trouve autre chose, je reviens, t'as intérêt à me montrer !

Résignée, je retire mon haut alors que je l'entends s'éloigner. Pendant quelques secondes, j'observe mon reflet dans le miroir, tentant de voir au delà de mes défauts. C'est pas gagné cette histoire.

Je m'empare du seul haut rouge de la pile et m'apprête à l'enfiler lorsque Tami déboule dans ma cabine.

- AHHH ! Mais ça va pas ? Qu'est-ce qui te prend ? Sors de là !

Je tente de me couvrir du mieux que je peux tout essayant de la mettre dehors. Malheureusement, c'est loin d'être un succès, d'un côté comme de l'autre. D'un doigt sur ses lèvres, elle me fait le signe "chut" et m'attrape par les épaules pour m'empêcher de m'agiter.

- Désolée, je voulais juste te parler seule à seule. C'est le moment qui m'a paru opportun !

- Opportun ? OPPORTUN ?! Tu piétines mon intimité à coup de talons aiguilles !

- Je t'ai déjà vue en maillot de bain.

- Alors déjà non, j'étais dans l'eau tout du long, et c'est pas pareil !

Elle hausse un sourcil et attend que je termine de râler.

Finalement, de mauvaise grâce et constatant qu'elle ne déhotte pas, je lui fais signe de continuer de la main. Elle ne perd pas un instant avant de s'exécuter :

- C'est quoi cette histoire de rencard ? C'est vrai ?

Offusquée qu'elle ait ressenti le besoin de demander, je m'exclame :

- Bien sûr que c'est vrai !

- Mais...

Elle cherche ses mots et finit par dire, presque timidement :

- Et Anna ?

J'ai tout à fait conscience du fait que la déception se lit sur mon visage, mais inutile de me fatiguer à essayer de la camoufler, c'est peine perdue :

- Anna a visiblement ses problèmes... Elle s'est montrée très claire. Ça fait déjà trop longtemps que je m'acharne.

Tami baisse les yeux et semble chercher ses mots, mais apparemment elle sait qu’aucune excuse ne fera l’affaire puisqu’elle se contente de répondre :

- Je vois… Tu veux bien que je lui en parle ?

Un petit rire désabusé m’échappe en entendant ça :

- Te fatigue pas. J’ai saisi son message. La preuve, je passe à autre chose.

Elle acquiesce et sort (ENFIN !) de la cabine sans un mot de plus.

Je glisse ma tête à travers le haut, pas sûre d’être satisfaite de cette conclusion. En voyant mon reflet, je connais la réponse.

 Je force un sourire sur mes lèvres et tâche d’avoir l’air heureuse. Faut pas que je m’arrête à ça, à elle… Je ne peux pas attendre éternellement. Résolue, j’enfile également un jeans bleu nuit, quasi noir.

Quoi qu’on en dise, Lucie a l’œil. J’ai du mal à reconnaître la fille dans le miroir, mais une chose est sûre… Elle est sexy ! Je suis à peine sortie de la cabine qu’elle s’empare de moi et me fait bouger façon marionnette.

- J’approuve. Je le savais, t’es un gâchis au quotidien !

- Bah merci !

Ignorant totalement l’affront qu’elle vient de faire, Lucie continue sur sa lancée :

- T’as des sous vêts coordonnés ? Nan parce qu’en rajoutant la paire de chaussures qui va bien, ce soir elle tente sa chance, je te l’annonce!

- N’importe quoi.

Voyant qu'elle s'apprête à ouvrir la bouche, je la recadre tout de suite :

- Il est hors de question que tu choisisses mes sous-vêtements, qu'on se le dise !

Elle croise les bras sur sa poitrine et entreprend de bouder. Si elle croit me faire pitié, elle va bouder longtemps. Je ne peux m'empêcher de remarquer que Tami ne fait pas preuve d'un enthousiasme débordant devant l'objet de notre discussion. Elle est affairée sur son téléphone portable et si je ne craignais une planchette japonaise en guise de représailles, nul doute que je tenterais de piquer ce dernier pour voir ce qu'elle trafique. Une partie de moi a peur qu'elle ne soit en train de me dénoncer à Anna.

Oh et puis qu'elle le fasse.

 

*          *          *          *          *          *

 

Elle me dépose au coin de l'immeuble et part à la recherche d'une place de parking. Trottinant jusqu'à la porte, je recense les nids à bazar dans ma tête. J'espère que je vais réussir à rendre l'appart présentable en si peu de temps. Alors que je tourne à l'angle du bâtiment, je remarque quelqu'un assis sur les marches de l'entrée qui sont plongées dans la pénombre. Je m'approche d'un air méfiant, juste au cas où ! Je regarde enquêtes criminelles et faites entrer l'accusé vous savez !

Ce n'est qu'une fois à quelques mètres que je reconnais ma kiné, vêtue de sa combinaison de motarde.

- Anna ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Traduction : ça ne m'arrange pas !

C'est pas bon, pas bon du tout même! Comment je suis supposée réussir à passer à autre chose si elle se pointe comme une fleur le jour de mon premier rencard ? Et qu'est-ce que je dirais à Karen si elle l'aperçoit ?

En me voyant, elle se lève précipitamment. Clairement nerveuse, elle glisse ses mains dans ses poches et lance un timide :

- Salut.

Je lui fais la bise, tout en cherchant comment l'expédier le plus rapidement possible et sans la vexer. Et tant qu'elle y sera, si elle pouvait partir avec mon sentiment de culpabilité d'avoir eu ce rendez-vous avec quelqu'un d'autre qu'elle, ce serait bien !

Ne voulant pas reposer ma question, j'attends qu'elle parle. Elle se balance d'une jambe à l'autre, sans un mot, ouvrant et fermant la bouche.

Je l'observe en silence tandis qu'elle se débat avec son esprit.

Bon...

Ça fait bien quarante secondes qu'elle bafouille sans former une phrase et honnêtement, ça m'agace. Beaucoup.

Elle vient ici, interrompt ma soirée et n'est même pas capable de me dire pourquoi ?

Stop maintenant. J'en ai marre de ses jeux, je veux passer à autre chose.

Et cette situation me stresse.

Karen va arriver d'une seconde à l'autre et je n'ai pas mérité de finir mon rencard sur un moment bizarre, juste parce qu'Anna s'est enfin décidée à me parler.

Je soupire et jette l'éponge :

- Tu sais quoi ? Laisse tomber.

Je me détourne d'elle et cherche mes clefs à l'intérieur de mon sac, bien décidée à la laisser sur le trottoir. 

- Inès...

Un petit rire amer m'échappe en voyant qu'elle ne trouve toujours pas les mots, mais je m'abstiens de tout commentaire, glissant la clef dans la serrure et poussant la porte. Elle saisit ma main et je me retiens de l'envoyer sérieusement balader, partiellement parce que j'ai malgré tout envie de savoir ce qu'elle veut.

Je la laisse me tourner, m'adossant à la porte pour éviter qu'elle ne se referme et croise mes bras sur ma poitrine.

C'est maintenant ou jamais Anna.

Crache le morceau.

Sur le côté de l'immeuble, les graviers crissent au loin, annonçant l'arrivée de quelqu'un. Je tourne la tête dans cette direction avec une boule au ventre, sachant très bien qui approche.

Une expression d'urgence sur le visage, je fais face à Anna, prête à lui demander de partir.

Elle me prend totalement par surprise en saisissant mon visage entre ses mains et se collant à moi.

Ses lèvres capturent les miennes dans un baiser brûlant, plein d'urgence.

Bien que mon cœur explose littéralement dans ma poitrine, je m'efforce de ne pas vraiment répondre, sans pour autant réussir à rester de marbre. 

Loin de se décourager, elle glisse un bras dans mon dos et me serre contre elle. Des effluves de cuir et de parfum me parviennent aux narines et créent un déclic en moi.

J'ai celle que je veux au bout des lèvres et elle est tout ce que j'attendais, et plus encore... Je m'apprête à répondre avec enthousiasme quand le son de quelque chose qui tombe sur les graviers, suivi d'un juron, me rappelle la situation.

Même si ça me tue, je me recule et manque de m'étaler lorsque la porte s'ouvre sous mon poids. Toujours sous le choc et au comble du glamour, je fixe Anna, les yeux et la bouche grands ouverts.

Karen finit par se montrer et je prie pour ne pas avoir l'air aussi coupable que je me sens. Pour donner un ordre d'idée, je me sens à peu près aussi bien que si ma première conversation avec la fille de mes rêves se déroulait dans les toilettes turques d'un camping alors que j'ai ingéré une quantité industrielle de flageolets.

Mais revenons-en à ma misère amoureuse. Le regard de Karen se pose sur Anna, puis sur moi, l'air d'attendre une explication à sa présence. Sous l'effet du stress ou de ce qui sera consigné comme un monument de stupidité, je dis la première chose qui me vient à l'esprit et qui - heureuse coïncidence - se trouve être la pire à laquelle j'aurais pu songer :

- Et bien merci Anna, c'est gentil d'être passée ! Fallait pas te donner cette peine juste pour me rendre le double des clefs de Baptiste !

J'ai à peine fini de prononcer les mots, je regrette déjà. Ma culpabilité atteint son point culminant en voyant l'expression d'Anna se décomposer au moment où la signification de mes paroles ne laisse plus de doute. À tel point que la présence de Karen est la seule chose qui me retienne de me mettre à genoux pour demander pardon.

Mais à la place je ne fais rien, me contentant d'attendre qu'elle parte après avoir été congédiée comme une malpropre.

Après ce qui me paraît être une éternité, elle pousse un soupir de dédain et nous quitte, avec sur le visage l'expression d'une sévère trahison.

Judas aurait été fier de moi.

N'ayant pas manqué une miette de la scène et étant loin d'être conne, je me doute que Karen sait qu'elle a raté quelque chose. La question est dans ses yeux mais fort heureusement elle ne me demande rien. Ça m'arrange.

Forçant un sourire sur mes lèvres, je lui ouvre la porte en grande pompe, tentant de détourner l'attention avec mes singeries.

Malgré moi, mon regard se pose sur la silhouette d'Anna qui s'éloigne dans la nuit, les épaules voutées, comme défaite. Mon coeur se serre en l'observant partir.

Je me détourne de cette vision et emboite le pas à Karen, une grosse boule au ventre.

Qu'est-ce que j'ai fait ?!

Espérons que même si ma façon de l'annoncer était franchement pourrie, ma décision était la bonne.

 

*          *          *          *          *          *

 

Je tourne et retourne dans le lit, le sommeil jouant les déserteurs.

C'est bien le moment.

Il parait que la nuit porte conseil mais j'imagine que ça implique de dormir..

Allez quoi !!!

Rien à faire, la soirée et plus précisément mon "altercation" avec Anna me trottent dans la tête.

Je change une nouvelle fois de position et repousse les couvertures.  M'emparant de mon téléphone, j'y regarde l'heure, espérant qu'il me reste suffisamment de temps devant moi pour grappiller quelques heures de sommeil.

5h43... Et un texto.

Mon palpitant s'engage dans une course effrénée, sachant très bien qui m'a envoyé un message avant même de le consulter. Ironiquement, ce n'est que maintenant qu'elle m'en envoie.

J'approche mon doigt de l'icône et hésite un moment avant de toucher l'écran. J'ai peur de ce que je vais lire. 

Bon... Courage, repousser l'instant ne sert à rien si ce n'est à trop réfléchir. Et c'est bien connu que ça ne me réussit pas. Rassurée par ma logique façon sophisme, je tapote l'écran.

Le SMS apparaît à la fois trop vite et trop lentement à mon goût :

Salut, j'espère que je ne te réveille pas ou n'interromps rien. Je voulais m'excuser pour ce soir, je n'aurais pas du faire ça. Ça ne se reproduira plus ne t'en fais pas... Il fallait que je tente pour m'éviter tout regret. Au moins, je sais à quoi m'en tenir.

Non non non non non !

Merde !

D'une main, je m'empare d'un oreiller et le plaque sur mon visage. Ahhhhhh ! Qu'est-ce que j'ai fait !

Comment je peux rattraper le coup maintenant ?

Délaissant le coussin, j'agrippe mon smartphone et le regarde comme la bouée de sauvetage que j'espère qu'il va être.

Quoi répondre ?

Tu n'interromps rien.

Non, il faut qu'elle oublie Karen.

Idéalement qu'elle oublie toute la soirée, mais ce n'est pas gagné alors on va viser petit.

M'adressant à la pièce vide, je lance un "tabula rasa", juste au cas où.

J'aimerais que ça se reproduise...

Non, trop direct et ça sonne comme "tu veux être mon amie ?".

La lumière se fait soudain dans mon esprit et j'opte pour une formule qui est certes connue et vicieuse, mais qui a fait ses preuves :

On peut se voir ? Il faut que je te parle.

Et voilààà !

Normalement là elle ne sait pas mon avis à tête reposée sur la situation et va se tourner les méninges pour essayer de deviner tous les scénarios possibles. Ça veut dire qu'elle va penser à moi et c'est exactement ce que je veux.

genius

 

 

 

 

 

Ma jubilation est de courte durée, sa réponse me calmant net :

Honnêtement, je ne sais pas si c'est une bonne idée...

J'ai peur qu'elle se défile si je lui laisse le choix, alors décide de forcer un peu les choses.

T'es chez toi demain ? Je peux passer ?

Peut-être qu'en étant sur son territoire ça la rassurera.

Tami viendra après le boulot, mais normalement je partirai un peu plus tôt qu'elle. 17h?

Un sourire fait son apparition sur mon visage en lisant cela. Yes !

Je tape rapidement ma réponse pour ne pas lui donner le temps de changer d'avis :

Ça me va, merci beaucoup. :)

 

Une petite danse de joie plus tard, je me sens nettement mieux. Avec un peu de chance, j'arriverai à trouver le sommeil. Plus qu'à réfléchir à ce que je pourrais dire pour la convaincre ! 

22 février 2016

Chapitre 8 : Mise au pied du mur

J’arrive au bar avec une boule au ventre. J’ai été « convoquée » par  Lucie et je sais très bien de quoi elle va vouloir parler.

Et en termes de préférence, c’est à peu près le dernier sujet que j’ai envie d’aborder, juste derrière « comment se déroule la sexualité lesbienne » en présence de mes parents.

À peine mes fesses posées sur le tabouret de bar qu’elle passe à l’offensive :

- Je pensais que c’était fini cette histoire avec Anna.

N’ayant plus rien à perdre, je tente un bluff :

 - De quoi tu parles ?

- Tu crois que j’ai pas vu ton petit manège ? Et inversement elle qui te suit dans la cuisine, rougit au moindre rapprochement…

Alors ça par contre ça m’intéresse.

C’est le moment d’appliquer la leçon numéro #125 des règles des espions en société, prêcher le faux pour connaître le vrai :

- N’importe quoi  ! Et elle ne fait rien de tout ça.

Elle me sert une bière qu’elle dépose devant moi :

- Inutile de nier, tu ne fais qu’aggraver votre cas !

Je hausse les épaules et détourne le regard, n’osant pas lui faire face tandis que j’admets :

- Mais c’est la vérité. Il ne se passe rien et je ne sais pas quoi faire. Elle m’a très clairement expliqué PAR DEUX FOIS, la honte, que j’étais sa patiente et que c’était impossible… Mais bon, elle me plaît et je ne contrôle pas…

Je porte le verre à mes lèvres, histoire de me donner un peu de répit.

- Mouais. C’est bizarre qu’elle se comporte comme elle le fait si tu ne l’intéresses pas ! Je veux dire… Elle te parle trois fois plus qu’à moi !

J’ai envie de répondre que le problème ne vient peut-être pas d’une question d’intérêt mais de professionnalisme exacerbé… Mais ce serait vaniteux dans le sens où je n’ai aucune certitude à ce sujet.

Espérant secrètement ainsi clore le sujet, je lance :

- M’enfin, ça va bien finir par me passer.

Lucie me jette un regard totalement alarmé, qui me ferait bien marrer s’il n’était pas accompagné d’une phrase inquiétante :

- Ça va pas où quoi ? Pour une fois que tu t’intéresses à une femme décente, hors de question que tu lâches l’affaire aussi facilement.

Elle est impossible. Cette nana est plus protectrice avec moi qu’une mama italienne juive avec son fiston préféré. C’est pour dire ! J’abats la carte compassion :

- Je peux quand même pas la forcer.

Elle me fait un sourire tout ce qu’il y a de plus effrayant et mon sentiment se trouve confirmé par ses paroles :

- Qui parle de forcer ? On peut lui faire réaliser que tu es là, prête et dispo pour elle…

- Dit comme ça on jurerait que tu évoques un service d’escort. Et comment tu comptes réaliser cette prouesse ? Parce que m’est avis qu’elle a bien saisi que moi j’étais partante, mais c’est de son côté que ça coince.

Imperturbable, c’est sur un ton de « woman on a mission » qu’elle m’ordonne :

- Fais-moi confiance. Rendez-vous vendredi, 22h30 ici, amène Batou et sa pote si tu peux.

- Lulu, sans vouloir te faire de peine, quand tu commences une phrase par « fais-moi confiance », en  général je m’inquiète. A quoi je dois m’attendre ?

- Tu verras bien ! Viens bras nus. Et si possible en jupe ou short.

Mon regard est tout ce qu’il y a de plus suspicieux, tentant de deviner à quelle sauce elle a l’intention de me manger :

- C’est-à-dire ? Je peux avoir plus d’infos ? Tu te rappelles que je ne suis pas une « professionnelle » hein ?

Je fais usage des guillemets afin qu’elle sache de quel type de professionnelle il est question.

- Ma décision est prise. Ne t’en fais pas, je travaille dans le milieu de la nuit, la séduction, les rapprochements… Ça me connaît. Allez file j’ai du boulot.

Me voyant congédiée telle une malpropre, je l’observe faire demi-tour et partir servir un client. La perspective de cette soirée est encore plus terrifiante que la fois où j’ai dû monter en voiture pour quarante minutes de route avec tata Hildegarde comme conductrice.  

Maintenant soyez informés que tata Hildegarde a des gros soucis de latéralisation et deux culs de bouteille en guise de lunettes…

Ça promet.

 

*          *          *          *          *          *

 

Le jour J arrive bien trop vite à mon goût. J’ai de la chance dans mon malheur puisque la période estivale me permet de suivre à la lettre les consignes vestimentaires de Lucie sans passer pour une cinglée qui a ses chaleurs.

Mais quand même, étant peu sûre de moi, le short moulant noir et le petit top sans manches décolleté comme il faut ne me mettent pas très à l’aise.  D’ailleurs étant donné la tronche qu’a fait Baptiste en me voyant arriver, lui non plus n’est pas habitué à ce que je dévoile autant de peau. Je m’installe à l’arrière de la voiture et on passe chercher Anna. La banquette arrière est une position stratégique d’où je peux voir sans être vue et ça, j’aime bien.

Je suis plutôt contente de constater qu’elle non plus n’est pas très couverte. Elle porte une petite robe d’été toute simple, un peu volante, d’un rouge sombre qui se marie bien avec la teinte châtain de ses cheveux détachés.

Si je n’étais pas convaincue de l’intégrité de Lucie je me demanderais même si elle n’a pas donné des indications stylistiques similaires à Anna. Mais connaissant mon amie, quoi que ce soit, son plan est forcément tordu et ce n’est pas le genre de ma kiné.

Enfin je crois.

On arrive au bar où notre barmaid préférée est déjà affairée. La foule n’est pas au rendez-vous, les vacanciers ayant certainement profité de ce mois de juillet pour partir plus au sud. Bon, il n’y a pas trois pelés deux tondus non plus hein, mais l’absence d’animation m’inquiète un peu. Si Lucie n’est pas débordée, je n’ai pas l’ombre d’une chance d’échapper à ce qu’elle a préparé. C’est qu’elle a de la suite dans les idées la bougresse.

J’ai eu beau la supplier ça n’a rien changé, elle n’a pas voulu me dévoiler le moindre indice. L'unique info que j’ai pu grappiller consistait en une seule phrase « je ne peux pas te le dire sinon tu te dégonflerais ».

En soi, avouez que c’est mauvais signe ! Surtout venant d’elle !

Elle nous accueille nonchalamment, démontrant une fois de plus son sens du bluff.  On est assis à l’arrondi du bar, d’où elle peut surveiller la salle et nous garder à l’œil. Baptiste est au bout, Anna au milieu et moi à sa gauche.

Le regard au loin, Lucie demande à personne en particulier :

- Alors quoi de neuf ?

C’est Baptiste qui se charge de répondre :

- Oh tu sais, trop rien. J’ai fini de m’installer, Inès est désespérément célibataire et Anna refuse toujours de me donner le numéro de Tamiko.

J’ai du mal à me décider : est-ce qu’il mérite un bisou ou la castration pour avoir fait une énième évocation de mon célibat devant Anna ? Nan parce qu’une association entre moi et le désespoir est peu flatteuse. Mais d’un autre côté, ça lui remémore que je suis là et disponible.

Ne relevant (malheureusement ?) pas ce point-là, Anna rétorque dans un sourire amusé :

- Elle vient ce soir, t’auras qu’à lui demander. Mais si tu t'attends à plus que ça, appelle-moi quand tu tentes ta chance, je veux être là !

Baptiste se tourne brusquement vers sa cousine :

- Pourquoi ça ? C’est quoi l’embrouille ?

Lucie lui jette un dessous de verre au visage en expliquant :

- Elle est probablement lesbienne abruti.

Outré, il fixe la barmaid d’un œil mauvais tout en se frottant la tête :

- Aïe. Mais comment j’aurais pu savoir ?

Anna prend le relai :

- En écoutant ce qu’elle racontait au lieu de lui regarder les seins ? Elle a évoqué son coup de cœur du moment.

Marmonnant, Batou dit d’un air blasé :

- N’importe quoi. C’est juste qu’on avait bien sympathisé. Vous voyez le mal partout.

Je suis le mouvement et me ligue également contre lui en lançant d’un air tout sauf convaincu :

- Oui oui. On te croit.

La soirée se déroule sans accroc et dans la bonne humeur, au point que j'en viens à me demander si Lucie a laissé tomber. Elle a été plutôt généreuse niveau boisson et tout le monde est pas mal saoul.

Lorsque je vois notre barmaid préférée croiser le regard de Tamiko qui acquiesce comme pour donner le feu vert, je sais que ce n'est pas le cas.

- J'ai une idée ! Et si on faisait des bodyshots ?

Ohhh, comme c'est commode. Pas besoin d'être douée en devinettes pour comprendre qu'il s'agit clairement d'un coup monté.

Tami ne montre pas l'ombre d'une surprise et s'exclame immédiatement :

- Oh oui, trop bien !

Bonjour l'actrice de série B, ça ne sent pas la spontanéité pour deux sous.

Anna, Batou et moi sommes nettement moins enthousiastes.

- Euh... Avec ma cousine ?

Je ne sais pas si elles avaient anticipé le truc ou si elles sont prêtes à tout, mais Tamiko s'approche de mon meilleur et lui annonce :

- Non, avec moi. Enfin si on le fait. Anna, Inès vous en dites quoi ?

J'essaie de scruter sa réaction mais mon coup de coeur a juste l'air inquiète, ce qui ne booste pas ma confiance en moi. Je m'apprête à me défiler lorsque Lucie demande :

- Anna, t'en es ?

Mes yeux croisent ceux de ma kiné et je tente de ne pas laisser transparaître mon désir et mon appréhension. Je n'arrive pas à deviner ce qu'elle pense.

Est ce qu'elle trouve ça bizarre ? Est ce qu'elle en a au moins un peu envie ? Elle ouvre la bouche, puis la referme, puis la réouvre... Soit l'alcool à réduit ses facultés mentales à celles d'un poisson, soit elle ne s'y attendait VRAIMENT pas.

Baptiste, ayant certainement hâte d'entamer les choses sérieuses avec Tami, n'hésite pas à décider pour sa cousine :

- Mais oui elle est partante, on commence ?

Lucie ne perd pas un instant pour s'exécuter et sortir citron, sel et tequila...

Alors que Tamiko se sacrifie pour l'équipe, je garde un oeil sur Anna, m'attendant à ce qu'elle prenne ses jambes à son cou.

Elle se contente de rester là, sonnée comme si on lui avait filé un coup de pelle en plein visage. Sauf qu'elle est jolie, ce qui ne serait pas le cas après ce genre de mésaventure, mais je me comprends.

Bien trop vite à mon goût, Baptiste à l'air du type qui a gagné au loto et je me retrouve sous les feux des projecteurs.

Lulu m'indique d'approcher dans un signe de la main. Sachant qu'elles font tout ça pour moi et ayant perdu tout bon sens en même temps que ma sobriété je m'exécute, sans pour autant être rassurée.

Faisant comme à la maison, Lucie ignore ma pudeur et cale un shooter de tequila entre mes seins. Bien évidemment, j'ouvre la bouche pour m'en plaindre et elle en profite pour y fourrer une rondelle de citron. Je n'ai pas le temps de réagir qu'elle saupoudre du sel dans le léger creux de ma clavicule et me tourne pour que je fasse face à Anna.

- Anna, ton shooter est avancé.

Je lance un regard noir à mon amie. Je viens de réaliser qu'ils ne m'ont même pas demandé mon avis !

Minute, est ce que ça veut dire qu'ils sont tous au courant ? Est ce qu'Anna a remarqué ?

Ma kiné n'à pas l'air sûre d'elle, les sourcils en  accent circonflexe, ses yeux noisette se posant à peu près partout sauf sur moi.

Une éternité passe et....

Rien.

Elle ne bouge pas.

Je me sens parfaitement ridicule et totalement rejetée.

Qu'est-ce que j'ai cru ?

Je vais tuer Lucie.

Comme si j'avais besoin d'une rebuffade de plus. Maintenant il faut arrêter avec les humiliations, j'ai eu mon quota, j'ai bien saisi. Célibataire un jour, célibataire toujours. Conne que je suis, j'ai encore une fois visé trop haut en espérant que ça allait fonctionner.

Pfff...

Ouais, notre rendez-vous "surprise" était tendu niveau ambiance, mais c'était pas sexuel, juste de la gêne. Comment j'ai pu croire qu'il pouvait en être autrement ?

Je lève la main dans la ferme intention de mettre fin à cette mascarade en récupérant le shooter lorsque Tamiko prend la parole, s'adressant plus à ma poitrine qu'à moi :

- Ah non, hors de question que tu t'en tires à si bon compte, si la carpe derrière moi ne sait pas reconnaître une chance quand elle en voit une, moi si ! Je vais le faire...

Elle m'oriente pour me placer dos au bar, renversant un peu de tequila sur mes seins. Lui faisant à présent face, ses yeux parcourent mon buste et je me sens totalement vulnérable.

Pas dans le bon sens.

Après la prise de conscience que je viens d'avoir, j'ai envie de pleurer. Et de me cacher. En tout cas pas d'être là.

Tami d'approche de moi d'un air prédateur, jusqu'à se trouver à quelques centimètres. Elle s'abaisse en direction du shooter et ça semble sortir Anna de sa torpeur.

- N-...NON ! Je vais le faire ! ... C'est à moi de le faire.

Nous faisant sursauter, Anna bouscule son amie pour prendre sa place et aussi contente que je sois de savoir qu'elle va le faire, la manière dont elle a formulé la chose ne vend pas du rêve.

"C'est à moi de le faire". C'est mon tour de faire la vaisselle... C'est à moi de nettoyer les toilettes...

Mon attention revient au présent lorsqu'Anna place ses mains sur mes hanches. Pour la première fois depuis que je suis parée pour le body shot, son regard croise le mien. Ses pupilles sont gigantesques, mais impossible de savoir si c'est l'alcool ou l'excitation. Avec un peu de chance, les deux.

Elle s'approche encore, son attitude vraiment intense, complètement focalisée sur moi. Pour ma part, je suis divisée. D'un côté j'ai conscience de l'audience, de l'autre j'ai enfin ce que je voulais. L'attention d'Anna.

Les yeux dans les miens, elle se baisse et stoppe, les lèvres à quelques millimètres du shooter et de ma poitrine. Mon cœur bat la chamade et je respire plus fort que d'ordinaire, attendant. Je dois faire un réel effort pour ne pas ouvrir la bouche et laisser tomber la rondelle de citron.

Son regard soutient le mien lorsqu'elle place ses lèvres autour du shooter et tire pour l'extraire. Elle bascule la tête en arrière pour le boire, resserrant ses mains sur mes hanches pour le support.

Tami s'empare du shooter et, dans un clin d'œil à mon attention, lance :

- Il en reste.

Anna observe rapidement le haut de ma poitrine, au-dessus de mes seins, où un peu de tequila a été éclaboussé. Cette fois, elle ne présente pas la moindre trace d'hésitation et resserre son emprise, m'attirant à elle et baissant la tête. Au moment où ses lèvres écartent mon collier et touchent ma peau, je sais que tout espoir que j'ai pu avoir d'étouffer mes sentiments naissants était une vaste farce. On est peut être saoules, mais je sais ce que je ressens. Et c'est pas de la gnognotte.

Elle remonte et passe sa langue sur le sel et je me rends compte que ma main est naturellement venue se glisser dans ses cheveux, l'incitant à continuer. Sa langue me paraît brûlante et pourtant je frissonne de partout. Mes seins réagissent au point que mon soutien-gorge en devient inconfortable. Toute la scène dure à peine quelques secondes mais je les vis comme en transe, au ralenti. Peut-être que je sur-analyse, mais je souhaite me souvenir de tout.

Finalement, satisfaite, Anna se recule et plante ses yeux dans les miens. Notre position est on ne peut plus intime. Elle est tellement tout ce que je veux que j'en ai mal au coeur.

Je ne sais pas ce qu'elle voit dans mon regard, mais ça la pousse à plaquer totalement son corps contre le mien et je me sens l'inciter à continuer de ma main à l'arrière de sa tête.

Elle approche son visage du mien et mord dans le citron.

Je suis déçue que ses lèvres ne touchent pas les miennes, même si techniquement c'est déjà plus que je ne suis en droit d'attendre.

Le moment prend fin lorsqu'un un vieil alcoolo qui se met à applaudir et Baptiste dit :

- Wow... Pourquoi on l'a pas fait comme ça nous ? Ça a l'air bien ! On recommence ?

Tamiko secoue la tête en souriant et lui file un petit coup dans le ventre :

- Dans tes rêves !

 

*          *          *          *          *          *

 

Je me tiens à deux bons mètres du bord du quai. Étant donné que la terre tangue, je préfère me méfier. Je pense qu’actuellement, au niveau quantitatif c’est 50% sang 50% alcool à l’intérieur de mon corps.  Autant dire qu’à l’instant T, j’ai les capacités cognitives d’une huitre pas fraîche.

Un coup d’œil sur ma gauche me rassure. Baptiste est assis sur un banc et a l’air plus éméché que le SDF (qui pourtant en tient une couche) de l’autre côté.  Espérant que l’un de nous trois sauve la mise, j’observe Anna qui me fait un sourire éblouissant, toutes fossettes dehors !

Elle est vraiment belle. C’est pas juste.

Si au moins elle m'avait laissé ma chance... Quand on était sobres hein !

Comme le dirait Tegan "maybe I would have been something you'd be good at... Maybe you would have been something I'd be good at". Merde, maintenant j'ai envie d'écouter call it off.

Le tramway est en approche et quelque part ça me soulage, étant donné que ça implique que la soirée torture touche à sa fin.

Malheureusement, les places assises sont chères et Batou, aussi bourré qu'il soit, arrive à venir s'échouer sur le dernier siège disponible. Dépitée, je me dirige contre la vitre opposée à l'entrée, histoire de pouvoir au minimum m'adosser. J'ai un peu peur de ce que mon état va donner une fois ballottée. Les portes se ferment et le tramway se met en marche, dans un silence relatif. Anna se tient à une distance tout à fait raisonnable, mais suffisante pour me perturber. Après une soirée pareille, mes sens sont toujours sans dessus dessous. L'arrêt suivant signe la fin de mon répit.

Le stade.

Un soir de match.

Une horde de supporters au moins aussi éméchés que nous s'engouffre dans le wagon et adieu espace. Je me retrouve plaquée contre la vitre par le corps d'Anna, poussée par la foule. Elle est proche.

Très proche.

Trop proche.

Je prends de grandes inspirations dans le but de me contrôler. Ses bras sont de part et d'autre de ma tête. Elle se tient tout autant qu'elle empêche que je ne me fasse écraser. Vu la population derrière elle, ma gratitude atteint des sommets. Enfin pour le coup c'en est une double. Merci a Anna de me "protéger" et merci à eux de créer une autre friandise mentale que je pourrais déguster plus tard. Et quelle gâterie. Je l'ai observée en maillot de bain, j'en suis encore toute émoustillée, mais la sentir à nouveau... Pfiou ! Y'a du niveau.

Malgré moi, mon coeur repart pour un tour. Je sais que c'est l'alcool qui parle, ou peut être juste mes sentiments, mais toujours est-il que dans cette position j'ai l'impression qu'elle m'enlace.  Mon regard va trouver le sien. Toutes mes terminaisons nerveuses se sont données rendez vous là où on se touche, j'ai littéralement le coeur dans la gorge.

Peut être que Tamiko a raison et que je devrais tout lui dire.

Ou au moins donner un indice.

Comme lui rouler une grosse pelle puis, si elle ne répond pas au baiser, sortir le classique "je ne sais pas ce qui m'a pris" et accuser l'alcool. Après tout il a bon dos.

Ma kiné se mord la lèvre inférieure et lance d'un ton torturé :

- Me regarde pas comme ça.

Eh oh ! Je suis saoule mais pas stupide ! Bien sûr que je vais m'empresser de continuer ! C'est bon signe ça non ?

Elle se colle un peu plus à moi et à sa manière de se déplacer je sais que ça n'a rien à voir avec une quelconque pression d'un supporter.

Sa main droite quitte la vitre et vient se poser sur mon épaule.

J'arrête de penser.

J'oublie le tram, la soirée, les supporters, Batou torché juste à côté.

J'oublie tout, sauf elle.

Inconsciemment, je me retrouve à placer mes mains sur ses hanches, juste comme ça, posées. Quasiment la position miroir du body shot.

C'est comme une acceptation tacite.

C'est ok de toucher. Je suis déjà à toi...

Ses doigts glissent dans mon cou et vont se nicher dans ma nuque, à mi-chemin dans mes cheveux. Son regard est intense au point que j'en oublie de respirer.

Je suis sûre qu'elle va m'embrasser, mais quelque chose semble la retenir. J'en ai tellement envie que mes mains se crispent sur ses hanches et l'attirent à moi. Ce devait être le signal qu'elle attendait. Je suis surprise qu'elle ne m'embrasse pas et pose son front contre le mien pour admettre :

- Je suis trop saoule pour réussir à me convaincre de te résister...

Quoi ? Est-ce que j'ai bien compris ce qu'elle vient de dire ? Je lève les yeux vers elle, pleine d'espoir. Si nous n'étions pas bourrées, ma tête l'aurait sûrement effrayée. Seul quelqu'un de pas net aurait l'air aussi content à cette idée.

Elle s'approche au point que nos souffles se mêlent. Quelque part, j'ai conscience qu'elle attend que je fasse le premier pas, mais tout mon courage s'est fait la malle en même temps que mon estime de soi. Ca fait un moment que je fantasme cette histoire, j'ai vraiment peur d'être déçue. Pire, de la décevoir.

L'expression "qui ne tente rien n'a rien" me vient à l'esprit. Après tout, c'est vrai. Et au moins je serai fixée. Je n'arrive pas à me résoudre à cette amitié alors...

Décidée, je m'apprête à franchir les quelques millimètres qui nous séparent lorsqu'un son quasi inhumain sort de de la bouche d'un des supporters. Surprises, nous nous reculons comme brûlées alors qu'ils entament tous un "chant victorieux".  Si tant est que les mugissements qu'ils poussent puissent être qualifiés de tels.

L'instant est brisé, et comme il faut.

Anna se détache de moi, sonnant le glas de mes espoirs naissants.

Il ne me reste plus qu'une sensation de vide là où sa main se trouvait.

Putain.

J'ai raté le coche. J'y crois pas !

Quand le jour de la remise des prix de connerie aura lieu, j'ai intérêt à bien choisir ma robe parce que je vais tous les rafler !

Bon, en même temps avoir notre premier baiser alors qu'on est toutes les deux torchées ce serait plutôt moyen.

Je ne sais plus quoi faire.

J'ai beau savoir qu'il vaudrait mieux lâcher l'affaire, mon coeur n'arrive pas à s'y résoudre.

La moindre situation ambiguë relance tous mes espoirs.

Il n'y a qu'une explication possible : mon subconscient est un indécrottable masochiste. Étant donné qu'on habite en bout de ligne, le tram commence à se vider petit à petit et bientôt il ne reste plus que Batou qui ronfle comme un sonneur, Anna et moi. Elle s'est reculée et n'ose plus croiser mon regard... Et si j'avais ruiné toutes mes chances avant même d'avoir pu vraiment tenter le coup ? Cette soirée a été trop loin.

Ou alors ça y est, elle a repris ses esprits et se rappelle que je ne l'attire absolument pas...

Son arrêt est le prochain. Elle demande, observant son cousin :

- Tu vas t'en sortir ?

- Oui, t'en fais pas. On était au lycée ensemble, c'est pas la première fois que je le ramène !

- Ok...

Le tram marque un stop et les portes s'ouvrent. Anna me regarde et je vois sur son visage qu'elle lutte pour trouver les mots.

Finalement rien ne vient.

Elle me fait un signe de la main plutôt maladroit et descend, sans se retourner.

Le tram continue son chemin et la boule dans ma gorge grandit. Le moins que l'on puisse dire, c'est que de mon côté le constat de cette soirée est douloureux. J'ai voulu jouer et j'ai visiblement perdu. Elle a failli craquer mais au final la seule chose qui a cédé c'est le semblant d'amitié qu'on a.

 

*          *          *          *          *          *

 

Je me réveille sur le canapé de Batou avec l'envie de mourir mais néanmoins de bonne humeur. Oui j'ai réitéré et oui j'ai la gueule de bois, mais ça fait longtemps qu'on n’a pas eu de moment à nous.

Aussi... "Lui" soit-il, il me manque.

Depuis qu'il l'a retrouvée, il passe quasi tout son temps avec Anna. Je comprends qu'ils étaient proches étant enfants mais... Je sais pas... Quand elle est là, j'en suis vachement consciente et je suis dans la retenue. Avec Baptiste c'est l'inverse, on se dit tout et je n'ai pas peur d'être ridicule ou de faire mauvaise impression.

Et après hier soir, j'ai besoin d'un break.

Un sevrage brutal.

En attendant, je compterai sur lui pour vivre une vie amoureuse par procuration.

Il émerge de sa chambre en T-shirt et short et je suis contente de le voir au point d'avoir presque envie de le prendre dans mes bras.

Presque.

- Salut. Bien dormi ma belle ?

À vrai dire, j'ai très peu dormi. J'ai passé la nuit à ruminer et scruter mon téléphone pour un message d'Anna qui n'est jamais venu. Mais le lui dire pourrait m'amener à devoir lui expliquer alors j'opte pour un mensonge par omission :

- Comme quelqu'un qui a trop bu alors qu'elle avait juré de ne plus recommencer ! Toi ?

- Mal au crâne. Même constat, mais au masculin.

Compatissant, je lui jette le tube d'aspirine qu'il attrape au vol. Le temps qu'elle infuse dans un verre d'eau, il regarde son téléphone :

- Si ça peut te consoler, j'ai eu un SMS de ma couz, elle ne va pas mieux.

Je m'efforce de sourire, dépitée. Au moins lui il a eu un message.

Histoire de vérifier, je consulte ma boite de réception pendant qu'il ingurgite son médicament.

Un message !

Un grand sourire me vient vite aux lèvres et repart aussitôt.

Sur l'écran s'affiche :

Coucou ! J'espère que tu te souviens encore de moi, parce que de mon côté je ne t'ai pas oubliée loin de là. J'ai quelques jours de repos en fin de semaine prochaine, ça te tente toujours d'aller manger un bout ensemble (ou faire autre chose si tu as une idée) ? :D Bises. Karen

Batou s'affale à côté de moi sur le canapé et voyant ma réaction, lit à son tour :

- C'est pas une bonne chose ?

- Si si.

- Alors pourquoi tu fais une gueule pareille ?

Je hausse les épaules, ne sachant pas quoi dire. Parce que j'attendais un message de ta cousine ?

- Elle te plaît pas ?

Pas comme Anna.

- Si... Je sais pas... J'espère juste être à la hauteur, je ne suis pas sûre de pouvoir supporter une déception de plus.

Il enroule son bras autour de mes épaules en répliquant :

- Tu déconnes ? Ça fait une paire de jours que t'as repris du poil de la bête ça fait vraiment plaisir à voir ! Elle risque d'être surprise, mais dans le bon sens, tu rayonnes, je t'assure !

- Ouais bah aujourd'hui j'en ai pas franchement l'impression...

Je rayonne plutôt façon roue de VTT voilée...

Ouh c'était nul !

Encore pire que d'hab ! Si j'en arrive à perdre mon sens de l'humour, ça va pas le faire ! C'est à peu près la seule chose que j'ai pour moi, j'en ai besoin !

Je baisse la tête et joue avec le tissu de mon haut du bout des doigts, histoire de me donner une contenance.

Tout sourire, comme s'il n'avait pas remarqué mon imitation de grumpy cat, Baptiste se penche et s'empare de son arme fatale anti déprime :

- T'en fais pas, j'ai la solution ! Tadaaa !

Je n'arrive pas à m'empêcher de rigoler en le voyant me présenter les DVD de Buffy contre les vampires comme s'il s'agissait du Saint Graal.

Intérieurement, j'ai déjà cédé, même si on les as tellement regardés qu'on fait les doublages nous-mêmes, ça me remonte toujours le moral. Mais j'ai envie de faire ma chieuse :

- Mouais... Je sais pas trop...

Un air malicieux sur le visage, il me porte le coup de grâce :

- J'ai du Nutella et de la glace, et si t'es sage on peut même mettre la saison 3...

Il n'attend pas ma réponse pour se lever. En même temps il devrait y avoir une loi contre ça. Une jolie brune badass avec des pantalons en cuir moulant... C'est tricher ! Et je n'aurais jamais dû lui infliger les Bridget Jones, il a très vite inculqué les rituels féminins antis baisse de moral. Sa prochaine copine pourra me remercier, c'est moi qui vous le dit ! Je lui ai tout appris à ce petit ! C'est un bon poulain !

22 février 2016

Chapitre 7 : Si t’es intéressée…

Le stress est à son paroxysme Je regrette d’avoir dit oui.

Enfin non.

Disons que je regrette que pour une fois qu’elle m’invite, les circonstances soient celles-ci.

Anna nous a conviés Baptiste et moi à une soirée piscine barbecue chez elle. Lucie bosse donc ce sera « sans filet » pour moi.

Vous avez remarqué la présence du mot piscine ? Parce que moi oui !

La dernière fois que j’y suis allée, j’en suis ressortie humiliée et éclopée. Autant dire que je préférerais éviter de réitérer l’expérience.

D’un autre côté, c’est ma première invitation de sa part, ça me fait super plaisir et je ne veux pas refuser d’entrée.

Et là j’y suis.

Devant la porte j'entends.

Dans toute ma gloire.

Mon maillot de bain une pièce trop petit en dessous de mes vêtements compris…

J’ai tenté de faire un peu de sport, mais au vu des résultats, je n’ai pas de quoi être fière. Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu un seul gramme. Au alors à peu près autant qu’en pissant dans un violon, pardonnez l'expression.

Une énième vérification m’indique qu’il s’agit bien de la bonne maison et me voilà à court d’excuses pour repousser l’échéance.

Je sonne.

J’entends des pas derrière la porte et suis accueillie par Anna elle-même, en maillot de bain.

Je fais un énorme arrêt sur image et pas de doute, ça se voit.

Vous avez déjà tenté d’empêcher vos yeux de vagabonder ? Je suis présentement en train de le faire et ça me demande une telle concentration que je sursaute en l’entendant dire :

- Coucou ! Contente que tu aies pu te libérer.

Et là elle s’avance, me fait la bise et m’octroie même une petite tape dans le dos, ce qui me fait littéralement perdre tous mes moyens :

- Sa- salut. Con- tente d’être là.

Génial, maintenant je bégaie.

Si la vie souhaite me gratifier d’un autre handicap, surtout qu’elle ne se gêne pas, ce n’est pas comme si je n’étais déjà pas gâtée.

N’empêche, dire que la dernière fois qu’on s’est vue elle était aussi chaleureuse qu’un bout de banquise, le contraste est saisissant. Je la préfère nettement comme ça. Même si ça signifie qu’elle a cru à notre mensonge et que ça fait de moi une garce qui n’assume pas…

- Viens, c’est par ici, Baptiste est déjà là.

Je m'apprête à retirer mes chaussures lorsqu'elle m'interrompt d'une main sur l'avant-bras :

- Garde-les, j'ai pas eu le temps de nettoyer par terre.

Machinalement, je regarde le sol. En même temps pour ramasser quoi, c'est impeccable.

Elle se retourne et je peux enfin m’en donner à cœur joie au niveau visuel.

Ah oui.

Quand même !

Finalement j’ai bien fait de venir !

Je la suis dans la maison, sans franchement faire attention à la déco. J’appréhende le moment où ils vont s’attendre à ce que je les rejoigne dans la piscine…

Mon meilleur ami est déjà en train de faire trempette lorsque je le salue de loin. Le connaissant, il est hors de question que je m'approche du bord, c'est sûr que je finirais à l'eau. En tout cas, cette piscine est immense !

Anna fait un signe de la main en direction du seul transat sans serviette et annonce :

- J'espère que ça te va.

- Oui merci, c'est parfait.

Je lui fais un sourire uniquement de façade. Pourquoi j'ai celui du milieu ? Y'en a pas plutôt un derrière un buisson ou un paravent ? Et il est hors de question que je retire mes vêtements en public. Un public de deux personnes, certes, mais public quand même.

J'étale ma serviette et m'assieds, tentant d'apparaître détendue.

Non non, rester avec mon jeans, mon haut manches longues et mes baskets sur un transat brûlant le tout sous un soleil de plomb n'est pas inconfortable du tout. Je fais mine d'ignorer les regards que me lancent Batou et Anna ainsi que les gouttes de sueur qui se forment sur mon front.

Évidemment, comme à son habitude Baptiste réduit mes efforts à néant :

- Ben tu te changes pas ?

- Euh si, si.

Dans ma recherche effrénée d'un endroit à l'abri des regards, j'en oublie même de le fusiller du mien ! Anna, toujours prévenante, comprend mon problème sans que je le vocalise et s'excuse :

- Ah pardon, viens je t'accompagne à la salle de bain.

- Merci.

J'attrape ma serviette pour avoir de quoi me "burka-niser" et la suis promptement. Ce serait dommage de faire un malaise si près du but.

Elle ouvre une porte et me guide à l'intérieur :

- Je vais me servir un verre de rosé en attendant, tu veux quoi ? J'ai du vin, du coca, de l'eau, du jus de banane...

- Euh... un rosé c'est très bien.

- Ça arrive ! Si t'as besoin de quoi que ce soit, je suis juste à côté.

- Merci.

Mais je n’espère pas. J’ai déjà assez abusé de sa gentillesse pour toute une vie.

Je ferme la porte à clef, observe mon reflet d'un œil critique et me décide.

La salle de bain n'est pas très grande mais fonctionnelle. Elle est visiblement peu utilisée - pas de brosse à dents ni de produits dans la douche-, soit Anna ne se lave pas (peu probable vu qu'elle sent bon), soit il y en a une autre dans la maison. J'essaie tant bien que mal de ne pas imaginer ma kiné sous cette même douche, mais c'est mission impossible.

Finalement à court de friandises mentales, je retire mes chaussures, chaussettes et mon jeans. C'est maintenant qu'on rigole... J'ai galéré à me faire un chignon qui tient miraculeusement à l'aide d'épingles à cheveux, c'est pas le moment de tout faire tomber à l'eau.

Je retire mon haut avec précaution, mais accroche une épingle.

Ah non ! Il est hors de question que je quitte cette pièce pour demander de l'aide avec tout à l'air sauf la tête ! Trop c'est trop !

Frustrée, je tire comme une brute et sens mes cheveux qui lâchent. Une fois libérée, je suis plutôt fière de moi. Moins de ce que je vois dans le miroir et de la touffe de cheveux attachée au haut. M'enroulant allègrement dans ma serviette, je reconstitue partiellement ma coiffure et sors à contrecœur.

Je me retrouve nez à nez avec Anna, verres à la main, accompagnée de sa réceptionniste.

O_O

Alors même que je ne fais rien de mal, je suis comme un daim pris dans les phares d'une voiture lorsqu'elle s'exclame :

- Tiens tiens... Mais c'est Mme MARIZY, la patiente préférée. Tsk tsk Anna... Tu m'en fais des cachotteries...

Je vois ma kiné rosir et secouer légèrement la tête. Donc je SUIS sa patiente préférée ! Je retiens un sourire aussi large que si je m’y étais coincé une banane alors qu’elle tente de garder la face devant les insinuations de son employée :

- N'importe quoi ! C'est l'amie de mon cousin, ne va pas te faire des idées...

- Trop tard.

Elle se tourne vers moi qui joue toujours à la statue de sel et me fait la bise :

- Moi c'est Tamiko, mais tout le monde m'appelle Tami.

Malgré moi, je hausse les sourcils. Maintenant que je connais son prénom, je réalise qu'elle est typée.

Anna, visiblement habituée à ce genre de réaction me refile le verre et nous pousse en direction de la piscine.

- Avant que tu ne demandes, c'est d'origine japonaise et oui elle en est bien trop fière !

Hé ben !

Une fois dehors, Anna marche vite et je traîne un peu pour glisser à son amie :

- L'écoute pas, moi j'aime bien c'est un super prénom !

- Merci ! Salut Baptiste !

Sans complexe, elle enlève son haut et le jette au visage d'Anna, qui vient de s'allonger sur son transat.

Ma kiné pousse le vêtement, l'air extrêmement blasée.

Elle s'adresse à Batou qui rigole et demande :

- Ré-explique moi pourquoi je l'ai invitée déjà ?

Tami retire sa jupe et grimpe à cheval sur Anna, énonçant :

- Parce que tu m'aiiiiimeuhhh !!

Elle se penche lentement en direction d'Anna. Je la regarde faire avec des yeux ronds, le cœur dans la gorge, anticipant un baiser langoureux.

Mais Anna soupire et la pousse sur le côté  comme une crotte :

- Dans tes rêves !

Soulagée, je me bidonne. Visiblement contente d'elle, ma kiné s'empare de son verre et le tend dans ma direction. Sans attendre, en bonne fayote que je suis, je me rue pour trinquer avec elle.

Tami n'en manque pas une miette et demande à Batou :

- Ça te fait quoi de savoir que ta cousine en pince pour Inès ?

- Hein ? C'est quoi ces histoires ?

Tous les regards sont braqués sur Anna, qui devient rouge pivoine. De là où je me tiens, je peux presque entendre la sirène d’alarme qui résonne dans sa tête. Ceci étant, à sa place je n’en mènerais pas plus large !

Sans manquer une miette de sa réaction, je profite de la distraction pour rapidement pénétrer dans la piscine, gardant ma serviette à portée.

- Ne l'écoute pas, elle dit n'importe quoi !

Une fois n'est pas coutume, non seulement ce n'est pas moi qui suis sur le grill mais Batou pose une question sensée :

- Si c'est faux, pourquoi t'es pivoine ?

Tami se relève et s'étire, faisant étalage de son corps bien entretenu. Comme si le sujet de conversation ne suffisait pas, elle en rajoute une couche dans un signe de tête en ma direction :

- Pourquoi ELLES sont toutes rouges tu veux dire !

Constatant que Baptiste s'apprête à se tourner vers moi, je plonge immédiatement la tête sous l'eau. Au diable mon chignon ! Technique de survie #465 : l'autruche.

Je reste aussi longtemps que possible et ressors d'un air détaché, soulagée de constater que les spotlights sont à nouveau sur Anna, même si le ton a changé :

- Ça suffit. Mêlez-vous de vos oignons. Vous voyez bien que ça la met mal à l'aise !

Ma kiné bouscule un peu son amie et exécute un plongeon parfait. Quelque part je suis un peu déçue que le sujet soit à présent clos, mais ça évite de remuer le couteau dans la plaie. J’aurais quand même bien aimé en savoir plus…

Tami hausse les épaules et réalise une gigantesque bombe juste à côté de Baptiste.

Anna refait surface à côté de moi et j'espère qu'elle avait les yeux fermés sous l'eau, je n'ai pas fait tout ça pour qu'elle découvre mon gras !

Un air contrarié sur le visage, elle prend la parole :

- Désolée. Elle s'amuse toujours à me mettre mal à l'aise, je ne pensais pas qu'elle allait  t'embarquer là-dedans.

- T'en fais pas. On se vengera !

Dans l'eau, je lui donne un petit coup de hanche complice, contente que la situation soit normale entre nous.

Depuis l'autre côté du bassin, Baptiste demande :

- Un waterpolo ça vous tente ?

Tami est conquise, Anna hausse les épaules et je n'ose pas dire non.

Un air coquin sur le visage, miss cheveux roses propose :

- On fait maillots contre sans maillots ? Batou et moi on les garde.

Ma kiné passe son bras autour de mon épaule, manquant de me couler, et annonce :

- On va plutôt faire les championnes contre les losers.

Alors comme ça elle a l’esprit de compétition ? Ça me plaît, mais j’espère qu’elle ne s’attend pas à ce que je fasse des miracles.

Elle s'empare du filet posé sur le bord de la piscine et le lance à son cousin.

Pendant qu'ils s'affairent à le mettre en place de leur côté, j'exprime mes doutes :

- Euh... Tu t'es peut être avancée la... J'y ai jamais joué !

- T'inquiète, on va les éclater, j'ai confiance en toi.

Je suis toute heureuse de l'entendre dire ça et espère me montrer à la hauteur de ses attentes.

On commence la partie et vu le nombre de tasses que je bois, j'ai peur qu'il n'y ait bientôt plus d'eau dans la piscine. Mais qu'importe, puisqu'Anna assure comme une bête. Baptiste et Tami ont beau faire tout ce qu'ils peuvent, non seulement elle est sur tous les ballons, mais elle les leur renvoie en mode boulets de canon.

Je ne suis pas la seule à le remarquer puisque Batou se plaint bien vite d'un ton geignard :

- Maiiis ! C'est quoi ce délire ? Si t'étais une gentille cousine tu nous laisserais une chance !

Alors oui, elle avait raison, on les lamine, mais je n'ai strictement rien à voir avec ça.

Enfin non, je suis mauvaise langue... La preuve, pile au moment où je pense ça je donne de ma personne en stoppant net un smash de Baptiste… avec mon visage.

Aoutch.

S'il m'a ruiné le nez je le tue !

Un peu sonnée, je me mets en mode "planche" pour récupérer. Pour les prouesses sportives on repassera. Anna glisse ses bras dans mon dos et me demande :

- Ça va ?

- Bah ba. Bais je crois que je bais m'arrêter là.

Tami nous rejoint de ce côté du filet et s'enquiert :

- Tu t'avoues vaincue ?

- Be bous fais une baveur !

- Pas faux !

Je me remets à la verticale, davantage parce que je ne veux pas être vue bedon à l'air que parce que je vais mieux.

Baptiste, loin de se sentir coupable, a quitté l'eau et farfouille du côté du barbecue.

Anna jette un coup d'œil inquiet en direction du garde-manger. Je la comprends.

- Je peux te laisser ? Je pense que si on veut qu’il reste quelque chose il faut que j'aille faire une opération sauvetage d'un autre ordre.

J'acquiesce d'un mouvement de tête :

- Oui ne t'en fais pas.

Sans que je m'y attende, elle m'attire à elle et me prend dans ses bras.

Je sens très clairement ses seins contre les miens. Il me semble que je viens d'entrer en état de mort cérébrale. J'ai néanmoins suffisamment de réflexes pour retourner le geste.

A mon oreille, j'entends :

- Tu vois, j'avais raison d'avoir confiance, t'as géré, partenaire !

- Merci, même si tout le mérite te revient !

Elle s'éloigne et j'ai beau me détourner de Tami, je suis persuadée qu'elle n'a rien manqué de mon air ravi.

Tami et moi nageons en direction du bord de la piscine et y posons nos avants bras à plat, le menton appuyé sur le dos des mains.

Allez, c'est le moment de lancer une conversation sur un sujet non épineux :

- Comment ça se fait qu'elle soit aussi bonne ?

- Au waterpolo tu veux dire ?

Face à son sourire, je lui adresse un regard blasé et réponds :

- Effectivement, oui.

Des deux mains, elle redonne forme à sa coiffure tout en m'indiquant :

- Elle en a fait huit ans au niveau national, elle peut.

- Tout s'explique !

Du coin de l'oeil, je vois que Tami me sourit et observe mon profil.

Dans le secret espoir d'éviter une remarque, je m'efforce de ne pas fixer Batou et Anna qui se chamaillent mais c'est difficile. Ils s'entendent comme chien et chat c'est plutôt marrant.

Me donnant un petit coup d'épaule amical, elle prend la parole :

- Désolée pour tout à l'heure. Quand je suis arrivée. Le... Sujet de conversation.

De peur que mes sentiments naissant ne soient visibles comme si écrits en lettres capitales rouges sur mon visage, je réponds sans la regarder :

- T'en fais pas, c'est ok.

Elle gesticule un peu dans l'eau et j'ai l'impression qu'elle a envie de me dire quelque chose.

C'est peut être ma chance ! Je me tourne vers elle et la dévisage. Normalement, ça marche à tous les coups. Ses yeux croisent les miens et en effet, quelques secondes plus tard elle se met à table :

- Vous devriez en parler. Enfin, si tu es intéressée hein.

Mon regard se porte sur Anna, qui a réussi à repousser Baptiste et place les saucisses sur le feu. J'ai envie d'aller me glisser derrière elle, d'écarter ses cheveux, l'enlacer et l'embrasser dans le cou...

Un soupir peiné plus tard, j'hésite à évoquer le sujet avec Tami. Elle a l'air d'être de mon côté mais elle reste l'amie d'Anna et je ne veux pas trahir sa confiance. Ni confesser ce que je ressens.

Oh et puis, pour ce que j'ai à perdre :

- On l'a fait. Enfin non... Disons qu'avant même que le sujet soit abordé j'ai été recadrée, elle a annoncé la couleur d'entrée. En gros, elle m'a expliqué que j'étais sa patiente et que c'était impossible, qu'elle devait soigner sa réputation... Fin bref.

Elle secoue la tête de gauche à droite visiblement agacée par ma réponse et lance :

- M'étonne pas. La bonne excuse. C'est bien pratique.

- Comment ça ?

- Je peux pas t'en dire plus que ça, mais l'autre abruti au cabinet n'est pas en mesure de dire quoi que ce soit. Et puis tu n'es plus sa patiente !

Hein ? Je fronce les sourcils, pas sûre de bien comprendre la remarque concernant MAURON. Mais je ne veux pas insister sur les détails car ça remue le couteau dans la plaie. Je hausse les épaules et annonce, défaite :

- Peut être que je ne lui plais tout simplement pas.

Tami me regarde d'un air blasé :

- N'importe quoi ! Je plaisantais qu'à moitié avec cette histoire de patiente préférée. Je la connais bien et je peux te dire que -

Elle s'arrête en pleine phrase lorsqu'Anna s'approche de nous et demande :

- Qu'est-ce que vous complotez vous deux ?

Je n'ai pas le temps de répondre que Tamiko ment pour nous :

- Rien, on parle de tes exploits au waterpolo. C'est prêt ?

- Bientôt, mais vous pouvez déjà venir vous installer.

Elle amène nos deux serviettes et retourne à son barbecue, suivie de nos regards. Quelque part, j’ai la nette impression qu’elle a apporté de quoi nous couvrir en grande partie pour moi et ça me touche beaucoup.

Tami s'extirpe de la piscine sans effort, juste à la force des bras, tandis que je me dirige vers les marches, serviette en main et parée à m'enrouler dedans.

Avant que nous ne soyons à portée d'oreille, elle me saisit la main et la serre, lançant :

- Ça n'engage que moi mais je crois que tu devrais tenter ta chance.

Je m'apprête à lui faire comprendre que c'est mort de chez mort et que je n'ai pas l'ombre d'un espoir, lorsqu'elle dit quelque chose qui sème le doute en moi :

- Si t'avais vu sa tête quand elle m'a parlé de cette fille que t'as rencontrée à la soirée, tu changerais sûrement d'avis...

Je me tourne brusquement dans sa direction.

O_O

Quoi ?

Elle sait pour Karen ?

Elle... Anna lui en a parlé ? Ça signifie que ... Et si elle était vraiment partie à cause de ça ??

Un flot de questions se bouscule dans ma tête et je relève aussi le ton sur lequel Tamiko l’a dit. Anna était jalouse ? Mon cœur fait un saut dans ma poitrine et mes espoirs se réveillent. Je dois me calmer. J’ai déjà donné niveau faux espoirs, il ne faut pas que je m’emballe.

Visiblement satisfaite de son petit effet, Tami presse le pas un grand sourire aux lèvres et file droit voir Anna, coupant court à toute conversation.

Garce.

 

*          *          *          *          *          *

 

Le moment d'extase de mon rêve me réveille en sursaut.

Tournant la tête, j'aperçois avec dépit les chiffres sur l'horloge. Ma petite sieste aura duré plus longtemps que prévu. Mes pensées retournent aux images généreusement distribuées par mon subconscient, bonjour la torture. Niveau scénario je ne me suis pas foulée mais par contre je n'ai pas lésiné sur l'action. Si on devait choisir un titre, ce serait sûrement quelque chose dans l'ordre de "rencontre torride". J'essaie de me rappeler la tête de l'autre protagoniste, sans succès. Il me semble que c'était une parfaite inconnue, le seul truc marquant était un genre de tâche de naissance à l'arrière du biceps. Bref... Pas le temps de m'épancher sur le sujet, Batou devrait arriver d’un instant à l’autre pour voir le match et je n'ai pas préparé ne serait-ce que l'ombre d'un apéro.

Je me lève en catastrophe, des fourmis plein la jambe droite et me déplaçant avec la grâce de quelqu'un essayant son pied-bot pour la première fois.

- Merde merde merde !

Je cours à la cuisine où m'attendent carottes à découper, Saint Moret, tartines, herbes, et autres pièces du puzzle. A peine le couteau en main, la sonnette retentit.

Glissant vite fait mes doigts dans mes cheveux pour leur redonner un semblant de forme, je clopine jusqu'à la porte d'entrée.

Pas de bol pour moi, Batou ne sera pas le seul témoin de mon look Frankenstein, puisqu'il est accompagné de Lucie et Anna.

- Bonsoir. Entrez.

Ils me répondent à l'unisson :

- Salut !

Alors que je m'écarte pour les laisser passer, Baptiste lève son pack de bières blanches à hauteur de mon visage en annonçant :

- J'ai à boire gourgandine !

- Merki ! Tu sais où poser le tout !

Il acquiesce en pointant la table basse du doigt.

Lucie répare quant à elle le reste des dégâts capillaires engendrés par ma sieste d'un autre coup de main et m'enlace rapidement.

Anna arrive à mon niveau, elle a un petit rire gêné et dit :

- Du coup j'ai l'impression qu'il faut que moi aussi je fasse quelque chose !

Ayant envie de voir ce que ça va donner, j'invente :

- Ah ça... Rituel oblige ! Je me contenterai de la bise !

Elle s'avance et me dépose un seul bisou sur la joue puis continue sa route.

Un énorme sourire aux lèvres, j'effectue un repli stratégique dans ma cuisine tout en dissimulant par la même occasion mon état de joie et ma démarche de crabe.

Je m’affaire le plus rapidement possible pour ne pas avoir l’air de la nana prise au dépourvu par l’arrivée pourtant prévue de ses amis. Au bout de quelques minutes, Anna passe sa tête dans l’embrasure de la porte.

- Besoin d’aide ?

Gênée, j’avoue :

- Un peu oui.

Elle vient près de la table et demande :

- Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

Si tu savais…

- Euh… Tiens, prépare les tartines.

Disciplinée,  elle s’y attèle immédiatement, tandis que je tente de faire la conversation :

-  C’était sympa de voir Tami en dehors du cabinet.

- Ça m’arrive très régulièrement, on est assez proches.

- Et vous vous liguez contre ce charmant Monsieur MAURON !

Le ton ironique sur lequel j’évoque ce dernier, pas de doute quant à l’affection que je lui porte. Ma kiné m’adresse un sourire complice et annonce :

- C’est possible. Mais t’as pas de preuves.

Un petit silence se fait. Elle ouvre une boite de pâté qui ne sent pas la rose et je n’arrive pas à retenir un :

- Ça vient de toi cette odeur ?

Elle me jette un regard blasé, accompagné d’un « très drôle »  tandis que je songe à me foutre sous un bus. Nan mais qu’est ce qui m’a pris !!. ? Même en étant nulle en drague, lancer à celle qui te plaît qu’elle sent le pâté de campagne n’est pas une bonne technique d’approche, je pense qu’on est d’accord.

Etant donné qu’elles ne se ressemblent pas vraiment, Anna étant beaucoup plus discrète, j’ai envie d’en savoir plus sur leur rencontre :

- Vous vous êtes connues comment ? Tu m'avais dit à l'école, mais vous étiez dans la même classe ?

-  Nan, juste dans le même collège. Un mec, Jonathan LABILLA, je m’en souviens encore de ce connard, emmerdait systématiquement les filles et elle a couru à notre rescousse, lui filant une raclée mémorable.

- M’étonne pas d’elle. Elle est très directe comme nana !

- Trop !

- Nan pas trop ! Moi j’aime bien !

Anna se détourne un instant de ses tartines et me lance un drôle de regard, comme interloquée. Je mets une seconde à comprendre et tente immédiatement de me justifier :

- Je … non… C’est pas ce que tu crois !

Elle lève la main qui ne tient pas le couteau dans un geste de « c’est pas moi » en précisant :

- J’ai rien dit !

Je l’observe d’un air dubitatif. Mouais, pas besoin, sa réaction parle d’elle-même. J’insiste donc :

- Oui ben… quand même !

Pi d’abord la seule qui m’intéresse vraiment est à côté de moi.

Voulant changer de sujet j’évoque sa famille :

- En tout cas Batou et toi vous entendez bien.

- Ohhh que oui. On a fait les 400 coups ensemble quand on était plus jeunes,  forcément ça rapproche.

- Comment ça se fait que vous vous étiez perdus de vue ?

- L’histoire habituelle : déménagement… Puis comme je ne suis pas branchée réseaux sociaux on n'a pas réussi à garder le contact.

- Ok…

Le silence se fait et elle me surprend :

- En tout cas il ne tarit pas d’éloges à ton sujet !

Je hausse les sourcils en entendant ça. Non pas que je m’attendais à ce qu’il me casse du sucre sur le dos, mais de là à louer mes vertus…

- Ah bon ?

- Oui. Apparemment s’il – je cite- « était lesbienne, t’aurais succombé à son charme» et vous « auriez fait plein de bébés ».

-_-

- Pourquoi ça ne m’étonne pas !?  Je vomis maintenant ou j’attends un peu ?

- Attends que j’évacue la nourriture s’il te plaît, je crève de faim !

Quand je pense à Batou ! Il ne manque pas d’air celui-là !

Mettant les mains sur mes hanches et tentant désespérément d’oublier le visuel qu’elle vient de me provoquer, je déclare fièrement :

- Je crois qu’on a fini !

A nous deux, on apporte les amuse-bouche sur deux plateaux et sommes accueillies par une ovation de Lucie et Baptiste.

Pile au même moment, les commentateurs annoncent que le match va débuter. C’est beau la synchronisation.

Anna s’installe sur le canapé aux côtés de mes deux amis. Un coup d’œil à l’espace restant m’informe qu’il n’y a pas suffisamment de place pour mon auguste popotin. Dépitée, je retourne dans la cuisine y chercher une chaise droite. Adieu confort, tu vas me manquer !

Alors que je reviens, Lucie me regarde comme si j’avais perdu l’esprit.

- Ne sois pas ridicule, viens t’asseoir on peut se serrer !

Elle se décale en direction de Baptiste, agrandissant à peine l’espace entre ma kiné et elle.

J’hésite toujours, malgré Anna qui tapote le canapé de sa main, ce sandwich-là n’était pas prévu au menu de ce soir ! Je vais aux séances de kiné, la vois en bikini, me colle contre elle… Plus que le supplice de la goutte d’eau et j’aurais la confirmation qu’on me torture.

C’est finalement Baptiste qui, entre deux bouchées de tartines, met fin à mon dilemme dans un éloquent :

- Pousse toi t’es devant l’écran, ils ont commencé !

J’abandonne (presque à regret) ma chaise inconfortable pour venir m’insérer entre Lucie et Anna. Ah oui là c’est sûr je ne risque pas de bouger ! Mes épaules sont broyées entre celles des deux filles.

Bon… Le match va être placé sous le signe de la douleur.

Ne s’embarrassant pas de cette situation, Lucie lève le bras et le pose sur le dessus du canapé, dans mon dos. Ça me laisse un peu plus d'espace et je lui en suis reconnaissante.

Beaucoup moins lorsqu’elle conseille Anna :

- Tu devrais faire comme moi, c’est nettement mieux !

Cette dernière se contente de rougir et de dire :

- Non ça va ne t’en fais pas.

Je lance un regard noir à Lucie et tente de changer de sujet en demandant à ma kiné :

- Tu as déjà suivi un match de hockey sur glace ?

- Non, c’est ma toute première fois.

Baptiste ne détourne même pas les yeux de l’écran et y va de son petit commentaire :

- Ne vas pas raconter  ça comme ça à la famille, j’aurais des soucis !

Je m’exclame :

- N’importe quoi, vieux pervers ! Lucie ?

Sans même avoir à vocaliser mon souhait, elle frappe la cuisse de Baptiste.

- Merci.

- De rien.

Anna nous observe en souriant et s'enquiert :

- T’aimes ça toi ?

J’ai envie de demander si on parle toujours du hockey mais ça me mettrait au même niveau que son cousin, c’est donc hors de question !

- Oui, tu vas voir c’est super animé, il y a de l’action en continu et ils ne passent pas leur temps  à se rouler sur la glace pour des fautes imaginaires.  La NHL c’est pas la FIFA.

- J’ai hâte de voir ça !

Plus qu’à espérer que ça lui plaise, parce que pour le coup on est mal barrées.

On regarde la télé en silence, les joueurs des deux équipes se donnant à fond. Les seuls sons proviennent de Baptiste qui sursaute et glapit à chaque occasion.

J’en connais un qui vit le match !

Après un choc particulièrement brutal ne créant pas le moindre arrêt de jeu, Anna se tourne légèrement vers moi, les sourcils levés :

- Ah oui ! T’avais pas menti ! Mais il n’y a pas de carton ?

- En cas de faute, les joueurs sont envoyés en « prison » pour deux minutes.

- Et là il n’y a pas faute ?

Elle me regarde d’un air de dire « nan mais déconne pas » qui est absolument trognon. Je hausse les épaules tant bien que mal :

- Il jouait le palet. Et l’arbitre sait que ce match va être tendu.

- Pourquoi ça ?

Je souris devant ses questions et son enthousiasme, ça fait plaisir de voir quelqu’un  d’ouvert qui s’intéresse à tout. Je remets donc mes baskets de prof, tout en sachant qu’elle m’écoute avec attention. Pour une fois que j’ai l’occasion de briller dans quelque chose !

- Non seulement ce sont les séries, en gros les phases finales  de la ligue de hockey en Amérique du Nord, mais en plus il s’agit des Boston Bruins contre les Canadiens de Montréal. Comme souvent pour deux équipes proches dans le même secteur géographique, ils se détestent.

- Ok.

Elle est à nouveau captivée par l’écran et se penche en avant un sourire aux lèvres, signe qu’elle est vraiment dedans. J’essaie tant bien que mal d’observer le match mais me retrouve à la contempler elle… Je l’imagine parfaitement avec son maillot, les fanions à la main. Un peu comme son cousin. Mais en beaucoup plus sexy !

Je sens les doigts de Lucie se serrer autour de mon épaule et elle me lance un regard interrogateur en montrant Anna d’un mouvement de la tête style « qu’est-ce que tu fous ».

Flagrant délit.

Su-per.

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22 février 2016

Chapitre 6 : Nouvelle rencontre

Ça fait maintenant deux semaines depuis le déménagement et je n'ai pas vu Anna. Pas l'ombre d'une nouvelle non plus, même pas un petit SMS, au moins le message est clair. Non pas que je m'attendais à quoi que ce soit, mais... Bon, peut-être un peu, mais qu'importe. Après tout pour autant que je sache elle a pu supprimer mon numéro après notre « non-rencard ».

J'ai promis à Baptiste que je viendrais à sa pendaison de crémaillère, mais l'envie est loin de m'étouffer. Un coup d'œil dans la glace me confirme ce que je pensais. J'étais de sombre humeur en m'habillant, ça se ressent au niveau de ma tenue. Pour un parfait inconnu, j'aurais plus l'air prête à me rendre dans un donjon qu'à une simple soirée. Petit haut façon corset (noir, bien sûr), jean ciré moulant de la même couleur, maquillage charbonneux, cheveux en arrière dans une queue de cheval tressée à la Lara Croft... Je vous laisse imaginer le truc. Seuls mes yeux bleus apportent nuance de bleu.

Allez, inutile de tirer ça en longueur, autant faire la technique pansement. J'y vais, je la vois, je lui fais un sourire non accusateur, puis j'oublie qu'elle existe. Si tant est que c’est possible.

Voyant l'heure, je sors en trombe et attrape le tram de justesse. Marcher c'est bien, mais pas quand on a acheté quelques casseroles pour son ami !

La porte de l'appart est ouverte et tous les invités sont déjà en pleine conversation lorsque j'arrive. Je dépose mes cadeaux dans un coin, fais un coucou à tout le monde de très loin et m'installe au dernier emplacement libre, nommément : la chaise droite. C'est mon popotin qui est content !

Il y a foule, on doit être une trentaine dont une bonne dizaine de personnes me sont inconnues. Lucie est en grande discussion avec une jolie brune lorsqu'elle m'aperçoit. Trois secondes plus tard elle est à mes côtés et fait les présentations.

- Inès voici Karen, Karen, Inès.

- Enchantée.

Lucie me scrute de bas en haut et siffle :

- Eh ben, t'as mis les petits plats dans les grands !

- Ça ? Oh c'est rien...

Mon amie me lance un regard qui dit très clairement "c'est ça, on ne me la fait pas à moi !". M'évitant une justification potentiellement humiliante, Karen y va de son commentaire :

- En tout cas ça te va très bien...

- Merci, c'est gentil.

Timide, je baisse la tête en rougissant. C'est étrange de recevoir un compliment d'une inconnue, mais au moins elle est objective !

Baptiste arrive comme un furieux, tablette tactile en main et s'exclame :

- Lulu, faut que tu viennes voir ça !

Je n'ai pas le temps de réagir que déjà ils s'éloignent tous les deux. Je ne sais pas pourquoi, mais y'a comme une odeur de guet-apens. Comme d’habitude, j’en suis la victime sinon c’est pas drôle. Je leur adresse une œillade assassine qu’ils font mine d’ignorer. Ayez des amis qu’ils disaient !

Je croise le regard de Karen qui me fait un sourire et maintient le contact visuel.

- Et sinon tu fais quoi dans la vie ?

Contente qu'elle lance la conversation et m'évite de le faire, je m'empresse de répondre :

- Je suis web designer, toi ?

- Hôtesse de l'air.

- Cool, tu dois voir du pays !

Dans un grand sourire, elle me corrige :

- Même des pays ! Mais bon je cherche à me reconvertir.

- Pourquoi ça ? Vu ta réaction ça à l'air de te plaire !

- J'adore voyager, mais je bosse dans une compagnie qui propose depuis peu des vols avec hôtesses topless... Et ça, c'est un peu trop pour moi !

Machinalement, je baisse les yeux vers sa poitrine et essaie d'imaginer la petite jupe, les chaussures à talons et rien en haut. Plutôt sympa la vue ! Elle claque des doigts et rit ouvertement lorsque je relève la tête en rougissant, réalisant un peu tard ce que j'étais en train de faire.

- Pardon ce... c'était inconscient !

Elle pose sa main sur mon épaule et me rassure :

- Ça fait ça à beaucoup de gens.

Oui, mais est-ce que ces gens continuent à rêvasser une fois surpris en flag ? Parce que je n'ai pas la moindre idée de ce qu'elle vient de me dire, mais je me doute qu'il ne s'agit pas de : "si je peux me rendre utile, n'hésitez pas à sonner".

Reprenant enfin le contrôle de mes pensées et chassant ce que le fantasme d’absence d’uniforme m’oblige à imaginer, je tente de faire la conversation comme une personne civilisée et non la perverse que je suis, non sans une once de culpabilité :

- Et tu ne peux pas faire que des vols "normaux"?

Elle hausse les épaules et explique :

- Ça a beaucoup de succès auprès des hommes d'affaires et vu qu'il s'agit de notre principale clientèle ils ont décidé de se lancer là-dedans à fond...

- Ah... Ok.

Je sens que le sujet est glissant et résiste à l'envie de demander si elle en a déjà fait, choisissant plus sagement d'orienter la discussion dans une autre direction. Mais je n'ai pas l'occasion de le faire puisqu'Anna vient me saluer.

Comme d'habitude, elle a ce charme de "la voisine d'à côté" et je m'énerve à y réagir.

Je lui fais la bise d'un air aussi détaché que possible et fais les présentations.

Immédiatement après, Anna demande :

- Vous vous connaissez d'où ?

J'ai franchement envie de lui faire croire que cette jolie femme est ma copine, juste pour qu'elle voie que son indifférence m’atteint pas. Malheureusement, comme toujours en cas de besoin et qu’Anna est concernée, mes neurones se mettent en grève et aucune phrase disant la vérité de manière ambiguë ne me vient à l'esprit.

Karen se charge d'expliquer la situation à ma place :

- C'est Lucie qui nous a présentées il y a quelques minutes.

- Ah, cool. T'es sa collègue de boulot ?

Karen me regarde et me fait un clin d'oeil complice :

- Non, du tout. J'ai fait sa connaissance à une soirée au Unity.

Heureusement que je n'étais pas en train de boire, je me serais étouffée. Je savais bien que c'était un piège ! Le Unity est une boite lesbienne, mes amis sont vraiment des crevures ! Cette rencontre fortuite  n'en est pas une, c'est sûr et certain. Ma kiné doit partager mon avis puisqu'elle me jette un coup d'œil avant de répondre avec l'air mal à l’aise de quelqu'un qui interrompt quelque chose d'important :

- Oh. Euh... Ok.

Un silence gêné s'ensuit et Karen et moi observons Anna qui est visiblement en plein débat intérieur. Je me demande bien ce qu’elle en pense… Vu son regard assombri, certainement rien de bon. Maudits soient Baptiste et Lucie pour ce coup monté ! Ils ruinent mes plans quinquennaux ! Anna gigote comme si elle avait une envie pressante et s'exclame finalement :

- Bon ben... Je vais aller me chercher à boire. A plus !

Karen se tourne vers moi, totalement perplexe :

- C'est quoi son problème ?

Histoire de changer, j'opte pour dire  ce que je crois être la vérité :

- À mon avis, elle pense qu'on a un rencard arrangé...

Timidement, je détourne la tête, mais observe sa réaction du coin de l'œil :

- Oh ! Pas que je sache...

Je lui souris et réponds :

- Promis je ne suis au courant de rien.

- Non pas que ça m'aurait dérangée...

Son regard croise le mien, ne laissant aucun doute là-dessus.

Je SAIS que je suis en train de devenir pivoine, mais putain qu'est-ce que ça fait du bien d'avoir cette conversation ! Même si c’est un coup bas, je dois avouer que Lucie a fait fort, Karen est pas mal du tout ! Ça me prend tout ce que j'ai de courage, mais je finis par murmurer :

- Moi non plus...

Le moment de gêne est brisé par le volume de la musique qui augmente et on se tourne pour observer Baptiste commencer à se trémousser tout seul sur la piste improvisée. Voyant qu'il n'a pas grand succès, il va chercher Lulu et l'entraîne avec lui.

Tout sourire, Karen me tend la main :

- Tu veux danser ?

En temps normal, ma réponse serait entre "même pas pour rire" et "plutôt crever", mais il est hors de question que je jette un froid après ce qui vient de se dire.

- Volontiers.

On arrive main dans la main sur le "dancefloor" et pour la première fois depuis des mois, je me mets à danser. Pourvu que mon genou tienne le coup, je ne me sens pas d’essuyer une énième humiliation. Je ne sais pas si c'est en raison de la compagnie, mais ce n'est pas aussi terrible que dans mes souvenirs.

Karen bouge super bien et je peine un peu à suivre. Je commence à me sentir un peu ridicule, mais elle me fait un sourire radieux qui me redonne confiance.

Vous voyez le loser de l'école un peu gauche qui se retrouve avec une jolie fille et la fixerait bizarrement, comme s'il n'arrivait pas à croire que ça soit vrai ? Bah c'est moi, enfin du moins c'est comme ça que je me sens.

Je croise le regard de Batou qui me fait un sourire entendu en frétillant des sourcils genre "ce soir c'est ton soir !"

Lucie, fidèle à elle-même, se contente d'avoir l'air fière et fait mine de s'épousseter l'épaule. N'importe quoi celle-là ! Au moyen âge on l'aurait brûlée !

Karen et moi dansons à une distance raisonnable et je n'ose pas me rapprocher davantage. Comme si mes prières étaient exaucées, le tempo ralentit. Un coup d'œil au PC me confirme que les deux fourbes ont tout manigancé. Ils sont présentement en train de se taper dans le dos, contents d'eux.

Je dois avouer qu'à titre exceptionnel ils ont bien joué leurs cartes.

Mon attention revient à ma partenaire, attendant de voir sa réaction. Dans un sourire, elle s'approche, glisse ses mains sur mes hanches et dit tout bas en désignant notre posture d'un mouvement de tête :

- C'est ok  pour toi ?

Voulant jouer avec elle, je réponds par la négative. La déception se lit sur son visage, mais avant qu'elle n'ait le temps de se reculer, je nous rapproche en plaçant mes mains derrière son cou, prenant garde de ne pas lui tirer les cheveux.

- C'est mieux comme ça, t'en dis quoi ?

- Mieux effectivement...

Elle m'adresse un sourire séducteur et j'ai un mal fou à soutenir l'intensité de son regard.

Nos corps se frôlent, sa poitrine contre la mienne. Ça me rappelle ces histoires de topless et le fait que je ne connais cette fille que depuis peu.

Une fois cette piqure de rappel faite, je suis prise d'un doute et ne sais plus comment me comporter.

J'ai besoin d'un break mais ne veux pas me reculer et tout casser, alors je me contente de détourner les yeux un instant.

Tout le monde à l'air de passer un bon moment. Mon regard finit par se poser sur celle que je cherchais inconsciemment. Anna… Elle est en grande discussion avec une amie de Baptiste mais m’observe en retour. J’aimerais bien pouvoir lire dans son esprit et savoir ce qui lui trotte dans la tête, parce que je suis incapable de déchiffrer la signification de son soudain intérêt.

Le contact visuel perdure jusqu’à ce que Karen se penche pour me murmurer à l’oreille :

- Je serais trop directe si je te demandais ton numéro ?

Je me tourne vers elle et lui souris :

- Qui ne tente rien n’a rien il paraît…

Elle me capture dans son regard et ni l’une ni l’autre ne remarquons que la musique a totalement changé. Ça prend un mec me bousculant et m’envoyant contre elle pour nous sortir de ce moment.

Je l’attire en dehors de la piste et m’empare de mon téléphone portable pour enregistrer son numéro, lui donnant le mien en retour.

Elle m’explique, comme pour s’excuser :

- En temps normal j’aurais attendu un peu plus avant de le demander, mais je vais devoir partir… J’ai un vol pour Tokyo tôt demain matin et il faut que je sois en forme.

J’ai un peu de mal à cacher ma déception, mais acquiesce néanmoins sans un mot.

- Je t’appelle à mon retour, on pourrait se boire un verre ou se faire une sortie si ça te dit ?

Elle n’a soudainement plus l’air si sûre d’elle et quelque part ça me rassure. Elle ne doit pas avoir l’habitude de faire ça. Remarque, ça fait bien longtemps que ce genre de chose ne m’était pas arrivé.

- J’aimerais beaucoup ça.

Elle sourit, se penche pour attraper son manteau et me dépose un bisou sur la joue, assez proche de mes lèvres pour que je comprenne le message.

Un petit signe de la main plus tard, je l'observe s’éloigner. Peut-être que finalement je n’égorgerais pas Lucie ce soir ! Encore souriante, je me tourne et perds une partie de mon enthousiasme en croisant le regard d’Anna.

Je range mon téléphone dans la poche arrière de mon jeans, comme pour cacher ce que je viens de faire. C’est comme si je me sentais coupable. Ce qui n’a pas lieu d’être. Je ne lui dois rien. Ou bien ? Non, rien. Stop.

Son expression est indéchiffrable et ça m’énerve. Si au moins elle ne me calculait même pas je serais fixée ! Mais là, c’est elle qui maintient un contact. AAAAARGHHH !!!

Lucie interrompt mon flot de pensées en arrivant comme une fleur, verre à la main.

- Pour toi ma belle.

- Merci.

Je m’empare du gobelet, le renifle et l’avale cul sec. C’est pas mon genre de boire de la sorte, étant d’ordinaire plutôt raisonnable, mais juste pour une fois, si ça pouvait m’éviter de réfléchir et de retomber dans mes films habituels avec Anna dans le rôle principal, ce serait bien.

Je rends le verre à Lucie et lui ordonne :

- Un autre, gueuse !

Elle lève un sourcil, puis reconnaît son statut puisqu’elle me traîne jusqu’à la table lourdement chargée :

- Tu m’as l’air lancée, autant t’amener direct à la source.

Croisant les bras, elle fait signe à Baptiste qui rapplique et ils me laissent le temps de me servir avant de dire à l’unisson :

- Alors !?

- Bonne pioche !

Ils se tapent tous les deux dans la main et se distribuent les rôles avant de faire mine de s’embrasser comme les gamins qu’ils sont.

Blasée, je les regarde faire dans un :

- Très drôle…

Lucie arrête son cinéma et m’explique :

- Tu te rends pas compte depuis combien de temps on attend une nouvelle comme ça !

Comme pour me confirmer ses dires, elle perd de son flegme habituel et me prend dans ses bras, toute contente.

Elle est déjà bourrée ou quoi ? Je termine en sandwich en sentant Batou se joindre à notre hug.

Pour m’avoir coûté cet affreux moment, cette rencontre a intérêt à valoir le coup.

Peut-être en ont-ils marre ou peut-être réalisent-ils que j’ai besoin d’air pour vivre, mais toujours est-il qu’ils finissent par se reculer :

- Vous allez vous revoir ?

Je hausse les épaules, mais n’arrive pas à dissimuler mon sourire :

- Oui, si comme elle l’a dit elle m’appelle en revenant de son voyage.

- Bonne nouvelle ça !

Je regarde Lucie et décide de clarifier tout de suite la situation :

- Avoue, t’as fait exprès de l’amener ce soir ?!

- Il se peut qu’il y ait eu une légère insistance de ma part pour m'assurer de sa présence, oui.

Je suis prise d’un soudain doute :

- Elle ne voulait pas venir ? Non, oublie ça ! Tu lui avais quand même pas annoncé que tu allais lui présenter quelqu’un rassure moi ?

Elle lève les yeux au ciel, comme si je venais de lui dire la pire stupidité de l’univers :

- Bien sûr que non. Contrairement à Batou, je suis discrète ! La matchmaker de l’ombre, la divine stratège furtive !

Baptiste se charge de lui remettre les pieds sur terre pour nous deux :

- Ouais enfin ne t’emballe pas non plus !

Elle balaie sa remarque d’un geste de la main :

- Ingrats. J’imagine que ça prend un génie pour en reconnaître un autre !

Imperturbable même devant nos airs dubitatifs, elle lève son verre en un toast :

- Aux nouvelles rencontres et surtout à ma virtuosité amoureuse !

Baptiste et moi nous regardons, haussons les épaules et trinquons :

- Aux nouvelles rencontres !

On boit tranquillement et j’en profite pour observer l’appart. C’est bien foutu !

- Je ne te connaissais pas de talent en matière de décoration d’intérieur Batou ! Je suis bluffée.

- Merci mais c’est plutôt Anna qu’il faut féliciter, j’ai cru qu’elle allait faire un arrêt en voyant la pièce post-rangement façon moi.

Je dois reconnaître qu’en plus de ça elle a du goût. Ou juste les mêmes que moi. Toujours est-il que ça me plaît.

Visiblement disposé à remettre les lauriers à qui de droit, Baptiste balaie la pièce du regard et finit par demander, dans un froncement de sourcils :

- D’ailleurs, elle est passée où ?

Ma gestuelle indique clairement que je n’en ai pas la moindre idée et c’est Lucie qui nous éclaire :

- Je l’ai vue s'éclipser peu de temps après Karen.

Une soudaine angoisse me traverse l’esprit. Et si Anna était partie la draguer ? Après tout, elle est venue nous parler comme par hasard… S’il faut, elle voulait que je la lui présente !!!

Non.

Ne panique pas.

Elle ne me ferait pas ça.

En plus elle sait que je suis la meilleure amie de son cousin.

Pas franchement rassurée pour autant, je porte mon verre à mes lèvres en priant pour que l’alcool chasse mes psychoses.

Distraite, j’entends à peine Batou s’exclamer :

- Quoi ? Mais elle était supposée passer la nuit ici !

Je sors mon téléphone de ma poche et le regarde, espérant avoir au moins un message de Karen.

Rien, mais ce n’est pas étonnant, ça fait 5 minutes qu’elle est partie. C’est juste que… Disons que c'est plaisant de voir qu’il y a d’autres poissons dans l’océan et que je ne suis pas à mettre au rebus. Il faut que je passe à autre chose et que j’oublie Anna…

Mon meilleur ami interprète mal ma réaction et demande :

- Elle t’a envoyé un SMS ?

Amère, j’avale une grande lampée et réponds d’un ton sans équivoque :

- Non. En même temps elle ne m’a pas adressé un seul message depuis qu’elle a découvert qui se cachait derrière le numéro.

Lucie et Baptiste échangent un regard mi-gêné mi-désolé et ça me saoule encore plus. Ils s’y sont mis à deux pour trouver une nana nickel à qui je plais visiblement et je sais que ça partait d’une bonne intention mais… Mais c’était sans compter le fait que, bien malgré moi, je suis tombée amoureuse d’Anna en cours de route. Et j’ai beau le nier autant que je peux, je suis quasi sûre qu’ils en ont conscience. En mentionnant la possibilité d’un message d’elle, quelque part ça me force à admettre mon échec.

Un fiasco total…

C’est décidé, je sais bien que c’est stupide, mais ce soir je me mets une mine.

 

*          *          *          *          *          *

 

AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH…

Que quelqu’un vienne m’achever.

J’amène mes mains à ma tête et tente de les passer dans mes cheveux pour atténuer la douleur. Sauf que j’ai un gros nœud en lieu et place d’une chevelure soyeuse.

Argh… J’ai l’impression d’avoir été mâchouillée et avalée par un chien... puis vomie.

Remarque, ça expliquerait l’odeur dans ma chambre.

J’ouvre péniblement un œil que je referme bien vite. Apparemment, croiser les volets s’est avéré trop compliqué pour moi hier soir.

J’entends le bruit de marteaux piqueurs. Depuis quand y’a des travaux ? Fallait que ça tombe aujourd'hui bien sûr !

Je rampe jusqu’à la fenêtre en gardant les yeux semi-clos. J’ouvre un battant, prête à déverser un torrent d'injures. Je regarde en bas, me ruinant la vue tout ça pour constater que les cantonniers sont dans ma tête.

Aïe.

Ah oui je confirme, ça tape.

M'aidant du radiateur, je me relève tant bien que mal (plutôt l'un que l'autre, je vous laisse deviner lequel) et me traîne jusqu'à la salle de bain. J'ouvre la pharmacie pour attraper deux Dolipranes orodispersibles. Certes, c'est dégueu mais ça a l'avantage d'être rapidement efficace, c'est tout ce qui m'intéresse.

Je referme la porte et le reflet ne me fait pas de cadeau.

De charbonneux, mon maquillage est passé à animalier.

Si si je vous assure !

Ah là il n'y a pas de doute, je suis un panda ! Ou alors un boxeur après une vilaine défaite.

J'ai également un sein en dehors de mon haut et j'espère que ça s'est produit pendant mon sommeil !

Mais qu'est-ce que j'ai foutu cette nuit ? Je m'approche du miroir, comme fascinée par l'ampleur des dégâts.

Je suis rouge, mais rouge ! Si on m'apprend qu'hier j'ai tenté un gommage à la toile émeri au Bricorama du coin, vu ma tronche je croirais la personne sur parole !

Un court passage sous la douche me redonnera peut être forme humaine !

Sous l'eau, j'essaie de me remémorer ma soirée mais ça s'avère franchement difficile. La dernière chose dont je me rappelle est de trinquer avec Lucie et Baptiste...

Vu mon état et mon manque de sommeil, j'estime qu'il y a un trou dans mon emploi du temps d'au minimum 5 heures. Ça représente 4h45 de plus que ce qu'il me faudrait pour potentiellement ruiner ma vie.

Nickel.

Sachant que sobre je ne suis pas douée, j'ai peur d'imaginer ce dont je suis capable avec plus d'alcool que de sang.

Un coup d'œil à l'horloge m'informe qu'il est presque 17h. Il faut que d'ici une heure je me rende au ciné fraîche et dispo. A mon avis niveau fraicheur on repassera. La douche a effacé mon air rougeaud, mais me laisse avec une charmante teinte de nana malade. Miam. Finalement le rouge c’était pas mal.

Je me remaquille très légèrement, plus en mode "limitons les dégâts" que séduction. Et étant donné qu'ouvrir les yeux en grand m'est toujours délicat, on va éviter le potentiel carnage et miser sur le discret.

Dans la rue, tous les regards tournés vers moi. Entre mon teint verdâtre, mes lunettes de soleil et ma tenue "noir intégral", on dirait que je suis la VRP de la morgue du coin.

Arrivée au ciné, je suis étonnée de voir Anna. Évidemment, dès que je suis à mon avantage elle est là...

Une fois salués, on opte pour le dernier X-men. Baptiste m'interpelle avant que je n'entre dans la salle :

- Tiens !

Il me tend mon téléphone.

- Je l'ai retrouvé ce matin dans mon frigo.

- T'es sérieux la ?

Machinalement, je tente de le déverrouiller pour voir mes messages, mais la batterie est out.

- Oui, dans le bac à fruits pour être précis... Visiblement, t'étais vraiment arrangée hier soir.

- Je te le fais pas dire... Merci en tout cas.

Lucie nous interrompt d'un :

- Bon, on s'installe ou on regarde le film debout ?

Proprement réprimandés, on rejoint les filles au pas de course.

Baptiste va se mettre au fond de la rangée, suivi par Lucie puis Anna. En temps normal, j'aurais bien aimé me retrouver à côté d'elle dans un endroit propice aux rapprochements, mais entre l'odeur de vinasse qui m'accompagne même après la douche et mon envie de mourir post-cuite, cette fois je m'en serais volontiers passée...

Les bandes-annonces n'ont pas encore commencé et alors que Lucie et Baptiste sont en grande discussion, j'ai droit, pour seule compagnie, à la musique d'ascenseur gracieusement fournie par le cinéma...

Mon regard se tourne vers Anna, histoire de lancer une conversation. Voyant que ça ne fonctionne pas, je lui tapote le bras. Force est de constater qu'elle fait tout ce qu'elle peut pour faire comme si je n'existais pas.

Ok...

Je ne suis pas sûre de comprendre. Respirer me file un mal de crâne pas possible, alors réfléchir est clairement hors de ma portée... Vu mon état, elle pourrait m’épargner et me dire directement de quoi il retourne. J’en ai marre de ce chaud / froid sérieux. Je suis pas devin.

Malgré mon agacement, je suis résolue à ne rien faire qui puisse potentiellement m'enfoncer d'avantage et prie simplement pour que les bandes-annonces soient rapidement lancées.

L'unique et néanmoins proéminent problème, c'est que la fatigue et la douleur me rendent émotionnelle. Ce qui fait que trente secondes plus tard, je suis au bord du désespoir.

Mais qu'est-ce que j'ai fait ?

T.T

...

Une seule façon de le savoir. Quelques secondes ne suffisent pas pour rassembler mon courage mais j'ai peur de rater le coche si les vidéos commencent :

- Anna... Qu’est-ce qui se passe ? J'ai fait quelque chose de mal ?

Cette fois-ci, j'arrive très bien à capter son attention, mais alors qu'elle me fait face avec ce que ressemble à un mélange d'agacement et de pitié  dans les yeux, je regrette un peu :

- Tu sais très bien ce que t'as fait. Je sais pas quoi te dire de plus... C'est pas contre toi.

Je me tourne complètement vers elle et espère qu'elle va me croire :

- Je n'ai pas la moindre idée de quoi tu parles ! J'ai trop bu hier soir j'ai un gigantesque trou de mémoire !

D'un ton qui ne présage rien de bon, elle m'ordonne :

- Regarde tes messages.

Dépitée, je lui passe mon téléphone et explique la découverte de Batou.

Tout comme moi, elle constate que cette saloperie a décidé de cesser de fonctionner. Elle pianote donc sur le sien et me le tend :

- Tiens.

D'une main hésitante, je m'empare de l'appareil, ayant franchement peur de ce que je vais y lire. Pour ne rien arranger, les deux zozos à côté ont arrêté de parler et je suis prête à parier qu'ils sont présentement en train d'espionner notre conversation.

Et effectivement, c'est avec effroi que je découvre cet éloquent message : "J'zurzis aimé que tu sois lz ce soir, spas pareil szns toi..."

Ah.

Oui.

Rien n'est dit mais tout est clair quoi. Bien gênant, comme d'habitude j'assure en matière d'auto humiliation...

Je vois bien qu'elle attend une réaction de ma part, mais je suis tellement sur le cul que j'ai du mal à fermer la bouche, alors autant dire que je n'ai pas l'ombre d'un début d'explication.

- Anna... Je te jure, je...

- Je t'ai déjà expliqué que la situation ne m'autorise pas à envisager quoi que ce soit autre qu'amical.

Outch.

Ça pique, même lancé d'un ton compréhensif.

Machinalement, je baisse la tête pour tenter de dissimuler le contrecoup tandis qu’Anna reste froide et distante. Est-ce qu’elle fait ça pour moi ou pour elle ? Si elle n’en avait rien à foutre de moi elle n’aurait pas autant réagi, si ? 

Fort heureusement, mes soupçons initiaux s'avèrent confirmés lorsque Lucie se penche pour lire le message par-dessus mon épaule. J'espère qu'elle va mettre fin à mon supplice.

Certainement sous l'effet de la surprise, elle prend une petite inspiration. Au moins ça implique qu'elle n'était pas au courant et ne m'a pas vue le taper.

Mais son légendaire flegme reprend le dessus. Lorsqu'elle ouvre la bouche, je sais immédiatement qu'elle tente de me sauver la mise :

- Hey, mais comment t'as eu ce message...

Anna fronce les sourcils et observe Lucie, cherchant à comprendre ce dont elle parle :

- Comment ça ?

- Ben c'est le SMS que j'ai envoyé à mon amie Ann-...

Elle feint la réalisation et reprend :

- Ah, tout s'explique. Quelle idée d'avoir le même téléphone que moi aussi.

Elle me colle une petite tape de "réprimande" que j'encaisse bien volontiers vu l'occasion.

Si je m'écoutais, là tout de suite j'embrasserais Lucie. Cette nana a loupé une carrière  de joueuse professionnelle, elle a un culot gigantesque ET une poker face qui se passe de commentaire.

Anna se tourne vers moi et j'espère bien être la représentation même de l'innocence.

- Je t'assure que c'est la première fois que je vois ce message.

Ce qui, soit dit en passant, n'est pas un mensonge. Je reconnais la qualité de ma coordination écrite une fois bourrée, mais ça, elle n'a pas besoin de le savoir hein.

La culpabilité est de mise lorsqu'Anna ressent la nécessité de s'excuser :

- Pardon. Je.. J'ai sauté à une conclusion hâtive.

- En même temps... Vu les circonstances, c'est pas franchement ta faute !

Les bandes-annonces commencent et ma kiné s'éclipse pour aller aux toilettes. Je soupçonne l'embarras d'être davantage à l'origine de sa fuite que sa vessie. La pauvre. J'ai un peu honte de ne pas assumer, mais pas assez pour avouer ! J’aurais pu la suivre et mettre les choses au clair en embrayant sur le mensonge de Lucie, mais enfoncer le clou ne serait pas correct et son envie de s’isoler ne crie pas ‘viens me rejoindre’ !

Une fois assurée d'être hors de portée d'une oreille qui traîne, je m'empresse d'exprimer ma reconnaissance à mon amie :

- Merci ! Je ne sais pas comment te remercier !

Lucie pioche dans son popcorn et réplique nonchalamment :

- De rien. J'aime beaucoup ta nouvelle veste...

Je lève les yeux au ciel, mais m'abstiens de tout commentaire désobligeant.

Dépitée, je réponds néanmoins :

- Elle sera à toi en rentrant. Terroriste.

Elle a un petit sourire en coin et engloutit ses friandises d'un air satisfait.

Batou est une fois de plus à côté de la plaque et s'exclame :

- Mais expliquez-moi, j'ai pas compris ! Y'avait quoi sur le message ? Et depuis quand t'as une amie qui s'appelle Anna ?

L'intéressée revient de sa pause pipi bien trop courte pour en être une et j'assiste non sans joie à la scène "cuisse maigrelette vs poigne de la mort" dans un remake de "un mot de plus et ta vie cessera".

Ma kiné se réinstalle en silence alors que le film commence.

Le noir m’aide à dissimuler mon embarras. Qu’est-ce qui m’a pris d'envoyer ça, même bourrée c'est à un niveau de connerie hors du commun !?

À vrai dire, ce texto tout bête me fait réaliser que peut être j’ai davantage envie de tenter le coup avec elle que ce que je suis disposée à avouer…

Ça vient peut-être du syndrome de « c’est interdit donc je le veux », mais dans tous les cas ça me met dans une merde noire.

Dire que tout ça est parti des deux ploucs à côté de moi qui se faisaient des films ! Au fond, c’est un peu leur faute ! Nan, c’est même carrément à cause d’eux !

La pénombre me permet d’observer le profil de ma kiné. Elle n’a pas un physique extraordinaire, vraiment. Qu'on s'entende, je ne suis pas en train d'impliquer que c'est un cageot, juste que ce n'est pas une gravure de mode non plus. C’est surtout une belle personne et ça, ça la rend très attirante à mes yeux. Y’a rien de tel qu’avoir le sourire pour donner aux gens l’envie de vous parler.

Mon regard descend, parcourant son col en V et le début de poitrine qu’il laisse entrevoir, puis ses cuisses et enfin sa main sur l’accoudoir.

Si je m’écoutais, je la prendrais dans la mienne.

Je me demande si j’aurais vraiment pu avoir ma chance si cette histoire de conscience professionnelle ne s’en était pas mêlée. Si j’avais choisi un autre cabinet, je l’aurais quand même rencontrée via Batou et…

Ouais. Bon…

Des « si » quoi.

Story of my life

22 février 2016

Chapitre 5 : Adieu les brancards

- Alors alors alors ? On veut en savoir plus !

- Je n'ai pas reçu de messages menaçants donc j'imagine que ça s'est bien passé ?

- Du calme les commères ! Lulu tu me sers un petit quelque chose pour me délier la langue ?

Elle sourit et me dépose ma boisson habituelle, tout en marmonnant quelque chose qui ressemble fortement à "vampire, toujours à m'extorquer quelque chose"!

Elle fait glisser le verre dans ma direction :

- Tiens, escroc ! Maintenant parle !

- Merci !

Je sirote lentement, savourant leur impatience. Pour une fois que je suis sous les feux de la rampe !

- C'était très surprenant, mais j'ai passé une excellente soirée...

Haha, je les garde en haleine, je suis une Victor Hugo des temps modernes. J'en profite pour bien prendre mon temps.

C'est un sourire grivois aux lèvres que Baptiste s'enquiert dans l'éloquence qui le caractérise :

- Et... T'as pécho ?

- ... Non. Mais figure-toi que c'était ma kiné !

Loin de partager mon enthousiasme, Lucie clarifie leur point de vue :

- Chérie, ça fait mal de dire ça, mais Batou a posé la bonne question ! Que ce soit ta kiné ou la reine d'Angleterre, tout ce qu'on veut savoir c'est si t'es casée !

Une fois encore, j'ai comme la nette impression qu'ils se liguent contre moi ! Mais la réponse de Lucie apporte une nouvelle lumière sur le défilé de « prétendantes  catastrophiques ». Tout s’explique.

- Vous exagérez, je ne suis pas si terrible que ça en célibataire !

Visiblement, Lucie est la plus offusquée des deux :

- Pardon ??? Je te signale que tu m'as forcée à regarder la cité des Anges 3 fois d'affilée !

Et voilà qu'il complète le tableau :

- En mangeant du chocolat et de la glace que tu m'avais ordonné d'amener.

- C'était qu'une fois !! Un cas de force majeure, vous savez ce que ça veut dire ?

Loin de s'avouer vaincu, Baptiste continue de me soutirer des informations :

- Et, verdict ? Elle est aussi extraaaaordinaire que tu nous le racontes ?

- Oui, pas loin ! Mais bon on était mal à l'aise toutes les deux.

Une fois n'est pas coutume, Lucie nous gratifie d'une remarque pertinente :

- J'avais pas pigé qu'elle est lesbienne !!! T'aurais pu nous en parler, t'es toujours a mendier les conseils issus de notre infinie sagesse, mais on a pas toutes les informations.

- Parce que je n'en avais pas la moindre idée !!

Lucie jette le torchon avec lequel elle essuyait le bar sur son épaule et me lance un commentaire désobligeant de plus :

- La seule lesbienne qui n'a pas de gaydar... Et ben mon Batou, on est pas sortis de l'auberge !

- Très drôle. Je n'avais aucun moyen de savoir ! Mais de toute manière ça ne change rien...

Baptiste prend le relai de l'enfoncage de portes ouvertes :

- Au contraire, ça change tout ! Elle te plaît et tu lui plais !

Je vais objecter, mais il embraye :

- Elle est restée non !? Toute la soirée ! Il te faut quoi de plus ?

Certes, mais seulement grâce un autre génial stratagème dont je semble avoir le secret… Baissant les yeux en prévision de l'annonce que je m'apprête à faire, je leur avoue :

- J'ai proposé que ça ne soit qu'un dîner "normal", sans le côté rencard...

Le torchon de Lucie me percute l'épaule à pleine vitesse. Je masse la zone endolorie et essaie de me justifier :

- On était mal à l’aise... Je me suis dit que si on restait sans rien dire  la soirée allait être horrible et j'allais ruiner mes chances dans tous les cas. J'ai tenté ça pour briser la glace !

- Et ça a fonctionné ?

- Après on a bien parlé oui...

- Vous allez vous revoir ?

- Il me reste une dernière séance donc oui, forcément. Fin bref, on peut changer de sujet ?

  

*          *          *          *          *          *

 

La porte buzz avant même que je ne sonne. Elle m'attendait ?

Tout sourire, je monte au premier étage rejoindre mon atelier de torture préféré. J'ai une petite boule au ventre malgré tout. J'étais prête à l'embrasser hier et même si je me suis pris un gros râteau, c'était flagrant. Je suis sûre qu’elle a remarqué ma façon innée de mettre systématiquement les pieds dans le plat. Dans son immense mansuétude, elle m’a épargné une réplique sarcastique cette fois. C’est ça que j’aime chez elle, elle ménage mon égo lorsque je laisse libre voie à une humiliation totale et complète.

Les portes automatiques s'ouvrent sur l'accueil et la secrétaire en grande discussion avec ma kiné.

- Bonjour Mesdames !

- Bonjour madame Marizy !

- Bonjour.

Deux paires d'yeux étonnés se tournent vers la kiné en entendant son ton glacial.

Euh... J'ai raté quelque chose ? Si quelqu'un a toutes les raisons d'être vexée, c'est plutôt moi !

Ma complice derrière le bureau me lance un regard plein de questions qui font écho à celles que je me pose en ce moment même. Et je n’ai pas l’ombre d’un début d’explication à ces dernières.

- Si vous voulez bien me suivre...

OK... Apparemment retour au vouvoiement. Franchement je ne pige pas. On a passé une super soirée...

Je pénètre dans la pièce juste après elle, m'attendant à ce qu'elle m'offre un éclaircissement sur sa réaction.

Ce n’est pas le cas. Elle quitte la pièce sans un mot et je m’assieds comme je le fais à chaque fois. Je retire mon pantalon et remarque qu’elle a mal fermé la porte sur sa sortie. Je dois me pencher un peu pour jeter un œil dans l'ouverture au passage. Contre toute attente, elle ne s'éloigne pas et je l'entrevois en train de passer ses mains sur son visage.

Je ne sais pas trop quoi en penser, mais au moins ça veut dire qu'elle n'est pas indifférente. Mais je ne sais pas si c’est un bon ou un mauvais signe. Elle n’a pas l’air enjouée.

Finalement, elle murmure quelque chose que je n'arrive pas à comprendre et revient.

Elle regarde à peu près partout sauf là où je me trouve et saisit la crème habituelle.

Elle compte vraiment m'ignorer et se la jouer comme si de rien n'était ?

À cette idée, je me renferme et me replie sur moi même sans m'en apercevoir. Je n’ose pas parler non plus de peur de dire quelque chose qu’il ne faut pas. À vrai dire, j’ai juste envie de prendre mes jambes à mon cou pour mettre fin à cette situation.

Elle place sa main au-dessus de mon genou et tire doucement pour me m'inciter à écarter les cuisses, le tout sans me décrocher un mot.

Ne tenant plus, je pose mes mains sur les siennes pour l'arrêter puis l'écarter.

Ça aura au moins eu l'avantage de la faire réagir. Son regard croise le mien une fraction de seconde avant qu'elle ne baisse la tête et se recule. J’ai cru y lire quelque chose, mais je ne sais pas comment l’interpréter … Allez quoi Anna, aide-moi un peu !

Ok... Ça ne s'annonce pas facile. Inutile de tergiverser, elle n'a pas l'air décidée à me parler, alors je vais poser les questions.

- Qu’est-ce qui ne va pas ?

Elle ferme les yeux et détourne la tête, mais ne m'offre pas d'explication.

Je place ma main sur son épaule et l'incite à me faire face :

- Anna, qu'est-ce que j'ai fait ?

- Je...

Elle soupire et passe le dos de sa main sur son front, mais ce n'est clairement pas un geste de soulagement, plutôt d'embarras.

- Je n'aurais pas dû vous demander de rester, vous êtes ma patiente. Ce n'était pas correct.

Pendant un instant, j'ai envie de dire "c'est tout ?", mais me reprends, sachant que ça n'aiderait pas. Ça me paraît un peu exagéré. Pour un psy ce serait gênant, mais pour une kiné... Ce n’est pas comme s’il s’était passé un truc entre elle et moi, même si l’image du simili baiser me revient clairement en tête. Après tout, techniquement c’était un repas entre ‘amies’. Rien de plus.

Je me demande s'il n'y a pas quelque chose d'autre derrière tout ça. Du genre une réflexion du roi des blaireaux.

- On ne savait pas sur qui on allait tomber... Et on s'est mises d'accord sur le fait que c'était "en tout bien tout honneur" non ?

- Peut-être, mais c'était néanmoins une entorse à la règle.

Elle joue nerveusement avec un drap du bout des doigts, dos tourné. Je vois bien qu’elle bataille entre sa perception de l’éthique professionnelle et sa nature chaleureuse. Même si c’est stupide car pas prémédité du tout, je m’en veux de l’avoir placée dans cette position.

J'ai envie de la prendre dans mes bras, mais ai conscience que c'est probablement une très mauvaise idée. Elle m'apporte un peu plus de précisions en ajoutant :

- Je débute dans le métier et mon association avec M. MAURON est récente.

Dans un grand soupir, elle continue d'une petite voix :

- Je ne peux pas me permettre que des rumeurs courent à mon sujet. Ça constituerait un suicide professionnel si hier soir venait à se savoir... Ce n'est pas contre vous... Je... Je me dois de rester à ma place. J'ai commis une erreur.

J'acquiesce de la tête tout en gardant le silence. Je ne suis pas d'accord dans la mesure où l'on a rien fait de mal...  Il pourrait y avoir des ragots si on s'était galochées dans le restau, mais (à mon grand désarroi) ça n'a pas été le cas ! Merci à mon courage à toute épreuve. C'était comme je l'ai dit "en tout bien tout honneur".

Ceci dit, vu l'intensité de sa réaction, je sais d'avance qu'elle est trop braquée pour que je puisse lui faire entendre raison. Mieux vaut m'avouer vaincue pour l'instant :

- Je suis désolée... Je n'avais pas réalisé... Mais on peut faire comme si de rien n'était non ? Après tout, c'était le fruit du hasard et on a tout de suite mis les points sur les i !

Elle acquiesce et se retourne timidement, un air absolument adorable sur le visage. Si je m'écoutais, je lui pincerais les joues.

Elle reprend un peu de crème et recommence son massage, toujours en silence, mais sans chercher à fuir mon regard.

J'aime vraiment sentir ses mains sur moi... Elle est à la fois douce et ferme, avec cette sureté dans le geste, façon force tranquille. Mais j’ai du mal à me détendre. J’ai envie de plus. J’ai envie qu'elle remonte le long de ma cuisse et glisse à l’intérieur de celle-ci…

Ça suffit.

Elle s’est montrée très claire, limpide même. Continuer à avoir des pensées qui vont dans ce sens est juste ridicule. C’est la dernière fois que je la vois, il ne se passera RIEN, il est temps que je me fasse à cette idée.

Ma raison tente de me persuader que cette déclaration de "statu quo" est pour le mieux, mais à dire vrai, je suis immensément frustrée. Sans prétendre savoir à quoi m'attendre, je m'étais imaginé une toute autre ultime séance. Je pensais retrouver la Anna d’hier soir… Au lieu de ça j’ai eu droit à un accueil digne de son partenaire d’affaires… Tu parles d’une déception.

Ses gestes sont indubitablement professionnels et je me sens coupable de "profiter" de mon massage comme s'il s'agissait de davantage. Malgré toute la bonne volonté du monde, je n’arrive pas à contrôler mes pensées.

Visiblement encore un brin tracassée et crispée, elle tente de ramener un semblant de normalité :

- Devine quels exercices tu vas faire aujourd'hui ?

Ah, apparemment j'ai re-gagné le droit au tutoiement. Ça me fait sourire intérieurement même si je n’ose pas trop le montrer. Je prends ça comme un aveu. Elle sait que j’ai raison. Pour une fois que ça arrive, je savoure !

- Humm... Le meilleur pour la fin c'est ça ? L'exercice où je dois essayer de te donner des coups de pied ?

- Ha ha ha. Non... Bouge pas je reviens.

Elle s'éclipse et je crains pour ma vie. La voyant labyrinthe en main, force est de constater que mon intuition ne m'avait pas trahie.

Si elle croit m'avoir comme ça... Je m'appuie sans vergogne sur elle afin de me hisser sur la demi-sphère sans risquer de m'étaler. Visiblement étonnée par mon culot, l'un de ses sourcils se lève

- Tu réalises que l'exercice perd son intérêt si tu ne te sers pas de ton équilibre, mais de moi pour tenir debout ?

Une fois de plus, je ne suis pas vraiment d'accord. Niveau intérêt je suis pas mal, le contact étant tout sauf désagréable si vous voulez mon avis.

- Mais je ne veux pas tomber !!!!

Elle se recule, me laissant à mon désarroi en m'insultant au passage :

- Chochotte.

- Tortionnaire.

 

*          *          *          *          *          *

 

- Salut !

En entendant ma voix, Lucie se retourne et hausse immédiatement les sourcils à ma vue.

- Salut... T'as passé la nuit dans une poubelle ?

Je regarde mon jogging troué et mon sweat shirt pas franchement glamour, le tout accompagné de vieilles baskets ayant connu de meilleurs jours.

Certes, ce n'est pas volé.

Je l'inspecte à la recherche d’une réplique tout aussi désobligeante, mais sa tenue est pratique ET esthétiquement viable... Je me rabats sur une excuse bien commode :

- On va transbahuter les affaires de Baptiste, j'allais pas venir en tailleur !

- Non, mais ça m'embêterait de devoir te chercher au commissariat parce que les gens auraient signalé une zonarde.

- Je peux encore faire demi-tour !

Lucie hausse les épaules et rétorque :

- M'en fous, c'est pas moi qui déménage !

Pas faux. Frissonnant, je me frotte les mains pour tenter de me réchauffer. Il fait un froid de canard ce matin. Avant que vous ne fassiez une remarque acerbe (si si, je vous vois venir), si je n'ai mis qu'un sweatshirt, c'est parce que je pensais qu'on allait être en mouvement d'entrée. Mais ça, c'était sans compter sur la ponctualité de Baptiste, rendez-vous chez lui et il arrive à être en retard, c'est dingue.

- D'ailleurs il est où ?

- Parti chercher sa cousine.

- Sa cousine ? Quelle cousine ?

- Je sais pas, je ne l'ai jamais rencontrée. Apparemment il l'a retrouvée au mariage, ils habitaient la même ville sans le savoir.

- Cool ! Ça nous fera des bras en plus !

- Amen !

La Ducati 899 de Batou fait son apparition avec deux figures toutes de cuir vêtues. Sa cousine doit aussi faire de la moto, car ils n'ont pas vraiment le même gabarit et son ensemble est à sa taille. Il épouse parfaitement son corps et si je n'étais pas déjà attirée par les femmes, des formes pareilles pourraient me faire changer d'avis ! Perso je trouve que bien porté, il n’y a rien de plus sexy que ce genre de combinaison…

Tous deux descendent avec élégance de l´engin. Pour avoir grimpé dessus quand la moto était à l'arrêt, dans l'absolu c'est un exploit en soi de tenir sur le "siège passager" vu la taille du machin et je ne parle même pas de quitter ce perchoir avec grâce.

Lucie dit tout haut ce que je pense tout bas :

- Ehhh ben, il se mouche pas du coude quand il choisit ses fréquentations !

Baptiste retire son casque et nous fais la bise, fier comme un paon. Derrière lui, sa cousine fait de même et secoue sa chevelure dans ce mouvement breveté "parce que je le vaux bien". Tout en saluant mon meilleur ami, j'essaie sans succès d'apercevoir le visage de la nouvelle venue. Elle finit par passer ses mains gantées dans ses cheveux pour les remettre en place, m'offrant une vue dégagée.

Son regard surpris croise le mien au moment où Baptiste fait les présentations :

- Lucie, Inès , voici Anna.

Pendant une seconde, je caresse l'envie de feindre une première rencontre même si ce ne serait pas très gentil et qu’elle pourrait mal interpréter ma réaction. Mes espoirs sont totalement avortés par la tête que fait ma kiné. Personne ne qualifierait son expression faciale de "normale". Elle a vraiment l'air étonnée et gênée. Malgré cela, elle reste jolie. Il y a clairement eu des injustices au moment de la distribution du charme, c’est moi qui vous le dis !

Comme d'ordinaire, Lucie fait rapidement la relation même si elle ne l'exclame pas explicitement et joue la neutralité :

- Bon ! Ben enchantée ! On se met au boulot ? Je prends Batou dans mon équipe !

Apparemment il y a des équipes et vu que nous ne sommes que quatre, je sais qui est dans la mienne. Mes soupçons sont confirmés par le clin d'œil que m'adresse mon amie avant de se diriger vers l'immeuble. Elle n’a certes rien dit, mais connaissant sa perfidie, ce genre de geste m’inquiète !

Baptiste ne remarque rien et suit le mouvement. D'un geste de la main, je fais signe à Anna de passer devant.

Je vous vois venir... Non, ce n'est pas pour mater ses fesses (même si ce cuir lui va à ravir), mais plutôt pour me donner le temps de me recomposer.

Est-ce que je dois annoncer à mon ami que la fameuse kiné avec laquelle il voulait me caser n'est autre que sa cousine ? Une pensée bien plus effrayante me vient à l'esprit : et s'il lui raconte qu'on faisait des plans sur la comète ? OMG je passerais pour une psychopathe qui se fait des films ! Sans parler de mes déjà bien maigres espoirs qui s’en retrouveraient réduits à néant. Rien qu’à y songer je fais presque caca culotte de peur. Il faut qu’il garde le silence !

Arrivés au bon étage, je n'ai pas le temps d'attraper mon meilleur ami pour le briefer que Lucie le monopolise pour porter une énorme malle. Vu le sourire mielleux qu’elle m’adresse, nul doute que ce n’est pas le fruit du hasard. Traitresse !

Ils s'éclipsent dans les escaliers et je me retrouve seule à seule avec Anna.

Elle met ses mains dans les poches de sa veste en se balançant sur ses talons. De par sa gestuelle, j'en déduis que je ne suis pas la seule à ne pas trop savoir comment me comporter. Je tente de désamorcer une partie de la tension en plaisantant :

- Décidément tu es partout !

Elle sourit et retire sa veste de moto, dévoilant un débardeur blanc en dessous :

- Faut croire !

Je ne sais pas si c’est du lard ou du cochon, mais tant qu’elle me sourit en se déshabillant les deux me vont ! Mon cœur bat la chamade et j’ai l’impression qu’elle fait exprès. C’est sûr. Ce n’est pas possible d’être aussi sexy naturellement.

J'essaye de ne pas la fixer, mais visiblement mes yeux ont une volonté propre. Force est de constater qu'une fois de plus j'avais raison : sa tenue de travail ne lui fait pas justice. Si je devais choisir un adjectif pour qualifier sa silhouette, j'hésiterais entre sculpturale et parfaite. Ce semi-striptease m’a laissée sur ma faim ! Et la suite alors ?

Un coup d'œil vers le bas en direction de mon corps à moi me suffit pour me sentir encore en plus mauvaise forme que je ne le suis. C’est pas juste !

Voulant compenser, je me penche et attrape le premier carton qui passe. Comme d'habitude, Dame Chance est de mon côté et il pèse le poids d'un âne mort. Je serre les dents et tente de faire comme si de rien n'était. Je lui adresse un sourire crispé et entreprends une périlleuse descente des escaliers sous son regard inquiet. Mes bras tirent et me font un mal de chien. Plus jamais je ne me laisserai aller, je suis devenue toute faiblarde !

J'arrive Dieu sait comment sur le parking sans mourir ni m’humilier. Je m’améliore ! Batou est adossé à la camionnette de Lulu, en grande conversation avec cette dernière.

Plutôt que de m'aider, ils me regardent galérer en souriant. Riez, ma vengeance sera terrible !

Je largue avec plus ou moins de délicatesse le carton à l'arrière du véhicule et suis étonnée en voyant qu'elle s'abaisse sous le poids. Essoufflée, je me penche et place mes mains sur mes genoux, levant la tête pour demander :

- T'as mis quoi là-dedans, du plomb ?

- Nan, mes casseroles, c'est écrit dessus !

Tout s'explique...

Je n'ai pas me temps de me remettre de mes émotions que déjà je me fais cuisiner :

- Alors comme ça tu connais bien ma cousine ?

Gulp. C'était prévisible. Discrétion est un mot étranger à Lucie. Cette fourbe attend toujours le moment opportun pour lâcher ses bombes. Reconnaissant une cause perdue quand j'en vois une, j'abandonne l'idée de mentir.

- Pour ma défense, je ne savais pas qui elle était !

Mon début d'interrogatoire est fortuitement interrompu par l'arrivée de ma kiné. Elle tombe à pic tiens ! En plus, elle a l’air de n’avoir rien entendu :

- Je vois que ça bosse dur !

Elle dépose son carton tandis que Lulu continue son manège :

- Elle a raison, allez viens !

Attrapant sa manche, elle traîne derrière elle un Batou récalcitrant. L'index et le majeur en forme de V, il me fait le signe "je t'ai à l'œil".

Ayant repris du poil de la bête, je m'apprête à me relever quand je sens la main d'Anna au creux de mon dos. Je ne comprends pas. Un jour elle est sympa, l’autre glaciale. C’est le jeu du chaud / froid ? Mes pensées passablement mesquines sont stoppées net lorsqu’elle demande :

- Ça va ?

J'acquiesce et me redresse péniblement, notant qu’elle ne retire pas sa main.

- Oui oui ne t'en fais pas, j'ai juste eu les yeux plus gros que les bras !

Je lui fais un sourire supposément rassurant et m'efforce de ne pas me laisser distraire par sa proximité.

- Vas-y doucement, je ne voudrais pas te retrouver au cabinet d'ici une semaine.

Elle ferme les portes de la camionnette et on se remet en route.

- J'ai bien compris que t'étais ravie de te débarrasser de moi... Et dire que je pensais être ta patiente préférée !

- Je vais vraiment la tuer !

Au fond, je me demande si sa secrétaire n’a pas dit vrai. S’il s’agissait effectivement d’une pure invention, elle ne s’en défendrait pas aussi farouchement à chaque fois. Ça veut au moins dire qu’elle m’apprécie. La question est de savoir jusqu’à quel point.

On multiplie les allers retour et je suis bien contente d'avoir un peu de répit une fois la camionnette pleine. Il ne reste plus que les gros meubles, que Batou a illogiquement mis tout au fond...

Lucie et lui prennent la route, me laissant en charmante compagnie.

Nous remontons les escaliers et j'ai la bonne idée de suggérer :

- On pourrait descendre le canapé, t'en dis quoi ?

- On peut tenter, mais t’es sûre que ton dos va tenir le coup ?

- Oui oui t’en fais pas !

Décidée à faire étalage de ma puissance dans le but de l’impressionner, attitude qui ne permet aucun rapprochement avec les rituels amoureux des gorilles, je m’accroupis avec confiance et glisse mes mains sous le canapé.

J’ai à peine le temps de soulever qu’une atroce douleur me fait lâcher le meuble. Pour ce qui est de lui en mettre plein la vue je repasserai…

Anna pose un regard inquisiteur sur moi :

- Ça va ?

Un mensonge trois fois plus gros que moi quitte mes lèvres :

- Oui oui !

Mes talents de politicienne ne doivent pas être au point étant donné qu'elle se rue à mes côtés, un air inquiet sur le visage.

- Assieds-toi.

Son ton ne laissant pas vraiment de place à mes enfantillages usuels, je m'exécute et m'installe sur un tabouret à proximité. Non seulement mon dos me fait souffrir, mais j’ai maintenant mal aux fesses. Ce truc est inconfortable au possible.

- On va attendre un peu, voir si la douleur diminue.

J’acquiesce d’un mouvement de tête, mais dix minutes plus tard, force est de constater que la seule chose qui passe, c’est le temps ! Et dix minutes, c’est LONG quand on se retient de couiner comme un vieux chien malade !

Constatant que ça ne s’arrange pas, Anna prend les choses en main :

- Tu as mal à quel niveau ?

Tenant à faire une fois de plus preuve de ma stupidité, je tente de lui montrer d'un geste, mais suis bien vite reprise à l'ordre par mes neurones nociceptifs !

Elle saisit doucement ma main dans la sienne et la pose sur mes genoux puis me dit à l'oreille :

- Laisse-moi faire.

Ses doigts parcourent mon dos en tâtonnant délicatement. Lorsqu'elle passe sur le point douloureux, je n'arrive pas à retenir un petit grognement.

- C'est par là ?

L’observant par-dessus mon épaule, j’acquiesce d'un mouvement de tête.

Elle garde le silence.

Pourquoi elle garde le silence ?

Elle a toujours les sourcils froncés et cet air inquiet. C'est pas bon signe ça non ?

- Je crois voir de quoi il s'agit. Je peux... ?

Ses doigts tirent vers le haut les pans de mon sweatshirt. Toutes les alarmes sont au rouge. Insécurité bonjour ! Si jamais elle me voit sans mon vêtement, je peux définitivement faire une croix sur mes maigres espoirs de conquête, c'est sûr !

- Non ! Je...

Oh mon Dieu, est-ce que je me suis épilé les aisselles ? *intense réflexion*

Oui, ça devrait aller.

- Tu... ?

Ah oui, une réponse, elle attend une réponse.

Comme d'habitude, pas la moindre réplique présentant un début d'explication ne me vient en  tête. Ils ne sont pas bienheureux les pauvres d'esprit, c'est moi qui vous le dis !

Résignée, je me décide à coopérer :

- Rien.

Avec son aide, on arrive à bout du vêtement et je me sens comme... Comme quelqu'un qui a pété dans un ascenseur et qui voit la fille qui lui plaît rentrer à son tour...

Voilà.

Ça se passe de commentaire.

À la base, si toute cette histoire a commencé c'est justement à cause de mes complexes. Si elle remarque ma gêne, Anna n'en laisse rien paraître et entreprend une inspection de mon dos, basculant en mode « professionnelle ». Kiné hein, pas prostituée. Je me doute qu’elle prête attention à ma possible blessure plus qu’à mon physique, mais j’ai tout de même un peu honte de mon absence totale de musculature.

C'est vraiment bizarre d'être en soutien-gorge dans le "salon" de Baptiste du moins ce qu'il en reste. Déjà c’est chez mon meilleur ami, pas l’endroit où je me déshabille d’ordinaire, mais en plus si jamais ils reviennent ça risque d’être délicat à expliquer. Enfin non, ce serait simple, mais je n’aurais pas une once de crédibilité, nuance.

Ses doigts sont plutôt froids et je suis incapable de savoir si mes frissons viennent de là ou du fait qu'elle me touche.

Elle repère une fois de plus la zone endolorie et s'attèle à copieusement appuyer dessus.

Après 30 secondes passées à me labourer le dos, soit une éternité en termes de souffrance, elle lance :

- Bon, plan B.

Comment ça, plan B ? Nan parce que je commence à les connaître les exercices de kiné. Et ils sont synonymes de torture dans 95% des cas. Anna a beau être douce, son métier ne l’est pas  avec mes nerfs ! Elle s'empare de mes poignets et me croise les avant-bras sur le torse à la façon d'un pharaon. Si je n'avais pas si mal, j'aurais peut être tenté une blague sur sa pseudo volonté de me déshabiller puis de s'arranger pour que je me retrouve avec un décolleté d'enfer. Mais mon dos me fait souffrir au possible alors je m'abstiens.

Mes yeux s'écarquillent plus que je ne l'aurais cru possible en la sentant m'enlacer par derrière. Heureusement qu'elle n'est pas en mesure de m'observer, parce que je suis prête à parier que ma tronche vaut le détour.

Raide comme une planche à repasser, je ne sais pas comment me comporter Est-ce que tout ça n'était qu'un habile plan pour en arriver là ? Ça ou alors je rêve et c'est effectivement une méthode de kiné peu orthodoxe ?

Sa voix semi-chuchotée à mon oreille, le chatouillement et la réaction physique qu'elle provoque me poussent à croire que tout ça est bien réel :

- Détends-toi, ça va te soulager je promets.

Me soulager ? Oui ok mais COMMENT ?

Sachant que je ne peux pas le demander sans me griller, je fais de mon mieux pour me relaxer. Mes sens se concentrent sur ses bras qui m'entourent, son souffle par-dessus mon épaule, sa poitrine dans mon dos... Ok, ça n'aide pas !

Au fond, peu importe pourquoi on s'est retrouvées dans cette position, j'aime !

Elle doit sentir que j'essaie et ne me presse pas, même si vu comme je suis crispée je dois présenter la flexibilité et souplesse d’un bout de béton vibré.

Histoire de vérifier que je ne délire pas, je me pince discrètement le bras. Aoutch. Ok, je suis éveillée, pas de doute.

Je finis non sans mal par réussir à me décontracter. Quasi immédiatement, Anna me dit :

- Laisse toi porter par le mouvement. Il faut que ça soit fluide.

J'acquiesce d'un mouvement de tête. Elle se met à bouger, entre un déplacement circulaire et un huit. Je sens que cela tire sur mon point dans le dos jusqu'à ce qu'il craque de manière audible.

Soulagée d´une grosse partie de la douleur, je lui suis incroyablement reconnaissante.

Comprenant qu'elle a réussi, elle me ramène à ma position initiale et continue à me maintenir délicatement, me glissant à l'oreille :

- Résiste à l'envie de gesticuler et de bouger ou faire craquer ta colonne pendant un petit moment.

- Bien chef.

En entendant ça, elle serre légèrement ses bras puis me relâche.

Pendant une seconde j'ai cru qu'elle allait me faire un bisou sur la joue, mais je n'ai pas cette chance.

J'ai conscience du fait que je suis supposée rester immobile, mais j'ai très très TRÈS hâte de me rhabiller et c'est dur de me convaincre de tenir en place.

- T'as fait ça souvent ?

- Au début je voulais être chiropracteur, du coup j'ai beaucoup étudié certains mouvements...

On reste quelques minutes en silence, sans que j'ose me tourner pour lui faire face. Je sens son regard dans mon dos et ça me rend mal à l’aise. Je ne suis pas chiante comme fille ! Je veux qu’elle me remarque et lorsqu’elle m’observe ça ne va toujours pas.

Finalement, comme si elle avait lu dans mes pensées, elle me tend mon haut.

Pile à l’ instant où l'habit passe mon soutif, Lucie apparaît dans l'embrasure de la porte.

Ses sourcils se lèvent et la seule chose qu'elle trouve à dire est :

- On a loupé quelque chose ? On est pas partis si longtemps que ça, si ?

- N'importe quoi, elle m'a fait craquer le dos.

Évidemment, elle interprète ça très mal et me présente la paume de sa main tout en détournant la tête :

- Je veux pas savoir comment !

Mon regard est plein d'espoir lorsque je me tourne vers ma kiné :

- Anna, dis-lui toi !

Vu son air espiègle, je me doute qu'elle ne va pas m'aider et effectivement :

- Ah non, ce n'est pas le genre de choses que je partage !

Peut-être que Lucie n'a pas conscience de la plaisanterie, ou peut-être qu'elle n'est qu'une sadique... Minute, c'est une sadique ! Toujours est-il qu'elle m'enfonce en ajoutant :

- Et ben ma petite, t'as pas traîné !

Je la hais.

22 février 2016

Chapitre 4 : Rencard de la dernière chance

Je vérifie une ultime fois mon reflet dans la vitrine du magasin d’à côté. C’est le rendez-vous de la dernière chance, il ne faut pas se louper. J’en ai marre de ces rencards foireux, n’en déplaise à mes amis. À les entendre, le net c’est une mine d’or. Mine de situations gênantes oui ! Si celui-ci se passe tout aussi mal, c’est décidé, je ne croirais plus en l’amour.

Et je prendrais plein de chats qui dormiront sur mon lit ! Na.

De toute manière j’ai jamais eu de bol dans ce domaine, je me demande même pourquoi je m’acharne. Est-ce que le crève-la-faim va traîner au marché pour saliver devant les étals en sachant qu’il n’aura rien ? Je crois pas non ! Ou alors il est masochiste et c’est une tout autre histoire.

Bref, concentre-toi, ce soir tu as une mission.

Une fois de l’ordre mis dans mes pensées, je retourne à mon inspection.

Décolleté ? Check.

Jean préféré ? Check

Maquillage et coiffure ?

Je m’approche un peu et grimace devant l’état de mes cheveux, que la bruine qui tombe n’a pas aidé à rendre fantastiques. Check… Si on veut. Peut-être que certaines aiment ce look, il paraît qu’il faut de tout pour faire un monde.

De toute manière je m’attends à rencontrer un possible monstre et si c’est le cas, la curiosité capillaire sur mon crâne sera le cadet de mes soucis. Mais cette fille a déjà marqué des points car elle remplit mon nouveau critère : avoir un français convenable. Après le désastre de l’autre jour, je suis intransigeante de ce côté-là. Et ça fait un sacré tri!

Bon, allez, on se lance. Assez traîné, repousser l’échéance me mettra juste en retard. Un peu de courage.

Prenant une énorme inspiration, j’entre dans le restaurant, direction la table du fond, diamétralement opposée à la porte.

Je constate que ma compagne du soir est déjà là, assise face au mur. Et ça, ça m’inquiète. Pourquoi elle est de dos ?

Seule solution qui me vient à l’esprit, elle voulait être sûre que personne ne s’enfuie en voyant son visage !

Qu’est-ce que ça peut être ? Strabisme divergeant (ou convergeant remarque), balafre(s), acné prononcée et autres problèmes de peau, opération du nez ratée, absence de sourcils… ?

La peur est bien au menu de ce soir, mais je tente de la maitriser en me raccrochant au fait qu’elle a des cheveux châtains et haut bleu foncé, comme annoncé. Au moins ça c’est vrai. Donc pourquoi la partie physique « normal, ce n’est pas à moi d’en juger » serait un mensonge ? Je veux dire, si les gens vomissent en vous regardant, vous devez vous en rendre compte, non ?

Calme-toi, vas-y sereinement, au pire tu prétexteras que tu n’es pas prête pour une relation sérieuse ou un truc comme ça, tout en lui souhaitant plein de bonheur. Et puis contrairement au rencard précédent, elle n’a a priori pas une musculature de catcheuse, c’est déjà ça de pris. Elle a l’air en forme, mais est assez fine de ce que j’en vois. C’est plutôt mon genre. Elle marque des points cette petite !

Je m’avance jusqu’à la table et me retiens de fermer les yeux pour retarder l’échéance.

Arrivée à son niveau, c’est d’un ton surjoué que je m’exclame :

- Bonj…

Oh merde ...

NAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN, mais pourquoiiiiiiii ?

S’il y a un Dieu des coïncidences quelque part, il doit être en train de bien se marrer. Salopard !

This is awkward.

Pivoine, elle se lève et me tend une main plutôt incertaine, rappelant son prénom bien que ça ne soit absolument pas nécessaire :

- Anna, mais j’imagine que ce n’est pas une surprise.

- Ah si, pour une surprise c’en est une !

Du coin de l’œil, je regarde la table. Franchement, j’hésite à m’installer. Ce ne serait pas très poli, mais…

Ma kiné. Ma putain de kiné ! Merde quoi !

De toutes les nanas sur terre, il fallait que je tombe sur elle !

D’un côté je devrais être contente, je suis en rendez-vous avec la seule personne qui pouvait potentiellement m’intéresser et j’ai les réponses à mes questions concernant son orientation sexuelle.

De l’autre… Je sais pas, c’est vraiment bizarre comme situation. Si j’avais eu le courage de le lui proposer, ça aurait été différent.

Mais bon, soyons réalistes, le jour où j’oserai faire un truc pareil avec une femme qui me plaît un tant soit peu, les vaches pondront des œufs avec des bébés panthères à l’intérieur. A priori, ce n’est pas tout de suite donc.

Une nouvelle fois, je me dégonfle plus vite qu’un ballon de baudruche et cherche à m’échapper :

 - Si… Si vous voulez, je… je peux m’en aller.

Elle réfléchit à la question et a l’air d’acquiescer inconsciemment de la tête en se mordillant la lèvre, ce qui me laisse penser que je viens d’avoir le rendez-vous le plus court de l’univers. Défaite et un peu déçue malgré tout, je me tourne vers la porte avec la ferme intention de balbutier quelque chose dans ma fuite.

Mais je n’ai pas le temps de faire ça que sa main s’enroule autour de mon avant-bras. Mon regard croise le sien. Elle a une expression faciale que je n’arrive pas du tout à déchiffrer :

- Non... Restez.

Mon corps est toujours orienté vers la sortie et l’envie de m’enfuir est plus forte que jamais. Je ne suis pas préparée psychologiquement pour ça et cette fois c’est la vérité.

Me sentant certainement indécise, elle fait glisser sa main jusqu’à prendre la mienne. Ses yeux ont un langage à eux tous seuls et je la laisse me guider vers la table.

Si même sans son sourire de tricheuse elle arrive à faire ce qu’elle veut de moi ce n’est pas bon signe !

Une fois assise, je m’efforce de ne pas céder à la panique. Qu’est-ce que je fais ? Je lui fais clairement comprendre qu’elle me plaît et tente ma chance ? Je la joue amicale ? On parle de ma rééducation ? Je ne suis pas prête psychologiquement pour ça, quand je le dis ! Je m’attendais rencontrer un monstre, abandonner l’amour etc… Pas me retrouver nez à nez avec mon mini coup de cœur !

Elle comme moi faisons un effort notable pour ne pas croiser le regard de l’autre et je suis sûre que si j’étais à la table à côté, je me marrerais bien devant un manège pareil. Vu de dedans mes pompes, c’est beaucoup moins rigolo, je vous prie de me croire...

Finalement, après une loooongue minute passéé à contempler le décor plutôt sommaire le tout dans un silence religieux, le serveur vient interrompre ce grand moment de franche camaraderie :

- Mesdames, vous désirez un petit apéritif ?

Je lève la tête vers notre sauveur puis regarde ma kiné, attendant sa réponse pour me prononcer. Dépendamment de son choix de boisson, j’aurais une indication concernant la durée de ce rencard. Si elle prend un verre d’eau, c’est mort, une bouteille de vin, c’est bien. Immédiatement, elle se lance :

- Un verre de vin blanc moelleux s'il vous plaît.

Évidemment, fallait qu’elle choisisse entre les deux ! Et mes efforts de médium, on y pense ? C’est pas comme ça que je vais m’améliorer !

Le serveur se tourne vers moi, mais elle s'exclame :

- Non, amenez plutôt une bouteille !

Il hausse les sourcils et s'abstient de commenter même si sa tête en dit long. Il prend néanmoins note et s'éclipse sans même me demander ce que je veux ! Culotté celui-là ! Il croit qu’on est en couple ou quoi ? Y’a que là que le mec commande pour la nana. On est plus en 1820 abruti !

Et puis une bouteille à deux, vu l'ambiance on ne va pas aller bien loin, on va avoir besoin de plus pour dissiper la gêne !

Beaucoup plus.

Genre cubi plus.

Ou alors quelque chose de plus fort.

Et c'est reparti pour un tour de silence... Ça m'avait manqué.

Je pourrais compter les secondes, histoire de voir combien de temps on tient !

Ou je pourrais aussi prendre sur moi et tenter de faire la conversation...

Bon, ça suffit c'est ridicule ! On s'entend très bien au cabinet, il n'y a pas de raison pour que ça change ! C’est vrai quoi, jusqu’à présent on arrivait à se parler sans problème. On se connaît déjà bien et ce n’est pas comme si je lui avais fait une déclaration enflammée. Je la « regarde » pas très discrètement, mais c’est tout.

- Je vous propose un deal. J'imagine qu'on est toutes les deux d'accord sur le fait que cette situation nous met très mal à l'aise, je me trompe ?

- Ohhhh que non ! Quel est le plan ?

Ça me fait un peu mal d'être celle qui le suggère, mais je ne vois pas d'autre solution que de dire :

- On oublie la raison initiale pour laquelle on est là et on essaie juste de passer un bon moment, sans arrière-pensée.

Je scrute sa réaction avec intérêt, curieuse de savoir ce que cette perspective lui évoque. C'est sans l'ombre d'une hésitation et l'air soulagée qu'elle répond :

- Marché conclu !

...

Au moins c'est clair, ce "presque rendez-vous" avec moi ne lui fait visiblement pas envie. J'ai conscience de ne pas être parfaite m'enfin là c'en est presque vexant ! Nan, en fait ça l’est carrément. Je ravale ma fierté et la bonne dose d’amertume dans ma bouche et me soumets à ma propre solution anti-désastre.

Elle me tend sa main que je serre vigoureusement pour compenser ma déception. J'ai un peu de mal à la laisser partir, mais le fais à contrecœur pour éviter que la poignée de main ne vire elle aussi au bizarre.

C'est moche de me dire qu'elle est là, sympa, intelligente, superbe, lesbienne et pourtant toujours inaccessible.

Je sais bien que j'ai souhaité "rencontrer une femme bien", mais pour moi ça allait de soi que ça impliquait que je l'intéresse en retour ! Parfois j'ai comme l'impression que le hasard se fout de ma gueule.

Allez remets toi, tu auras tout le temps pour regarder des films d'amour tristes et de manger de la glace en larmoyant plus tard.

- Et sinon... Vous pensez que j'ai besoin de la dernière séance? Je me sens rétablie !

- Pourquoi cette question ? Chercheriez-vous à y échapper ?

Au contraire, pour peu que la gêne disparaisse, je ne dirais pas non pour passer plus de moments en sa compagnie, même si ça doit être dans le cadre de sessions. Ne souhaitant pas me dévoiler à ce sujet, je hausse les mains dans ce qui est supposé me donner un air innocent. Autant dire que c'est raté. Je tente de m'en sortir par un petit mensonge :

- Loin de moi cette idée ! J'essayais juste de faire la conversation !

Elle n'est visiblement pas convaincue par mes explications et me le fait comprendre :

- Mouais... Vous ne voulez pas parler d'autre chose que de mon travail ?

L'envie d'évoquer le rencard me brûle les lèvres. Je sais que ce n'est pas une bonne idée et que d’ici 2 secondes je regretterais sûrement, mais je demande quand même :

- Comme vous préférez ! Est-ce que c'est en m'entendant raconter mes mésaventures que vous avez été tentée de vous inscrire sur le site ?

Le serveur revient avec notre bouteille. Il présente celle-ci à la kiné et en verse un peu dans son verre pour qu'elle teste.

J'ai un grand sourire aux lèvres en la voyant boire le tout cul sec. Je pense qu’on sera d’accord sur le fait que ce n’est pas la manière orthodoxe pour goûter un vin, mais ça a son charme. Je ne m’attendais pas à ça de sa part. Elle le repose, ignore l'expression outrée du serveur et se contente de dire "très bon merci" comme si de rien n'était. Se sentant de trop, ce dernier part comme il était venu. Elle s'adresse alors à moi d'un air désolé :

- Pardon, mais j'en avais besoin.

- Pas de problème.

Sa main attrape la bouteille et pendant un instant je crois qu'elle va la porter à ses lèvres. Mais non, elle s'en tient à faire le service. Sa main, d'ordinaire si sûre, tremble visiblement. Elle est si nerveuse que ça ? C’est ma présence ou ma question qui la rend dans cet état ?

Prenant pitié, je lui offre une issue de secours :

- Vous savez... Si ça vous met mal à l'aise vous n'êtes pas obligée de répondre...

- Pardon... Je... n'ai pas l'habitude de parler de tout ça !

Sa main est posée sur la table et je dois me retenir pour ne pas la prendre dans la mienne dans un geste de compassion. Ce serait sûrement mal interprété. J'attrape donc mon verre et joue distraitement avec le pied.

- Je vous le dis... Si ça vous embête...

- C'est juste étrange d'évoquer ce sujet avec une patiente. Et le vouvoiement ne me le rappelle que trop bien.

C'est une occasion trop belle pour que je la laisse passer :

- Ça, ce n'est pas un problème, on peut se tutoyer ! Et vous n'avez pas l'habitude uniquement dans ce sens ! Je suis sûre que je ne suis pas la seule à vous raconter sa vie ! ... Du moins j'espère !

- Oh non j'en entends des bonnes tous les jours !

Intéressée, je m'accoude et exige :

- Des détails !

- Et le secret professionnel ?

Je lui lance un regard incrédule. Je ne suis pas née dans la dernière flaque d'eau hein, faut pas croire.

- Il ne s'applique pas... Allez quoi jouez... Joue le jeu ! C'est ça où alors j'ai droit à deux trois questions de mon cru !

Vu l'expression d'horreur qu'arbore son visage, soit elle a de lourds secrets, soit elle craint vraiment le pire ! Un sentiment de fierté complètement déplacé s’empare de moi. Je lui fais peur  avec mes questions ! Souriant de toutes mes dents, je m’arrête net en réalisant un truc : à part pour ce qui est du syndrome de Stockholm, la peur ce n’est pas super niveau séduction…

Certainement pour se donner du courage, elle boit une grande lampée de vin.

- J'arrive pas à croire que je fasse ce choix, mais... qu’est-ce que vous... Tu veux savoir ? Dire que mes patients n'ont pas idée du fait que je me sacrifie pour eux...

J'ai très envie de me frotter les mains, mais je doute que ça la rassure.

Qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui demander ? :

Qu'est-ce que tu penses de moi ? (traduction : est-ce que j'ai mes chances ?) Salut poupée, tu habites toujours chez tes parents ? Célib depuis combien de temps ?

...

Vous l'aurez compris le dilemme est surtout de savoir si j'ose aborder le sujet qui m'intéresse.

Comme d'habitude en cas d'hésitation, c'est Capitaine courage qui prend la barre. Et puis c’est une manière de me préparer psychologiquement. Je tourne autour du râteau et le jauge avant de marcher dessus en pleine connaissance de cause…

- Qu'est-ce qui t'a décidée à faire ce métier ?

Question neutre qui montre que je m'intéresse à elle... Bien joué. Je marque des points ! Bon, j'ignore allègrement sa demande de changement de sujet "hors boulot», mais on ne peut pas tout faire. D'abord je limite les dégâts, ensuite on avisera.

- J'étais attirée par le "contact" avec les patients. On accompagne et rééduque, on peut voir l'évolution. Je trouve ça sympa.

Malgré moi, j'esquisse un sourire en entendant les mots "contact avec le patient". Je ne dis pas non ! La sensation de douceur de ses mains me revient et me fait sourire encore plus, le fait que je ne suis sans doute pas la seule qui a eu droit à ce traitement me refroidit d’un coup !

Le serveur revient pour prendre notre commande. Ayant déjà choisi, j'en profite pour l'observer. C'est étrange de la voir toute apprêtée, hors de son uniforme. Le moins qu'on peut dire, c'est que sa tenue de travail ne lui rend pas justice ! Elle a une beauté naturelle et un visage ouvert qui donne envie d'aller lui parler.

D'ailleurs ça m'étonne qu'elle soit lesbienne. Elle ne laisse rien transparaître, pas le moindre indice, sans ce soir je n'aurais jamais deviné. Non pas qu'il n'y ait que des nanas clichés mais... Ben c'est celles qu'on remarque le plus, les autres sont comme invisibles !

J'ai du mal à détacher mes yeux et sens mon cœur s'emballer alors qu'elle m'observe en retour.

C'est la confirmation dont je n'avais pas besoin.

Oui, elle me plaît.

Oui, elle a tout pour elle.

Mais je rappelle à ton bon souvenir que ceci n'est plus un rencard !

Tu sais, cette brillante suggestion que tu as faite et que tu as pourtant l’air d’oublier…

Abrutie.

- Quoi ?

Elle sourit d'un air gêné et je réalise que je la fixe depuis tout à l'heure.

Vite, dis quelque chose :

- Rien, je me disais juste que tu es très... En beauté ce soir.

Bah voyons !

Palm, meet face.

En voilà une idée qu'elle est PAS bonne ! Ça va vachement la mettre à l'aise et en plus tu utilises un style que personne n'a entendu depuis la prise de la Bastille !

Une légère rougeur fait son apparition sur ses joues, c'est absolument trognon. Ça montre que mon compliment maladroit n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde, c’est plaisant.

- Merci. T'es pas mal non plus, ça change du look grande blessée.

Un sourire particulièrement niais parcourt mes lèvres en entendant ça. Elle a remarqué mes efforts ! J'ai conscience de très certainement dépasser les bornes, mais je me surprends à demander :

- Si je peux me permettre... Comment tu peux être célibataire ?

Elle fronce les sourcils, n'ayant pas l'air de saisir le sens de ma question :

- Comment ça comment ?

Et merde. Maintenant à moi de traduire "duh, t'es sympa, intelligente, jolie ce qui ne gâche rien, c'est pas possible que personne à part moi ne le voie" sans trop en dire. Pas envie qu'elle pense que je la complimente dans un certain but... Même si ça ne me déplairait pas !

Adoptant mon ton de politicienne ratée, je tente de me faire comprendre tout en évitant de parler :

- De ce que j'en ai vu, tu as a priori tout pour toi ! Je veux dire...

De ma main, je fais un geste la désignant, dont je me serais passée si j'avais un tant soit peu de jugeote. Tant qu'on y est, fais la roue autour d'elle et pousse des cris comme les paons, comme ça il n'y aura plus l'ombre d'un doute sur le fait qu'elle te plaît !

Stupide hobbit joufflu !

Elle lève les yeux au ciel en secouant la tête, l'air de ne pas en croire ses oreilles.

- C'est gentil... Je crois ! Mais il y a peut-être des vices cachés qui sait !

- Comme un certain sadisme ? Je pensais qu'il y avait un public pour ce genre de délire !

- Oui la preuve, tu en redemandes !

Non seulement elle évite de répondre, mais elle m'humilie au passage... Elle est très forte ! Hors de question que je me laisse faire ! M’enfin soit dit en passant, si demander est la condition sine qua non pour obtenir le package complet, je peux faire un effort avec le vélo elliptique.

- Et malgré tout tu as savamment orchestré un guet-apens pour m'attirer ici ! Ça en dit long sur mon pseudo consentement !

Elle ouvre grand la bouche, surprise de ma réponse ! Héhé ! Encore une victoire de canard !

- Je te signale que c'est toi qui es venue me parler !

- C'est toi qui m'as dit de rester ! Et t’avais vu ma photo.

- N'importe quoi ! Cette photo est tellement floue que ça aurait pu être toi, Shakira, Pink ou Bernadette Chirac !

Alors là elle exagère ! Shakira je peux comprendre la ressemblance avec cette perruque, mais pas Bernadette !

- Je vais ignorer l'offense qui a été faite et ton évidente mauvaise foi !

Et aussi le sujet épineux...

- Sérieusement, je ne t'avais vraiment pas reconnue ! C'est mon principe, jamais avec les patientes !

Une petite voix dans ma tête me donne envie de lui rappeler que je n'ai presque plus de séances... Mais la grosse trouillarde que je suis la bâillonne bien vite. Comme d’habitude, sur le papier j’ai beaucoup de choses à dire et en face à face il n’y a plus personne. Au revoir courage, bonjour insécurités !

Le serveur revient, nos plats en main. On se souhaite mutuellement bon appétit et commençons à manger. Avec tout ça, je ne sais même pas l’intitulé du plat que j’ai commandé. Après tout on s’en fout, tant que c’est bon…

J’en reviens à la dernière phrase de ma kiné. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle est claire dans ce qu’elle veut et ne veut pas. Comment ruiner mes débuts d'espoir en deux secondes chrono.

Mais du coup, ça m’a coupée net dans mon élan et je me retrouve à ne pas savoir quoi raconter.

Ça fait chier, pour une fois que je rencontre quelqu’un qui me plaît il faut qu’il y ait un élément bloquant !  Sinon c’est pas marrant ! Voyant peut être que je suis calmée dans mon enthousiasme, elle se charge de trouver un changement de sujet bienvenu :

- Et sinon je ne t’ai jamais demandé, tu travailles dans quoi ?

- Dans l’informatique. Je suis web designer.

Ses yeux s’écarquillent et sa bouche s’ouvre dans un « o » parfait. Je crois que je lui en ait bouché un coin pour le coup.

- Je ne t’imaginais pas du tout là-dedans !

- Dans quoi alors ? Laisse-moi deviner : clown dans un cirque ?

Elle me fait un sourire craquant et baisse un peu la tête, comme honteuse d’avouer :

- Quelque chose dans ce goût là…

Ehhh, je disais ça en plaisantant moi ! J’ai beau essayer de me retenir, je sais que j’ai l'air de la fille qui boude. Peut-être parce que c’est le cas, mais c’est un détail.

Elle termine sa bouchée et tente de réparer mon égo brisé :

- Non, mais pas dans un sens péjoratif.

Ah bon ? Parce que depuis le Moyen Âge, être le fou du roi c’est pas franchement un compliment !

Face à mon sourcil levé accompagné d’un air clairement dubitatif, elle explicite :

- Je t’imaginais plus en humoriste ou scénariste de films comiques…

Certes, vu ma tendance à la gaffe je vois d’où peut lui être venue cette idée saugrenue. Mais quand même !

Minute, ça veut dire qu’elle me trouve drôle ?

C’est mon moment de gloire, j’ai au moins une qualité reconnue à ses yeux !!

J’ai très envie de lever les bras au ciel en signe de victoire sur un fond de « we are the champions », mais dans un restaurant ça ne se fait pas vraiment.

Ne sachant pas quoi répondre, qui ne sonne pas plein d’espoir ou prétentieux, je me contente d’un sourire timide et d’un :

- C’est gentil… Je crois. Merci.

Elle repose sa fourchette et reprend :

- Tu sais que ça l’est…

Un silence se fait pendant que je savoure son aveu en même temps que mon repas. Finalement je vais peut-être pouvoir sauver cette soirée !

Comment c’était déjà les conseils de séduction de Baptiste ? Ah oui, faire parler la fille.

Minute…

Mes yeux vont se poser sur mon verre de vin. Il doit être plus fort que je ne le pensais pour que j’envisage de m’inspirer des suggestions de Batou ! L’un dans l’autre, pour lui ça fonctionne !

- Et sinon, excepté faire des cascades, tu aimes quoi ?

Panic on board.

Inès, c’est ta conscience qui te parle. Quoi qu’il arrive, je répète, quoi qu’il arrive, ne réponds surtout pas « les jeux vidéo ». Si ce genre de passion rabattait les filles, ça se saurait. Trouve un truc qui te donne des airs. Tiens, dis que tu adores la lecture, ça passe. Et techniquement des fictions lesbiennes ça compte.

- J’aime… lire ?

Je ne suis visiblement pas la seule à ne pas être convaincue par ma dernière annonce. Anna porte son verre à ses lèvres, me fixant par-dessus le bord. Elle semble savourer le vin, ou peut-être tourner sa langue sept fois dans sa bouche, mais elle finit par demander d'une moue malicieuse :

- T’es sûre ?

- Oui ?

Son sourire s’agrandit.

- Pourquoi toutes tes réponses sonnent comme des questions ?

- Mes réponses sonnent comme des questions ?

Oh mon Dieu pitié que quelqu’un vienne me sortir de ma misère en m’achevant à coups de hache.

Elle m'observe d'un air amusé et je mise tout sur le fait que mon ridicule me fasse marquer des points. Je me racle la gorge, plus pour gagner quelques précieuses secondes pour me composer que par nécessité.

- Et sinon... Excepté concocter des plans me poussant à m'humilier pour ton plaisir personnel, qu'est ce que tu aimes  faire de ton temps libre ?

- Comme si tu avais besoin de moi pour ça...

Hey !! Quand est-ce qu'on est passées d'une ambiance qu'on pourrait qualifier de semi-séductrice à celle où elle se moque ouvertement de moi ?

Ah oui, quand j'ai planté mon drapeau en haut du pourtant très haut Mont Connerie...

Je baisse la tête en réalisant qu'une fois de plus, j'ai certainement ruiné mes chances.

- Et, excepté ça... J'aime les sports aquatiques.

Minute... Excepté ça ? Je lui jette un regard accusateur en l'entendant avouer ses méfaits. Cependant, comme ma maman me l'a appris, je ne la pointe pas du doigt même si c'est très tentant !

À la place, je dévie totalement de ma stratégie habituelle en faisant preuve d'intelligence en m'engouffrant à pieds joints dans le changement de sujet :

- Genre natation synchronisée ?

Elle me regarde d'une manière qui me laisse penser que j'ai commis une énième boulette. Son air est si outré que je jurerais que je viens d'accuser sa mère de proxénétisme. Évidemment, un peu de répit aurait été trop demander...

- Pas vraiment non ! J'ai une tête à faire ça ?

En tout cas elle en a le corps... Me censurant une fois de plus pour mon propre bien, j'opte pour le détournement d'attention.

- Je ne crois pas qu'il y ait de "type", il faut juste de la concentration, de la grâce et être en forme physiquement. Donc ça ne me paraissait pas exclu...

Et voilà comment on complimente une fille avec classe et distinction ! Presque je m'auto embrasse pour me féliciter.

Anna récompense mes efforts par un sourire avant de changer de sujet :

- Je sais pas pour toi, mais mon plat est super bon !

Pendant un quart de seconde, je songe à lui tendre ma fourchette avant de décider que nous sommes loin d'en être à ce stade de partage. En fait, nous sommes loin de toute interaction...

Mais ce n'est pas pour autant que je ne vais pas saisir toute opportunité pour tenter ma chance. Étant donné que l'humour est ma seule option viable, je prends une voix de vieux dragueur et réplique :

- Pas mal, mais nettement moins que la compagnie.

Elle éclate de rire et demande :

- Tu dis ça à toutes les filles pas vrai ?

 Continuant sur ma lancée et mon imitation, j'en rajoute une couche :

- Seulement quand elles sont comme toi poupée !

Elle me jette une miette de pain au visage avant d'annoncer :

- Tu es officiellement irrécupérable !

- Hmmm... Pas l'adjectif que j'aurais choisi, mais merci !

 Ayant fini son assiette, Anna la repousse délicatement sur le côté et demande :

- Perso si j'avale encore une bouchée je vais exploser. Toi ?

- On ne voudrait pas tâcher les murs...

- Non effectivement....

Un peu à contrecoeur, je fais signe au serveur de nous apporter l'addition. D'un côté, je suis soulagée que ce "non-rencard" se termine mieux qu'il n'a débuté, de l'autre... je n'ai pas envie de la laisser partir.

On se retrouve à l'extérieur accompagnées d'un silence gêné.

Elle est la première à sortir de la torpeur, mettant ses mains dans ses poches pour annoncer :

- Bon... Merci pour la soirée.

- Merci à toi. Désolée de...

Comment je pourrais dire ça ?

- ... de ne pas être celle que tu attendais.

Mon but n'était pas de faire pitié, mais c'est pourtant ce que j'ai réussi à accomplir. Bien joué Inès !

Elle me prend la main et la serre, avant de la relâcher en lançant d'un ton léger :

- Au contraire, tu m'as probablement sauvée, tu n'es pas la première de ce site que je rencontre, mais tu es la seule avec qui j'ai passé un bon moment !

- C'est gentil. T'es venue comment ?

- En tram, j'habite pas loin de Saint-Michel.

- Si tu veux je te ramène, c'est à peu près sur ma route.

Elle me regarde d'un air indéchiffrable avant de dire sur le ton de la plaisanterie :

- Hmm... je sais pas trop, il paraît qu'il ne faut pas monter en voiture avec des inconnues !

- Heyyy je suis pas une inconnue, mais ta patiente préférée !

- Je vais la tuer.

- Maintenant c'est moi qui me demande s'il est bien sage de prendre une future meurtrière dans mon véhicule...

Elle lève les yeux au ciel et m'ordonne :

- Allez, amène-moi à ta voiture, je te suis !

Elle s'installe sur le siège passager et le seul blaireau qui n'a pas saisi que cette fille n'était pas ma prochaine petite amie est mon idiot de coeur. On fait la route en silence et elle m'indique que je peux la déposer à l'entrée de son quartier.

Le moment de dire au revoir est arrivé.

On se regarde en chiens de faïence et elle se penche en même temps que moi. Ma main va instinctivement se glisser dans sa nuque et c'est les yeux fermés que je sens ses lèvres sur mes joues. La bise... Et un gros vent.

Elle se recule et me fait un petit sourire gêné. J'essaie de faire en sorte que celui que je lui fais en retour ne paraisse pas empli de déception. Et pourtant.

Je l'observe s'éloigner à la lueur des lampadaires puis disparaître sans même un regard en arrière.

C'est pas facile de mettre une croix sur quelqu'un qui nous plaît.

Je redémarre dans un soupir.

Une opportunité manquée de plus. 

22 février 2016

Chapitre 3 : Perky

Pile a l’heure, short et sous-vêtements non risibles prêts, je franchis la porte vitrée et me rends à l’accueil ; sûre de moi. La catastrophe de l’autre fois ne se produira plus :

- Bonjour.

- Bonjour Madame MARIZY ! Comment ça va, vous gambadez presque dites-moi!? 

Au vu du sourire en coin de la réceptionniste, je sais que ma démarche canardesque n’a pas échappé à son œil averti. Malgré tout, je fais comme si de rien n’était. J’ai confiance en mon sex appeal naturel en toutes circonstances. Sûrement à tort, mais c’est une autre histoire.

- N’exagérons rien, ça va mieux, mais c’est encore loin d’être fini et mon petit doigt me dit que vous le savez très bien.

Pour toute réponse, elle se contente d’une moue innocente.

Mouais, on ne me la fait pas à moi. Je la vois prendre une grande inspiration, mais cette fois-ci je sais à quoi m’attendre et me bouche les oreilles :

- ANNA, ta patiente préférée est arrivéééééée !

Ah ben non, la dernière partie était inattendue. Tiens donc ! Elle dit ça à cause de la dernière fois ? Voulant le déterminer, je tente ma chance :

- La pauvre... Je vais finir par y croire méfiez-vous.

- Vous devriez, elle ne m’a dit que du bien de vous.

Opportuniste et surtout curieuse, je ne vais pas rater une occasion pareille de glaner quelques informations :

- Et de quel degré de renseignement disposez-vous Mrs BOND ?

Je ponctue ma question d’un sourire joueur et séducteur, convaincue qu’il va m’apporter des réponses. 

La kiné arrive en courant à moitié et m’attrape par l’épaule pour m’entraîner loin de mon informatrice :

- Elle ne sait rien !

Son affirmation serait nettement plus crédible si elle n’était pas en train d’essayer de m’éloigner à toute vitesse. La secrétaire m’en donne d’ailleurs la confirmation.

- Ne l’écoutez pas, je suis dans les confidences de la reine ! On en parle quand vous voulez !

La porte claque derrière nous et je ne peux pas me retenir de rire lorsque la kiné s’exclame d’un air faussement menaçant :

- Je vous interdis d’essayer d’acheter mes employés !

- Ah, donc c’est vous la reine ? Et qui a parlé d’acheter ? C’était à titre gratuit ! Pour me remercier de ma sympathie légendaire !

- Rien que ça ? Ça va les chevilles ?

Me la pétant, je baisse mon pantalon, sans accroc cette fois et lui annonce toute fière :

- Vous allez pouvoir constater par vous-même l’étendue de leur perfection!

Je pousse même le vice jusqu’à m’asseoir sur la table et lever la jambe à hauteur de son visage. Alors ? Alors ? J’ai la classe ou j’ai la classe ?

Elle me regarde en secouant la tête, mi-perplexe, mi-blasée, mais clairement amusée :

- Et bien, j’en connais une qui a la forme ! Une raison particulière à cela ?

- La joie d’avoir potentiellement trouvé une informatrice qui pourra m’avouer tous vos travers !

Elle s’approche de la table et c’est à son tour de se la raconter :

- Si c’est ça, elle ne va pas avoir grand-chose à dire.

Elle fait mine de polir ses ongles sur son uniforme, puis de souffler dessus. J’aurais cru que c’était le genre à mettre du vernis. Mais non. Bizarre. Peut-être n’en met-elle pas pour des raisons d’hygiène ? En tout cas elle a de jolies mains…

Concentre-toi, t’es là pour les infos je te signale :

- On verra, on verra. En tout cas vous aviez l’air drôlement pressée de m’éloigner d’elle !

- Diviser pour mieux régner dirait le sénat.

- N’importe quoi ! Vaut mieux entendre ça que d’être sourde, mais pas de beaucoup !

À mon grand désespoir, le massage est vite expédié et elle quitte la pièce. L’absence de ses mains sur ma cuisse me laisse une curieuse sensation de vide. Je me demande à quoi c’est dû. D’habitude quand des « inconnus » me touchent j’ai tendance à devoir faire un effort pour ne pas me crisper. Ce genre de réaction totalement opposée ne me ressemble pas, sauf avec mes amis proches.

Et pour tout dire ça m’inquiète un peu. J’espère que mon cœur n’est pas au courant de quelque chose que ma tête ignore…

Elle revient avec une variante du labyrinthe du minotaure.

Je regarde l’espèce de tablette bleue posée sur une demi-sphère d’un œil méfiant, me demandant bien son utilité. On dirait une soucoupe volante posée sur le toit, le labyrinthe en plus.

 Elle me tend la main et malgré les cris d’alarme de mon bon sens, je la saisis et m’approche de l’objet infernal.

- C’est quoi ça ?

 Le dédain est clairement exprimé dans le ton de ma voix ainsi que dans mon doigt pointé vers le truc, mais elle l’ignore totalement et m’explique le principe :

 - Montez dessus.

 Pour vous donner un ordre d’idée, je fais la tête d’une femme à qui l’on vient d’annoncer qu’elle doit traverser le Grand Canyon sur un filin, sans filet, les yeux bandés et sur les mains.

 - Vous plaisantez ? C’est une demi-sphère !!! …

 Son absence de réaction, même devant mes yeux écarquillés, me pousse à expliciter :

 - Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, mon niveau d’équilibre approche le néant !

 - Justement, on va y remédier. Mettez vos pieds de part et d’autre.

Effectivement, il y a l’air d’avoir deux espaces antidérapants qui pourraient ou ne pourraient pas être destinés à la pose de pieds. Décidant qu’il vaut mieux prévenir que guérir, je préfère m’assurer d’une chose et m’enquiers d’un air soupçonneux:

- Vous n’essaieriez pas de me briser un autre membre pour me garder plus longtemps par hasard ?

 - Madame MARIZY…

Quoi ? Ça valait le coup d’essayer et il paraît que l’espoir fait vivre, contrairement à cette chose. Voyant que son ton sévère et la menace qu’elle a sous-entendue me laissent de marbre, elle change de tactique :

- Vous me faites confiance ?

Argh, elle m’a eue. Je ne peux décemment pas dire « non ». En plus elle triche en ponctuant sa question d’un sourire. Je ne peux rien lui refuser quand elle fait ça et je crois qu’elle le sait !

Voyant que je suis en train de cogiter, elle attend bien sagement ma réponse, son sourire s’agrandissant encore pour faire apparaître ses fossettes.

Obligé elle est au courant. C’est dégueulasse ce genre de coup bas ! Mais je ne m’avoue pas vaincue pour autant :

- Oui… Mais d’un autre côté, il parait que je suis vraiment votre patiente préférée alors je me méfie…

Elle soupire et murmure un limpide « je vais la tuer » avant de m’ordonner de monter. Bizarrement, cette menace ne m’inquiète pas. Elle était sûrement adressée à sa secrétaire, après tout je suis « sa patiente préférée », elle n’oserait pas m’achever ! Héhéhé !

Ayant été suffisamment chiante pour un jour, je m’exécute, non sans m’appuyer allègrement sur la kiné, partiellement parce que j’ai peur de choir et partiellement à titre de vengeance préventive. Je ne sais pas pourquoi je ne le sens pas ce coup-là.

L’espace d’un instant, je suis envahie par une vague de terreur en sentant la précarité de mon perchoir. Je n’ai qu’une envie, m’agripper au premier truc stable à proximité comme une moule à son rocher et ne jamais lâcher. Mais ça c’était avant que je réalise dans quelle position ça nous mettrait… M’appuyer c’est une chose, ça c’en serait une tout autre !

Une fois mon calme et un semblant de stabilité trouvé, elle me force à la laisser partir et s’agenouille devant moi. Qu’une chose soit claire : si elle me pousse, je la tue !

Si elle me rate, ça se passerait mal, si elle réussit son coup je reviendrais la hanter. Win win pour moi alors faites pas n’imp  Madame LEROI !

Ne faisant rien de tout ça, elle place une bille de métal au début du labyrinthe et se redresse.

- Voilà. L’exercice consiste à amener la boule au centre. C’est une manière de travailler votre centre de gravité.

J’ai droit aux mains ? Nan parce qu’elle est marrante, mais je n’ai pas des jambes musclées de 15 km de long moi !

Peu convaincue, je décide néanmoins d’essayer. Elle doit savoir ce qu’elle fait. D’un autre côté… Je n’ai jamais vu ses diplômes ! Enfin elle doit en avoir. J’imagine. Je crois. Nan… c’est obligé ! Hein que ça l’est ?

Est-ce qu’elle est seulement au courant qu’il y’a une surface ronde sous la planche ?

Ne m’ayant pas donné de raison de douter d’elle, je prends tout mon courage (soit 1 cent-millième de celui d’un individu normalement constitué) à deux mains et tente ma chance.

Je dois dire que je suis plutôt fière de moi. Je ne me brise pas les quenottes les deux premières secondes. Mais c’est en voulant mettre le pied vers l’avant que je suis prise d’une douleur au genou. Étant un peu chochotte, j’ai un réflexe assez violent et m’imagine déjà édentée vu la vitesse à laquelle le sol se rapproche.

Heureusement, cette kiné-ci reste avec ses patients et elle me rattrape avec délicatesse avant que je ne m’étale. Décidément, ce genre de situation à la con devient une habitude. Elle me repousse délicatement pour m’aider à me redresser et n’hésite pas une seconde à se moquer :

- Méfiez-vous, si vous vous jetez trop souvent en direction du sol, je vais finir par savoir que vous le faites exprès ! Vous avez un désir de ravalement de façade ?

Je suis sûre que dans sa tête elle a pensé « si vous vous jetez dans mes bras », mais n’a pas osé le dire. En tout cas ce n’est certainement pas moi qui vais le relever.

- Oui, je voudrais bien me faire refaire un sourire à vos frais…

Elle secoue la tête en riant, jusqu’à ce que j’annonce :

- Plus sérieusement, je me suis fait mal ! Ça tire énormément lorsque je prends appui en mettant le bout du pied vers le bas.

Sa réaction ne se fait pas attendre. Elle passe mon bras sur son épaule et me demande de tester doucement ma jambe pour voir si je peux marcher sans douleur.

Voyant qu’il n’y a pas de problème, elle m’accompagne précautionneusement jusqu’à la table. Une fois assurée que je suis bien assise et ne peux pas me blesser davantage, elle se recule. Je l’observe discrètement et la manière dont elle fronce les sourcils l’air tout concentré est absolument trognon.

Ce qu’elle dit ensuite l’est beaucoup moins :

- Visiblement, j’ai eu tort de croire que vous étiez prête. Je pense qu’il faut encore vous muscler avant de passer aux exercices d’équilibre. Pour la prochaine séance, on tablera plutôt sur le vélo elliptique. Mais aujourd’hui on va faire quelques étirements et travailler tout en douceur.

Oh non ! Je hais le vélo ! Si je pouvais, je me mettrais à genoux pour la supplier, mais n’ai pas envie de le tenter tout de suite étant donné que ça me lance encore un peu. Remarque, vu mon état ça me vaudrait certainement quelques séances supplémentaires avec elle...

Et certainement encore plus de vélo.

On oublie.

Du coup, j’opte pour le bluff :

- Nan, mais je plaisantais hein, ça va nickel, j’ai pas mal !

Elle m’aurait crue à coup sûr … Si le fait de tendre la jambe ne m’avait pas lancé, provoquant une grimace de douleur. Bon ben… Vélo elliptique…

 

*          *          *          *          *          *

 

-  C'est ridicule je te dis !

- Tais-toi et apprends, gueuse!

Je secoue la tête de gauche à droite, clairement dubitative.

Baptiste me glisse la laisse dans la main.

- Tu verras, le chien va attirer les lesbiennes comme un jeune papa au parc attire les femmes !

Mes yeux vont machinalement se poser sur Perky, un abominable chihuahua affublé d´une doudoune rose.

La seule chose que ce bidule va attirer, c'est les ennuis je le sens.

- Qu'est-ce que tu veux que je fasse de ça ? Un remake de Paris Hilton au parc ?

- Mais tu n'y connais rien je te dis ! Les lesbiennes aiment les chiens, je l'ai compris en regardant les avatars sur le site afterellen !

- Ah bah si Monsieur a consulté l'Internet, on est sauvés ! N'empêche que je ne suis pas convaincue que le modèle micro-chien kitsch soit celui le plus prisé ! Un labrador à la limite...

Il balaie mes remarques d'un revers de main et s'exclame :

- Faut savoir s'accommoder de ce qu'on a !

- On peut pas au moins lui retirer son manteau ?

A voir son visage, on pourrait croire que je lui ai suggéré de l'empailler :

- T'es dingue, s'il prend froid ma tante me tuera !

Croyant voir une échappatoire, je me lance :

- Je ne voudrais pas qu'elle s'inquiète pour sa santé, tu devrais lui ramener !

Pleine d'espoir, je m'empare de Perky et tente de lui refourguer l'animal. Il esquive et me pousse dans le dos, clairement déterminé à me faire subir une énième humiliation.

Défaite, je dépose le chihuahua et me mets en route, non sans honte.

Pour ne pas que l'on nous pense ensemble (version officielle), ou peut-être pour mater mon cul (version plus réaliste), Baptiste marche un peu derrière moi, ce qui fait qu'il a l'air d'un vieux pervers qui me suit.

- Ça n'a aucune chance de fonctionner.

- Sois belle et tais-toi. Regarde, il y en a une qui arrive.

Au loin, j'aperçois une jolie joggeuse qui court dans notre direction accompagnée d'un gros berger allemand.

Alors qu'elle s'approche, la chose au bout de ma laisse devient folle et se met à aboyer en direction du berger allemand. Mes yeux sont ronds en voyant la scène surréaliste qui se déroule.

L'animal s'agite tellement que la moumoute synthétique rose me fait mal aux yeux. C'est petit, mais ça a de l'énergie !!

Il a envie de mourir ou quoi ?

La joggeuse semble ralentir et pendant un instant je crains que Baptiste n'ait raison quant au pouvoir du chien. Ça  signifierait que je n'en entendrais jamais la fin alors je prie pour que ça ne soit pas le cas.

Heureusement, du moins si on veut, en passant à ma hauteur elle se contente de ricaner  en lançant :

- Ouhhh, attention à la bête féroce, il lui faut une muselière !

Alors que je me retourne pour croiser le regard de Baptiste l'air de dire "t'as vu, je te l'avais bien dit que ton plan était merdique", j'entends un vrai aboiement, suivi d'un drôle de bruit.

Pourvu qu'il n'ait pas bouffé Perky !

Mes yeux vont lentement se reposer sur mon nouvel atout séduction et ce que je vois me fait me dire que finalement, il aurait peut-être été souhaitable qu'il se fasse croquer.

Car oui.

La terreur que je promène s'est fait une grosse frayeur et s'est visiblement "oubliée" au passage.

Si je récapitule, non seulement je trimbale au bout d'une laisse un chien qui n'a RIEN d'impressionnant, mais l'animal est habillé d'un habit en fourrure synthétique de couleur fushia ET a en plus le pompon moucheté.

C'est sûr, ce soir je pécho !

Derrière moi, mon pseudo coach se marre ostensiblement ce qui provoque en moi une sérieuse envie de meurtre.

J'attends qu'il arrive à ma hauteur pour dire :

- Je pense qu'il est clair que c'est un échec... On peut rentrer maintenant ?

Il hausse les épaules et répond :

- Ça valait le coup de tester. Sur le papier ça le faisait !

- Ni sur le papier, ni ailleurs ! Par pitié, n'essaie plus de m'aider !

Nous suivons en silence le chemin emprunté par de nombreux promeneurs. Bien évidemment, ma chance légendaire veut que Perky ne se sente plus l'âme guerrière et tente de se cacher derrière mes jambes dès que quelqu'un s'approche.

Alors que j'effectue une énième version de danse de la gigue pour éviter tout contact entre lui, la matière fécale odorante qui macule son arrière-train et mes jambes nues, j'entends Baptiste annoncer d'un ton très sérieux :

- On s'inquiète pour toi avec Lulu...

Ne sachant pas quoi répondre, je ne dis rien et me penche pour me saisir du monstre et lui essuyer grossièrement le popotin dans des hautes herbes.

- Faut pas.

Il s'accroupit à mes côtés et me tend un paquet de mouchoirs.

- C'est pour le chien ou moi ?

- Les deux !

J'attrape un mouchoir et m'occupe du gros bébé. Enfin une bonne nouvelle, ça part facilement.

Je hausse les épaules en soupirant.

- En même temps, être célibataire n'est pas le drame que vous en faites...

- On veut juste te voir heureuse.

- [...] Je sais bien. Mais vous me mettez la pression... Ça n'aide pas.

Je marque un court silence et lui dis vraiment ce que je pense :

- Moi je suis pas comme vous. Je ne sais pas comment m'y prendre, je ne plais pas aux gens, j'ai pas ce "truc" !

On se relève à l'unisson et il entoure directement mes épaules de son bras dans un geste amical :

- C'est ça ton problème. T'as tout pour toi et tu ne le vois même pas ! [...] Désolé si on te stresse avec notre enthousiasme, je vais tenter de faire gaffe... Le truc, c'est que t'es celle de qui je suis le plus proche, j'aimerais que tu trouves la bonne personne.

J'acquiesce, comprenant où il veut en venir. Il continue sur sa lancée :

- Y a pas de gens qui ont un "truc" et d'autres qui n'ont rien. Tout le monde est différent et si t'étais pas si "toi", bah tu serais pas si bien.

- T'es mignon.

- Je déconne pas ! Chaque pot à son couvercle.

- Charmant !

Son visage prend ce fameux air "éclair de génie" et j'ai peur d'entendre les mots qui vont sortir de sa bouche :

- D'ailleurs, tu te souviens de mon cousin ?

Je lève un sourcil :

- Lequel, le beau gosse ou celui un peu... Qui a eu son brevet des collèges de justesse à 21 ans ?

- Le deuxième ! Bah figure-toi que je vais à son mariage ce week-end ! Si ça c'est pas un beau message d'espoir !

- Pas pour l'humanité !

- Nan, mais ce que je veux dire, c'est que si lui a trouvé, il n'y a pas de raison que toi tu ne trouves pas !

-.- Salopard !

- Tu réalises que c'est la comparaison la moins flatteuse que j'ai jamais entendue ? T'as ruiné ton speech d'avant là !

- Rohhhh, si tu prends tout de travers aussi !!!

Décidant que c'est de bonne guerre, je m'empare de Perky et lui fourre dans les bras avant de reprendre mon chemin. Pas de raison qu'il y ait que moi qui profite ! J'ignore son cri de dégoût et lance par-dessus mon épaule :

- Excuse-moi de ne pas aimer être mise au niveau de Monsieur "bercé trop près du mur !"

- J'ai de la crotte sur mon T-shirt ! Reviens ici !

Voyant que je ne ralentis pas le moins du monde, il continue :

- Ingrate ! C'est la dernière fois que j'essaie de t'aider !

- Halléluja !

 

*          *          *          *          *          *

 

C'est mon avant-dernière séance aujourd'hui.

Techniquement c'est cool, ça veut dire que je me sens mieux et que je pourrais bientôt oublier l'épisode désastreux qui m'a amenée là.

De l'autre... j’aime vraiment bien ma kiné. C'est stupide, mais j'ai l'impression de rendre visite une pote, pas de me faire soigner. Elle est gentille, sympa, jolie ce qui ne gâche rien et ne s’est pas enfuie en courant devant mes maladresses.

Je suis presque triste de savoir que je ne vais plus venir ici. Et ce n’est certainement pas le vélo elliptique ni blaireau MAURON qui vont me manquer.

- Bonjour Madame MARIZY !

- Bonjour ! Comment allez-vous ?

La secrétaire me fait un grand sourire et rétorque :

- C'est vendredi, il fait beau, Monsieur MAURON n'est pas là, tout va pour le mieux !

Je rigole en secouant la tête :

- Vous ne le portez pas dans votre cœur décidément...

La réponse vient de derrière moi :

- C'est un doux euphémisme !

Faisant fi de l’état de mes articulations, j'opère une périlleuse volte-face pour me retrouver nez à nez avec ma kiné, un sourire coupable aux lèvres.  J’espère que je n’ai pas grillé la réceptionniste.

Elle hausse les sourcils et ajoute :

- ... Bonjour.

- Bonjour !

Je me retourne vers la secrétaire, un peu la peur au ventre, de crainte d'en avoir trop dit :

- Pardon, je... Ça ne me regarde pas !

Elle lève la paume de sa main, comme pour me signifier "no big deal" :

- Ce n'est pas un secret. Et puis elle n'est pas du genre à parler !

La kiné fait mine d’observer le plafond et embraye dans un :

- Qui ?  Quoi ? Je n'ai rien entendu ! Bon, trêve de bavardages, il est temps de s'y mettre si on veut faire un cygne d'un certain petit canard !

- Hey !

Glissant sa main dans mon dos, elle me guide en direction des salles de soin. Ne résistant pas à la tentation, je me retourne vers l'accueil pour rappeler quelque chose au bon souvenir de tout le monde :

- D'ailleurs, en parlant de commérages, j'attends toujours les révélations concernant la patiente préférée de Madame LEROI !

Doigt pointé vers son employée, la kiné se contente d'un :

- Ton silence contre le mien !

Rabat-joie !

Si seulement je pouvais être une petite souris pour espionner leurs conversations… Je suis sûre que j’en apprendrais de belles. L’image d’une tapette traverse mon esprit et l’idée présente soudainement beaucoup moins de charme. Va falloir trouver un autre moyen !

Ça doit quand même être cool de l'avoir comme patronne !

Elle referme la porte derrière nous, nous isolant effectivement du bruit. Le soleil illumine la pièce et j'irais volontiers me promener à la place de faire mes exercices.

Connaissant la routine, je me dévêtis et vais m'installer sur la table.

Elle s'approche en silence et attrape sa crème.

- Vous vous connaissiez avant qu’elle ne vienne aider au cabinet ? Avec votre...

Je lui indique la direction de l'accueil, ne sachant pas si "secrétaire" est le terme adéquat.

Elle hoche la tête, confirmant mes soupçons :

- Oui, on a fait une partie de notre scolarité ensemble. Quand j'ai a repris la moitié de l’affaire suite au départ en retraite de mon prédécesseur, elle cherchait un travail... Longue histoire, mais au final je l'ai embauchée.

- Cool.

Ça explique bien des choses. Le roi des blaireaux n’est qu’à demi propriétaire et comme elle est dans les bonnes grâces d'Anna il ne peut trop rien lui faire...

Elle entreprend l'habituel massage dans un certain silence. C’est bizarre. D’ordinaire elle est plutôt bavarde et elle avait l’air de bonne humeur un peu plus tôt.

J'ai envie de lui poser un tas de questions sur elle. Ce qu'elle aime, ses hobbies, quel genre de musique elle écoute... Mais j'ai trop peur de dépasser les limites de ma condition de patiente et me tais. La dernière chose dont j’ai besoin, c’est qu’elle me remette à ma place.

Mes yeux vont se poser sur elle, profitant de sa concentration pour l'observer discrètement.

Ses cheveux sont attachés dans une queue de cheval lâche et elle a ce côté "je ne me suis pas coiffée, mais sur moi ça rend bien" qu'ont certaines nanas. Oui ça m'énerve, c'est pas juste ! Moi quand je ne m'occupe pas du désastre capillaire qui trône sur ma tête j'ai l'air d'avoir pris la foudre ! Et elle non, ça rend super bien ! Bah voyons. Je ne sais pas si je dois être jalouse ou admirative.

Évidemment, elle finit par me regarder, réalisant un parfait flagrant délit.

- Quoi ?

- Rien rien.

Rien rien ? Sérieusement Inès ? Si tu veux paraître coupable, c'est exactement le truc à dire ! Sifflote d'un air détaché tant que tu y es ! Fais quelque chose maintenant, détourne l'attention tiens :

- Faites-moi peur : à quel programme de torture vais-je avoir le droit aujourd'hui ?

La teinte rosée qu’ont prise ses pommettes perd de sa vigueur. Même si elle m’a surprise à l’observer comme une bête de foire, elle n’insiste pas pour en savoir plus et je ne sais pas si je suis soulagée ou déçue. Ça montrerait que je lui importe…

Au lieu de ça, elle mord à l’hameçon de mon changement de sujet et lève les yeux au ciel :

- Torture tout de suite... Pas de ma faute si vous faites une allergie à l'effort !

Alors si je m’attendais à ça ! Elle est culottée, j’aurais pu mal le prendre. Étant donné qu’elle ponctue sa réplique d’un sourire sincère, je sais que c’est dit sur le ton de la plaisanterie et rétorque à mon tour d’un air séducteur :

- Ça va dépendre de l’effort ! Et de la motivation qu’on m’apporte…

Je pensais faire mouche et l’amuser, mais une lueur sombre passe dans ses yeux et elle répond plus sèchement :

- Tous les exercices habituels. Vous manquez de masse musculaire au niveau des cuisses. Je n’ai pas encore le niveau de gainage nécessaire. Et il faut travailler la souplesse de votre coude.

Euh…

Qu’est-ce que j’ai fait ? C’était une blague !

Les activités s’enchaînent et se ressemblent. Toutes ont un point commun : elles relèvent de la torture. Elle est franchement distante et je ne comprends pas pourquoi. Oui ok j’ai fait mine de flirter, mais c’était une boutade !

Le pire c’est que sa réaction me perturbe, donc je suis distraite, donc elle m’engueule ! C’est un cercle vicieux, il faut arrêter ça !

N’y tenant plus, je m’empare d’une de ses mains pour attirer son attention. Elle écarquille immédiatement les yeux et me fixe d’un air curieux, sans pour autant retirer sa main. Oubliant toute estime de soi, je lance :

- Je suis désolée ! Quoi qui, dans ma plaisanterie, a pu vous vexer, je m’en excuse. C’était une blague.

Elle reste silencieuse un moment et je me demande si j’ai bien fait. Ne voulant pas influencer sa réponse, je libère sa main à contrecœur.

Après quelques instants pendant lesquels je m’attends à me faire jeter comme une crotte, elle finit par me faire un sourire resplendissant et c’est comme si l’on ôtait un poids de mes épaules :

- Il n’y a pas de mal, c’est moi. Ça m’a juste… surprise. Je n’avais pas réalisé que mon comportement avait changé.

Soit elle est vraiment bigleuse, soit elle ment. Et je penche plus pour la seconde option.

Même si je pense déjà connaître la réponse (à savoir celle qui ne m’arrange pas), j’ai envie de demander si c’est une bonne ou une mauvaise surprise. Mais une fois n’est pas coutume je m’abstiens bien sagement et je n’en suis pas peu fière. Pas plus d’une boulette par jour, inutile de réitérer mon exploit !

Heureuse d’avoir éclairci les choses, je lui tends ma main :

- On fait la paix ?

Elle s’en empare sans hésitation, me la secouant d’une poigne ferme, un large sourire aux lèvres.

- On fait la paix. Mais il n’y avait pas de guerre.

- Roohhh, vous m’avez comprise.

- Vous êtes sûre de ça ?

Cette femme aura raison de moi, c’est moi qui vous le dis !

 

22 février 2016

Chapitre 2 : Libertinage

Mes doigts pianotent rapidement sur mon smartphone adressant le message à Baptiste :

J'arrive pas à croire que je me sois laissée convaincre ! Je m'étais promis de ne jamais faire de rencontres sur le net !

Une fois au point de rendez-vous, je trépigne, partagée entre l'espoir que mon rencard d'un soir me pose un lapin et l'envie d'y croire malgré tout. Ils ont beau être chiants, ils ont raison sur le fait qu'il faut que je rencontre quelqu'un. Pas pour les apparences, mais parce que je me sens seule voilà tout ! Mon regard scrute les environs à la recherche d'une brune avec un haut rouge.

T'avais qu'à te bouger avant on n’en serait pas arrivés là ! Si ça se trouve ça va être une bonne surprise !

- Salut !

Je relève la tête et me trouve nez à nez avec l'homologue féminin de Sébastien Chabal. Carrure et barbe comprises. Effectivement, la surprise est de mise, bonne pas vraiment. Honnêtement si le physique n'arrive pas en pole position de mes critères de sélection, l'évident excès de testostérone présente un gros gros frein !

- Euh... Salut.

- Tu n'as pas trop attendu j'espère ?! On va se boire un verre ?

- Non non ne t'en fais pas ! Oui, pas de problème !

Elle passe devant, ce qui me permet d'annoncer la couleur à Baptiste :

Je vais te tuer !

Je mentirais si je disais qu'elle n'est pas super sympa, mais après vingt minutes à me demander sous quel angle elle a bien pu prendre ses photos pour apparaître séduisante, force est de constater que l'attirance n'est pas là ! En même temps ça n'est pas vraiment une surprise vu ma réaction initiale...

Mes méninges travaillent à toute vitesse pour tenter de trouver comment lui faire savoir que je ne suis pas intéressée et m'éclipser, mais rien ne vient. Évidemment, pas le moindre éclair de génie à l'horizon quand on en a besoin!

Juste au moment où j'envisage la défenestration, une silhouette familière attire mon attention. Ne voulant pas être plus impolie que je ne l'ai déjà été, je n'ose pas trop scruter la personne dos à moi et à présent en train de commander au bar.

Quand elle fait volte-face et m’adresse un sourire complice, je ne sais pas si je dois être effrayée ou soulagée de voir Lucie.

Alors qu'elle s'approche d'un pas bien trop déterminé pour être rassurant, j'opte pour la terreur ! Qu'est-ce qu'elle fait ?

Sans même demander quoi que ce soit, elle s'empare d'une chaise et s'assied à notre table, martini en main. Mes yeux sont écarquillés, attendant de voir de quoi il retourne et craignant un peu que mon amie rugbywoman ne lui fasse un plaquage.

Dès qu'elle ouvre la bouche, j'espère que c'est à moi que mon rencard va s'en prendre, histoire de me sortir de ma misère. S'adressant à moi dans un premier temps, elle dit :

- Eh bien, tu ne perds pas de temps mon cœur, je sais bien qu'on est d'accord pour une relation libre, mais ça s'est seulement décidé il y a quelques jours...

Une fois sa bombe lâchée de manière à ce que la femme Cro-Magnon face à moi puisse interpréter de manière totalement erronée ma réaction, elle se tourne vers celle-ci et lui tend la main :

- Bonjour, je me présente, Lucie, enchantée !

Se prenant un vent monumental, elle ramène sa main à son verre et se contente d'avoir l'air incroyablement belle et détendue.

Les yeux de mon rencard alternent entre ma pseudo chérie qui se trouve être canon et moi qui joue à merveille la fille mal à l'aise. Autant dire que mes talents d'actrice n'ont rien à voir là-dedans !

Finalement, les sourcils de ma prétendante se froncent et j'entends les pattes de sa chaise frotter contre le sol alors qu'elle se met debout. J'ai vraiment peur de me prendre un raffut, mais elle se contente de saisir le verre de Perrier à moitié plein du monsieur à la table d'à côté et de me le jeter au visage...

Ça, c'est fait !

Lucie l'observe partir d'un air outré ce qui me laisse penser qu'elle compatit. Ces espoirs la aussi s'envolent en fumée lorsqu'elle explose de rire à peine Madame Chabal sortie du bar.

Elle récupère la rondelle de citron coincée dans mes cheveux et la dépose dans le verre avant de s'adresser au voisin de table :

- Je vais vous en chercher un autre, j'arrive tout de suite.

Quant à moi je me contente de rester là, sentant l’eau glacée dégouliner partout et bien trop blasée pour y faire quoi que ce soit.

Au moins je suis tirée d'affaire !

Lucie revient, place délicatement le Perrier sur la table d'à côté et me jette un torchon en pleine face.

Priant pour qu'il soit propre, j'éponge un maximum de liquide tout en espérant que la honte vienne avec.

Une fois à peu près séchée, mes yeux fusillent Lucie qui sirote tranquillement son verre, jusqu'à ce qu'elle finisse par dire :

- Quoi ? Les mots que tu cherches sont "Tu es vraiment merveilleuse, merci de m'avoir tirée de ce rencard de la mort avec autant de brio".

Je hausse un sourcil :

- Vraiment ? Tout allait pour le mieux je te signale !

Ma phrase la laisse visiblement on ne peut plus dubitative :

- Tu veux que je la rappelle ?

Plus rapide qu'une pom pom girl à l'apogée de sa carrière, je lève les mains dans un geste entre stop et "par pitié tout, mais pas ça !".

- Pas besoin ! Mais je persiste à dire que j'aurais très bien pu m'en sortir seule !

- T'avais l'air en totale maîtrise tiens ! Mais bon ça s'est bien passé et ça a été beaucoup plus simple que prévu.

- Bien passé ? BIEN PASSÉ ? Non seulement je passe pour une belle garce, mais en plus je me suis pris un demi-litre d'eau en pleine face et en public !

Mon regard assassin ne l'empêche absolument pas de se bidonner à mes dépens et elle signe son arrêt de mort lorsqu'elle ajoute :

- T'exagères, c'était à peine un fond de verre !

Ni une ni deux, j'attrape le torchon trempé dans la ferme intention de le lui faire bouffer !

 

*          *          *          *          *          *

Bizarrement, depuis que le tortionnaire n’est plus invité à prendre part à mes séances de kiné, je m’y rends bien plus volontiers ! Je n’ai fait qu’une seule session avec ma sauveuse, mais je l’apprécie, elle est franchement cool. Elle arrive à me mettre en confiance et on a bien déconné ! Et –soit dit entre nous- quitte à me faire tripoter, j’aime autant que ça soit par elle !

Maintenant que je le sais, c’est avec un short en dessous de mon immonde pantalon que je me présente à l’accueil du cabinet. La réceptionniste aux allures punk est toujours présente, les cheveux plus roses que jamais.

- Bonjour ! ANNA madame MARIZY est là !

Elle se retourne vers moi d’un air naturel alors même que je suis épatée qu’une beuglante pareille puisse sortir d’un si petit corps.  Son ton doux contraste étonnamment avec le son qu’elle vient de pousser :

- Elle ne va pas tarder.

Je lui fais un sourire et guette l’embrasure de la porte. Effectivement, quelques secondes plus tard la kiné fait son apparition. Le col mao de sa tenue est entrouvert et elle est un peu échevelée. Pour ne rien cacher, ça la rend assez sexy, mais me fait me poser des questions sur le genre d’activités qu’elle entreprend dans les pièces du fond. Et surtout, comment on y a droit ?

À ma vue, elle fait un sourire radieux qui illumine son visage et s’approche d’un pas léger. J’apprécie le fait qu’elle vienne toujours me chercher à l’accueil, même si je suis à présent beaucoup plus mobile. Elle pourrait tout à fait m’attendre dans la salle de soins qu’on occupe à chaque fois, mais non, elle se déplace. Car elle est gentille ! Ou zélée. Elle se présente, un large sourire aux lèvres. Non, clairement parce qu’elle est sympa. Je hausse les sourcils en l’entendant me saluer :

- Bonjour, comment va ma patiente préférée ?

- Bonjour ! Fort bien depuis que ma kiné favorite est arrivée !

Nous sommes interrompues dans notre joute verbale par la secrétaire qui nous chasse sans préavis :

- Bon c’est fini l’échange de flatteries là ? Y’en a qui aimeraient bosser !

Madame LEROI sourit et secoue la tête de gauche à droite, incrédule. Elle passe délicatement sa main dans mon dos pour me guider vers les salles de soin. Son contact m’extirpe un léger frisson qui remonte sans pitié le long de ma colonne. Pour faire celle qui ne se fait pas de films, ou peut être bien pour me convaincre moi-même et m’empêcher de m’emballer, c’est sans me retourner que je lance par-dessus mon épaule :

- De toute manière je sais bien qu’elle dit ça à tout le monde !

La porte n’est pas tout à fait refermée que la réponse me parvient haut et clair :

- Ça, c’est ce que vous croyez !

Immédiatement, je me retourne vers la kiné pour voir sa réaction, mais elle fait comme si elle n’avait rien entendu. J’y croirais presque… Sauf qu’elle a les joues bien trop colorées pour que ça soit le cas.

Toute contente, je m’installe sur la table avec un gigantesque sourire façon Cheshire cat fermement en place sur mon visage. Ses yeux se posent sur moi et elle rougit de plus belle avant de dire :

- Oh ça va ! Sans commentaire ! Vous connaissez le truc, déshabillez-vous qu’on passe aux choses sérieuses !

Même si ça paraissait impossible une seconde avant, mon sourire s’agrandit encore davantage et je n’arrive pas à me retenir de la taquiner en m’exclamant avec des airs de Duchesse :

- Comme vous y allez ! Je ne mange pas de ce pain-là !

Elle dissimule son amusement par un soupir exagérément long, mais j’ai bien conscience que cette fois c’est moi qui suis la grande gagnante de la répartie. Pour une fois ! Deuxième séance avec elle et déjà je l’ai mouchée, je tiens le bon bout !

Son regard est fixé sur moi, puis descend le long de mon corps pour s’arrêter sur mon pantalon et enfin un sourcil parfaitement dessiné se lève dans une question muette. D’un geste de la main, elle m’indique de le retirer. Là encore, je pourrais totalement mal interpréter son langage corporel, mais lui fais grâce pour cette fois. Oh, comme je suis magnanime de lui faire profiter de ma grande mansuétude en ne relevant point !

Fière d’avoir pensé à tout, je me mets debout et baisse mon jogging en grande pompe dans un « TADAAA » pour dévoiler mon magnifique short.

Et apparemment aussi la moitié de mon sous-vêtement vu que mon short est partiellement parti avec. Évidemment il fallait que ça soit le jour où je porte ma culotte avec des petits logos Wonder Woman dessus ! Comme si je n’étais pas déjà suffisamment ridicule !

Mais pourquoiiiiiiiiiiiiiiii ? Les choses allaient dans mon sens ! C’est. Pas. Juste !

Elle émet un son qui ressemble à un toussotement, mais je n’ai pas besoin d’être devin pour savoir qu’elle se bidonne pas très discrètement. Je tente de faire style « tout va bien » et le remonte avec le maximum de dignité possible, autant dire pas beaucoup !

S’ensuit un raclement de gorge, mais comme je le craignais la honte est bien présente dans ma voix lorsque j’annonce :

- Et voilà, je suis prête.

Ça me coûte de croiser son regard, mais si je veux jouer au jeu du « on a rien vu », il le faut. Je la trouve en train de se mordre la lèvre et les larmes aux yeux.

J’essaie d’apparaître blasée mais finit par me lâcher, ce qui fait qu’elle éclate de rire à son tour.

C’est elle qui arrête en premier, essentiellement parce qu’elle a l’air d’avoir mal aux abdos. Elle essuie ses larmes et dit :

- Voilà une séance qui commence bien !

Je lui lance un faux regard noir et m’allonge sur la table. Quelqu’un me doit un massage bien mérité je crois !

Je l’observe pendant qu’elle saisit sa crème et la frotte un peu entre ses mains, j’imagine pour la réchauffer.

Ce n’est pas une beauté type « star de cinéma », plutôt le genre jolie voisine, mais elle a énormément de charme et une personnalité très attachante...

Bon ok, pour lui rendre tout à fait justice, elle est à son travail et n’a pas l’air de s’être maquillée ou d’avoir fait un effort particulier, donc qui sait à quoi elle ressemblerait une fois pomponnée !

Apparemment satisfaite, elle pose délicatement ses mains sur moi et commence à malaxer mes pseudos quadriceps. Voyant qu’elle est distraite, je retourne à mes rêveries.

Quand j’y pense,  j’aime beaucoup la façon dont ses yeux prennent vie dès qu’elle est amusée ou de bonne humeur. Je me demande si les miens font pareil… Elle relève la tête pile au moment où je l’observe et j’ai le réflexe de toute personne prise en flagrant délit, à savoir me tourner méga vite d’une manière criante de culpabilité. Je l’entends sourire, mais continue d’inspecter les murs. C’est décidé, je ne la regarderai plus jamais en face ! Moi qui croyais naïvement avoir déjà connu l’apogée de mon humiliation, je m’épate chaque jour un peu plus ! Maintenant elle doit penser que je suis une espèce de vieille vicieuse qui la lorgne en bavant dès qu’elle a le dos tourné. Non pas que ça soit loin de la réalité, mais la question n’est pas là !

En fait une fois que je ne regarde plus c’est bien pire, car j’ai encore plus conscience de ses gestes et de la sensation de ses mains sur ma peau. Finalement ce massage n’est pas du tout relaxant.  Bon, en même temps ce n’était pas son but, mais quand même !

Fort heureusement, par chance ou peut-être parce qu’elle a senti le changement, elle s’arrête et me tapote la cuisse pour me le signifier. Plus rapide qu’un diable dans sa boite, je me redresse et ne demande pas mon reste.

Elle saisit un tabouret et se place face à moi.

- Asseyez-vous plus loin du bord, il ne faut pas que votre genou soit autant dans le vide.

Elle me guide et une fois que j’ai une position qu’elle considère comme satisfaisante, reprend :

- Bien, aujourd’hui on va reproduire l’exercice de la dernière fois. Je vais vous accompagner dans un premier temps, puis je ferai office de frein. Là c’est juste un mini échauffement pour reprendre confiance. Surtout dites-moi si vous avez mal.

Elle place ses mains de part et d’autre de mon mollet et m’aide à fléchir la jambe, puis à la redresser.

- Je vais commencer à opposer une résistance, essayez de plier votre jambe comme pour mettre le pied sous la table, de plus en plus fort.

Je m’exécute et suis assez contente de voir les muscles de ses bras se tendre sous l’effort.

- À part ça vous avez passé un bon week-end ?

- J’ai connu mieux.

- Des détails !

- Je sais pas si je dois… Vous avez déjà suffisamment ri à mes dépens pour aujourd’hui !

Immédiatement, ses sourcils se lèvent et un sourire lumineux lui vient aux lèvres, sortant par la même occasion son arme fatale : les fossettes :

- À ce point ? Allez quoi !

Elle est tellement mignonne à trépigner d’impatience que je me retrouve (stupidement) à avouer :

- J’ai eu un rencard désastreux !

Le malheur des uns fait visiblement le bonheur des autres. En entendant ça, elle me regarde et demande tout sourire :

- Ouhhh, du croustillant ! Il s’est passé quoi ?

- Disons que non seulement c’était un monstre, mais en plus je me suis pris un verre d’eau gazeuse au visage en plein dans le bar!

Elle lève les yeux et je peux clairement deviner qu’elle est en train d’imaginer la scène. Vu sa tête, visiblement ça lui plaît beaucoup.

- Hannn, je suis jamais là où il faut ! Vous aviez fait quoi pour mériter ça ?

- Rien, c’est ça le pire ! J’étais toute gentille en train de me demander comment j’allais bien pouvoir me tirer de ce mauvais pas de manière courtoise quand mon amie est venue. En gros elle a dit que j’étais déjà en couple et que je cherchais un « à-côté ». C’est ça qui m’a valu le verre d’eau.

Elle me lance un regard un peu… dégouté, bien vite dissimulé derrière une attitude plus neutre :

- Tout s’explique ! Je ne sais pas comment je réagirais si j’apprenais ça sur le moment ! Probablement mal aussi !

Je fronce les sourcils un instant, perplexe, avant de percuter. Piquée au vif, je me défends :

- Ah mais non ! Non non ! Triple non ! Je suis célibataire hein, elle a juste fait croire ça !

- Ahhhh ok ! J’ai compris que…

Elle ne termine pas sa phrase, mais elle n’a pas besoin de le faire. Ouais, bah non ! Je suis un peu vexée qu’elle pense ça de moi, mais tâche de ne pas lui en tenir trop rigueur. Après tout je suis une quasi-inconnue, aussi « proches » que l’on soit dans le cadre des soins. Voulant que ça soit clair (et être bien vue), je précise :

- Nan ! Ce n’est pas mon genre ! … Et puis il faudrait déjà que j’arrive à trouver quelqu’un.

Elle arrête soudain l’exercice et se met à humer l’air. Mi-amusée mi-intriguée, je m’apprête à lui demander ce qu’elle fabrique lorsqu’elle lance :

- Ça sent la pêche aux compliments !

Sans réfléchir, je lui donne une petite tape sur le bras pour la châtier de son énième moquerie (et aussi un peu pour m’empêcher de croiser les bras et de bouder) :

- N’importe quoi !

D’un air outré, elle se frotte l’endroit violenté comme si je lui avais fait mal –ce qui, je tiens à le préciser, ne peut pas être le cas vu le peu de force employé- et enchaîne :

- Bon, on va passer à l’exercice inverse, il devrait vous plaire ! Cette fois-ci vous allez faire comme si vous vouliez me donner un coup de pied et je vais résister.

- Ah, effectivement ça me parle déjà beaucoup plus. Vous voyez quand vous y mettez du vôtre !

- Et après on dira que mon collègue est sadique !

- Je n’ai jamais prétendu être une sainte !

- Essentiellement parce que personne ne vous aurait crue de toute manière. Allez on se motive !

Pour cette fois, je ne boude pas, mais uniquement parce que je sais qu’elle retournerait ça contre moi. J’ai beau y mettre du cœur, force est de constater que j’ai beaucoup plus de mal à la faire bouger dans ce sens. C’est elle la première à rompre le silence :

- Mon impression de la fois précédente se confirme, votre quadriceps est assez faible.

- Mais je croyais qu’on était tombées d’accord pour dire que ma blessure est accidentelle ?

- L’un n’empêche pas l’autre. Dans tous les cas la musculation représente une grosse partie de la rééducation.

Je grimace et ne suis visiblement pas très discrète puisqu’elle se sent obligée d’ajouter dans un sourire malicieux :

- Ne faites pas cette tête, une fois en parfaite forme physique vous allez encore plus faire chavirer les cœurs !

Mon air blasé est immanquable et puisqu’elle me cherche je ne vais pas me gêner pour en rajouter :

- Ouais enfin plus que « pas du tout » ce n’est pas trop dur ! Même la pitié devant mes blessures ne fonctionne pas ! J’aurais tout essayé !

Elle pousse un immense soupir et me sort sur un ton monocorde :

- Mais nooon. Vous savez très bien que vous êtes très jolie.

Vu le ton sur lequel elle a dit ça, je ne sais pas trop si c’est du lard ou du cochon. Je dois bien plaire à quelqu’un, merde quoi ! Aussi stupide que ça puisse être, j’ai envie qu’elle me trouve belle. Pourquoi pas après tout…

Réalisant ce que je suis en train de faire, un auto-sermon me vient. En matière de « et si » et autres utopies largement fantasmées, j’ai donné. Faut que j’arrête.

Ne voulant pas laisser paraître mon trouble, je porte ma main sur ma poitrine dans un faux geste d’émotion et réplique en surjouant :

- Merci pour ce compliment empli de sincérité, ça me va droit au cœur !

Pour sa peine, je termine même par un battement de cils à faire pâlir d’envie les nanas des pubs de mascara ! Bon, étant donné que je n’ai pas franchement un physique similaire, l’effet est plus comique qu’autre chose. Mais dès lors que ça lui décroche un sourire ça me va.

Quoique non, pas si c’est à mes dépens !

Un air amusé sur le visage, elle lève les yeux au ciel et se met debout. J’ai encore le secret espoir qu’elle me dise ce qu’elle pense de moi, mais suis vite ramenée sur terre par son :

- Exercice suivant, c’est parti !

 

*          *          *          *          *          *

 

- Alors ? Raconte !

Baptiste s’affale copieusement sur le bar, comme à la zonzon. Remarque, vu le temps qu’il passe ici, c’est presque le cas. Je soupire et réponds sincèrement :

- C’était un carnage. Franchement je sais pas comment j’ai fait mon coup, mais il y avait une grosse erreur de casting.

- Rohh je suis sûr que t’exagères !

Offusquée, je fais signe à Lucie d’approcher. Elle termine de servir son client et vient faire office de témoin.

- Toi qui as eu l’honneur de la rencontrer, elle était comment ma promise au rencard ?

Sa grimace à elle seule en dit long, mais elle rajoute en plus :

- La wookie ?

Je pointe Baptiste du doigt :

- AH ! Merci Lulu ! Tu vois c’est pas que moi ! Encore aujourd’hui je me demande si elle avait déniché l’angle magique ou si c’était « le miracle Photoshop » ! Quoi qu’il en soit : plus jamais ça !

Compatissant, Baptiste pose sa main sur la mienne et tente de me réconforter :

- Ne dis pas ça, on va finir par te trouver la perle !

- Vu comme c’est parti, c’est surtout la perlouse qu’on va trouver !

Et ça les fait rire ! Je suis très sérieuse ! Comme qui dirait : « mieux vaut être seule que mal accompagnée ». À choisir, je préfère être la femme aux chats qu’avoir une copine avec encore plus de fourrure !

Comme toujours Lucie ajoute son grain de sel :

- Si tu veux on peut te coacher, tu manques juste d’entrainement !

Je lève immédiatement la paume des mains en signe de "on arrête tout" !

- Alors là non ! Même pas en rêve !

- Allez quoi ! Tu verras ça va t’aider

- À me vautrer une fois encore, mais avec audience ? Non et non !

Je pense avoir été suffisamment claire, mais visiblement Baptiste n’est pas de cet avis :

- Tiens, tente ta chance avec elle par exemple.

Malgré les hurlements de mon bon sens, je tourne la tête pour voir de qui il parle.

Non…

-_-

Mais non... 

Et si ! Voici une représentation fidèle de mon expression faciale actuelle :

-_______-‘ 

- Je rêve là, tu parles bien de Lezzie ? Celle qu’on a surnommée ainsi parce qu’elle se taperait n’importe quoi ayant un pronom féminin, cela incluant les objets inanimés ? C’est une plaisanterie ?

Il hausse les épaules et ose me faire le pire des affronts :

- Faut savoir commencer petit !

M’arrêtant dans mon élan de violence, Lucie saisit ma tête entre ses mains, me tourne vers elle et dit :

- Ne fais pas attention à ce boulet, il n’y connaît rien. Pourquoi ne pas plutôt essayer avec… Elle !

Une fois encore, j’ai un peu peur de ce qui m’attend. Mais franchement la surprise est bonne.

Sous mes yeux, une jolie petite brune au regard sombre qui est seule à une table, téléphone en main.

Intriguée malgré moi, je demande à Lucie :

- Elle est lesbienne ? Tu la connais ?

- Oui et oui. Go go go !

Elle tente de me pousser dans sa direction, mais je m’agrippe au bar dans un moment de panique :

- Nan, mais je ne peux pas y aller comme ça ! Je sais pas quoi lui dire et pi…

Vite, une excuse ! Euh… Hmm… Voyons… Ah ! Voilà. Bon ce n’est pas l’éclair de génie tant espéré, mais on fait avec ce qu’on a :

- Je suis pas prête psychologiquement !

Baptiste hausse les sourcils et me sort :

- Pas prête ? Ça fait combien de temps que tu t’es séparée de Florence déjà ?

- Euh… Presque deux ans ?

- Voilààà, merci ! T’as eu tout le temps du monde, ne cherche pas d’excuses ! 

Me sachant vaincue pour cette fois, je fais appel au dernier souhait du condamné à mort :

- Je peux au moins avoir un remontant avant ?

Sous les yeux ébah- blasés de mes amis, j’exécute ma plus belle imitation du chat botté, ce qui les force à avoir pitié et donc à accéder à ma requête !

GENIUS !

Secouant la tête devant mon attitude, Lucie se penche pour attraper un verre et me sert une Vodka Red bull bien corsée.

Dans un sourire mielleux qui ne m’inspire que de la terreur, elle dépose mon breuvage sur le bar en ajoutant :

- Et un courage liquide pour la dame, un ! Si tu y vas il est pour la maison !

La question qui me turlupine est la suivante : qu’ai-je fait de si terrible pour qu’ils soient déterminés à ce point à me caser ? Ils ont l’air prêts à tout ! Pourtant je suis adorable* !

*Si l’on excepte le fait que je pleurniche et me plains très régulièrement auprès d’eux de mon statut d’éternelle célibataire.

Prenant une grande inspiration et sachant pertinemment qu’ils ne vont pas lâcher l’affaire, je m’empare de ma potion magique. Je lève le bras à leur santé et dans un « Nazdrowie », fais un cul sec.

N’ayant pas bu d’alcool depuis un moment, ce n’était peut-être pas ma meilleure idée. Remarque, pour avoir les yeux qui brillent, là ça brille !

Voyant qu’ils s’apprêtent à me pousser et tenant à ma dentition, je m’éloigne rapidement de mes amis, direction l’inconnue. Le trac est toujours présent, mais la peur de ce qu’ils pourraient me faire subir si je ne tentais pas le coup est plus grande.

Je m’approche d’un pas peu confiant, comme une antilope passant devant un lion endormi. Une fois à portée de voix, je suis mortifiée d’entendre un très faiblard « Salut » sortir de ma bouche. Ça commence bien !

L’inconnue lève la tête et me fait un sourire, répondant :

- Salut !

Rassurée par sa réaction qui me laisse penser qu’elle est avenante, je tente le tout pour le tout :

- Je peux m’asseoir ?

En vérité, j’ai surtout peur que l’anxiété vienne à bout de moi dans un évanouissement si jamais je restais debout.

- Euh…

Elle me regarde de bas en haut, comme un bout de viande sur l’étal. Au moins, je sais à quoi m’en tenir. Apparemment, j’ai gagné le label rouge puisqu’elle s’exclame :

- Pas de problème !

De peur qu’elle ne change d’avis, je m’exécute rapidement. Reste plus qu’à trouver quoi lui raconter. Mon plan consistait à aller lui demander de but en blanc, me prendre un refus, puis retourner penaude auprès de mes amis qui, prenant pitié, ne me saouleraient plus avec ça pendant un moment. Sur le papier, excepté l'humiliation d'un violent rejet c'était un bon plan !

Autant dire que j’ai plutôt intérêt à trouver un plan B. J’opte pour une réplique classico-ringarde de ma panoplie de dragueuse ratée :

- Vous venez souvent ici ?

Faites que non sinon j’aurais l’air conne, étant donné que ça impliquerait que je ne l’avais pas repérée alors que je fais presque partie des meubles.

- Non, rarement. Mais suffisamment pour t’avoir remarquée.

Oh. Tutoiement et flirt ! Combo gagnant ! C’est qui la plus forte ? Je résiste tant bien que mal à la tentation de me retourner pour faire signe à mes coachs et répond un très éloquent :

- Oh.

Un sourire de plus m’est adressé et il faut bien reconnaître qu’elle est franchement jolie. Si jamais ça marche, je ne me moquerais plus des vieux dragueurs… Enfin plus trop.

- Au moins tu fais pas partie de ceux qui croivent que tu vas coucher avec eux s’ils t’offrent un verre.

Oô pardon ? J’ai bien entendu croiVent ? Du verbe croiver ?

Faisant appel à tout ce que je possède d’hypocrisie, je fais une grimace supposée ressembler à un sourire :

- Ça, c’est sûr !

J’ai bien conscience que je suis à la conversation ce qu’Hérodote est au gangsta rap, mais je suis bien trop atterrée pour faire la discussion. Heureusement (ou pas), elle n’a pas l’air de s’en formaliser et la mène tambour battant :

- Mais sinon, malgré que je suis pas venue souvent j’ai vu que t’es toujours avec la barman, c’est ta copine ?

Malgré que je suis… Mayday Mayday ! Mon niveau intellectuel sombre à vue d’œil, j’ai percuté un Kinder surprise, une vraie blonde à l’intérieur. Mayday Mayday !

Je pourrais croire qu’elle fait de la pêche à l’info, mais vu la longue fixation qu’elle fait sur la traitresse qui m’a menée à l’abattoir, je ne suis pas celle qui l’intéresse le plus. Se laisser aborder pour entrer en contact avec ma pote, c’est pas très sympa.

Je me retourne vers Lucie, la maudissant d’un regard pour m’avoir suggéré cette nana et c’est sans aucun état d’âme que je réplique dans un mensonge :

- Oui ! Mais je te dérange pas t’es sûre ? Peut-être que tu attends quelqu’un, je m’en voudrais de m’imposer !

Une petite prière est de mise : Oh Déesse Grammaire et autres Dieux Lexicaux, venez en aide à votre fidèle échouée sur les côtes de la misère éducative française. Puissiez-vous accéder à mon humble requête en donnant à cette  pauvre âme un Bescherelle ainsi qu’une personne chère à sa table.

- Nan t’en fais pas, c’est juste une amie !

Et merde ! Tentant le tout pour le tout, je lance d’un air complice :

- « Pour l’instant », c’est ça ?

- En gros ! D’ailleurs, quand on parle du loup !

Je me tourne pour faire face à une nana avec une couche de maquillage plus épaisse que celle des tags dans une ruelle sombre du centre-ville.

Oh mon Dieu. Cette fille c’est l’équivalent Pimp My Ride du visage : Too much !

Voyant dans son regard courroucé une échappatoire, je ne demande pas mon reste et prends mes jambes à mon cou :

- Bon ben ce fut un plaisir. Je retourne là-haut !

À peine ai-je fait volte-face que je sens les yeux de Kinder dans mon dos. Sur un ton qui ne me plaît guère, Pimp My Face dit :

- C’est qui celle-là ?

- La copine de la barman !

- N’imp, elle est hétéro, elle t’a mytho !

Payback’s a bitch Lucie, je tiens ma vengeance ! Il faut que je garde la face…

Dans un sourire menaçant, je m’approche d’elle et murmure « laisse-toi faire ou je t’étripe » à mon amie avant de l’attraper par son haut et l’attirer à moi pour lui faire un bisou par-dessus le bar. Elle est toute crispée et ses lèvres sont aussi souples qu’un pneu de voiture, mais j’imagine que de dos ça ne se voit pas.

Je me recule et m’assied, avec la ferme intention d’assassiner quiconque viendrait à me contrarier.

Baptiste est le premier à dire :

- Euh… C’était quoi ça ?

Lucie elle n’a pas l’air de m’en tenir rigueur et attend l’explication en essuyant des verres comme si de rien n’était. Décidément, cette fille est imperturbable. Et pour une fois, ça m’arrange ! Sans ça j’aurais eu l’air fine tiens !

- Une star de la télé-réalité passerait pour Einstein à côté de cette nana. Croyez-moi, le français vient d’être malmené à la table du fond !

Je peux presque voir les rouages tourner dans la tête de Baptiste, tandis qu’il me regarde avec une grande perplexité :

- Et ? Quel est le rapport avec Lulu ?

- Elle était clairement plus intéressée par elle que par moi et a demandé si on était ensemble ou pas. J’ai repéré une échappatoire, j’ai sauté dessus. Et ensuite quand pot de peinture est arrivée, alors que je retournais ici je l’ai entendu dire que c’était impossible vu que Madaaaame au bar est hétéro. C’est tout.

Posant sa main sur la mienne, Lucie n’a visiblement aucune estime pour la vie puisqu’elle en rajoute :

- Tu peux avouer que depuis que j’ai suggéré qu’on était en couple à ton dernier rencard tu rêves de moi toutes les nuits… Pas besoin de te chercher d’excuses !

Toutes dents au vent, c’est dans un sourire bien trop mielleux pour être vrai que je rétorque :

- Effectivement, d’ailleurs mon moment préféré c’est celui où le semi-remorque te percute !

- Ha ha ha très drôle…

 Fière de moi, je lui fais un petit sourire en coin. On n’arrête pas de s’en mettre plein les dents, mais au fond on s’aime bien. L’amour vache comme on dit.

Remuant allègrement le couteau dans la plaie, Baptiste en rajoute une couche :

- N’empêche, je me demande comment tu fais pour toujours te retrouver dans des situations improbables.

Je hausse les épaules et prends un moment pour y réfléchir. C’est vrai que niveau poisse, entre mes blessures et le reste j’ai touché le pompon.

- Peu importe. C’est un signe qu’il faut que je cesse de m’acharner et envisage l’acquisition d’un chat !

Lucie lève les yeux au ciel et s’éclipse pour servir un client en lançant :

- Et c’est reparti pour un tour !

- Arrête de te lamenter, y’a pire ! T’es jeune, t’es jolie et vu que t’es en kit tu plairas aux amoureuses du bricolage !

- T’es hilarant aujourd’hui dis-moi !

- Si tu voulais de moi cette histoire serait réglée je te signale !

Qu’il est fatigant avec ça lui aussi ! Même si j’étais attirée par les hommes il n’aurait pas eu l’ombre d’un millième de chance. Les coureurs de jupons au cœur d’artichaut très peu pour moi. Bon, je devrais m’estimer heureuse, au moins il ne fait pas partie de ces mecs qui sont persuadés pouvoir nous « dé-lesbianiser ».

- Ouais bah c’est toujours non.

- Rabat joie ! Mais je compte bien rester là. Tout vient à point à qui sait attendre il paraît ! [...] Soit dit en passant, tu me feras jamais croire qu’il n’y a personne qui te plaît ?!

L’image de la kiné s’immisce immédiatement dans mes pensées et je m’empresse de l’enterrer sous une tonne de déni. De un je ne sais même pas si elle est hétéro ou non, de deux elle m’a vue m’humilier à maintes reprises et de trois, c’est inutile de me leurrer à ce sujet, j’ai parfaitement conscience du fait qu’il est fort possible que la sympathie fasse partie de son job… Bien sûr, j’aimerais qu’elle m’apprécie réellement pour qui je suis, avec mon incroyable sens de l’humour, ma grâce et mon corps de rêve… Bon, c’est peut être un chouïa exagéré, mais je me comprends. En tout cas j’espère juste qu’elle ne voit pas en moi qu’une patiente maladroite, le genre de boulet irrécupérable. À défaut d’une amie (on n’en est pas encore là), être à minima quelqu’un qu’elle affectionne vaguement.

- Si, mais personne d’accessible.

Contrairement à moi, Baptiste est loin de se laisser abattre :

- Bah retente ta chance sur le site de rencontres, au moins tu sais que celles connectées sont là pour ça !

- Après le désastre de la dernière fois ? Merci, mais non merci !

Il passe sa main dans ses cheveux courts, les brossant à rebrousse-poil. Je m’attends au pire car c’est toujours ce qu’il fait quand il hésite à dire quelque chose. Et effectivement : 

- Ne le prends pas de travers, mais ton problème c’est que tu juges trop à la première impression et après tu te braques et décrètes si tu aimes ou pas. Tu sais, faut parfois s’y reprendre à plusieurs fois, tout ne peut pas fonctionner du premier coup.

Il a raison, mais ça me fait mal aux fesses de l’admettre, alors je garde le silence. Comprenant qu’il a gagné ce round (mais pas la guerre !) il en profite, tant que le vent va dans son sens :

- Tu vas tenter hein ?

- Seulement les profils SANS photos ! Et c’est non négociable. Quitte à ce que ça soit un monstre, je préfère ne m’attendre à rien ! D’ailleurs je compte retirer la mienne, il n’y a pas de raison.

- De toute manière t’es déguisée on te reconnait pas !

- Peu importe, je la virerai quand mêm- … minute, comment tu sais ça toi ?

Baptiste me fait un sourire et hausse les épaules d’un air innocent qui ne prend pas du tout. Sous mon regard menaçant, il se lève plus vite que ce que j’aurais cru possible et est déjà loin quand il lance :

- Pipi room, je reviens !

Lâche.

Ce pervers va jusqu’à m’espionner sur les sites de rencontre ! Et après on dit que c’est moi qui doit trouver quelqu’un de toute urgence ?

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