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Fictions Lesbiennes :)
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22 février 2016

Chapitre 14 : Mouton noir ?

- Tu dois faire un site porno ?

Lançant un regard blasé à mon meilleur ami je lève les yeux au ciel et rétorque :

- Non. Pour la millième fois, je ne sais pas de quoi tu parles.

- On ne me la fait pas à moi, t'as l'air toute contente ces derniers temps.

Je retiens le sourire qui menace de s'échapper en pensant "tu vois ta cousine ? Bah je sors avec !".

Mais bon, Anna ne veut pas qu'on le crie sur les toits pour l'instant, ce que je peux comprendre, après tout ça ne fait que quelques jours.

- Ça doit être le soleil qui m'a donné bonne mine, j'en sais rien moi, tu hallucines mon pauvre vieux !

Voyant que je suis sur la défensive, Lucie vient à ma rescousse.

- Fous-lui la paix, si elle avait un secret elle l'annoncerait à SES DEUX MEILLEURS AMIS, pas vrai Inès ?

Elle me fixe en plissant les yeux, visiblement suspicieuse elle aussi. En même temps, je n'ai pas tenté le cours Florent pour une raison, je suis aux qualités d'actrices ce que les frères Bogdanov sont au glamour...

Dire que je croyais qu'elle était de mon côté, quelle naïve je fais !

Me défendant tant bien que mal (je vous laisse deviner lequel des deux prend le dessus) et ne voulant pas mentir à proprement parler (l'omission ça ne compte pas), je passe à l'attaque :

- Bon ils ont fini Laurel et Hardy ? C'est pas parce que dans vos feuilletons préférés il y a toujours des rebondissements que c'est pareil dans ma vie !

Lucie et Baptiste se regardent, puis décrètent d'une seule voix : "elle nous cache quelque chose".

Soupirant, je frotte mes mains sur mon visage, me demandant ce que je vais bien pouvoir faire des ces deux-là.

Sous mes yeux, mon coca fait place à un nouveau verre rempli à ras bord de la même boisson.

Elle essaie de m'acheter ? Mon amie clarifie immédiatement son geste :

- Ça se boit frais ces petites choses, tes glaçons étaient déjà tout fondus !

Je manque de remercier Lucie pour sa générosité lorsque j'ai des soupçons. Portant le verre à mon nez, ils se confirment.

- Lucie..... Pourquoi il y a du whisky dans mon coca ?

Elle fait mine d'être étonnée et mime un air innocent franchement réussi, c'est ça le pire. Compte tenu des circonstances, je ne crois pour autant pas un seul des mots qui quittent sa bouche :

- Je ne sais pas ! 

Elle s'empare du verre et l'amène à son nez :

- Je ne sens rien. Mais tu devrais boire, il fait chaud dehors, on ne voudrait pas que notre vieille branche se déshydrate, pas vrai Batou ?

- Ah non on ne voudrait pas !

Ils m'adressent tous deux un sourire mielleux totalement terrifiant pour qui les connaît aussi bien que moi... Je suis dans le caca.

Anna a plutôt intérêt à résoudre ses dilemmes intérieurs rapidement parce que j'en connais deux qui ne sont pas au-dessus de techniques fourbes pour me faire avouer...

 

*          *          *          *          *          *

 

[Trois semaines et demi plus tard]

J'arrive à la porte de la maison d'Anna avec un sentiment mitigé en moi.

D'un côté je suis super bien quand je suis avec elle et on s'est vues quasiment tous les deux jours depuis notre premier rencard, de l'autre elle me dit ne pas être prête à l'annoncer à nos potes.

Ça fait des années que je m'assume en tant que lesbienne et ce retour dans le placard n'est pas des plus agréables.

Et puis, nos amis ne sont pas si bêtes, ils doivent bien remarquer qu'Anna et moi avons soudainement un emploi du temps bien rempli ! Ils me harcèlent pour savoir ce qui se trame et malgré ma bonne volonté ma crédibilité est au plus bas.

Avec Anna notre premier baiser a eu lieu il y a un peu plus d'un mois et même si ça ne représente pas grand-chose au niveau d'une relation, quand on sait à quelle fréquence on se voit ça commence à devenir sérieux. Pour moi ça l'a d'ailleurs toujours été.

Je toque finalement, consciente que repousser l'échéance est inutile. Lorsqu'elle ouvre la porte tout sourire quelques secondes plus tard, ma décision n'est pas encore prise. Mais en constatant qu'une fois de plus elle attend qu'elle soit refermée pour m'embrasser, elle se précise.

Je n'ai pas eu le temps de faire un pas dans la maison que déjà je me retrouve adossée au mur de l'entrée, Anna contre moi et ses doigts parcourant mes flancs.

En sentant sa main s'approcher dangereusement de ma poitrine, je me force à l'arrêter gentiment, même si ça me coûte, car elle est loin d'être maladroite dans ses tactiques de séduction.

Ça fait maintenant plusieurs soirées qu'elle est, je crois, disposée à aller plus loin que quelques baisers et caresses, mais je m'y refuse.

Aussi adorable qu'elle puisse être lorsque l'on est seules, aussi désirable qu'elle puisse être, aussi amoureuse que je puisse être, je n'ai pas envie d'être le vilain secret de quelqu'un.

Voyant que je me détourne d'elle, Anna s'enquiert :

- Qu'est ce qu'il y a ?

Voulant prendre le temps de formuler ma réponse, je vais m'asseoir sur le canapé et joue avec la lanière de mon sac du bout des doigts avant de demander :

- Je te fais honte à ce point ?

- Honte, de quoi tu par-...

Comprenant à quoi je fais référence, elle passe sa main dans ses cheveux, geste que j'ai appris à reconnaître comme un signe de nervosité.

- Bien sûr que tu ne me fais pas honte et tu le sais, on en a déjà parlé. Je ne suis pas prête.

Elle prend ma main dans les siennes et me caresse de son pouce, certainement dans l'espoir que ça va m'aider à rallier sa cause.

- Et tu seras prête quand ?

- Je... J'ai besoin de temps.

Sa réponse réchauffée m'agace et je pense qu'elle le voit dans mon regard et le sent dans la façon dont je rétorque :

- Et moi de ne plus me sentir comme une pestiférée.

- Tout de suite. Tu n'as pas l'impression d'exagérer ?

Mes sourcils se haussent en entendant ça. J'y crois pas. J'arrache ma main des siennes et me tourne pour lui faire face :

- Exagérer ? Toutes nos soirées en couple se passent en huis clos ou à l'autre bout de la ville, tu crois que je ne remarque pas que tu attends que personne ne nous voie pour m'embrasser ? Là c'est sûr je me sens valorisée !

- Ça n'a rien a voir avec toi, les gens s-

- Anna, les gens s'en foutent d'avec qui tu couches ! Et Tami, Lucie et ton cousin sont au courant de tes préférences et tu ne veux pas leur dire non plus, alors ne me prends pas pour une conne s'il te plaît. Ils n'arrêtent pas de me poser des questions et j'en ai assez de mentir pour toi.

Peut-être est-elle à court d'excuses, toujours est-il qu'elle se tourne en croisant les bras, se contentant d'un :

- Je ne veux plus en parler.

- Et moi je ne veux plus être le vilain petit canard.

Mutique, Anna reste en position, comme si je n'avais rien dit. Je ne sais pas ce qu'elle espère accomplir, mais je ne peux plus continuer comme ça. Même s'il n'y a pas le sexe, je me sens comme une prostituée, que l'on côtoie derrière portes closes et qu'on congédie en société.

Des larmes perlent aux coins de mes yeux, mais je refuse de la laisser les voir. La déception est amère :

- Viens me trouver quand tu auras fini de vivre dans le passé et que tu comprendras qu'on a peut-être un futur. Je ne suis pas elle.

Parler de l'histoire horrible qui lui est arrivée est un coup bas, j'en ai conscience, mais je veux qu'elle réagisse, qu'elle me donne ma chance, non, qu'elle nous donne une chance.

J'ai mes défauts, mais je mérite d'être traitée mieux que ça.

Même mon évidente provocation ne lui extirpe pas l'ombre d'une réaction... Pourtant j'imagine qu'elle est surprise, elle ne savait pas que je suis au courant.

Me relevant, j'attrape mon sac et dit :

- Au revoir Anna.

Elle me laisse partir.

Comme ça.

Je suis peut être celle qui met fin à ce que l'on a, mais ne vous y trompez pas, le mouchoir usagé c'est bien moi.

Arrivée à la porte d'entrée, je me retourne pour l'observer, espérant je ne sais quoi. Qu'elle me retienne ? Je ne rencontre que son profil, elle ne me regarde même pas.

Ce n'est une fois la porte refermée derrière moi que je m'autorise à pleurer.

 

 *         *          *          *          *          *

 

Après quelques jours passés en totale réclusion, j'ai rendez-vous avec Lucie et Baptiste au bar. Officiellement, j'avais la grippe. Officieusement, c'est uniquement mon cœur qui m'a fait mal.

C'est fou ce qu'on s'habitue vite à une présence, je ne sais plus quoi faire de mes soirées.

Je n'ai pas eu de nouvelles d'Anna depuis notre altercation. J'imagine que notre début d'histoire avait plus d'importance à mes yeux qu'aux siens.

Autant vous dire que misérable est un adjectif qui se prête bien à ma description. J'ai donc tâché de reprendre forme humaine et suis allée faire l'acquisition de mascara waterproof au cas où une petite crise de pleurs me prend à l'ombre des toilettes.

Au fond, je ne sais même pas pourquoi je mens à mes amis. Anna mériterait que je leur raconte ce qui s'est passé. Pour autant, aussi déçue et furieuse que je sois, je ne veux pas m'abaisser à ça, d'autant plus que ça n'accomplirait rien.

Placardant un large sourire commercial sur mon visage, je pousse la porte du bar et vais saluer mes meilleurs amis.

Lucie me sert immédiatement un verre de jus de pomme et de caramel (sans vodka), semblant savoir qu'il n'y a rien de mieux pour me requinquer et demande :

- Comment ça va ma belle ?

- Mieux merci, j'ai cru que je n'allais jamais pouvoir quitter mon lit !

Baptiste met son bras autour de mon épaule et dit :

- On va bien s'occuper de toi t'inquiète ! Tu m'as manqué !

Il ponctue sa phrase d'un bisou sur la joue, ce qui selon moi signifie qu'ils se doutent que ma maladie n'était pas de nature virale... Voulant alléger l'atmosphère, je m’enquiers :

- Ça me coûte de l'avouer, mais vous m'avez manqué vous aussi. Alors dites-moi, quelles conneries vous avez faites en mon absence ?

Mon meilleur ami est le premier à répliquer :

- Tu devrais savoir qu'on se tient toujours à carreau !

- Bizarrement je n'y crois pas du tout ! Vous avez profité de ma maladie pour faire la fête ?

Il grimace et me répond d'un ton blasé :

- Non même pas, j'ai dû faire des heures sup' au boulot en début de semaine et j'ai juste vu Lu'.

Étonnée, je me tourne vers la barmaid :

- Et toi ? 

- Boulot aussi, notre cher manager a décidé d'organiser des soirées à thème et ça a amené pas mal de monde.

Je grimace en entendant ça, ça n'envoie pas du rêve. D'un autre côté, je n'ai rien manqué.

Ne sachant pas sur quel sujet embrayer, je baisse les yeux sur mon verre que je touille distraitement de ma paille.

Batou saisit l'occasion pour se lancer dans une litanie concernant sa nouvelle conquête qui serait apparemment "la femme parfaite". J'y croirais volontiers s'il n'avait pas dit la même chose à propos de la fille du mois dernier.

M'enfin, d'un côté il y en a au moins un qui est un éternel optimiste.

Je relève la tête pour observer mon meilleur ami parler avec animation à une Lucie nettement moins enthousiaste, quand je vois la porte du bar s'ouvrir dans mon champ de vision.

Mon coeur manque un battement (ou quinze) en apercevant Anna.

Elle porte une chemise en jean gris et le pantalon sombre qu'elle avait lors de notre premier rencard. Cette pensée me vaut une nouvelle vague d'infinie tristesse.

Quel gâchis...

Je ne peux vraiment pas avoir de break...

Son regard sonde le bar et je me détourne avant qu'elle ne puisse croiser le mien.

O-kay, il est temps de prendre le large.

Anna se rapproche rapidement et je m'empresse de descendre de mon tabouret avec la ferme intention de m'échapper en direction des toilettes. J'ai l'impression d'avoir un grand trou dans la poitrine et les douleurs qui vont avec.

C'est beaucoup trop tôt, trop frais.

J'espère que le pipi room a une fenêtre, je ne sais pas si c'est le choc de sa venue, mais je suis incapable de m'en souvenir et cette pièce est mon seul espoir.

Malheureusement, soit la surprise a affecté mes fonctions motrices, soit elle a accéléré, car je n'ai pas le temps de passer derrière Baptiste qu'Anna m'atteint.

Vous savez quoi ?

Faire mine de ne pas voir quelqu'un devient très délicat lorsque cette même personne vous saisit gentiment mais fermement par l'épaule, chuchotant :  

- Inès, je peux te parler ?

J'espère un instant que Baptiste va me tirer de ce mauvais pas, mais il n'a même pas remarqué que je suis au bord du gouffre et continue dans sa lancée logorrhéique comme si ma mort n'était pas imminente.

Fermant les yeux, je détourne mon visage et tente de forcer le passage. Je ne veux pas risquer de pleurer, surtout pas devant elle.

Mais comme d'habitude, rien ne va dans mon sens et je suis incapable de me libérer.

Agacée, je me tourne vers elle, plantant mon regard dans le sien et demandant :

- Tu ne crois pas que tu en as assez fait ?

J'espère que ma phrase a eu suffisamment d'impact pour qu'elle ait desserré sa prise de sorte que je puisse m'enfuir, mais c'est l'instant que choisissent mes jambes pour cesser de fonctionner.

Cette fois c'est sûr, je vais écrire un bouquin que j'intitulerai "mon corps, ce traitre".

Mes yeux finissent par croiser les siens et j'ai l'impression que le temps s'arrête. J'y vois de la détermination et de la peur. Décidant définitivement le titre du livre, mon cœur se met à battre aussi vite que si j'étais une dame obèse au 40 ème km de son marathon ... lâcheur. Après trois plombes à me morfondre et sans l'ombre d'une attirance pour qui que ce soit, tu choisis celle qui a le potentiel de me détruire alors je serais toi je ne ferais pas le malin et je me la jouerais discret ! Organe vital mon œil !

Ne tenant plus, j'essaie une nouvelle fois de m'extirper de ce mauvais pas, mais suis stoppée net par sa main sur ma joue.

Elle s'approche lentement et je me sens comme un daim dans les phares d'une voiture, en mode "et merde,  je fais quoi maintenant ?". Ses lèvres viennent se poser timidement sur les miennes et mon cerveau cesse toute activité.

Je reste plantée sur mes jambes tremblantes pendant ce qui me semble être une éternité, mais n'a pas du prendre plus de 5 secondes.

J'ai pas compris, il s'est passé quoi là ?

Lucie me fait un sourire réconfortant et mon meilleur ami se tourne en demandant :

- Pourquoi tu souris Lu' ?

Ignorant totalement la question du boulet qui a une fois de plus tout raté, elle continue de plus belle son opération "sourire bienveillant".

Anna ne m'a pas quittée du regard et semble totalement focalisée sur moi. Tout de suite maintenant, je ne sais pas trop si c'est une bonne chose ou si c'est terrifiant !

Elle prend une grande inspiration et, sans rompre le contact avec moi, se tourne vers la salle, annonçant assez fort  :

- Excusez-moi !

Les conversations cessent et au moins quarante paires d'yeux curieux se braquent sur elle. Autant dire qu'à l'instant je suis bien mieux dans ma peau que la sienne !

Elle semble terriblement anxieuse mais continue néanmoins :

- Voilà je... j'étais en couple et j'ai perdu ma copine parce que j'ai été suffisamment stupide pour lui donner l'impression que j'avais honte d'elle. Alors aujourd'hui j'essaie de me racheter...

Omg, elle est vraiment en train de faire ce que je crois ?

Faisant dos à la salle, son regard vient capter le mien et elle continue à voix haute et intelligible :

- Inès, je suis amoureuse de toi. Je sais que je ne la mérite pas, mais est-ce que tu veux bien me donner une seconde chance ?

Mes joues prennent la couleur de la lave en fusion. Mon cerveau est toujours en panne.

Je suis tout à fait consciente des regards posés sur moi, de la bouche ouverte de mon meilleur ami, de l'air réjoui de Lucie mais sous le coup de la pression je perds tous mes moyens et n'arrive pas à décrocher le moindre mot.

Anna finit par baisser la tête, prenant mon silence pour un non. Pas besoin d'être perspicace pour lire la douleur sur son visage.

Finalement, c'est une fille au fond du bar qui sera ma sauveuse en annonçant :

- Si elle refuse moi je veux bien !

Sa remarque détend totalement l'atmosphère et m'arrache un rire. J'espère que je ne vais pas le regretter...

Me mordillant la lèvre inférieure, j'acquiesce d'un signe de tête et vais me blottir dans ses bras sous les sifflements et autres encouragements des clients.

J'ai l'impression de me trouver pile là où je devrais. Anna me serre fort contre elle et niche sa tête au creux de mon cou. Je sens qu'elle y dépose un bisou et l'entends me murmurer à l'oreille :

- Je suis vraiment désolée. Lorsque t'as franchi le pas de la porte j'ai réalisé que t'avais raison sur toute la ligne et que j'étais une abrutie finie. Je veux pas te perdre.

Ne résistant pas à l'envie d'avoir des explications, je me recule et demande :

- Pourquoi avoir attendu tout ce temps alors ?

- Je ne savais pas comment m'y prendre et j'avais peur que tu doutes de ma sincérité.

Elle marque un point. Si elle m'avait simplement couru après pour m'annoncer qu'elle allait le dire à nos amis, je ne l'aurais certainement pas crue.

- Comment t'as su que je serais là ce soir ?

- Un petit oiseau me l'a dit...

D'un signe de tête, elle montre Lucie. On ne peut plus faire confiance à qui que ce soit :

- Elle était au courant ? Pour nous deux aussi ?

- Je pense que Tami lui avait dit, mais je l'ai contactée pour qu'elle m'aide à organiser ça.

Je me tourne vers mes amis et pointe un doigt accusateur en direction de Lucie :

- Et tu m'as même pas prévenue ?

Elle hausse les épaules d'un air nonchalant et c'est Batou qui répond :

- En même temps, tu fricotais avec ma cousine et je n'en savais rien ! C'est du propre !

Venant à ma rescousse, Anna pose sa main dans le creux de mon dos et réplique :

- Maintenant tu le sais ! Et ce n’était pas vraiment discret non plus...

Notre barmaid embraye immédiatement là-dessus :

- Nan mais cherchez pas, il raterait une baleine dans un couloir !

- Hey ! C'est pas vrai !

Faisant fi de son air offusqué, Anna rigole et annonce :

- T'inquiètes, j'ai le genre de truc qu'il te faut.

Elle commence à déboutonner sa chemise puis la retire pour révéler un T-shirt sur lequel on peut lire "Anna Inès" avec deux mini photos à côté des noms.

Elle se tourne et dans le dos est inscrit "Team Inna".

J'éclate de rire, si je m'attendais à celle-là ! :

- C'est quoi ça ?

- Le plan B, je comptais me balader avec jusqu'à ce que tu craques !

Ne me retenant plus, je lui fais un petit bisou sur les lèvres. Trop mignonne.

Toute contente, Anna demande :

- C'est assez clair pour toi couz ?

- T'es grave ! Mais j'avoue qu'au moins le message est clair !

Lucie se penche sous le bar et enfile sa propre version du T-shirt.

Ah parce qu'il n'y avait pas qu'un seul exemplaire ?

Elles sont vraiment arrangées ! Je ne sais pas ce qui est le pire, l'idée, le fait qu'elles l'aient exécutée ou Batou qui s'exclame :

- Hey, pourquoi j'en ai pas moi ! C'est de la discrimination ! 

Je lève les yeux au ciel et réponds :

- T'inquiète pas, moi aussi je suis exclue !

On se retourne en entendant une voix familière rétorquer :

- Tu peux pas être exclue tu es la moitié de l'équipe !

- Salut Tami ! Laisse-moi deviner toi aussi tu étais de mèche ?

- Même pas, j'ai juste vu qu'Anna était mal ces derniers temps et c'est Lucie qui m'a dit de venir ce soir ! J'ai manqué quoi ?

Certainement content de ne pas être le seul persona non grata de la confidence, Baptiste s'empresse de tout lui raconter à grand renforts de détails et commentaires.

Tout en l'écoutant, je reste proche d'Anna,  même si je ne suis pas de celles qui sont démonstratives en public, pour l'instant j'ai besoin du contact pour me rassurer.

Je ne dis pas que je lui ai pardonné, mais j'ai envie d'en arriver là et bien l'intention de me donner les moyens pour ne plus qu'elle m'échappe.

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22 février 2016

Chapitre 16 : Le boulet (bis)

Déjà trois semaines que je nargue sans vergogne toutes les célibataires et les mauvaises langues qui me qualifiaient de non-casable en leur mettant mon bonheur en pleine tête !

Prenez-vous ça !

J'attends patiemment à côté de mon vélo qu'Anna finisse de se changer. J'ai hâte de voir quelle tenue elle a choisie pour cette petite promenade champêtre. Si Dieu existe, elle aura un cycliste et insistera pour passer devant.

Il fait super beau, les oiseaux chantent, j'ai un bon anti transpirant, Anna m'a donné rendez-vous devant chez elle et non derrière portes closes, rien ne pourra gâcher ma joie. Si je savais bien danser, j'entamerais quelques pas. Mais je ne sais pas et je suis seule et sans musique alors je m'abstiens !

Elle sort finalement et le cycliste est bien de mise ! Yes !

On enfourche nos vélos et alors que je m’apprête à fortuitement traîner, elle me rappelle qu'elle commence à plutôt bien me connaître :

- Inès, c'est pas le moment de regarder mes fesses, il y a encore de la circulation et je te préfère avec tous tes membres attachés !

Elle marque un point pour le côté puzzle mais je suis dans l'obligation absolue de rétorquer :
- Chérie, je te ferais savoir que c'est tout le temps le moment pour ça ! Et puis tu t'exhibes et t'attends à ce que je n'en profite pas ?

- On en parle d'exhibitionnisme,  madame sous vets Wonder woman ? 

Oh le coup bas ! J'en reviens pas qu'elle se souvienne encore de cet épisode fâcheux au cabinet et qu'elle ait le culot, que dis-je l'outrecuidance de me le ressortir !

- Donc t'as regardé ! Je le savais ! 

Je vois là l'opportunité d'obtenir la réponse à une question que je me pose depuis un moment :

- D'ailleurs je te plaisais à ce moment-là ?

Elle rougit systématiquement lorsque je suis un brin indiscrète dans mes interrogations, ce qui me fait totalement craquer. Après quelques secondes passées à me torturer (ou à réfléchir, tout est possible) elle finit par dire d'une voix toute timide :

- Tu m'as toujours plu, j'ai un petit faible pour les maladroites.

Spontanément, j'ai envie de nier cette partie de moi, mais même ma mauvaise foi a des limites. C'est sûr que dans un cirque j'aurais été plutôt clown que trapéziste ! Ou alors je ne l'aurais pas été longtemps !

Du coup je fais contre mauvaise fortune bon cœur :

- D'entrée je t'en ai mis plein la vue quoi ! 

Elle commence à éclater de rire et pendant une seconde je me demande pourquoi ce que je viens de dire est si drôle... Puis je me rappelle les circonstances de notre première rencontre,  du moins celle d'Anna et de mon postérieur tendu aux quatre vents ! 

Ah oui la c'est sûr elle en a pris plein les mirettes !

J'adopte un air blasé qui n'est qu'à moitié feint et attends patiemment qu'elle ait fini de se moquer.
On sort du quartier pavillonnaire pour nous engager sur un chemin de campagne. C'est cool d'avoir les champs si près de chez soi, ça permet de s'évader dès que l'envie nous prend.
Elle comme moi gardons le silence, contentes de profiter de la vue et du calme en toute simplicité.
Anna bifurque soudainement et quitte le chemin pour couper à travers les herbes semi-hautes.
- Hey ! Tu pourrais prévenir, t'essaies de me semer ou quoi ?

- Désolée, parfois j'oublie que tout le monde ne connaît pas l'endroit où je veux t'emmener.
Minute, on va quelque part, on ne fait pas juste une balade à vélo?

Et je doute que les gens connaissent ce lieu secret au vu de la hauteur des herbes et de l'absence totale de chemin pré-tracé.

N'étant sportive que dans l'âme et pas dans la réalité, j'ai un peu de mal à la suivre dans ce terrain plus difficile. En plus j'ai peur que les herbes qui frappent mes roues se prennent dans les rayons ! 

Anna ralentit sciemment, ayant certainement remarqué que je suis loin d'être capable de me qualifier pour le tour de France.

J'aime assez l'idée qu'elle m'emmène dans un coin juste à elle, ça me donne l'impression d'être spéciale ! 

Elle s'arrête finalement à proximité d'un cours d'eau se faufilant entre les quelques arbres qui jonchent le terrain autrement plutôt dégagé.

A en juger par l'absence totale de bruit, il n'y a pas âme qui vive à proximité. 
Elle descend de son vélo et je l'imite sans me faire prier. 

M'attrapant par la main, elle s'assied sur une pierre plate à côté du ruisseau et m'invite à prendre place à côté d'elle. Elle penche la tête en arrière, prenant une grande inspiration, visiblement détendue.

Ouvrant les yeux soudainement, elle me demande :

- Tu veux voir un truc cool ?

Son enthousiasme est trognon et contagieux : 

- Vas y montre !

Elle se relève en s'époussetant et suit le cours d'eau sur quelques mètres, avant de m'appeler.
Elle s'accroupit et m'indique des séries de reliefs dans la boue :

- Quand j'étais petite, j'allais chercher des champignons avec mon grand-père et il m'a appris à identifier les empreintes des animaux.

C'est plutôt cool. Je l'imagine sans difficulté faisant 1m20 avec un chapeau de Davy Crockett, à fouiner partout pour repérer des traces. 

- Tu chassais ?

- Non, on essayait de suivre les chemins pour trouver les animaux, etc. Tu sais ce que c'est ?

Elle pointe du doigt une zone au sol.

Je me penche et vois juste des trous dans la boue plus qu'autre chose :

- Des traces de pattes. 

Souriant devant ma tentative pour éviter la question, elle insiste :

- Mais encore... ?

- ... d'un animal, je suis formelle ! 

Elle me file une petite tape sur le bras et s'exclame :

- Des traces de lapin ! 

- J'aimerais bien savoir faire ça ! Comment tu sais que c'est un lapin ? 

- Je peux t'apprendre si tu veux. On voit clairement les pattes avant ici. Quatre doigts, environ 3 cm, le contour suggère du pelage... un lapin.

Je reste dubitative :

- Oui mais comment tu peux être sûre que ce n'est pas un lièvre ou un mini chien ? 

- Facile, il n'y a pas de lièvre par ici et les chiens n'ont pas la même forme de patte, chez les lapins les deux petits doigts centraux sont quasi collés, l'espacement interdigital n'est pas le même ! Sans compter que l'écartement et la profondeur des traces excluent le type de mouvements que ferait un chien.

Après bien 10 minutes à me montrer et interpréter des empreintes, nous retournons sur le rocher. Pour le coup, elle m'en bouche un coin, même si je ne sais pas du tout à quoi ça pourrait me servir hormis en cas d'apocalypse, je trouve ça super stylé !  

Le soleil tape fort et je retire mes chaussures pour tendre mes jambes et mettre mes pieds dans le ruisseau pour me rafraîchir. Anna s'allonge à mes côtés, posant sa tête sur mes cuisses et sortant un livre de son petit sac à dos.

- Ça va je ne t'écrase pas ?

- Non du tout t'inquiète pas !

- Si tu as faim ou soif, j'ai ce qu'il faut dans mon sac et j'ai de la musique sur mon téléphone. 

- OK merci. Pour l'instant je vais juste profiter de la vue et du calme...

À vrai dire, je profite surtout de la sensation de plénitude qui m'envahit. Entre le chant des oiseaux, le soleil, le clapotis du ruisseau et la jolie femme à mes côtés je ne pourrais pas rêver mieux.
Mes yeux se posent sur Anna et à la manière dont il réagit,  j'ai totalement conscience que le stade du coup de cœur est dépassé depuis longtemps. 

Comme elle sait que j'aime également lire - même si contrairement à elle je suis plus portée fanfictions que littérature-, elle m'avait dit de prendre le nécessaire, mais finalement je n'ai pas envie de sortir mon bouquin. Les plaisirs simples sont sous-estimés c'est moi qui vous le dit.
J'en reviens pas qu'après toutes ces années d'échecs amoureux cuisants, j'ai enfin trouvé celle qui me convient ! 

Anna remarque mon sourire et demande :

- Qu'est-ce qui te met en joie ? 

- Toi ! 

Je tente de me contorsionner pour lui faire un bisou et après cinq bonnes secondes de total ridicule de ma part, elle soulève sa tête et me rejoint à mi-chemin. 

Ça fait déjà quelque temps, mais notre relation a conservé ce côté "tout neuf" dans mon esprit et je suis toujours un peu étonnée qu'elle n'ait pas changé d'avis sur nous deux. Non pas que je m'en plaigne hein, au contraire !

On reste comme ça la majeure partie de l'après-midi et je suis ravie d'avoir pu partager ce moment avec elle. Je le suis nettement moins lorsque je me rappelle qu'il faut reprendre le vélo !

On se met en selle et je ne peux m'empêcher d'y aller de mon petit commentaire :

- Au fait, pourquoi tu tiens absolument à me faire faire du vélo ? Entre la rééducation et là...

Elle m'adresse un sourire malicieux puis explique :

- Comme tu le soupçonnais à l'époque,  j'adore te voir souffrir ! 

Sachant très certainement que sa réplique va lui valoir une tape sur les fesses, elle accélère à toute vitesse.

Bien décidée à la "punir" (pour en profiter au passage), je me lance à sa poursuite.
Je ne sais pas si elle prend pitié de moi ou si ma forme est meilleure que je ne l'aurais cru, mais je gagne du terrain jusqu'au moment où mon pneu avant rencontre le fin fond de ce que je décrirais comme le Grand Canyon ! 

Je n'avais pas repéré l'ornière en travers de la route mais elle ne m'a pas loupée et le VTT et moi-même effectuons notre baptême de l'air. Je tends un bras en voyant le sol se rapprocher, tandis que l'autre reste fermement agrippé au guidon. 

Mon atterrissage est aussi gracieux que celui d'une fiente de pigeon sur un trottoir.
Anna n'a pas observé ma chute, mais s'arrête en entendant le bruit et fait demi-tour, inquiète :

- Ça va ? T'as mal quelque part ?

Tentant de garder mon humour à défaut de ma dignité, je réplique :

- On va commencer par là où je n'ai pas mal ça ira plus vite ! 

Je me relève tant bien que mal, mais mon poignet et mon épaule me font souffrir. C'est déjà le bras qui avait pris lors de mes exploits passés et il n'apprécie clairement pas son statut de bouc émissaire !
Anna m'ausculte et à sa grimace je ne présage rien de bon. Je préfère demander directement :

- Ah non, me dis pas que je vais à nouveau devoir avoir des séances de kinésithérapie ?

Son expression faciale admet ce que ses paroles taisent :

- Il faut voir un médecin et te faire des radios avant tout. Tu penses pouvoir rouler ?

Tenant mon bras contre ma poitrine, j'espère ne rien avoir : 

- Je préférerais rentrer à pied si ça ne t'embête pas. 

- Pas de souci. Je suis vraiment désolée.

Voulant profiter de sa culpabilité déplacée, je lance :


- Si jamais j'ai à nouveau des séances de torture, tu te feras pardonner à ce moment-là !

- Ah non je ne te prendrai pas comme patiente, on en a déjà parlé !

- Quoi ? Tu me laisserais à l'agonie ?

- Mais non, je peux te recommander des collègues très bien !

- Moi je suis habituée à toi !!! Tu es ma chérie tu dois me chouchouter !  Et vu ton partenaire d'affaires, j'ai de sérieux doutes quant aux collègues en question !

Je lui fais des yeux doux, essaie de l'apitoyer autant que possible, mais sa réponse ne varie pas d'un pouce :

- C'est toujours non désolée ! Déjà on va attendre de voir ce que tu as avant de faire des plans sur la comète. Passe-moi ton vélo.

Grommelant, je lui emboîte le pas à contrecœur. Si jamais j'ai des séances,  elle a plutôt intérêt à assumer sa part de responsabilité  dans mes blessures de guerre !

 

*          *          *          *          *          *

 

J'arrive au cabinet en Conquérante. Ça m'a pris des heures et plusieurs tentatives de chantage, mais Tami a fini par céder et me donner un rendez-vous.

C'est donc triomphale que je franchis les portes automatiques.

Hahahaha on ne m'écarte pas si facilement ! Tout sourire, je m'approche de la réception avec une totale aura de victoire :

- Bonjour, je viens pour mon rendez-vous.

- Bonjour Madame MARIZY.

Elle prend une inspiration, certainement pour appeler Anna en criant comme d’ordinaire, mais ma chérie arrive avant qu’elle n’ait pu piper mot.

Très contente de moi, j’ignore le regard assassin qui m’est adressé et lance :

- Ah vous voilà. J’ai hâte qu’on s’y mette !

Anna se tourne vers Tamiko pour dire « on en parlera à mon retour » et j’espère qu’elle ne va pas lui en tenir rigueur alors que je suis celle à blâmer.

Je me laisse guider sans broncher vers une salle dans laquelle je ne m'étais jamais rendue.

Arrivée à destination et voulant arrondir les angles pour tout le monde, je demande à Anna :

- C'est pas la faute de Tami c'est moi qui l'ai saoulée. Tu m'en veux pas trop hein ?

Elle me scrute en silence avec une expression indéchiffrable pendant quelques secondes et je commence à me dire que j'ai été stupide de ne pas respecter son unique souhait.

Mais avant que je ne commence une litanie de justifications et prières pour me voir pardonnée, un gigantesque sourire illumine son visage.

Elle est contente de moi? Minute, ce n'est pas possible.

Son ton est on ne peut plus professionnel lorsqu'elle annonce à voix haute et assez fort :

- Emmanuel, ton rendez-vous est arrivé !

Qu'est ce qui ... hein ?

Mon cerveau finit par connecter les points. Je réalise trop tard que Tami m'a dit qu'elle m'avait pris rendez-vous, mais qu'elle n'avait pas précisé avec QUI !

Elles ont joué la comédie pour que je me retrouve punie et sans pouvoir fuir !

Visiblement très fière d'elle, Anna me souhaite d'une voix mielleuse :

- Bonne séance !

Et elle fait demi-tour et me laisse là.

Comme une petite crotte.

Sa petite crotte de l'amour...

Espérant contre toute attente réussir à lui faire pitié, je dis d'un air désespéré absolument pas feint :

- Anna reviens ici ! Tu peux pas me faire ça ! Promis je prends rendez-vous chez la première personne que tu me conseilleras ! Anna ! Anna?

Bien sûr, mes paroles n'ont pas le moindre effet et ne la ralentissent même pas dans sa fuite.

A travers la porte ouverte, je la vois taper dans la main de Tamiko et rire ensemble à mes dépens.

Les petites salopes, elles me le paieront !

- Bonjour Mada.... oh... C'est encore vous...

Quoi, t'es pas heureux de me voir ? Bah c'est réciproque !

- Bonjour. Oui...

S'il me dit d'aller m'installer sur la presse malgré une blessure au bras, je la lui fais bouffer.

- Visiblement votre adresse est toujours ce qu'elle était ! Allez-vous installer près des espaliers on va regarder ça ensemble.

Lançant un regard meurtrier à mes spectatrices hilares comme au roi des cons je m'exécute de mauvaise grâce.

S'il me demande de faire des tractions, je flatulerais de mécontentement, ça lui apprendra !

J'en connais qui ne perdent rien pour attendre, une raison de plus de vite me rétablir, que je puisse exécuter ma vengeance !!!

 

FIN

 

(Merci de m'avoir lue, n'hésitez pas à commenter pour faire plaisir à la pauvre petite que je suis) (j'espère que ça vous fait pitié parce que c'est le but !)

22 février 2016

Chapitre 1 : Le boulet

Je hais le sport.

Dans le miroir, mon reflet me nargue. Je suis persuadée de faire l'expression faciale "je déteste  ma vie" et c'est un sourire narquois que je vois en retour.

Courageuse mais loin d'être téméraire au point de pouvoir affronter le regard des autres, je fuis dans les vestiaires dans mon idée du pas de course.

Vite fait bien fait, j'échange mon bikini modèle "regardez comme je suis bien gaulée" pour la version "z'auriez pas une cagoule en rab" de l'équivalent piscine d'une combinaison de plongée intégrale.

Rassurée quant au pouvoir gainant de ma tenue dans laquelle toute respiration est le fruit d'un effort, je me dirige d'un pas confiant vers la sortie des vestiaires, priant le Dieu graisse pour qu'il n'y ait pas âme qui vive.

Après une douche rapide, je m'arrête net devant le premier obstacle : le rideau de lamelles translucides séparant de l’entrée des bassins.

Vous voyez le genre, modèle 1832 "avant j'étais transparent, mais au contact du corps de milliers d'inconnus je suis devenu gris translucide" ?

J'ai pas envie de le toucher.

Je jette un coup d'œil à ma serviette bicolore en tentant de décider quel côté sacrifier sur l'autel de la crasse.

Optant pour le plus foncé, j'enroule le tissu autour de mon avant-bras comme s'il s'agissait d'un vrai bouclier et pars affronter Dégueulassor, mon ennemi juré.

Je le franchis dans une grimace accompagnée d'un mouvement digne des meilleurs contorsionnistes.

Tout ça pour me retrouver en position précaire, ayant devant moi le second et pire obstacle : le pédiluve. Également connu sous le nom "bassin le plus crade au monde". À l'intérieur, un mélange d'eau croupie, de peaux mortes, de corne, de mycoses et d’un cocktail bactériologique fatal.

Mon bouclier me paraît soudain désuet... J'observe de plus près l'infâme tambouille dans laquelle on s’attend à ce que je patauge en guise de sésame à l'entrée dans les bassins. Bon. C'est le moment de réfléchir.

Premier sport de la journée, je pourrais escalader les barrières qui l'encadrent, celles-là mêmes supposées guider le troupeau à travers l'eau croupie. Je tapote de la main la rambarde métallique et la découvre frêle et branlante. Ok, pas de grimpette donc.

Un marmot qui ne doit pas avoir beaucoup plus que quelques mois n'a pas les mêmes considérations que moi et joue les fesses dans l'eau sous le regard bienveillant (et inconscient) de sa génitrice. Je m’efforce de masquer mon dégout dans un succès tout relatif puisque j'ai droit à un semblant de grognement de la part de la maman.

Loin de moi l'idée d'imiter l'enfant, je m'accroche tant bien que mal à la barrière et glisse mes pieds sur le rebord auquel elle est fixée. Mon avancée est lente et laborieuse alors que je tente désespérément de ne pas regarder derrière moi. Si je ne les vois pas, les dangers microbiens n'existent pas !

Un cri d'effroi m'échappe en sentant une éclaboussure venir frapper l'arrière de mon genou. Je me retourne et découvre avec abomination que c'est le monstre qui s'amuse à me mouiller. Partagée entre la fuite et l'envie de lui faire un drop kick (si seulement il n'y avait pas l'eau le choix serait plus facile), je me décide à décamper en ignorant le rire moqueur de celle qui a enfanté cet animal!  Une fois que je serai au sec, c'est à elle que je ferai un kick!

Dans ma précipitation, ma tong glisse sur le carrelage mouillé tandis que j'opère une vrille dans l'espoir d'éviter le prochain missile aquatique... Sans succès. C'est au ralenti que ma chute a lieu. D'abord mes chaussures qui perdent prise, un violent tiraillement dans mon genou, une soudaine faiblesse dans l'autre jambe et le marécage qui se rapproche.

Ma bouche s'entrouvre pour laisser s'échapper un cri, mais je me force à la fermer en pouvant apprécier de bien trop près à mon goût les nuances de vert de l'eau.

Une douleur lancinante me parcourt quand mon coude frappe le fond du bassin. Ma tête suit de près. Le comble de l'horreur n'a même pas lieu lorsque mes cheveux sont trempés et que je sens l'eau tiède et bactérienne me couler dans la nuque. Non. Il n'a pas lieu non plus lorsque l'enfant rit et m'éclabousse le visage... Non. La dernière chose que je vois avant de m'évanouir est le courant jaune qui s'échappe de l'entrejambe du marmot et s'étend au reste du bassin.

 

 

*          *          *          *          *          *

 

 

J'ouvre les paupières le temps de constater quelques points affligeants.

Les pompiers n'ont pas jugé bon de me vêtir. Je pue l'urine et le vieux chlore. En baissant les yeux, je réalise que j'ai l'équivalent en circonférence d'une tête d'enfant en guise de genou et que vouloir me recoiffer avec un coude douloureux, c'est une mauvaise idée.

- Elle revient à elle !!

Je jette un regard noir à Captain Obvious, qui n'a que l'intellect d'un chippendale, mais pas le physique.

- Ça va madame ? Vous avez des vertiges ?

À ton avis blaireau ?

Dans un geste qu'il imagine certainement réconfortant, il pose sa main sur ma rotule et me voilà repartie au pays des rêves !

 

*          *          *          *          *          *

 

J'avance tant bien que mal et comme à chaque fois me sens un peu conne en me retrouvant devant la porte avec une jambe valide, l'autre reposant une partie de son poids sur une béquille tenue par mon unique bras libre. Renonçant à l'idée d'ouvrir la porte de mon bras malade, j'essaie d'attraper la poignée de ma main tenant la béquille.

...

En voilà une idée qu'elle est bonne ! Jusqu'au moment où je n'arrive ni à saisir la poignée, ni à retenir ma béquille qui va s'écraser lamentablement au sol.

Après 30 secondes d'étude des différentes solutions qui s'offrent à moi et sont au nombre de 3, je décide.

Dans l'absolu, les génuflexions et moi ne sommes pas amies. Mais en tenter une sur une jambe et avec une attelle sur l'autre, c'est m'assurer d'ajouter une fracture du coccyx à ma grandissante collection de blessures.

J'oublie aussi l'idée de laisser ma béquille là et opte pour me pencher en avant jambes tendues afin de l'attraper.

Le souci, c'est que je suis souple comme un parpaing. Il me manque environ 15 centimètres pour toucher mes pieds et 25 pour la béquille.

Je persiste et signe néanmoins ce qui sera consigné comme l'apogée de ma connerie en forçant jusqu'à perdre l'équilibre. Je me retrouve donc en position précaire sur une jambe et un bras, gracieuse comme un éléphanteau et aucunement en position de me relever. Bloquée dans ma posture "twister qui a mal tourné", je prends note d'une énième blessure, celle à mon égo. Cul tendu aux quatre vents, je perçois avec clarté ma dignité qui s'esclaffe alors qu'elle se fait la malle.

Ça, c'est fait !

Dépérir ici ce n’est pas mal non plus finalement.

Un ricanement se fait entendre derrière moi et des chaussures à talons accrochées à deux superbes jambes viennent se planter dans mon champ de vision. Ajoutant un torticolis à mes blessures de guerre, j'observe la nouvelle venue qui demande :

- Besoin d'aide ?

Piquée au vif, je réponds sans réfléchir  d'un ton dégoulinant de sarcasme :

- Non non, je trouve cette position beaucoup plus pratique !

Elle s'accroupit et saisit ma main, m'aidant à me relever. Une fois debout, je croise son regard noisette, notant son air taquin lorsqu'elle me lance :

- La question est "plus pratique pour  quoi ?"

Tandis que mon visage découvre toutes les nuances de la palette de rouge, elle offre à mon égo une distraction bienvenue en attrapant ma béquille.

Façon gentlewoman, elle m'ouvre la porte dans une courbette :

- J'imagine que c'est là que vous tentiez d'aller ?

Je saisis ma béquille et fais comme si de rien n'était :

- Qu'est-ce qui vous a mise sur la voie ? Et j'étais en route vers le succès je vous signale !!

Elle m’emboite le pas, murmurant "là encore, ça dépend de quel succès il est question". C'est une réplique que je daigne ignorer dans ma grande mansuétude et aussi un peu parce que je n'ai aucun éclair de génie qui vient me frapper.

C'est avec effroi qu'une fois entrée dans l'ascenseur je la vois presser le bouton du 2e étage, dédié entièrement au cabinet de kinésithérapie. Deux choix s'offrent à moi : soit c'est une patiente fort bien portante, soit elle fait partie du personnel !

En ce qui me concerne, je vote pour une malade warrior ! Si jamais c'était elle qui s'occupait de mes soins, ça ajouterait à ma situation actuelle une couche d'humiliation franchement pas nécessaire.

De ma démarche chaloupée, je m’extirpe de la cage d’ascenseur d’un air détaché, espérant que mon récent rapprochement avec le sol ne se voit pas.

La réceptionniste est une jeune femme aux cheveux roses, je dirais la vingtaine. Ses piercings et le tatouage qui dépasse dans sa nuque tranchent complètement avec « l’uniforme » du cabinet, un haut col mao noir aux boutons décalés sur le côté, sur lequel s’inscrit en lettres rouges « Cabinet de Kinésithérapie MAURON et LEROI ». Un contraste plutôt violent, mais pas déplaisant pour peu qu'on aime le genre.

Dans un sourire radieux, elle accueille ma sauveuse d’un jovial tout en lui faisant la bise :

- Bonjour Anna.

Autant pour mes espoirs…

Je claudique jusqu’aux deux femmes et ai un peu honte d’énoncer mon nom après m’être donnée en spectacle devant la maîtresse des lieux.

- Bonjour !

- Bonjour. Je suis madame MARIZY, j’ai rendez-vous avec M. MAURON.

Bien que j’évite de la regarder, je sens la kiné se tourner vers moi :

- Je dois dire que je suis presque déçue de ne pas vous avoir comme patiente !

- J’ai envie de savoir pourquoi ?

Dans un sourire qui ne m'inspire rien de bon, elle rétorque :

- Probablement pas… Courage pour vos soins !

Elle fait volte-face s’éloigne, tandis que mes yeux parcourent malgré moi sa silhouette fine et gracieuse. Je note qu'elle a sagement évité ma question, mais, politesse oblige, réponds tout de même :

- Merci.

La réceptionniste fait mine de tousser, me ramenant à la réalité. Un sourire à la fois entendu et complice joue sur ses lèvres.

- Elle est sympa hein ?

J’acquiesce d’un mouvement de tête, sachant que si j’ouvre la bouche je vais commencer à me justifier. Alors que bon, j’ai rien fait de mal !

Ses yeux restent braqués sur moi quelques secondes et je suis soulagée lorsqu’elle a l’air de reprendre ses esprits et me demande :

- Pourrais-je avoir vos papiers ? Il faut que je vous crée un nouveau dossier, mais il me manque quelques informations.

Je déballe tous les documents que j’ai apportés, espérant qu’ils suffisent et la regarde faire en silence. J’en profite pour faire une petite prière pour qu’elle ne pose pas la question fatidique « ça vous est arrivé comment ? ».

La kiné revient vers nous, à présent en tenue elle aussi.

- Tu peux me sortir mes rendez-vous de la semaine ?

- Oui, ils sont là ! C’est chargé !

- Comme toujours !

Discrètement, à travers mes cheveux je regarde son profil. Elle a des fossettes qui apparaissent lorsqu'elle sourit, c'est plutôt mignon. Finalement, j’aurais bien aimé l’avoir elle. Je pense qu’elle aurait su me mettre à l’aise et je pourrais difficilement davantage me ridiculiser en séance que ce que j’ai fait dehors.

- Bonjour mon petit, comment allez-vous ?

L’hôtesse d’accueil lève la tête vers l’homme qui vient de rentrer et je devine instantanément qu’elle ne le porte pas dans son cœur lorsqu’elle dit d’un ton bien plus froid et solennel qu’avec la kiné :

- Bonjour M. MAURON.

Si j'ai immédiatement percuté sur le fait qu'elle n'avait pas répondu à son « comment ça va » et qu'elle ne lui a pas demandé comment il allait, lui n'a pas l'air de s'en formaliser.

- Qui est ma patiente du jour ?

- Madame MARIZY ici présente.

- Bonjour. Dis-je d'une toute petite voix.

- Bonjour, suivez-moi !

Il s'enfuit au pas de course, comme s'il n'avait pas remarqué mon attirail et le nombre de membres qui me font défaut. Je tente tant bien que mal de lui emboiter le pas avec une grâce qui m’est propre. Bien vite, mes muscles endoloris me reprennent à l’ordre, ajoutant une grimace à mon charmant tableau.

Madame LEROI prend pitié de moi et me propose son aide dans un geste silencieux. J'accepte, plus par peur de me ridiculiser une fois de plus que par réelle envie de me faire escorter.

Je m'appuie allègrement sur elle, en guise de représailles pour avoir été le témoin de mon humiliation publique. Elle ne bronche pas, ne bougeant pas un cil. Elle est plus forte qu’elle n’en a l’air ! Contrairement au cabinet, elle ne sent pas le médical et l'aseptisé, mais porte sur elle une délicate odeur de vanille. Beaucoup plus agréable que l’autre blaireau, j’en suis sûre ! Bon, ok, je ne l’ai pas reniflé, mais pas besoin !

Elle m'accompagne jusqu'à la porte et me lance un “bon courage” qui ne me dit rien qui vaille.

À l’intérieur de la pièce, l'attirail de torture du parfait psychopathe m'attend.

Je regarde d'un œil suspect la cage en métal à laquelle sont attachés divers objets dont j'ignore l'utilité - et dont je ne suis pas pressée d'en connaître les détails exacts !

 

Claudiquant jusqu'à mon futur tortionnaire, je m'assieds sur un banc me promettant de nombreuses heures de souffrance. Mes yeux se posent un instant sur ma tenue de Robocop des temps modernes, avant d'inspecter avec méfiance les râteliers chargés des instruments employés à l'époque moyenâgeuse pour procéder à la question.

M. MAURON m'arrache sans ménagement mon attelle et la seule chose qui me retient de lui administrer une balayette rotative dans sa face de sadique, est la certitude des douleurs qui s'en suivraient. À la place d'un exploit martial, je pousse un misérable couinement.

- On va commencer par la presse. Disons... 20... non, vous êtes grande, 30 kilos.

- Hein ? B.... M... hein ?

On lui a bien expliqué que je n’étais pas là pour les Jeux olympiques ?

De mauvaise grâce, je me traîne sans conviction jusqu'à la machine en question. Je m'installe et pose les deux pieds à plat sur la plate-forme.

- Ah non non, une seule ! À moins qu'il ne s'agisse d'une luxation bilatérale ?

Et de nouveau :

- Hein ?

- La dame elle a bobo les deux jambes ?

L'idée de la balayette rotative revient en force... peut-être qu'après avoir heurté son abominable tronche de cake de plein fouet, la réponse sera oui.

Je me contente d'enlever ma jambe valide du plateau et regarde avec dépit les plaques de fonte que je vais devoir tenter de soulever.

- Allez, on a pas toute la journée.

Je rassemble l'intégralité des mes forces et parviens avec difficulté à déplacer l'ensemble à une distance faramineuse d'environ quatre...millimètres.

- Parfait. Vous faites ça pendant vingt minutes et je reviens vous voir ensuite.

Nan, mais il a pas remarqué que j'ai lamentablement échoué ?

Mais il est déjà parti et je me retrouve seule et dépitée.

- Bon... Quand faut y aller faut y aller !

Pleine de bonne volonté à l'idée de pouvoir bientôt réaccéder au monde des bipèdes, je m'installe confortablement et prends une grande inspiration, avant de pousser de toutes mes forces.

Vous voyez une tempête tropicale ? Un ouragan ? Un typhon ? Un cyclone ? Et bien tous font pâle figure en comparaison du vent qui s'échappe de mes fesses dans un bruit si fort que je suis tentée de regarder par la fenêtre pour vérifier que personne n'a été frappé par la foudre.

J'explose de rire et manque de m'étouffer quand l'odeur pestilentielle issue de mes entrailles atteint mes narines. Je dois être moisie de l'intérieur. Ça sent un mélange d’œuf pourri, d'eau croupie et de cadavre en état de décomposition avancée.

Je me lance dans des moulinets avec les bras comme pour tuer un essaim de mouches invisibles afin d’aider l'odeur à se dissiper plus vite. Après dix secondes d'effort, je réalise que c'est peine perdue.

J'ouvre la fenêtre à côté de moi et me mets debout. C'est dans mon sac que je trouve l'objet de mon salut, à savoir ma serviette. À cloche-pied, je m'avance jusqu'à la porte. Arrivée à destination, je fais tourner ma serviette au-dessus de ma tête dans un mouvement de poignet digne d'une véritable cowgirl.

L'idée, c'est de recréer un effet ventilateur pour inciter l'infâme puanteur que j'ai pondue à s'évacuer par la fenêtre.

Au bout de 10 secondes, j'ai mal au bras, à 20 secondes je commence à m’essouffler et à 30 secondes la porte s'ouvre.

Je jette immédiatement ma serviette loin de moi, dans un geste criant de culpabilité.

- Et on fait tourner les servietteuhhh...

Entre effroi d'avoir été vue et peur qu'elle ne découvre ma pourriture intérieure, je fais volteface à toute vitesse, dans un triple axel qui ferait rougir n'importe quel patineur artistique … et me fait perdre l'équilibre.

La bonne nouvelle, c'est qu'elle n'a pas pénétré dans la pièce, même s’il est toujours possible que le nuage me suive. La mauvaise, c'est que je viens de me jeter dans les bras de la kiné.

Je ne sais pas si elle a remarqué qu'elle est la seule chose qui se tient entre le sol et moi, mais quoi qu'il en soit elle ne me laisse pas tomber comme si elle avait attrapé un marron chaud, mais se contente de reculer sa tête pour m'observer. Son air étonné est contrasté par un sourire en coin plutôt moqueur :

- Vous vouliez partager votre joie à l'idée que moi aussi je connaisse Patrick Sébastien ou il y a une raison à cet élan de gentillesse ?

- Je euh...

Embarrassée, je cache mon visage, ce qui me fait me blottir contre elle, ou du moins contre sa poitrine et, par définition, aggrave mon cas. Mais ça, je ne percute que lorsque je remarque qu'elle sent très bon...

- Pardon ! Pardon ! Double pardon ! Je... J'ai été surprise et j'ai perdu l'équilibre !

Elle m'attrape par les épaules et me recule avec précaution.

- Bref... Je suis venue voir si tout se déroulait comme vous le souhaitiez.

Je jette un coup d'œil à la pièce qui contient encore une trace résiduelle de vous savez quoi et m'empresse de m'exclamer :

- Je m'en sors très bien, tout se passe bien, merveilleux !

Elle me regarde d'un air mi-suspicieux, mi-inquiet. Mais je suis sûre qu’elle réprime un sourire. 

- Ok... Mmh, je vais vous laisser alors…

Et avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle quitte la salle, m’abandonnant sur le pas de la porte comme un vieux flamant rose en plastique dans le jardin d'un particulier.

Je claudique jusqu'à la presse et m'échoue sur le banc.

Je hais le sport, mais quand je constate à quel point je suis essoufflée après deux minutes d'effort, effectivement, peut-être que me bouger ne serait pas superflu.

Le “charmant” Dr MAURON revient la bouche en cœur et sans même remarquer que j'ai fait à peu près tout sauf l'exercice, il me lance :

- Ah, formidable, je vois que vous y avez mis du vôtre...

Un sourire hypocrite aux lèvres, j'acquiesce, tout en me réjouissant de le voir évoluer dans mon nuage toxique. S’il pouvait en décéder, ça m’arrangerait. J’attends un peu, mais rien ne se produit. Déception…

- Mais il est vrai que les personnes bien portantes comme on dit ont tendance à beaucoup transpirer... Bon, on passe à l'exercice suivant.

Connard.

 

*          *          *          *          *          *

 

Troisième rendez-vous avec M. MAURON le roi des cons. Oh joie.

L'ascenseur est en panne et c'est une mauvaise nouvelle. La seconde est que je vais potentiellement me dessécher dans cet escalier étant donné qu'il m'est IMPOSSIBLE d'ouvrir la porte avec mon unique bras valide. Techniquement, deux jambes, un bras c'est faisable. Mais mes séances de rééducation ne se déroulant pas exactement comme mon cher kiné le pense, mon équilibre est au niveau d'un quidam après une soirée bien trop arrosée.

C'est déjà miraculeux qu'il me reste mes dents après l'ascension des marches.

Soit les gonds sont rouillés, soit ma force herculéenne n'est plus ce qu'elle était.

Toujours est-il que je suis toujours dans la cage d'escalier lorsque j'entends :

- J'en peux plus, faut que tu la prennes.

- Qui ?

J'abandonne immédiatement mes efforts et colle mon oreille à la porte.

- Le boulet ! Trois séances et zéro résultat ! On jurerait qu'elle le fait exprès ! Et si elle me dit une fois de plus qu'elle n'y arrive pas, je ne sais pas ce qui va se passer...

Ah... Mon esprit de fine déduction me permet de comprendre qu'il parle de moi, et que mon stratagème a donc fonctionné.

- Pourtant elle m'a l'air gentille.

- Gentille peut-être, mais surtout stupide ! C'est à croire qu’elle n’a pas l'intention de marcher !

Ehh ! N'écoutant que mon ego blessé, je pousse la porte de toutes mes forces, postérieur en avant.

Finalement je rencontre beaucoup moins de résistance que prévu et j'ai tout juste le temps d'attraper la poignée au passage de mon vol plané.

J'adopte la position voile de bateau afin de ralentir ma chute, ma main sur la clenche, mon pied contre la porte et mon corps en C dans le vide.

Je tourne la tête vers la baie vitrée qui marque la zone de réception du cabinet et je m'aperçois que tout le monde me regarde.

Entrée discrète bonjour !

Mon pied glisse et c'est lentement que je tombe jusqu'à me retrouver le cul par terre dans un « poc ».

- Ah non, trop c'est trop, elle est à toi.

Si j'avais mes deux mains, je lui crèverais ses pneus. Et s’il n’y avait pas de témoins, j’irais même pour ses yeux tiens !

Le Dr LEROI se précipite à ma rescousse et tente de m'aider. J'essaie d'escalader son corps avec autant de dignité que possible tout en évitant les zones à risque. Autant dire que lorsqu'on se sert de quelqu'un comme d'un terrain de varappe, il vaut mieux ne pas trop penser à son amour propre.

Arrivée à sa hauteur, je ne trouve rien d'autre à rétorquer que :

- Bonjour. Merci.

Ne me prenant pas du tout en pitié, cette fois c'est une moquerie qui sort de sa bouche :

- Bonjour. Et méfiez-vous, je vais finir par croire que vous le faites exprès.

- Rien de tel que l'humiliation au petit matin. Ça aide à garder les pieds sur terre. Enfin, celui qu'il me reste.

- Vous avez les deux, mais je soupçonne qu'il s'agit de deux pieds gauches.

- Tant mieux, je suis gauchère.

Et toc !

Ne me laissant pas abattre, je me traîne comme une grande jusqu'au bureau d'accueil.

La doc me rejoint et joue avec ses mains d'un air gêné, avant d’annoncer :

- Si ça ne vous dérange pas, à présent c'est moi qui vais poursuivre votre traitement...

Son regard fait tout pour éviter le mien et je la prends en pitié :

- Au contraire. Votre confrère est à la sympathie ce que la kryptonite est à Superman.

Un léger sourire parcourt ses lèvres tandis que la secrétaire laisse échapper un petit gloussement. Au moins je ne suis pas la seule à ne pas penser que du bien de lui !

Elle m’entraîne dans une salle de soins de l'autre côté de l'étage. Tant mieux, plus je serais loin de lui mieux ce sera.

Incapable de résister à la tentation, je lance une dernière moquerie:

- Tiens, vous n'avez pas opté pour la décoration “cage et chaînes” ?

Loin de se laisser démonter, elle réplique :

- Chacun son style et ses hobbies, je ne juge pas les vôtres, mais ça ne veut pas dire que je les partage ! Je vous en prie, prenez place.

- Je... Je parlais de votre collègue...

Le regard complice qu'elle me lance achève de me persuader du fait qu'elle le savait très bien.

M'avouant volontiers vaincue et soulagée à l'idée de m'asseoir, je la laisse me guider jusqu'à la table d'examen.

- Je vais chercher votre dossier je reviens.

La pièce est décorée dans des tons pastel qui dévoilent une personnalité à tendance psychopathologique si vous voulez mon avis. L'air de rien, le zinzin à au moins le mérite d'annoncer la couleur avec ses cages et ses chaînes ! Là, quelqu'un de moins maladroit que moi et n'ayant par conséquent pas eu la joie de connaître l'extase apportée par la rééducation pourrait s'attendre à une promenade de santé. Alors qu'en réalité en termes de balade on serait plus proche du chemin de croix que d'autre chose !

Bon, par contre je lui donne des points bonus pour avoir l'idée de diffuser un léger parfum, ce qui masque les odeurs de transpiration... Et camoufle aussi les divers effluves incongrus qui pourraient être produits dans cette pièce ! Je ne fais référence à rien de particulier, bien évidemment.

Elle revient rapidement, un minuscule dossier en carton dans les mains. J'espère qu'il n'est pas détaillé.

- Alors, voyons... Ah oui... Quand même !

Elle s'accroupit devant moi, ce qui me met extrêmement mal à l'aise, comme à chaque fois que quelqu'un à sa tête à hauteur de mon entrejambe ; et commence à défaire mon attelle au genou.

- Prévenez-moi si je vous fais mal.

Et elle établit discretos un genre de safeword. Une sadique, quand je le dis !

Bien que je connaisse l'apogée de ce qu'un corps peut faire en matière de crispation musculaire, il faut bien lui reconnaître une délicatesse qui serait complètement hors de mes capacités. Elle me débarrasse de mon carcan et remonte le très seyant pantalon trop grand que je porte afin d'observer sans barrière la zone endolorie.

- Hmmm

Pourquoi elle fait hmmm. C'est un bon hmmm ou un mauvais hmmm ?

- Hmmm ?

- Pardon je réfléchissais. Vous en étiez où avec mon collègue ?

- On en était à la partie « entraîner Mademoiselle MARIZY à son insu en préparation des championnats du monde d'haltérophilie ».

Elle me fait un sourire grimaçant et s'enquiert :

- Je vois. La presse j'imagine ?

- Oui, en augmentant de 10 kg à chaque séance, sans prendre en compte mon absence totale de réussite. Très constructif. Il travaillait dans un goulag avant de venir ici ou quoi ?

Elle hausse les épaules et avant même qu'elle n'ouvre la bouche je sens qu'elle n'est pas tout à fait convaincue par ce qu'elle va dire :

- Il est un peu... spécial. D'ordinaire il s'occupe surtout de d’athlètes alors peut être que ça lui donne des soucis de perspective...

Mouais, n'essaie pas de lui chercher des excuses poulette !

Je me contente de lever un sourcil dans une moue qui remet clairement en question sa version.

- Je suis très sportive moi aussi... *

*Si m’adonner à des jeux de sport sur la console compte.

Comprenant qu'elle ne tirerait rien de plus de ma part que de la mauvaise foi, elle se relève et change de sujet.

- Et comment au juste vous êtes-vous fait le combo qui vous vaut ce look Terminator ?

- D'abord je vous ferai dire que c'est un look Robocop et ensuite... C'est..

 

Dans ma tête se rejoue au ralenti l'intégralité de l'effroyable scène qui mena au ridicule de ma situation et il me faut moins d'un millième de seconde pour décider que raconter la vérité n'est pas une option envisageable.

 

- Je... me suis blessée... Euh... En tentant un double axel pendant mon entrainement de patinage artistique ?

Je ne sais pas ce qui est le pire entre mon excuse, mon ton ni convaincu ni convaincant et le regard qu'elle me lance. Visiblement, l'idée que je puisse exceller dans un domaine qui requiert un tant soit peu de grâce n'est absolument pas crédible. Je me demande pourquoi.

- Vous réalisez que j'ai votre dossier médical ? J'ai déjà une description des faits, ce qui m'intéresse ce sont les détails...

La pelle avec laquelle je creusais la tombe de la honte s'abat sur ma tête à cette annonce.

Ok, donc non seulement le ridicule de ma situation n'est plus un secret pour personne dans ce cabinet, mais en plus il a fallu que j'en rajoute une couche.

Et quels détails elle veut ?

- Croyez-moi, je vous rends service en vous les épargnant...

- Au vu de ce que j'ai sous les yeux, je n'en doute pas une seconde, mais dites-vous que c'est pour votre bien !

- Si c'est le cas, pourquoi votre charmant collègue ne m'a-t-il rien demandé?

- Il voit la blessure et la traite. Personnellement, je préfère m'assurer qu'elle relève bien d'un accident et non d'une faiblesse musculaire ou d'une malposition qui pourraient toutes deux être corrigées.

 

Et en plus elle a des arguments valides...

- Vous ne riez pas hein?

- Promis !

À sa bouche, je devine clairement qu'elle peine à retenir un sourire.

- J'étais à la piscine, j'ai voulu éviter de traverser le pédiluve à l'eau trouble et en marchant sur les bords j'ai glissé et me suis fait mal en tentant de me rattraper...

Soit elle a les lèvres en cul de poule et je ne l'avais jamais remarqué, soit elle fait de son mieux pour ne pas que je sache qu'elle se moque...

- Ça a dû être...

Elle semble chercher le mot adéquat et opte pour:

- Douloureux.

Je décide d'accepter ma destinée de honte et confesse :

- Oui, mais surtout ridicule n'ayons pas peur de se l'avouer...

- Si ça peut vous consoler, j'ai déjà eu pire... Mais au moins le mystère n'en est plus un, vos blessures relèvent de l’accidentel !

Je doute qu'il puisse y avoir pire, mais suis prête à tout pour que l'on change de sujet. Le meilleur plan pour ça reste encore de la faire parler d'elle :

- Ça fait longtemps que vous faites ce métier ?

Elle hausse un sourcil et lance, d’un air plaisantin :

- Est-ce une façon de savoir si je suis apte à m'occuper de vous ?

- Non, juste de faire la conversation... J'ai bien senti que j'étais entre de bonnes mains...

- Oh ! Euh. Merci ?!

C'est en la voyant rougir que je réalise que le ton employé ne semblait pas faire référence à ses compétences professionnelles...

Tourne sept fois la langue dans ta bouche avant de parler on a dit !

Je suis tentée par l'idée de faire comme si de rien n’était, mais ai peur de partir du mauvais pied et de créer une gêne d'entrée... Faisant usage du peu de courage à ma disposition, je me lance :

- Ça... Ahem... Ça sonnait pas comme ça dans ma tête, désolée...

Elle m'offre un sourire bienveillant et pose sa main sur mon épaule :

- Y'a pas de mal... Et ne prenez pas ça de travers, mais... J'aurais besoin que vous vous allongiez.

Est-ce qu’elle flirte ? Ou je me fais encore des idées ?

Nan, faut être raisonnable, d'ordinaire je ne suis pas glamour, mais là c'est pire que tout, aucune chance de plaire à qui que ce soit !

À mon avis, elle a juste grillé que je suis lesbienne parce qu'une hétéro n'aurait pas senti la nécessité de s'excuser (et n'aurait probablement même pas relevé d'ailleurs).

Je ne sais pas si je suis la seule à qui ça le fait, mais j'ai toujours peur que la nana en face pense que je la drague !

Du coup est ce que je dois jouer le jeu et plaisanter dessus ou... ?

Choisissant la prudence, je m'allonge docilement, un sourire aux lèvres. Sourire qui s'estompe dès qu'elle demande :

- Vous avez bien pris votre short ?

Short ? Elle a bien dit short ? Je lui lance un regard qui atteint un niveau de perplexité épatant.

- Avec un temps pareil dehors ? J'ai même prévu les tongs !

- Pour le massage, les étirements et la liberté de mouvement en exercice.

J'ai bien entendu ?

Hein ? Désolée j'ai cessé d'écouter après massage ! Vous m'intéressez là !

- Je l'ai oublié ? Mais c'est pas grave, je peux remonter mon pantalon, regardez !

Immédiatement je m'exécute sous son regard complètement désabusé.

Je me retrouve avec deux grosses boules de tissus qui me forcent à écarter les cuisses et me donnent un air de grenouille retournée.

- Magnifique ! On peut s'y mettre maintenant ?

- Mais je vous attends, il est question d'un massage je crois ?

Secouant la tête de gauche à droite, elle attrape une bouteille qui ne m'inspire pas grand-chose et verse un peu de la substance entre ses mains.

- Ça risque d’être un peu frais, mais ça va vite chauffer ne vous inquiétez pas.

Mes yeux s'écarquillent en sentant ses mains sur ma cuisse.

Elle sourit et ajoute :

- C'est pas si froid que ça, chochotte.

Je m'abstiens de tout commentaire, mais j'ai quand même envie de lui signaler que c'est au genou que j'ai mal. C'est surtout ça qui m'a surprise !

Un énorme frisson me traverse tandis qu'elle malaxe mes pauvres petits muscles endoloris.

Oh. Réflexion faite... C'est peut-être pas la peine de la stopper dans son élan...

Je reste quelques instants à profiter des sensations et remarque que la crème commence à chauffer.

- Ça brûle ! C'est anti-allergène ? Nan parce que je ne voudrais pas avoir des pustules en plus du reste !

- Oui c'est normal, le massage sert à échauffer votre muscle en vue des exercices. Ça fait un bail que vous n'avez pas utilisé votre jambe.

Plissant les yeux dans un regard hautement suspicieux, j'annonce d'un ton sceptique :

- Bon, je vais vous laisser le bénéfice du doute, mais s’il y a des pustules...

Elle relève la tête et me fait un sourire radieux, bien trop beau pour être sincère :

- Pas de pustules, promis !

J'imagine qu'elle en a fini avec la cuisse puisqu'elle qu'elle s'attaque à mon genou.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que j'ai rarement connu une sensation aussi désagréable. Malgré moi, je bouge pour échapper à ses mains :

- Arrêtez de gigoter, c'est pour votre bien.

- C'est ce que les sadiques disent ! Je crois que je préférais la cuisse !

Elle lève les yeux au ciel et me fait un nouvel affront :

- Entre « l'effet couche » de votre pantalon et votre comportement, j'ai vraiment l'impression de travailler avec un gros bébé ! Mais c'est bon, on a fini, je vous laisse vous installer sur le vélo elliptique.

Je rabaisse mon pantalon en grommelant :

- Je suis pas un gros bébé. Et j'aime pas le vélo.

Je m'exécute néanmoins de mauvaise grâce et ignore son ultime moquerie :

- Vous préférez la presse peut être ?

Pff, elle a de la chance que je sache qu'elle plaisante ! La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe que je suis !

 

*          *          *          *          *          *

 

Baptiste s'assied à côté de moi au bar et me tend mon café.

- Merci.

- De rien. Alors, comment ça va depuis le temps ? T'as encore  l'air d'être passée sous un bus !

- Toujours aussi charmant, merci de me rassurer ! Ça peut aller écoute, je continue les séances de kiné, la routine quoi !

Ma réponse le surprend :

- T'es restée avec le sadique ? Tu vois que finalement tu aimes bien !

- Oh oui j'adore quand on me maltraite... Ou pas ! Pour ta gouverne, sache que j'ai changé de praticien.

- T'es chez qui maintenant ?

- Toujours pareil, mais avec sa collègue.

Il me fait un sourire coquin et me dit d'un air entendu :

- Je vois...

-_-

- J'crois pas non !  Quelle idée tordue tu as en tête ?

- Elle est jolie ?

Ça ne devrait pas, mais sa question me surprend.

- Euh... Je sais pas...

- Rooh, joue le jeu quoi ! C'est pas une question très compliquée !

Ne m'étant pour être honnête jamais vraiment autorisée à y réfléchir, je prends un moment pour répondre. Je visualise les yeux noisette de la kiné, ses cheveux châtain mi-dos, je me rappelle la perfection de ses jambes telles que je les avais aperçues lors de notre première rencontre...  Mais je crois que ce qui me marque le plus est un sentiment qui ne se décrit pas, la manière dont son sourire illumine une pièce, cette... "Aura" de gentillesse qu'elle dégage.

Pas de doute, sans être "waouh", elle est belle.

- Oui... Oui, elle est jolie. Mais plus que ça, du peu que j'en ai vu elle a l'air d'être une bonne personne !

- On parle de moi ?

Lucie, notre barmaid préférée (car unique, mais n'allez pas lui dire) sort un verre et se sert un Perrier en s'approchant. Baptiste est plus rapide que moi et répond :

- On aurait pu chérie, mais Inès dévoile tout sur son nouveau coup de cœur, sa kiné !

Je hausse les sourcils en entendant ça. Où est-ce qu’il a été chercher ça ? Je n'ai même plus le droit de dire du bien de quelqu'un sans que ça soit mal interprété !

- N'importe quoi ! Ne l'écoute pas il raconte des bêtises !

- Pourtant vu la manière élogieuse dont tu en parlais...

Blasée, je touille mon café en lançant d'un air bougon :

- Parfois je me demande pourquoi je continue à venir ici, vous vous liguez constamment contre moi ! Tu n'as pas du boulot ?

- Non, c'est calme ce soir, tes histoires de cœur sont ma seule distraction !

- Tu risques de mourir d'ennui alors !

Baptiste choisit ce moment-là pour ajouter son grain de sel :

- Ne dis pas ça, ça peut arriver à tout moment ces trucs-là ! Qui sait, peut-être qu'avec ta kiné...

Je pousse un long soupir et tente de mettre les choses au clair :

- C'est surtout toi qu'elle a l'air d'intéresser ! Je la connais à peine, c'est juste ma kiné ! Et puis franchement, t'as vu ma tronche ? Tu l'as dit toi-même on dirait que je me suis pris un camion !

- Y'en a à qui ça plaît peut être !

- Lucie s’il te plaît aide moi !

Miraculeusement elle vient à mon secours et dit :

- Fous-lui la paix Batou ! Elle a fait bien de prendre son temps !

- Merci ! Écoute la voix de la raison !

- Lulu, la voix de la raison ? On aura tout entendu ! Mais j'ai juste une dernière question et j'arrête avec ça...

À contrecœur et surtout pour être débarrassée, je lui fais signe de continuer de la main.

- Tu penses toujours à Florence ?

Aïe. Le point qui fâche. Je hausse les épaules et m'efforce de répondre d'un ton le plus nonchalant possible :

- Ça m'arrive... On efface pas 3 ans comme ça ! Mais je n'ai plus de sentiments pour elle si c'est ça que tu veux savoir !

Sans se concerter, Baptiste et Lucie trinquent en lançant un "Amen" !

Après un court blanc et juste parce que ça l'amuse de me torturer, Lucie se penche sur le bar, m'offrant volontairement une vue plongeante sur ses attributs tout en susurrant :

- On va enfin pouvoir passer aux choses sérieuses toi et moi...

Jouant le jeu, je fais courir mon doigt le long de son bras et réponds aussi sensuellement que possible :

- Hm hmm... Pas de problème... Dès que tu seras attirée par les femmes, fais-moi signe !

- Mais tu es la seule qui m'intéresse tu le sais bien !

Je souris et porte mon café à mes lèvres. Inutile de tergiverser là-dessus, personne  n'aime plus les hommes qu'elle, à part peut-être Elton John.

22 février 2016

Chapitre 11 : Pique nique

En voiture avec Lucie, je sens le stress monter.

Elle a organisé une sorte de pique-nique au milieu de nulle part, dans une zone forestière dédiée à la découverte de la nature, le tout avec Batou et Anna. En "omettant" bien sûr de communiquer à Anna la liste complète des participants. Bref, comme d'habitude, elle assure.

Je vais tâcher de faire de même.

Elle se gare et me laisse quelques secondes pour me préparer. Ça fait une semaine que je ne l'ai pas vue et j'appréhende sa réaction. C'est une belle journée, c'est de bonne augure déjà.

Nous sortons de la voiture et nous dirigeons vers le point de rendez-vous. Baptiste et Anna sont sur place, nous tournant le dos. J'observe ma kiné à son insu. Elle a visiblement l'air décontractée, de son petit pull et son jeans à ses cheveux attachés en un chignon un peu lâche. Tant mieux.

Batou nous repère en premier, nous faisant de grands signes alors même qu'on est à environ cinq mètres seulement.

- Salut les filles !

Je ne sais pas si c'est le "les" qui lui met la puce à l'oreille, mais Anna se retourne façon diable de Tasmanie. Visiblement, le secret de ma présence avait été bien gardé. Je fais d'abord la bise à mon meilleur ami, qui en profite pour me chuchoter à l'oreille :

- Cette fois rate pas ton coup, boulet ! 

Sa remarque lui vaut une petite tape dans le dos. Il va me porter la poisse cet imbécile.

Penaude, je m'approche d'Anna d'un pas incertain. J'ai un peu peur de sa réaction mais elle me salue, peut être avec plus d'hésitation que d'ordinaire mais sans rien dire.

Je lance un timide :

- Coucou.

Elle me répond "salut" mais sans croiser mon regard.

Avant que ça ne devienne bizarre, Baptiste se moque de moi et pour une fois je lui en suis reconnaissante ! Pointant ma tenue du doigt, il s'enquiert :

- Inès, une petite question, tu comptais te cacher dans les fourrés pour flasher d'innocents passants ?

- Ha ha très drôle. J'avais peur qu'il y ait du vent ! Et pour ta gouverne ce que je porte s'appelle un trench et j'ai des habits en dessous.

- Montre pour voir ?

Pour blaguer, je me rue sur lui en écartant les pans du vêtement à la manière d'une exhibitionniste, poussant même le vice jusqu'à faire des mouvements de bassin !

Absolument pas effarouché, il baisse les yeux pour inspecter mon corps tout à fait décent puis s'adresse à Lucie et Anna par-dessus mon épaule :

- Elle disait vrai... Ça valait le coup d'essayer !

Souriante, Lulu n'en reste pas moins pragmatique :

- Maintenant que ce sujet est clos, ça vous tente de se mettre en route avant que le soleil ne se couche ? Le panier ne s'allège pas avec les minutes qui passent je vous signale.

Me tournant vers elle, je rétorque :

- Je t'avais dit de prendre un sac à dos.

Royale, elle me répond de la même manière qu'une bourgeoise prout prout le ferait avec un clochard qu'elle aurait trouvé sur son canapé :

- Ma chère, les pique-nique c'est sacré et tu n'es pas sans savoir que le rituel requiert un panier en osier et un plaid ou une nappe à carreaux !

Sortant de son silence, Anna va plutôt dans mon sens :

- J'ai dû louper ce cours-là !

Baptiste écarquille grand les yeux et tire sa cousine par le bras pour l'éloigner de Lucie :

- Malheureuse, on ne contredit pas la sorcière avant d'entrer dans un bois, t'as jamais lu les

contes pour enfants ? Au mieux elle t'y abandonne, au pire elle te garde en esclavage pour nettoyer une maison remplie de nains !

Mon regard croise celui de Lucie tandis que nous levons toutes les deux les yeux au ciel devant les singeries de Baptiste. On leur emboite le pas et malgré mon apparente sympathie je ne peux m'empêcher d'ajouter :

- Lu'... Fais gaffe t'as un truc là !

Je pointe le bout de mon nez du doigt. Pour ma plus grande joie, elle tâtonne la zone en question sans rien trouver, allant presque jusqu'à loucher avant de demander :

- Quoi ?

- Une pustule.

Je suis plutôt contente de ma vanne pourrie en voyant les cousin-cousine en rire. Sa Majesté n'en a cure et me répond du tac au tac, indiquant son oeil et lançant dans un sourire mielleux :

- Inès, fais gaffe tu vas avoir un coquard là !

Je marmonne un "rabat joie" et annonce tout haut :

- Maintenant c'est sûr, au moyen âge on t'aurait brûlée.

La connaissant par cœur, j'évite sans problème le croche-pied qui m'était destiné.

Alors même qu'il ne fait pas extrêmement chaud, entre la marche et le soleil, c'est une balade très agréable. Ma kiné ne m'a pas vraiment adressé la parole mais ne m'ignore pas non plus, donc l'un dans l'autre, je suis soulagée. Avec une bonne dose de glu, je pense pouvoir réparer les pots cassés.

On finit par arriver aux abords de ce qui semble être une clairière, entourée de petits arbustes et bordée de fleurs.

Lucie pose son panier et s'étire. Je m'en empare dans le but d'en extirper la nappe et m'exclame :

- Ça pèse le poids d'un âne mort ton truc, fallait le dire !!

Elle continue à gesticuler, cherchant certainement à remettre en place les vertèbres qu'elle s'est à coup sûr déplacées :

- Je l'ai fait. Ca m'a valu de me faire traiter de sorcière !

- Tu marques un point.

Sans un mot, Anna m'aide à mettre "la table" et je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse de sortir des couverts !  Même si ça n'envoie pas du rêve, au moins on partage quelque chose.

Nous sortons les salades avec l'aide de Lucie alors que Baptiste s'émerveille du décor et ne nous calcule même plus.

Finalement, Anna s'empare d'un grain de raisin et le lui lance dessus avec la précision d'un sniper, le rappelant à l'ordre. Ne sachant pas trop où sont les limites, je me suis mise à distance de ma kiné, laissant suffisamment de place pour que Baptiste se situe entre nous. Mais ça, c'était sans compter sur le fait que Monsieur souhaite bronzer :

- Anna, tu peux te décaler s'il te plaît ? Je voudrais être face au soleil.

Un peu de mauvaise grâce, elle se rapproche de moi malgré tout. Je me demande s'il l'a fait exprès avant de réaliser que ce type est incapable de faire quoi que ce soit discrètement.

Une fois qu'on a fini de manger, je me sens l'âme d'un paresseux. J'ai zéro envie de bouger. Je poserais volontiers ma tête sur les jambes d'Anna mais la proximité des couverts m'incite à garder mes distances. La séduction ne faisant déjà pas partie de mes points forts, à part une fan de pirates, mon succès auprès des femmes serait encore plus limité si j'étais éborgnée...

Oui, bon, ok, il serait réduit à néant, inutile de jouer sur les mots !

Lucie ne se gêne pas et m'utilise comme oreiller personnel. Au moins il y en a une que je n'ai pas encore réussi à faire fuir. Elle ferme les yeux et demande d'un ton sans appel :

- Fais-moi des papouilles !

Je ne peux pas m'empêcher de relever son infinie délicatesse :

- C'est si gentiment demandé, comment refuser !

Malgré ma remarque, je ne perds pas de temps pour m'exécuter. Comme je sais qu'elle aime bien ça, je joue avec ses cheveux et alterne avec des mini massages du cuir chevelu.

- Mhhh c'est trop bien !

Baptiste en profite pour s'éclipser, appareil photo en main. Vu l'endroit où on se trouve, il devrait avoir de quoi se faire plaisir.

Souriante, je me tourne machinalement vers Anna. Son regard est posé sur ma main caressant Lucie et je ne crois pas me tromper en disant qu'elle aimerait être à sa place. Pour ma part je ne dirais pas non.

On reste en silence pendant un bon moment, savourant l'instant et les pépiements des oiseaux.

J'ai envie de parler à Anna, mais je ne suis pas convaincue que Lucie dort et mon quota d'adresse n'a d'égal que mon potentiel en tant qu'oratrice... Réfléchis Inès, trouve un sujet.

- Alors Anna, tu profites du beau temps pour faire de la moto ?

Immédiatement, un sourire se fait sur ses lèvres :

- Ohh que oui !

Rolala, si j'étais à la maternelle je me donnerais une image ! Bon choix, continue à la faire parler de choses qui lui apportent le sourire !

- C'est quoi qui te plait le plus ?

Les yeux dans le vague, je vois qu'elle est passionnée par le sujet :

- La sensation de liberté, de sentir la moto entre tes cuisses, savoir qu'il suffit d'ouvrir les gaz pour partir à  toute vitesse et tout laisser derrière.

Ok, je suis la seule à lire une connotation sexuelle dans ses propos ? Parce que dit comme ça, ça me fait presque envie ! Et pour peu que j'imagine Anna dans sa combinaison, ça me fait CARRÉMENT envie. J'adresse une petite prière pour que ma voix sonne "normale" et lance :

- Ça a l'air bien effectivement !

Omg... Je suis à l'origine de cette voix prépubère ? Que quelqu'un vienne m'achever !

Anna fait un sourire en coin qui me laisse penser que mon auto-humiliation n'est pas passée inaperçue. Oh joie.

- Tu devrais essayer à l'occasion.

Je hausse les épaules :

- J'ai ni le permis ni la moto !

- Ça c'est pas un problème, Baptiste ou moi on peut te prendre derrière !

Sa phrase me laisse pensive... A choisir, je sais avec qui je préfère monter...

Cette fois c'est certain, mon adolescence est de retour et les dérèglements hormonaux avec. Je vois des sous-entendus partout.

- Ça me tenterait bien à l'occasion ! Ce serait ma première fois !

Ok, visiblement mon esprit pervers et ma bouche sont de connivence ! Je suis la spectatrice impuissante de ma totale perversion.

Elle écarquille les yeux en entendant ça. Mince, je me suis faite griller !

- Sérieux ? Même avec Baptiste ?

Ewww, mais bien sûr que je n'ai jamais rien fait avec lui ! Minute... Se pourrait-il qu'elle parle effectivement de moto ?

- Surtout avec lui ! Je l'ai vu jouer à moto GP, c'est pour ça que j'ai toujours refusé qu'il me promène !

Ma remarque la fait pouffer mais doit cacher un semblant de vérité puisqu'elle dit :

- C'est pas faux !

Lucie ouvre les yeux et fixe le ciel qui commence à se couvrir. Se redressant dans un grognement, elle annonce :

- Je vais aller chercher le Japonais avant qu'on ne se prenne la sauce, il a intérêt à ne pas être parti trop loin.

Ce faisant, elle m'abandonne en compagnie d'Anna et mes prières pour que tout se passe bien.

Un regard en direction des nuages me convainc du fait qu'il est effectivement temps de se bouger :

- On devrait commencer à ranger tu crois pas ?

Anna acquiesce avant de demander :

- Comment on peut être sûres qu'ils ne se sont pas éclipsés pour qu'on fasse les corvées à leur place ?

- Ah ça... Je ne parierai rien là-dessus perso !

- Tu m'étonnes.

A peine a-t-on terminé de tout remballer dans le panier que les premières gouttes se mettent à tomber.

Anna se tourne vers moi et demande dans un grimace :

- J'imagine que tu n'as pas de parapluie ?

Sa tête indique qu'elle connait déjà la réponse.

- J'ai bien peur que non.

Alors qu'elle veut replier la nappe, je l'arrête d'une main sur son avant-bras :

- Ça peut nous faire office de protection, c'est toujours mieux que rien non ?

- T'as raison.

On plie la nappe en deux et nous abritons dessous alors qu'il commence à pleuvoir des cordes.

Anna et moi nous regardons d'un air gêné, j'imagine que c'est un peu trop tôt pour partager un si petit espace. Elle jette un coup d'œil circulaire et demande :

- Je ne pense pas que ça va durer mais j'ai un peu peur que ça ne nous protège pas longtemps. Tu vois un abri ?

- Non.

Saisissant mon téléphone, j'essaie d'appeler Baptiste et Lucie mais aucun des deux ne répond.

Et merde. La nappe commence à ne plus être très étanche et j'aimerais autant ne pas choper une pneumonie aujourd'hui. En plus mes bras me font un mal de chien à force d'être en l'air.

- J'arrive pas les joindre... Faut qu'on se bouge si on ne veut pas attraper la crève.

- Je valide... Il y a un panneau là-bas !

Sans un mot de plus, on s'empare d'une anse chacune et portons l'âne mort le panier jusqu'à ce qu'on puisse lire l'indication.

Le visage d'Anna s'illumine devant ce qui est écrit :

- Serre botanique, donc un espace couvert, yes !

On se met en route dans la bonne direction aussi vite que possible mais la nappe ne sert plus à rien. Elle est tellement trempée que rien qu'à la tenir l'eau glacée ruissèle le long ma manche et c'est loin d'être ma sensation préférée.

À mon grand soulagement, le bâtiment est enfin en vue.

La porte s'ouvre sans difficulté et nous sommes accueillies par une chaleur plus qu'agréable !

Immédiatement, nous nous débarrassons du tissu mouillé et faisons l'état des lieux.

Anna se tourne vers moi et éclate de rire en découvrant ma coupe de cheveux, même si elle n'est pas en reste. Je me peigne à la main et me retiens d'aider Anna à faire de même, ne sachant pas si mes attentions seraient les bienvenues.

Son pull a l'air trempé et lui colle a la peau, j'ai froid pour elle. Comme pour me donner raison, elle est parcourue d'un énorme frisson.

Malgré ma compassion, je ne peux pas m’en empêcher et lance :

- Alors, on rigole moins de mon trench maintenant hein ? C'est peut être un manteau d'exhibitionniste, mais il est un minimum imperméabilisé au moins !

Elle rit mais je vois bien qu'elle grelotte. C'est une serre tropicale, il y fait chaud mais l'air est humide, ce qui ne va pas aider à sécher ses habits.

Je m'approche doucement d'elle et pose ma main sur son épaule :

- Ça va ?

- J'ai vraiment froid.

M'inquiétant trop pour elle pour ne rien faire, je m'assure que nous sommes seules et retire mon manteau puis mon pull sans un mot.

Anna me regarde comme si j'avais perdu la tête et je m'efforce de ne pas penser au fait qu'elle me voit à nouveau sans mon haut et avec mes imperfections.

Je renfile mon manteau, lui tendant mon pull.

- Mets ça, tu vas être malade sinon.

- Et toi, tu vas prendre froid aussi !?

Elle ne s'empare pas du vêtement et je me permets d'insister :

- Moi ça va aller. S'il te plaît...

Elle prend enfin mon haut, toute tremblotante.

- Merci.

- De rien, j'aurais juste une requête.

Elle lève un sourcil dans une question muette.

- Pas de commentaires à ton cousin sur ma tenue ou en l'occurrence absence de tenue sous mon trench !

Elle éclate de rire et m'annonce :

- Je ferai de mon mieux mais je ne peux pas promettre que ça ne va pas m'échapper !

Grommelante, je sais néanmoins reconnaître ma défaite, essentiellement parce que je n'aurais jamais le cœur de lui reprendre quoiqu'il arrive :

- Bon... Je vais m'en contenter.

Sans plus attendre et sans même me laisser le temps de me retourner, elle retire son vêtement trempé. Malgré toutes les bonnes manières que ma mère m'a inculquées, je ne peux m'empêcher de l'observer. C'est une chose de la voir en maillot, une autre en soutif... J'ai beau savoir qu'il n'y a rien d'ambigu dans son geste, mon cœur s'emballe et c'est la seule confirmation qu'il me manquait. Même après avoir foiré et potentiellement ruiné toutes mes chances, je ne suis pas prête à renoncer à elle. Oh joie.

Ses tétons sont visibles à travers le tissu devenu semi-transparent et je jurerais que la serre vient de prendre 15 degrés. Elle enfile mon vêtement et je l'aide à remonter le bas des manches que la nappe a mouillé. Elle se frotte les mains et tente de se réchauffer comme elle peut. Des habits secs c'est un début, mais il va falloir trouver autre chose...

Dans le coin de la pièce, niché dans un écrin de plantes luxuriantes se trouve un banc sur lequel je vais m'asseoir. Étant donné que l'une des extrémités est placée contre le mur, je peux m'installer à cheval, une jambe de chaque côté et le dos contre la pierre. Une fois une position, je tente ma chance en disant "viens là" a Anna, tenant les pans de ma veste dans les mains sans pour autant les écarter mais pour qu'elle comprenne l'idée.

Elle hésite clairement, ce qui me contrarie bien plus que ça ne devrait, mais finit par s'approcher d'un pas incertain.

- C'est juste le temps qu'on reprenne des couleurs. Promis je mords pas.

Sauf si c'est demandé gentiment et bizarrement je doute qu'elle le fasse.

Elle s'installe dos à moi et me laisse passer mes bras autour d'elle.

J'essaie de me concentrer sur tout sauf sa proximité, me sentant un peu coupable de profiter de l'instant, mais pas assez pour ne pas le faire.

Boulet oui, mais pas conne non plus !

La pluie bat toujours les parois de la serre et rendant agités les quelques oiseaux en cage.

Je n'ose pas parler de peur de dire une bêtise et briser l'instant.

Ses cheveux sont absolument glacés et je les écarte d'un geste certainement un peu trop tendre puisque je la sens se crisper. Mon souffle dans son cou lui donne la chair de poule et je suis plutôt contente de moi. Ignorant les signaux qu'elle m'envoie, je tente malgré tout ma chance et dépose un baiser sur sa nuque. Rien de bien méchant, mais pas anodin non plus.

Sa réaction ne se fait pas attendre puisqu'elle s'enfuit comme si je lui avais apposé le fer rouge à la place de mes lèvres, glissant plus en avant sur le banc sans pour autant se retourner.

Tant bien que mal, j'essaie de rattraper le coup :

- Pardon je... Je sais pas ce qu'il m'a pris !

Visiblement ma force de conviction n'est plus ce qu'elle était car elle pousse un gros soupir et me dit d'un ton las :

- Je pensais que j'avais été claire.

- Tu l'as été...

Un peu trop à mon goût, mais ça je m'abstiens de l'ajouter.

- Je n'ai pas réfléchi, je ne recommencerai pas...

Elle frotte ses mains sur ses bras, pour se réchauffer ou se réconforter, je ne sais pas trop.

- Reviens s'il te plaît, je ne voudrais pas que tu attrapes la mort à cause de mes bêtises.

Ses yeux cherchent les miens et je prie pour qu'elle y trouve les réponses qu'elle attend. 

Elle ouvre la bouche, puis la referme, pour finalement se détourner et annoncer :

- Non c'est bon ça va aller.

... Bon... Voilà qui me remet à ma place.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que ça fait mal d'entendre ça. C'est comme si elle m'avait donné un coup de poing en plein sur le plexus.

Les bras autour d'elle même, dos à moi, son langage corporel est limpide... On dirait une huitre et je ne suis pas la bienvenue !

Tremblotante, elle est visiblement gelée mais préfère ça à être contre moi. Je resserre les pans de mon manteau, me sentant très vulnérable.

Les minutes passent et le silence devient de plus en plus pesant. Fort heureusement, Laurel et Hardy sortent enfin de leur mutisme et m'appellent. Je mets immédiatement le tel en haut-parleur et demande : 

- Vous êtes où ? 

Au bout du fil, Lucie me répond sur un ton totalement détendu :

- En train de boire un bon chocolat chaud tiens, c'est le déluge dehors.

Je roule des yeux et regarde Anna d'un air entendu. Pourquoi ça ne m'étonne pas !

- Merci, on avait remarqué ! Vous avez des parapluies ? Il faudrait qu'on rentre, j'ai peur qu'Anna ne prenne froid !

- Euh pas sur nous mais il y a une boutique de souvenirs à côté du café, on pourrait en acheter et se retrouver. Vous êtes où ?

Je regarde autour de nous dans l'espoir d'obtenir des indices sur notre position. Anna fait de même et hausse les épaules d'un air de dire "je ne sais pas".

- Dans un genre de serre botanique tropicale. 

- Ok, bougez pas, on demande où c'est et on vous rejoint !

Je raccroche, soulagée que mon calvaire touche à sa fin. Anna s'écarte et va faire quelques exercices, sans doute dans le but de se réchauffer. Perso, je suis drainée de toute énergie. Je ne sais pas ce que j'attendais d'aujourd'hui, mais pas ça ! 

Ils arrivent et éclatent de rire devant notre apparence. On décide de rentrer sur le champ. Immédiatement, Anna va se réfugier sous le parapluie de Baptiste, me signifiant une fois de plus qu'elle veut garder ses distances. Un peu dépitée, je rejoins Lucie et nous repartons en direction des voitures. 

22 février 2016

Chapitre 13 : Prélèvement d’organes

Je suis réveillée en sursaut par le rire tonitruant de mon meilleur ami.

La lumière du jour filtre à travers les volets. 

Groggy, je me lève et sors de la chambre à la recherche d'un café, tirant sur le T-shirt pour qu'il me couvre davantage.

Ce n'est qu'en apercevant Anna à table que je me souviens de la soirée d'hier.

Un affreux doute m'envahit. Est-ce que ça s'est réellement produit ? 

Je me suis réveillée dans le trou entre le lit et le clic-clac, ce qui ne m'indique rien du tout ! 

Tous deux me sourient tandis que je m'assieds à table.

- Coucou.

Baptiste, bien trop en forme à mon goût, me demande en me servant à boire  :

- Bien dormi ?

Mes yeux tentent de croiser ceux d'Anna mais elle semble obnubilée par sa tasse de café, ayant du mal à émerger. 

- Nickel et toi ? Ton "amie" est déjà partie ? 

La manière dont le visage de Baptiste s'illumine me confirme que la soirée fut bonne avant même qu'il n'ouvre la bouche :

- Très très peu dormi mais ça en valait la peine. Oui, elle est rentrée chez elle tôt ce matin. 

- Tu comptes la revoir ?

Il hausse les épaules et réplique, peu convaincu :

- Je ne sais pas trop, on verra bien ! 

- Ça ça veut dire non !

- Et depuis quand t'es la spécialiste des relations au juste ? 

Ça me démange de répondre "depuis hier soir" mais je m'abstiens parce que 1) je ne sais pas si Anna est prête à l'annoncer à son cousin, 2) je ne sais pas si JE suis prête et 3) je ne mettrais pas ma tête à couper que ça a vraiment eu lieu.

Du coup j'opte pour une répartie nettement moins incisive : 

- Gna gna gna !

Je porte ma tasse à mes lèvres et observe Anna qui vient à ma rescousse en changeant le sujet :

- Tu sais comment tu vas rentrer ?

Malheureusement oui et cette perspective ne me réjouit guère :

- En tram j'en ai bien peur...

S'adressant à son cousin, ma kiné demande :

- T'as un casque à nous prêter ? Je pourrais la ramener... Après tout si je me souviens bien je lui ai promis une balade en moto.

Elle se tourne vers moi, radieuse :

-  Enfin si tu es toujours partante ?

Laisse-moi réfléchir, l'objet de mes fantasmes, en tenue moulante en cuir et moi collée dans son dos avec (éventuellement) mes mains autour de sa taille ? Un peu que je suis partante !

J'acquiesce d'un signe de tête accompagné d'un grand sourire qui, je l'espère, ne me donne pas l'air d'un pédophile à la sortie des classes.

S'il relève le fait que l'atmosphère est à nouveau bonne entre Anna et moi, Baptiste n'en dit rien. Tant mieux, j'ai peur qu'il ne mette les pieds dans le plat, et je préférerais attendre. On ne danse pas la carmagnole sur un pont aux bases fragiles. (Oui c'est de moi, j'ai toujours eu une âme de poétesse).

Du coin de l’œil, façon strabisme divergeant, j'espionne discrètement Anna. Avec ses cheveux nonchalamment attachés et son trop grand T-Shirt sur lequel est inscrit "I hate Mondays", elle est tout juste trognon. C'est agréable de voir une autre facette d'elle, moins proprette. Je pourrais m'habituer à prendre le petit déjeuner avec elle !

Bon ok, je pourrais certainement m'habituer à lui couper les ongles des pieds si ça signifiait vivre à ses côtés à plein temps, mais vous avez saisi l'idée ! 

On termine de manger en silence, chacun à sa manière : je savoure l'instant, Anna a l'air de rêvasser et Batou se goinfre. 

Je pars me changer en premier et Anna suit le même chemin une fois que je suis sortie, me laissant seule avec mon meilleur ami. J'ai l'impression que toutes les histoires entre sa cousine et moi nous ont involontairement éloignés.

Sans réfléchir, j'annonce :

- Tu me manques, on passe moins de temps ensemble en ce moment. Ça te dit d'aller boire un verre un de ces quatre ? Juste tous les deux j'entends.

Il fait gigoter ses sourcils et demande :

- C'est une proposition de rencard ? Tu as enfin succombé à mes charmes ?

- Batou, la seule chose à laquelle je vais succomber ce sont mes crises de vomissements si tu continues sur ce sujet. 

- Tout de suite... Mais si jamais tu changes d'avis... Où tu veux quand tu veux.

Anna revient pile pour entendre la fin de sa phrase et s'enquiert immédiatement :

- J'ai loupé quelque chose ? 

D'un geste dédaigneux de la main, j'annonce :

- Ton cousin qui interprète de façon particulièrement dérangeante ma demande 

amicale à passer plus de temps ensemble. 

- Hey ! Je suis là je te signale !

Ignorant son air offusqué, ma kiné fait mine de lui expliquer :

- C'est difficile à concevoir mais il me semble qu'elle préfère les charmes des femmes aux tiens...

Pas des femmes en général, surtout une ... Elle à beau lui "expliquer" ça comme s'il était attardé, je fais totale abstraction de ça pour me concentrer sur la manière féline qu'elle a de se déplacer, inconsciemment sensuelle...

- Mais c'est elle qui dit des choses !!

Souriante, ma kiné ignore ses protestations et me demande : 

- T'es prête, que je t'arrache à ses griffes ? 

- Plus que jamais !

On salue Baptiste et descendons les escaliers en silence. 

Arrivées à la moto, nous enfilons nos casques et Anna chevauche son engin avant de se tourner vers moi et lance :

- Tu montes ? 

Je la frappe, quasi persuadée qu'elle pensait "c'est combien?". Elle mime un air offusqué dans un :

- Qu'est-ce que j'ai fait ? 

- Tu le sais très bien. Je m'accroche où ?

Regardant droit devant, elle abaisse sa visière et j'entends :

- À moi.

En voilà une bonne nouvelle ! Pourquoi je n'ai pas insisté pour ce tour de moto auparavant ?

Sans perdre une seconde, je l'enlace, contente de pouvoir être aussi proche d'elle.

Elle démarre le moteur, pose sa main gantée sur les miennes et demande :

- Prête ?

- Plus que jamais ! 

On se met en route et le moins que l'on puisse dire, c'est que j'apprécie la balade. Je me colle autant que possible en essayant de faire en sorte que ça ne soit pas trop flagrant. La dernière des choses dont j'ai besoin, c'est qu'elle s'imagine que je tente de me faire des sensations en faisant frotti-frotta dans son dos ! 

Elle roule lentement et je lui en suis doublement reconnaissante, non seulement ça implique plus de temps dans cette position, mais ça me permet également de ne pas flipper.

On approche de chez moi et j'appréhende le moment des au revoir. Après tout je ne sais toujours pas ce qu'elle pense d'hier, si tant est qu'il se soit passé quelque chose !

Elle s'arrête à environ un pâté de maisons de chez mon immeuble, dans une petite rue déserte.

- Euh Anna ? Tu te souviens plus où j'habite ou tu comptes vendre mes organes au marché noir ?

Stoppant le moteur, elle descend de la moto et retire son casque puis le mien sous mon regard perplexe.

Je n'ose pas bouger de mon perchoir de peur de choir et d'abîmer la moto au passage.

En plus elle n'a toujours pas répondu et je commence à me demander s'il n'y a pas une part de vérité dans ma plaisanterie.

Elle passe sa main gantée dans ses cheveux et détourne les yeux, comme gênée. Incertaine, je demande d'une petite voix :

- Anna ?

- C'était beaucoup plus simple sur le papier...

Mais de quoi elle parle ?

- Me tuer et cacher mon corps dans un fourré ? C'est pour ça qu'on s'est arrêtées ici ?

Elle baisse la tête et lève juste les yeux pour croiser timidement mon regard :

- Non et non.

Elle s'avance vers moi et saisit ma main.

Les yeux dans les miens, elle se mord la lèvre avant de s'emparer des miennes dans un baiser qui me prend totalement par surprise.

Elle se recule bien trop tôt à mon goût et je peine à retenir un gémissement plaintif. C'est pas juste qu'elle ait un pouvoir pareil sur mon cœur et mon corps ! À peine un baiser et voilà que mes hormones dansent la lambada !

- Désolée mais j'avais très envie de t'embrasser et je n'étais pas sûre de pouvoir attendre jusqu'à chez toi...

C'est la meilleure nouvelle que j'ai entendue depuis longtemps. Pour donner un ordre d'idée, c'est au même niveau que l'actrice Eliza DUSHKU qui admet qu'elle pense que Faith a des sentiments pour Buffy, c'est pour dire !

- Oh mais ne t'excuse surtout pas ! Heureusement que ce n'est pas moi qui roule sinon on n'arriverait jamais !

Maintenant que je sais qu'aucun trafiquant ne va sortir de derrière un buisson pour tenter de me voler un rein, je descends précautionneusement de la moto. 

J'attire Anna dans mes bras, ayant besoin de sentir qu'elle est bien là. 

Au vu de la réaction de certaines parties de mon corps lorsqu'il entre en contact avec le sien je confirme : elle est bien là !

Elle me serre fort et j'ai la nette impression que je ne suis pas la seule qui avait envie de faire ça.

Je me recule en premier et écarte ses cheveux de son visage pour poser ma main sur sa joue. Mes yeux vont trouver les siens et on se regarde, échangeant silencieusement tous les mots qu'on ne s'est pas dit. C'est peut-être tout bête mais rien que savoir que je peux la regarder sans me cacher est quelque chose d'important à mes yeux. Bon, faut dire que c'est quelque chose que je fais beaucoup alors ça m'arrange.

Je m'approche et frôle ses lèvres des miennes, avant de les capturer dans un baiser doux qui m'étonne de moi. Ça fait des mois que je brûle d'en être là, que je rêve de ça et bizarrement maintenant que j'y suis je veux faire durer le moment, savourer l'instant. 

Après quelques minutes, on se remet en route vers chez moi. Arrivées devant la porte, je  descends et demande en désignant le casque du doigt : 

- Je le rendrais à Batou ?

- Oui si ça t'embête pas.

- Du tout.... Merci de m'avoir ramenée.

J'hésite à lui proposer d'entrer. D'un côté je n'ai pas envie de la laisser partir maintenant, de l'autre je ne veux pas passer pour la nana présomptueuse genre "salut poupée, tu passes boire un verre ? *clin d'œil entendu*". Non seulement ça fait pitié, mais ce n'est pas mon style du tout. 

Perdue dans mes pensées, j'ai failli ne pas remarquer son air gêné. 

- Anna, quelque chose ne va pas ? 

Elle baisse la tête et j'ai l'intime conviction que je ne vais pas aimer ce qui sort de sa bouche. Elle ne veut peut être pas qu'on s'embrasse en public ? 

- Je suis désolée de te demander ça mais... Est ce qu'on pourrait ne pas l'annoncer aux autres pour l'instant ? Enfin si ça ne te dérange pas...

Quelqu'un peut m'aider à ramasser mes dents s'il vous plaît ? Je viens de me prendre un vilain coup de massue à l'arrière du crâne là... 

Je détourne le regard, ne voulant pas qu'elle voie le mal que ça me fait de l'entendre dire ça. D'une voix peu convaincue, je réponds :

- Comme tu préfères. Bon... Il faut que j'y aille... À plus tard.

Je lui fais un petit sourire et m'enfuit en direction de l'immeuble sans même un bisou. Une désillusion de plus et je vais me mettre à pleurer.

Au fond, j'espérais qu'elle tente de me rattraper, mais vu que les contes de fées ne sont décidément pas pour moi, ça n'arrive pas.

Je ferme la porte d'entrée de mon appartement et m'y adosse immédiatement, me laissant glisser jusqu'au sol. Posant mes coudes sur mes genoux, je prends ma tête entre mes mains.

- Putain ! 

C'était trop beau. J'ai enfin la fille de mes rêves et je lui fais honte... Tu parles de montagnes russes.

M'enfin de toute manière je n'avais pas vraiment d'autre choix que de lui dire okay. En espérant qu'elle réalisera sous peu que ça peut vraiment le faire entre nous.

Mon téléphone vibre et le message d'Anna n'est pas celui que j'attendais :

Merci de ta compréhension, désolée de t'infliger tout ça. Bonne journée, bisous.

Honnêtement, je ne sais pas si je dois ou non me réjouir du fait qu'elle a conscience de ce qu'elle me fait endurer. Après tout, ça ne l'empêche pas de le faire.

 

*          *          *          *          *          *

 

Arrivée en avance, j'attends Anna pour notre première sortie en amoureuses.

Autant dire que j'ai orné mon calendrier d'une croix blanche ! Après la façon dont on s'était quittées, je ne savais pas comment prendre contact. Finalement c'est elle qui m'a envoyé un message. Selon moi, c'est bon signe. En même temps, selon moi, c'était sûr que j'allais finir par gouverner le monde.

Le fait que notre point de rendez-vous soit à l'autre bout de la ville est nettement moins encourageant. 

Je me demande ce qu'elle a prévu ! Boire un verre dans un bar ? Bowling ? Billard ? 

Elle se montre finalement et je n'arrive absolument pas à me retenir de la regarder de haut en bas. Comme les beaux jours sont de retour, elle porte un petit haut bleu clair et décolleté juste ce qu'il faut, avec un jean sombre et des baskets noires. Ajoutez les lunettes de soleil et me voilà séduite, simple mais efficace, tout ce que j'aime.

Elle me fait un sourire radieux et me prend dans ses bras, ce qui est de bon augure compte tenu de la manière dont on s'est quittées.

Un bisou très furtif plus tard, nous nous mettons en route. 

- On va où ?

- Si je te le dis ce ne sera plus une surprise...

- Pas grave ça ! Alors ?

Elle entrelace ses doigts aux miens et me lance dans un clin d'œil :

- Viens, tu vas vite comprendre.

Et effectivement, après même pas deux minutes de marche j'aperçois la grande roue. Toute contente, je me presse pour être devant et me tourne pour lui faire face, avançant à reculons :

- On va à la fête foraine ? Trop bien ! 

- Tu as toujours été aussi perspicace ou t'as développé ça à mon contact ?

- Très drôle. N'empêche que c'est trop mignon, comme dans les films. 

Mon compliment semble lui faire plaisir et elle me fait un sourire radieux en s'approchant du premier stand.

Je m'égare un instant, regardant sa silhouette avec un mélange de joie et d'incrédulité. J'en reviens pas d'en être enfin là avec celle que j'ai tant convoitée ! Mon premier rencard avec Anna. :) :)

Reprenant mes esprits, je me presse dans son dos en disant d'un ton joueur :

- Tu fais quoiiiii ?

Elle fait volteface et m'offre une pomme d'amour : 

- Comme dans les films !

Mon sourire est tellement grand qu'elle a dû entrapercevoir à coup sûr mes dents de sagesse. Je ne perds pas un seul instant avant de croquer dedans joyeusement.

La joie s'en va avec au moins la moitié de mes dents. 

J'avais légèrement oublié que ces délicieuses petites choses peuvent être plutôt dures. Et par "plutôt dures", j'entends acier trempé recouvert de béton armé "dur".

Mes yeux vont se poser sur le fruit et je suis étonnée qu'aucune de mes quenottes ne la décore. Apparemment, c'était une impression uniquement sensorielle ! 

Plissant les yeux, je lance un regard accusateur à Anna :

- Aurais-tu un penchant gérontophile, préférant les édentées ? 

- Oh que oui... Tu me parais encore plus attirante maintenant...

Ce faisant, elle enroule sa main autour de la mienne.  Ses yeux soutiennent mon regard tandis qu'elle amène la pomme d'amour à ses lèvres. Ses dents percent la couche de caramel avec aisance, ses lèvres venant se poser sur la morsure comme une douce caresse. Le jus du fruit humidifie sa bouche, ses yeux n'ont pas quitté les miens et je crois que je viens d'avoir un mini orgasme rien qu'à l'observer manger une pomme.

Voilà voilà !

Ça, c'est fait. 

Ça promet !

J'essaie de parler, mais émets uniquement une sorte de miaulement plaintif et je dois tousser pour retrouver la parole : 

- Si ton but est de mettre fin à mes jours, surtout continue comme ça !

Elle se mord la lèvre et tente de me porter le coup de grâce en annonçant d'un air entendu :

- Reste avec moi, j'ai d'autres plans pour toi. 

Immédiatement, mon esprit pervers me fournit 12 millions de scénarios qui me plaisent plutôt bien. 

Tout sourire, je demande : 

- Du genre ? 

Elle s'empare de ma main et m’entraîne en direction des manèges.

- Tu verras. 

N'osant pas me lancer sur un sujet glissant étant donné les épreuves que vient de subir mon cœur, j'amène la pomme d'amour à mes lèvres pour m'occuper la bouche et les pensées.

Bien qu'elle m'ait lâché la main, Anna marche assez proche de moi et je suis heureuse de constater qu'elle ne me fait plus me sentir comme une lépreuse. J'ai l'impression que celle qui m'a envoyé le texto de l'autre jour n'a plus rien à voir avec la personne que j'ai en face de moi. 

Ok, il n'y a pas de réels signes d'affection en public (tant mieux, car ce n'est pas mon truc) mais je n'ai pas non plus l'air de la pestiférée de service. 

- La grande roue ça te dit ?

Acquiesçant d'un mouvement de tête, je ne peux pas m'empêcher de la taquiner :

- J'en connais une qui met les petits plats dans les grands pour me séduire...

J’anticipe une réplique cinglante et suis totalement prise au dépourvu par sa réponse :

- J'ai suffisamment attendu ce moment pour vouloir faire ça bien...

Là je me sens comme un fondant au chocolat. De l'extérieur je fais ma dure mais je suis totalement liquéfiée en mon cœur. 

Une chaleur qui ne m'est malheureusement pas étrangère se fait sentir au niveau de mes joues. 

J'ai l'impression d'être une adolescente prépubère qui irait à son premier rencard avec le gars le plus cool de son collège : d'un côté c'est génial et de l'autre on espère plaire !

Il n'y a pas beaucoup de queue et c'est vite à notre tour d'embarquer dans la cabine. Au moment où la porte se referme sur nous, Anna est prise d'un doute :

- Je ne t'ai même pas demandé, t'as pas le vertige au moins ?

Mon esprit tordu me sort le refrain (et d'ailleurs la seule partie que je connaisse) de la vieille chanson "vertige de l'amour". Me retenant de chanter pour éviter que notre soirée ne soit écourtée pour avis de pluies diluviennes, je me contente d'un :

- Non, je te l'aurais dit avant ne t'en fais pas !

- Ça va alors.

La grande roue se met en mouvement et nous montons lentement. Le soleil est en train de se coucher et le spectacle est juste superbe. Me plaçant un peu en retrait, je fais d'une pierre deux coups ; je profite ainsi d'une vue sur les toits de la ville sublimés d'une lueur jaune orangée et du profil d'Anna, appréciant visiblement le tour.

Elle est totalement captivée par le paysage, mais arrive néanmoins à m'arracher un sourire en s'emparant de ma main, entremêlant nos doigts.

Une fois au sommet, elle la serre légèrement pour capter mon attention et se penche pour déposer un baiser sur mes lèvres.

Ne voulant pas que ce moment s'arrête, je l'attire un peu plus à moi, approfondissant le baiser. Se prenant visiblement au jeu, son autre main vient caresser la jonction de ma nuque et mes cheveux. Bien qu'elle ne fasse pas pression, ce simple geste me rassure énormément, c'est bon de sentir qu'elle en a tout autant envie que moi et que lorsque l'on est que toutes les deux ses barrières tombent.

Voulant reprendre mon souffle, je me recule légèrement et vais croiser son regard. Toutes les choses qui ont pu se passer entre nous et mes éternels doutes sont balayés par l'affection sincère que j'y vois.

Me souriant, je suis gratifiée d'un autre bisou avant qu'elle ne se tourne pour continuer son observation. Comme pour me prouver à moi-même que j'ai le droit d'initier des gestes tendres, je glisse mon bras dans son dos, caressant son épaule du bout des doigts.

Non seulement ça ne relève pas de l'interdit, mais en plus elle vient se coller à moi : jackpot !

La tentation étant trop forte, je sors mon téléphone pour immortaliser l'instant.

Voyant cela, Anna s'exclame :

- Hey ! Et mon droit à l'image ?

Tout sourire, je me tourne vers elle et annonce :

- Totalement bafoué !

Ce faisant, j'appuie sur le bouton et le bruit caractéristique de l'appareil photo se fait entendre.

Son regard vient accrocher le mien et je mitraille à nouveau, cherchant clairement à la faire râler tout en accumulant les clichés. Win - win !

Ses yeux se plissent et elle demande :

- Et tu comptes faire quoi du millier de photos que tu es en train de prendre ?

D'un ton joueur, je fais mine de peser le pour et le contre :

- Te faire chanter ou les garder en souvenir... Entre les deux mon cœur balance.

- Je vois... Dans ce cas, il vaut mieux qu'elles soient réussies, avec des plans pareils il ne faut pas de clichés en demi-teinte.

Me prenant par surprise, elle m'embrasse et alors que je suis totalement distraite par ses fourberies, elle cherche à s'emparer de mon téléphone.

Du moins c'est ce que je crois jusqu'à ce que le petit bruit m'informe qu'une nouvelle photo a été prise.

Toute fière d'elle, elle se recule en me laissant comme une carpe hors de l'eau et demande :

- Ça fera l'affaire ?

J'amène mon smartphone à mes yeux et si la danse de joie que j'ai envie de réaliser en observant le cliché est une indication quelconque, ça fait même plus que l'affaire.

Même en ayant les yeux fermés, la photo est réussie, le bisou est relativement chaste et se trouve presque éclipsé par le superbe tableau des bâtiments baignés dans la douce lumière du soleil couchant.

- Dis donc, tu m'avais dissimulé tes talents de photographe !

Se frottant les ongles sur son épaule d'un air détaché elle rétorque :

- Oh tu sais je ne peux pas te faire la liste de mes innombrables talents cachés, ça nous prendrait trop longtemps !

- Bah voyons !

Trop occupées à discuter, nous sursautons toutes les deux lorsque le type du manège ouvre la porte. Je descends, contente du déroulement de la soirée jusqu'à présent.

On marche le long des stands quand mon attention est happée par une petite peluche tortue ninjas  à un jeu de chamboule tout.

Ayant conscience d'avoir passé l'âge, je m'efforce de continuer mon chemin devant l'air de rien, mais ma discrétion naturelle est telle qu'Anna met 10 secondes à me demander laquelle me fait envie.

D'un côté je ne souhaite pas m'humilier et risquer qu'elle se moque de mes goûts, de l'autre... Bah je le voudrais vraiment bien ce nounours.

D'une toute petite voix, j'annonce donc en pointant du doigt :

- La tortue ninja... Mais dans ces trucs là on arrive jamais à avoir de peluche à moins de dépenser une fortune.

Si elle se moque intérieurement, elle cache bien son jeu et se contente de s'approcher du stand en tendant un billet au commerçant.

- Anna. T'es pas obligée hein !

Prenant les balles qui lui sont données, elle m'adresse un sourire et dit :

- Je sais, mais j'en ai envie. En plus elle est petite et ne coûte pas beaucoup de points.

Elle s'applique et fait un strike, me faisant un clin d'œil complice avant d'ajouter :

- Et je vise plutôt bien.

Cinq minutes plus tard, c'est fière comme un paon que je parcours la fête foraine avec la plus belle fille au bras ET la plus belle peluche dans les bras. J'ai trop la classe.

Je suis de ces nanas qui regardent les films romantiques avec envie en se disant qu'on a jamais eu cette chance nous, du coup même si c'est super cliché, je suis ravie du déroulement de la soirée.

 

*          *          *          *          *          *

 

Deux heures plus tard, Anna me dépose devant l'immeuble et je la regarde s'éloigner le sourire aux lèvres. Ce premier rencard n'aurait pas pu mieux se passer.

À peine rentrée, je m'affale sur le canapé, peluche en main. 

Je la serre contre moi et soupire de bonheur. Je sais bien qu'elle vient à peine de partir, mais je ne peux pas résister à la tentation d'envoyer un message à Anna quitte à émécher un peu plus mon côté "cool" déjà fortement diminué.

Voulant qu'elle aussi ait un cliché de moi mais sans pour autant apparaître présomptueuse, j'envoie à Anna une photo de nous deux côte à côte dans la grande roue, l'accompagnant d'une petite légende :

Après une longue réflexion, j'ai finalement retenu l'option souvenir, tant pis pour l'argent.

Sa réponse ne se fait pas attendre :

Madame est trop bonne ! Je note cependant que tu ne me laisses même pas profiter du fruit de mon talent !

C'est peut être bête, mais je suis vraiment heureuse qu'elle me demande la photo du bisou.

Ne me faisant pas prier, je lui envoie le cliché en question :

Je compte sur toi pour ne pas me retrouver en couverture de Closer d'ici demain !

Contente de moi, je réunis ce qu'il me reste d'énergie et pars me doucher.

En sortant de la salle de bain, je remarque que j'ai reçu un autre message d'Anna.

En lisant son mms, j'éclate de rire. Elle a pris la photo que je viens de lui envoyer et a ajouté un encadré rose "closer" dans le coin haut gauche, avec en gros titre sous la photo:

Inès, son baiser volé.

Elle a même été jusqu'à préciser la date et le prix.

La légende fait également son petit effet puisqu'on peut y lire :

Un deuxième rendez-vous ou cette photo fera le tour des tabloïds dès demain !

Je tapote rapidement ma réponse :

Tu ne me laisses pas d'autre choix que d'accepter ! Plus sérieusement, merci encore pour cette soirée, je me suis bien amusée. J'ai déjà hâte de te retrouver...

Avant d'envoyer le message, je marque une légère pause, hésitant... Même si ma dernière phrase est sincère et que ça fait plusieurs mois qu'Anna et moi sommes "amies", j'ai toujours peur d'aller trop vite...

Oh et puis merde, ce n'est pas comme si c'était une inconnue que je venais de rencontrer.

Pressant le bouton envoi avant de changer d'avis, j'attends sa réponse non sans trépigner.

Lorsque la sonnerie retentit, je manque de faire choir mon téléphone dans mon empressement :

Le plaisir était largement partagé, je te l'assure. C'est maintenant que je me dis que la patience n'est peut-être pas une vertu, parce que si j'avais su comment ça allait se passer, je n'aurais pas pu attendre tout ce temps pour t'inviter. :p T'es libre après demain soir ? (Je sais que t'as rdv avec mon couz demain mais je vise la courte échéance pour se revoir !)

En lisant cela, mon sourire devient immense. Je suis passée à deux doigts de me fouler un muscle maxillo-facial, c'est sûr ! Je m'empresse de verrouiller le message pour qu'il ne puisse pas être supprimé par erreur. Limite je l'imprime !

Laisse-moi consulter mon agenda de ministre... Mhhh oui je devrais pouvoir te trouver un petit créneau.

Nickel ! Par contre si tu veux bien m'excuser je vais aller me coucher, je suis crevée. Fais de beaux rêves. Je t'embrasse.

Pas de prob. Bonne nuit à toi aussi et gros bisous :*

Ravie de ma soirée, je termine de me sécher et me glisse sous les draps. Pas de doute, mes rêves vont être bons.

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6 octobre 2013

Toast : Histoire

 

Je dépose avec soulagement ma valise sur la couchette inférieure, n'ayant ni la force ni l'envie de la placer sur le porte bagage situé en hauteur. De toute manière, avec un peu de chance je serais seule.

Mes fesses font la rencontre du matelas modèle SNCF et elles comme moi espérons que notre relation sera celle d'une nuit seulement.

Je me relève pour aller regarder par la fenêtre, n'ayant pas du tout sommeil. La vitre du train est taguée et pas ce qu'il y a de plus propre. Pas grave, j'ai déjà bien trop vu cette ville, il est temps de m'échapper et prendre quelques vacances.

La tête qu'a faite ma mère quand je lui ai annoncé que je comptais me prendre un pass Interrail et voir du pays pendant mes vacances...

"SEULE ? Tu comptes y aller SEULE ? Cécile Virginie Carré, tu oublies tout de suite cette idée !"

Étonnamment, malgré l'usage de mon deuxième prénom, j'ai fini par la faire céder. Ma seule concession est d'avoir promis de voyager exclusivement dans les compartiments femme. Autant dire que j'ai réalisé la meilleure négociation de ma vie.

Le train finit par se mettre en marche, direction : l'Europe. Normalement je devrais rouler toute la nuit pour arriver à Budapest dans la matinée.

Sortant mon téléphone, je vois 2 messages de ma mère.

"Donne-moi de tes nouvelles tous les jours sinon j'appellerai directement la police !"

"Et ferme la porte de ton compartiment à clef, c'est fait pour ça ! Je t'aime, prends soin de toi !"

Souriante, je vais verrouiller la porte. Si ça peut rassurer ma maman poule...

Elle regarde beaucoup trop de films policiers, je suis persuadée qu'elle croit qu'une horde d'hommes mal intentionnés rôdent dans les trains de nuit dans le seul but de trouver une proie facile qui n'aurait pas verrouillé sa porte.

Secouant la tête devant l'absurdité d'un tel scénario, je m'apprête à m'allonger lorsque la clenche de la porte est actionnée.

Quelqu'un essaie visiblement de rentrer!

...

Maman avait raison ?!

Je commence à me poser des questions lorsque l'on toque et une voix féminine se fait entendre.

- Il y a quelqu'un ? J'ai une place réservée dans ce compartiment !

Soulagée, je me sens ridicule d'avoir douté et m'empresse d'aller déverrouiller la porte

Une jeune femme, qui doit comme moi être début vingtaine se tient de l'autre côté.

- Bonsoir, désolée j'avais la musique, je ne vous avais pas entendue.

Elle sourit à mon mensonge et répond.

- Bonsoir,pas de problème c'est ma faute j'ai failli manquer le train je suis montée dans le premier wagon et le temps de venir jusqu'ici... Je peux ?

Je réalise que je me tiens toujours dans le pas de la porte, lui bloquant l'entrée. Je m'écarte rapidement, me confondant en excuses. Même en me reculant autant que possible, ça ne lui laisse pas une marge de manœuvre énorme pour se mouvoir.

Elle rentre en premier, tire sa valise avant de difficilement réussir à fermer la porte. Elle se retourne et me fait un sourire gêné.

- C'est plutôt étroit ici !

C'est un doux euphémisme, j'ai déjà vu des boites à chaussures plus grandes que cette pièce.

- A qui le dites-vous ! Et dire que normalement c'est fait pour quatre personnes !

- Oh à quatre enfants de 6-8 ans ce doit être confortable !

Elle se penche pour attraper sa valise, frôlant par la même occasion mon entrejambe de ses fesses. Involontairement, mes yeux se baissent pour contempler la scène, et mes pensées se mettent à divaguer. Je vois bien qu'elle n'a pas le choix vu la taille du compartiment, mais son geste, bien qu'innocent, ne me laisse pas indifférente.

J'ai envie de me presser davantage contre elle pour rendre le contact réel, sentir les muscles de ses fesses...

Ok. Stop.

Au vu de ma réaction, je peux dire que ça fait bien trop longtemps que personne ne m'a approchée. Désespérée et ayant envie de reprendre le contrôle de mes pensées et mon corps, je tente de me reculer, en vain. Je suis déjà collée contre la fenêtre et à moins d'apprendre à traverser les murs je n'irais nulle part.

Comme quoi faire vœu de chasteté ça demande une vraie vocation !

Alors que mes yeux se reposent malgré moi sur sa silhouette, en appréciant les délicates courbes féminines qui me font rêver depuis trop longtemps pour le dire, je l'entends racler sa gorge. Je ne réalise que trop tard qu'elle me regardait et n'a probablement rien manqué du petit voyage qu'ont entrepris mes mirettes.

Soit elle ne m'en tient pas rigueur, soit elle m'a vue sans vraiment voir, toujours est-il qu’elle ne dit pas un mot à ce sujet, se contentant d'un :

- Vous pouvez m'aider s'il vous plaît ? Je ne pense pas réussir à la porter toute seule.

Elle pointe l'énorme chose supposée contenir de quoi voyager mais quoi doit dans son cas être un complexe hotelier clandestin et malgré mon absence totale d'envie de l'aider, je me surprends à répondre :

- Bien sûr.

Elle se redresse et se décale autant que possible pour me laisser accéder à sa valise. Je me glisse dans son dos en direction de la porte et place mes mains où je peux, tentant d'avoir une prise correcte sur la valise.

- Attention c'est lourd !

Même à deux, on peine à soulever jusqu'au-dessus de nos têtes les 1,5 tonnes que pèse (au bas mot) sa valise.

On réussit à la glisser à l'endroit voulu, et j'espère pour elle qu'elle n'a besoin de rien qui se trouve là-dedans car il est hors de question que je ruine mon dos une seconde fois.

Je rabaisse mes bras avec soulagement, en plaçant un sur la couchette supérieure.

- Merci !

- De rien !

Ses yeux viennent trouver les miens pendant de longues secondes. C'est impoli de fixer, mais visiblement je ne suis pas la seule à avoir des soucis de politesse. Ce n'est qu'en voyant son regard interrogateur se poser sur mon bras que je réalise que je l'emprisonnais entre la vitre et moi, lui barrant le passage. Faisant un bond en arrière (de 10 bons centimètres!), je lui redonne son espace vital et tente de détourner l'attention de ma bourde en plaisantant :

- Vous avez mis quoi là-dedans, des agglos ?

Elle sourit et s'accoude d'un bras sur la couchette, restant debout les jambes croisées et adossée contre la vitre.

- Non, des chaînes !

Mes yeux s'écarquillent et mes sourcils sont à deux doigts de fusionner avec mes cheveux. Je suis prête à parier que j'ai aussi fait l'une des plus belles imitations de carpe jamais réalisée.

Ce n'est qu'en la voyant exploser de rire que mon génial cerveau comprend que j'ai été bernée.

- Relax, je plaisante. Vous avez l'air super tendue c'était une tentative pour détendre l'atmosphère.

Elle le serait sûrement autant que moi si elle aussi réalisait au pire moment possible à quel point ça fait longtemps qu'elle n'a pas eu un corps contre le sien. Et depuis quand dire qu'on a des choses louches dans son sac aide les gens à se mettre à l'aise ?

Pour toute réponse, je n'ai qu'un petit sourire à lui offrir. Bien vite elle s'inquiète :

- J'espère ne pas avoir été trop loin...

- Non, vous avez raison j'aurais bien besoin de me détendre...

Je laisse la fin de ma phrase en suspens et soutiens son regard. Je ne comptais pas faire sonner mes paroles comme... Comme une invitation, mais sais très bien que si l'occasion se présentait, je me laisserais aller. Ces derniers temps ma vie est triste et morne et je suis là pour qu'elle change.

Elle hoche la tête et reste silencieuse un moment, songeuse. J'ai envie de lui demander à quoi elle pense, quitte à faire ma fille, mais n'ose pas.

Elle passe à côté de moi et se retourne. Ses yeux cherchent les miens et le bruit sourd qui vient signifier que la porte est à présent verrouillée est immanquable...

Après sa dernière "plaisanterie", je pourrais / devrais me sentir en danger en la voyant faire ça. Ma seule réaction sera une contraction involontaire entre mes cuisses. Je ne connais pas cette inconnue qui vient de nous enfermer à clef dans ce compartiment exigu, et cette situation m'excite terriblement. J’en ai assez de passer mon temps à m'inquiéter pour tout et rien, ça n'en vaut pas la peine. Advienne que pourra.

Elle me sourit et une pointe de déception se fait sentir en la voyant aller s’installer sur sa couchette

Il faut que j'arrête de me faire des films, c'en devient limite ridicule. Il est temps d'écouter mes proches et me caser avant d'être irrécupérable. En plus j'ai déjà un matou, plus que 68 autres et c'est bon pour mon statut de « dame aux chats ».

Je dois oublier mes fantasmes d'amour au féminin et me trouver un mec avec qui ça se passe bien. Et c'est pas parce que jusqu'à présent toutes mes relations ont été hétéros et désastreuses qu'elles le seront dans le futur, hein ?

Imitant ses actions, je me hisse à mon tour sur ce qui va me servir de lit. Mon esprit n'est pas du tout fatigué et mon corps l'est encore moins, ce sera miraculeux si j'arrive à fermer l'œil de la nuit.

Je m'allonge malgré tout, consciente qu'à moins d'un mètre se tient une parfaite inconnue qui possède ou ne possède pas une valise remplie de chaînes.

Comme d'habitude, je m'installe sur mon côté gauche, faisant face à ma compagne de voyage.

Je n'arrive pas à m'empêcher de la détailler d'une manière tout sauf discrète qui me vaudrait une claque derrière l'oreille si ma mère me voyait faire. Je ne sais pas si l'inconnue se prête sans broncher à mon inspection, ou si elle ne sent pas le poids de mon regard. Après tout, elle est en train de lire.

Ses cheveux châtains clairs sont attachés en une queue de cheval faite à la va vite. Seule une mèche de cheveux s'échappe à l'avant.

Mon regard va détailler le galbe de sa poitrine que sa chemise partiellement ouverte laisse entrevoir.

Je m'imagine me lever et venir glisser ma main entre les replis du vêtement, et répondre au regard surpris qu’elle me lancerait par une caresse plus prononcée. Voyant qu'elle ne m'arrêterait pas, je déboutonnerais son chemisier de mon autre main, me délectant de l'envie dans ses yeux, sentant son pouls rapide sous mes doigts. Je la caresserais lentement pour commencer, voulant qu'elle aussi ressente le désir latent, sournois et puissant qu'elle a créé en moi. J'attendrais qu'elle n'en puisse plus, qu'elle soit à deux doigts de me supplier avant de chercher à lui offrir un quelconque soulagement. Elle me -

- Ça va ? Vous respirez étrangement.

Je suis sortie de mes rêveries aussi brusquement que j'y étais entrée et répond d'une voix teintée de désir que je reconnais à peine :

- Oui oui, j'ai un peu chaud c'est tout. Je vais essayer de faire attention, de... de respirer moins fort.

- Oh ne vous en faites pas, j'ai juste eu peur que vous ne fassiez une crise d'angoisse ou je ne sais quoi. Je ne saurais pas quoi dire au personnel médical, je ne connais même pas votre nom...

Je lui souris, trop gênée par l'énormité du mensonge que je viens de dire pour embrayer sur une conversation normale, me contentant de susurrer :

- Cécile.

- Enchantée.

Sans pour autant me dire son prénom, elle se lève et tripote les boutons situés au-dessus de la porte, avant de se diriger vers la fenêtre. Un petit sourire désolé aux lèvres, elle m'annonce :

- J’ai bien peur qu'il n'y ait rien que l'on puisse faire pour faire baisser la température.

Les lumières de la ville qui traversent la fenêtre créent un contre-jour qui fait d'elle une ombre féminine à l'aspect quasi fantomatique. J'ai presque l'impression que rien de tout ça n'est vrai.

Elle reste debout et s'adosse à sa couchette m'observant un moment avant de demander :

- Vous allez où ?

Je hausse les épaules et parle d'un ton qui trahit ma lassitude :

- Peu importe. Loin.

Elle semble réfléchir un instant à mes propos, tournant la tête vers la fenêtre pour regarder les lumières défiler.

- Qu'est ce que vous espérez trouver ailleurs ?

Je me redresse et me met sur le dos, appuyant ma tête contre le mur.

Ailleurs ? J'espère réunir le courage de me trouver. Rien que me rendre dans un bar gay me conviendrait, ou rencontrer des jeunes moins peureux que moi qui accepteraient de m'en parler. J'ai envie d'avoir des réponses, de savoir pourquoi je ne m'attache pas aux hommes que je rencontre... Même si au fond je connais la vérité, j'ai besoin d'être à un endroit où je ne connais personne pour me l'avouer.

Mes yeux eux aussi accrochent la fenêtre sale qui laisse entrevoir cette vie que je fuis et bien que ça ne regarde pas le moins du monde cette inconnue, j'ai envie de lui répondre avec honnêteté.

- Moi... Je veux dire... Ici, je me sens jugée, oppressée. J'ai l'impression de jouer un jeu et pas ma vie. J'ai envie de vivre pour moi, me lâcher, cesser d'avoir peur de tout. Je veux écouter mes envies et voir si ça me permet de répondre à mes questions... Même si ce n'est que pour un temps... J'en ai besoin.

- C'est compréhensible... Pour tout vous dire, je suis un peu dans le même cas.

Ah oui ? Toi aussi t'es une potentielle énorme lesbienne qui ne s'assume pas et qui étouffe dans son placard ? M'abstenant de formuler une réponse désobligeante et, il faut bien l'avouer, piquée dans ma curiosité, je m'empresse de demander :

- Comment ça ?

- Bah... J'en ai assez de cette vie monotone, j'ai pas envie de vivre pour travailler. Je sais pas comment l'expliquer mais il faut que ça change... J'ai envie de nouvelles expériences, de sortir de ma zone de confort.

Le silence s'installe quelques secondes et je crois qu'on déprime un peu l'une comme l'autre.

- Mais bon, regardez, même pas trente minutes après mon départ et déjà une nouvelle rencontre !

Je souris devant son enthousiasme mais vois très bien qu'au fond elle est aussi « abîmée » que moi. Pour remonter un peu le moral des troupes, je lance :

- Si j'avais de quoi boire, je trinquerai à ça !

Elle lève un verre invisible et s'exclame :

- Aux nouvelles rencontres !

Amusée, je décide de surenchérir.

- Je dirais même plus, a nous !

Elle mime un cul sec et pose sa « boisson » sur sa couchette. Ses yeux croisent les miens et soutiennent mon regard avec une grande intensité. Je reconnais cela comme étant une question muette mais ne sais pas laquelle, ni quoi en faire.

Je brise le contact en premier, distraite par ses mains qui jouent avec la chaîne à son cou. J'ai la gorge sèche et le désert de Gobi est une oasis comparé à ma bouche lorsque je vois qu'elle se mordille la lèvre en m'observant.

Mes pensées repartent dans un scénario dingue ou j'ai enfin l'occasion de découvrir l'amour au féminin autrement que dans ma tête.

J'essaie de maîtriser mon trouble mais doute de mon succès, d'autant plus que j'ai conscience du fait qu'elle me fixe toujours. Je me demande si elle a déjà été attirée par les femmes... Elle ne ressemble pas à l'idée que je me fais des lesbiennes, mais après tout je n'ai jamais osé mettre les pieds dans un bar gay, alors je ne connais que le stéréotype.

Perdue dans mes rêveries, je sursaute à moitié en l'entendant dire :

- Maintenant que vous l'avez fait remarquer j'ai chaud moi aussi. Ça vous dérange si je retire ma chemise ?

Une partie de moi se dit que c'est une très mauvaise idée, mais je l'emmerde.

- Non... Allez-y.

Si ma voix ne m'avait pas déjà trahie auparavant, cette fois elle l'aura fait. Mon autorisation sonnait entre la provocation et l'ordre

Ne voyant que son ombre, je ne suis pas sûre qu'elle me fixe, mais j'en ai la nette impression. Entre ça et le terme de « rencontre », je me surprends à espérer que ce déshabillage soit moins innocent qu'il n'y paraît.

Je n’essaie pas de cacher le fait que je l’observe se dévêtir. Je n’ai strictement rien à perdre, au pire elle me voit et puis quoi ? Elle me pointera du doigt en chantonnant « oh la lesbienneuuhh » ?

Ses doigts défont lentement ses boutons, me confortant dans l’idée que le spectacle m’est destiné. Ce ne sont pas les gestes habituels et mécaniques que l’on fait le soir, mais des mouvements contrôlés, sûrs et lents.

Elle se débarrasse de sa chemise et je suis navrée qu'elle ait décidé de porter quelque chose en dessous. Vraiment, vraiment navrée.

Se tournant vers ma couchette, les lumières extérieures illuminent le haut de sa poitrine que son petit caraco ne contient pas, et voilà que ma respiration refait à nouveau des siennes.

- Vous devriez faire comme moi avant de tomber dans les pommes...

Devant mon regard interrogateur elle précise sa pensée :

- Retirer votre haut je veux dire.

Son assurance me désarçonne. Est ce qu'elle se rend compte de ce qu'elle suggère à une parfaite inconnue ou au contraire est-elle naïve au point de ne pas réaliser que je suis à deux doigts de lui sauter dessus ?

Paniquant un peu devant son audace, je tente de désamorcer la tension sexuelle que je ressens en lançant :

- Vous me réanimeriez hein ?

Elle s'approche jusqu'à être juste devant moi qui suis toujours allongée, sa poitrine au niveau de ma tête. Elle s'accoude sur ma couchette, m'offrant une vue plus qu'appréciable.

Du bout des doigts, elle caresse mon bras dénudé. Ses yeux suivent ses mouvements et la chair de poule qu'ils provoquent, avant de venir se ficher dans les miens alors qu'elle dit :

- J'essaierais.

La sécheresse dans ma bouche ne s'arrange pas. Elle cesse tout mouvement et croise ses bras mais soutient mon regard.

Oh et puis merde, advienne que pourra.

Je n'ai pas l'amplitude nécessaire pour retirer mon haut depuis ma couchette et descends en une fraction de seconde à ses côtés dans l'allée centrale.

Elle est plus petite que moi mais me domine complètement par la confiance qu'elle dégage.

Elle s'adosse à la porte et ne me quitte pas du regard. Je me sens sous son emprise alors que mes doigts s'enroulent de part et d'autre de mon haut, sans même que ça soit une décision consciente. Je le retire d'un seul coup, façon sparadrap, de peur de me dégonfler.

Si elle avait un autre vêtement en dessous de sa chemise, ce n'est pas mon cas. Seul mon soutien gorge baldaquin habille la partie supérieure de mon corps.

Je reste plantée là, à attendre je ne sais quoi. Son aval peut être.

D'une poussée des bras elle se détache de la porte pour s'approcher de moi. Elle s'arrête une fois clairement à l'intérieur de mon espace personnel.

Je m'efforce de ne pas reculer, sachant très bien que de toute manière la vitre crasseuse est à moins de 10 centimètres dans mon dos.

Elle comme moi avons une respiration qui trahit l'apparente tranquillité de notre interaction.

Ses yeux descendent le long de mon corps, et les lumières de la nuit jouent maintenant en ma faveur. Je peux voir à quel point ses pupilles sont dilatées, et sa langue, qu'elle n'a probablement pas conscience de passer sur ses lèvres...

Elle remonte sa main le long de mon bras gauche, jouant avec la bretelle de mon soutien gorge. Alors que je suis persuadée qu'elle va l'abaisser, elle demande :

- Toujours chaud ?

J'acquiesce sans l'ombre d'une hésitation, voulant voir ce qu'elle compte faire ensuite. Et ce n'est certainement pas un mensonge, le mélange de peur et d'excitation qui me gagne me donne des bouffées de chaleur.

Ses yeux dans les miens, on s'observe, comme deux fauves engagés dans un combat à mort.

C'est elle qui brise le silence d'un ton à la fois doux et direct :

- Enlève ton pantalon.

Je ne peux m'empêche de noter qu'on est passées au tutoiement et que ce n'est pas une question. Mais j'en ai une pour elle :

- Et toi ?

Un sourire lent et séducteur vient jouer sur ses lèvres. D'un mouvement rapide, elle retire son haut et ses deux mains viennent faire sauter le bouton de son jeans, avant d'en baisser la braguette.

Elle avance encore jusqu'à venir se plaquer contre moi, pour me pousser contre la vitre. Ses lèvres se posent d'abord sur ma clavicule, puis remontent le long de mon cou. Elle prend le lobe de mon oreille entre ses lèvres et joue avec, me faisant frissonner.

Ma respiration se fait de plus en plus rapide et mes poings se serrent le long de mon corps dans un effort de retenue. Je n'ai pas la moindre idée de comment nous en sommes arrivées là. Et je m'en fous.

Elle se presse davantage contre moi et me murmure à l'oreille :

- J'ai encore plus chaud à l'idée de ce que je vais te faire.

Elle se recule brusquement, me laissant glacée là où elle se trouvait. Son regard est intense alors qu'elle caresse la limite entre mon ventre et mon jeans.

Elle s'accroupit devant moi et vient embrasser la zone où se trouvaient ses mains une seconde avant.

Je suis partagée entre fermer les yeux ou baisser la tête, sachant que la lumière qui traverse la fenêtre n'éclaire que la partie supérieure de la pièce.

Ma main se glisse dans ses cheveux, l'encourageant. Je note la longueur des mèches sous mes doigts, chose que j'associe à cette féminité qui me fait tant envie, ce qui ne m'aide pas du tout à maîtriser mon excitation. C'est en train d'arriver.

Elle finit par cesser et défait mon pantalon. Elle le fait glisser juste sous mes fesses et se relève, tapotant la couchette supérieure.

Sans même prendre le temps de réfléchir, je me hisse dessus, les jambes dans le vide.

Souriante, elle se débarrasse de tout ce qui se trouve sur son chemin, me laissant en sous-vêtements devant elle.

Elle écarte mes cuisses et embrasse l'intérieur de mes genoux, qui sont beaucoup plus sensibles que je ne l'aurais cru. Je me sens à la fois vulnérable et en sécurité, c'est une sensation très étrange.

J'ai envie de sentir son corps contre le mien et lui fais comprendre de venir me rejoindre. Me reculant, j'attends qu'elle grimpe à mes côtés. Avant de me rejoindre, ses yeux viennent capter les miens, tandis qu'elle retire un par un les divers vêtements sur son chemin, se retrouvant en sous-vêtements. La pénombre favorise le jeu d'ombre et de lumière, caressant et sublimant ses formes. L'ensemble me frustre. C'est à la fois trop et pas assez. Je veux en voir davantage mais ce que je vois est parfait.

La couchette est exiguë et je suis obligée de plier mes jambes, plantes de pied à plat contre le matelas si je veux tenir en longueur.

Elle prend appui sur ses bras et se hisse au niveau de mes pieds, s'arrêtant un moment pour m'observer.

Ne tenant plus, je contracte mes abdos pour venir lui saisir la main, l'encourageant à me rejoindre.

Elle se glisse entre mes jambes, se plaçant à quatre pattes au-dessus de moi, me surplombant. Nos corps ne se sont pas encore vraiment touchés que déjà mon sang palpite dans mes veines.

Mon autre main relâche la prise de la mort que j'avais sur le matelas pour venir découvrir son dos. Ses yeux cherchent les miens et elle me sourit.

D'un geste étonnamment tendre, elle place une mèche de cheveux derrière mon oreille.

- Je n'ai jamais fait ça, je ne suis pas sû-

Son index vient me réduire au silence.

- Crois le ou non, mais je n'ai pas pour habitude de faire ce genre de chose. C'est même la première fois... Tout ce que je sais, c'est que j'en ai envie... Mais si jamais tu veux arrêter, t'as juste à dire le mot.

Elle retire son doigt, me laissant la parole. Mon cœur bat à tout rompre. Ce n'est certainement pas sage, mais je veux continuer et voir où ça va nous mener.

Mes mains font pression dans son dos pour l'encourager à s'allonger sur moi.

Elle se laisse faire et s'accoude de part et d'autre de moi, supportant la majeure partie de son poids. Un soupir s'échappe de mes lèvres en sentant enfin sa peau contre la mienne. La sensation d'un corps féminin contre moi est mieux que ce que j'aurais pu imaginer.

Mes mains vont masser les muscles de son dos, tandis que je découvre son cou de mes lèvres.

Sa peau sent la pêche, elle est souple, douce, chaude et j'en veux davantage.

Je glisse l'une de mes cuisses entre les siennes et mordille sa nuque. Sa respiration se fait plus laborieuse et je suis fière de moi. L'idée que c'est moi qui la mette dans cet état m'excite au moins autant que ce que nous nous apprêtons à faire.

Elle se dérobe sous mes lèvres et je m'apprête à m'en plaindre lorsque je vois ou ses yeux se posent. C'est une question muette à laquelle je n'ai aucun mal à répondre.

La prenant par surprise, je soulève ma tête et viens capturer ses lèvres. Elle me rend mon baiser avec une intensité à peine croyable.

Tout ce qu'il pouvait me rester d'hésitation s'envole par la fenêtre, she feels right. Elle m'embrasse avec abandon, comme si elle était dans le désert et que j'étais la dernière goutte d'eau. Nos langues se rencontrent, nos souffles sont saccadés et je me sens en symbiose avec cette inconnue. Les pièces du puzzle de ma vie se mettent en place et elles s'imbriquent parfaitement.

Au fond de moi, je me dis qu'un baiser est quelque chose de trop intime pour être partagé comme cela... Mais quelque chose s'est passé, qui fait que j'avais besoin de ça, besoin de me livrer sans réserve, de lâcher la bride.

Je caresse sa nuque d'une de mes mains tandis que l'autre va découvrir le galbe de ses fesses. Je l'empoigne et l'attire plus à moi, la faisant s'appuyer sur ma cuisse.

A travers le fin tissu de son boxer, je sens son envie sur ma peau et savoure cette sensation nouvelle.

Elle tente de glisser un bras dans mon dos et je me soulève pour l'aider à dégrafer mon soutien-gorge.

D'ordinaire, il y a toujours un moment où je me sens vulnérable lorsque ma peau nue est exposée à l'air ambiant. Mais pas cette fois. Je me sens vivifiée, comme libérée.

Elle se redresse à moitié, le plafond bas du train ne lui permettant pas de se tenir convenablement à cheval sur moi.

Ses mains viennent caresser mes joues, descendent le long de mon cou, tracent mes épaules et parcourent mes bras jusqu'à mes mains placées sur ses cuisses.

De là, elle les fait courir sur mes flancs, me griffant légèrement les côtes sous ma poitrine, créant un énorme frisson. Je me cambre sous elle et l'entend sourire plus que je ne la vois.

Elle met enfin fin à mon attente et porte son attention sur ma poitrine. Ses doigts viennent jouer avec mes seins, et je me contracte involontairement sous elle.

- Sensible ?

- Très !

- Bon à savoir...

Elle se penche et capture mon téton entre ses lèvres. De sa langue, elle joue avec, ne me laissant aucun répit.

Le train passe aux abords d'une ville et je profite des lumières fugaces pour observer la scène. Elle voit très bien mon manège et se recule légèrement, me laissant apercevoir ce que fait sa langue.

Il n'y a même pas deux heures je n'avais jamais rencontré cette inconnue et elle est a cheval sur moi, quasi nue, et sa bouche fait des-- oh.

Assez pensé.

Je réalise soudain que sa position me donne accès à bien des choses et en profite pour me débarrasser de son soutien-gorge.

Elle le laisse glisser le long de ses bras et le jette sans égard. Je repense à mon rêve éveillé un peu plus tôt et découvre enfin sa poitrine de mes mains.

Elle n'a pas besoin de me le dire pour que je sente qu'elle aussi est sensible. Son corps réagit à mon toucher et j'ai envie de savoir jusqu'à quel point.

Nos lèvres se retrouvent presque violemment. L'une de ses mains vient saisir mes cheveux. Elle ne tire pas dessus, se contentant de les empoigner, mais c'est bien suffisant pour éveiller quelque chose en moi.

De ma main, je pars de son épaule, caresse ses côtes pour enfin glisser sur son bas ventre. Mon toucher est sûr et possessif alors que mes doigts viennent faire pression sur son sexe à travers le fin tissu. Savoir que je la tiens littéralement au creux de ma main me plaît à un point fou. Son excitation n'est plus contenue par le vêtement saturé et mon propre corps réagit en sentant cela.

Les réponses à mes questions sont littéralement au bout de mes doigts et mes derniers doutes s'estompent.

Elle gémit dans ma bouche et accroît sa poigne, ondulant sur ma main au rythme effréné de notre baiser. Je recourbe légèrement mes doigts et l'observe se frustrer en tentant d'en tirer profit, pour être finalement bloquée par les limites du tissu.

Je souris contre ses lèvres et elle se recule, venant murmurer à mon oreille :

- Tu trouves ça drôle ?

J'aurais du m'y attendre mais je suis surprise en sentant sa main me rendre la pareille. A travers mon sous vêtement, ses doigts font mine de me pénétrer, sans jamais vraiment pouvoir aller jusqu'au bout et cela me rend dingue !

De ma main libre, je saisis son seul vêtement restant et tente tant bien que mal de l'abaisser. Elle m'aide et l'on gémit en même temps lorsque je la découvre enfin sans barrière sous mes doigts.

Mon autre main empoigne sa hanche et l'encourage à venir s'empaler sur mes doigts. Elle s'exécute d'un seul mouvement, me gardant au plus profond d'elle. Je sens ses muscles se contracter autour de mes doigts pourtant fins.

Son souffle erratique caresse mon oreille et je l'entends murmurer :

- Tu sens ce que ça me fait ?

J'acquiesce sans un mot, me mordant la lèvre. Lentement, elle se met en mouvement, s'appuyant contre le mur au dessus de ma tête de la main qui était auparavant dans mes cheveux.

Le spectacle est à tomber par terre... Ses seins se balancent doucement au dessus de mon visage tandis qu'elle se sert de ma main à son gré. C'est l'une des choses les plus érotiques qu'il m'ait été donné de voir.

J'en veux plus !

Je n'y tiens plus et relâche un instant sa hanche pour saisir son poignet et la guider sous mon sous vêtement. J'ai besoin qu'elle me touche, qu'elle me possède. J'ai besoin que ça soit vrai.

Sachant très certainement quel pouvoir elle a sur moi, elle me torture et me caresse comme si elle avait tout le temps du monde... Puis sans prévenir, elle entre en moi. Je me raidis à la soudaine intrusion, parcourue par une vague de plaisir.

Elle place sa cuisse derrière sa main et calque ses mouvement sur ceux de son bassin, nous pénétrant l'une l'autre au même rythme..

Mes yeux scrutent la pénombre pour observer l'endroit où se trouvent nos mains, ce qui ne m'aide pas le moins du monde à me calmer.

Ses va et viens sont lents et profonds, mais je ne me fais pas d'illusions et sais que ça n'est que le calme avant la tempête. A la manière dont je bouge pour accentuer ses gestes, elle n'ignore pas que j'ai besoin de plus. Sa cuisse se recule et elle tire rapidement sur mon sous vêtement. Je l'aide de ma main libre, voulant qu'elle reprenne au plus vite.

Pour autant, mon autre main ne ralentit pas une seconde et je me délecte en sentant ses gestes saccadés de petites contractions. Ma victoire n'est que de courte durée. Elle s'abaisse un petit peu et alors que je regrette la vue, se doigts reviennent en moi.

L'angle est différent et beaucoup plus puissant. Un gémissement plus fort que les autres s'échappe de ma gorge, et pendant un quart de seconde je m'inquiète à l'idée qu'il puisse y avoir d'autres gens dans le wagon. Cette pensée est bien vite balayée lorsqu'elle se met en mouvement.

Dans cette position, ma main peine à l'atteindre mais pour être honnête, je ne suis pas sûre d'être encore capable de me concentrer sur ce que je fais.

Elle est sans merci et prend mon téton dans sa bouche tandis que sa main s'active entre mes cuisses. Comme si elle savait à quel point j'aime regarder, elle se décale légèrement, me laissant contempler à loisir la manière dont ses doigts entrent en moi, me possédant complètement.

Le plaisir m'envahit presque trop vite.

Je me cambre sous elle, nichant ma tête sur le sommet de la sienne pour étouffer mon gémissement. Elle ralentit mais ne s’arrête pas tout de suite, faisant durer mon plaisir jusqu'à ce que je saisisse son poignet pour la stopper

Ses lèvres retrouvent les miennes, me laissant un moment pour retrouver mes esprits et cesser de trembloter.

Imaginant qu'elle doit fatiguer à force d'être sur ses bras depuis tout à l'heure, je la laisse prendre ma place et m'installe sur son côté gauche, la tête au creux de son épaule. Je m'accroche à elle, à la fois pour ne pas tomber et parce que j'ai envie d'être le plus proche possible. Ma bouche parcourt tendrement son cou et je sens son pouls battre sous mes lèvres... Son bras se resserre et le silence redevient roi.

J'écoute sa respiration revenir à la normale et me laisse gagner par une grande paix intérieure. Tout ce que je n'avais jamais voulu m'avouer vient de s'imposer à moi en tant qu'évidence. Trop tard pour faire marche arrière. La seule chose que je regrette est d'avoir nié ce que je savais être vrai pendant toutes ces années.

Malgré la chaleur étouffante, je me sens vivifiée. Comme si, après des années passées à dormir, mon corps se réveillait.

Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, ni si je vais finir par réaliser ce qui vient de se produire, mais au fond je crois que c’est ce sentiment de liberté que je cherchais dans mon voyage.

Pas besoin d’aller loin, l’inconnu était simplement hors de ma zone de confort.

Mais l'heure est aux nouvelles expériences.

C'est sans hésiter que ma main serpente le long de son corps pour aller reprendre les caresses injustement interrompues. Je devrais sûrement m’inquiéter d'une potentielle piètre performance... Mais ce soir je n'ai plus peur de rien.

La nuit sans sommeil que je pensais connaître ne sera pas celle que j'avais imaginée et ce n'est que bien plus tard et le sourire aux lèvres que je me laisserai guider dans les bras de Morphée.

 

* * * * * * *

 

Je me réveille en sursaut lorsque le train en croise un autre qui klaxonne et m'éclate copieusement la tête contre le plafond. 

- Aiiiiie !

Je me frotte le crâne dans l'espoir de faire partir la douleur mais celle ci est totalement éclipsée lorsque je réalise que je suis seule dans le compartiment.

Pas une trace du passage de celle avec qui j'ai passé la nuit. Pas même son énorme valise potentiellement pleine de chaînes !

Mes yeux s'abaissent et sont confrontés à la vision de mon corps nu.

Bon... Peut être qu'il reste quelques indices. Mais des tout petits alors !

J'ai soudain peur que mon sac ait disparu en même temps qu'elle et me penche pour l'attraper sur la couchette d'en dessous.

En constatant qu'il est toujours là et exactement tel que je l'avais laissé, je me sens honteuse d'avoir douté.

Je me rhabille en vitesse étant donné que le jour pointe le bout de son nez et que le train rentre dans une agglomération.

Je descends dans l'étroite allée et m'étire. C'est bête à dire, mais une partie du poids sur mes épaules s'est envolé, je me sens plus légère ce matin que je ne l'étais hier soir.

Regardant par la fenêtre, j'observe le train se frayer un chemin à travers la ville qui s'éveille, puis s'arrêter à la gare.

Quelques passagers descendent et parmi eux une silhouette familière.

Mes yeux sont rivés à mon inconnue, même si je ne peux plus vraiment l'appeler comme ça. J'essaie de mémoriser chaque détail, son allure, son profil, la manière dont ses mèches de cheveux volent portés par la brise matinale, sa démarche... Je la regarde s'éloigner avec un pincement au cœur, déçue de je ne sais quoi. Peut être de ne pas lui avoir demandé son prénom, ou peut être de n'avoir aucun moyen de la remercier, de la revoir...

Et l'impossible se produit.

Elle se retourne.

Son regard parcourt les vitres du train et, lorsqu'elle m'aperçoit à la fenêtre, son visage prend une expression que je n'arrive pas déchiffrer. Elle fait demi-tour, traînant derrière elle le mammouth qui lui sert de valise.

Elle parvient à mon niveau alors que le contrôleur siffle, signifiant l'imminent départ du train.

Mes yeux cherchent les siens et j'espère qu'elle peut y lire ce que je ressens.

Elle me sourit, comme si elle était dans la confidence.

Je crois qu'elle a compris.

Sa main se lève et se pose à plat contre la vitre, entre deux tags. Sans l'ombre d'une hésitation, je fais de même de mon côté, créant cette connexion si particulière. Dans une secousse, le train se met en mouvement, détachant sa main de la mienne.

M'en foutant qu'elle ne soit pas propre, je me colle à la vitre pour la regarder jusqu'au bout.

Son regard me suit jusqu'à ce que le train m'emporte au loin.

Je reste un moment à scruter la ville où elle s'est arrêtée, puis m'assieds lourdement sur la couchette basse.

Finalement, c'est peut être pire de l'avoir revue.

J'attrape mon téléphone pour regarder l'heure et constate qu'il me reste encore un bon moment avant d'arriver à destination.

Su-per.

Je me lève et commence à faire les cent pas dans la minuscule allée.

En faisant face à la porte, je constate que le verrou est en place, ce qui veut dire qu'elle a dû aller chercher le contrôleur pour lui demander de refermer derrière elle. Je souris à cette idée, touchée qu'elle ait pensé à moi.

Mon téléphone vibre et je soupire, me préparant déjà au message type « J'espère que tu vas bien, fais attention aux inconnus, mamie te fait un bisou » de ma mère.

Je l'attrape en souriant, me disant qu'elle n'a jamais fait de préconisations sur les inconnuEs. Elle aurait peut être du !

Ah non, j'ai été médisante c'est pas ma mère. Un inconnu au bataillon.

Sûrement un faux numéro. Si c'est encore cette dame qui m'appelle Martine alors que je lui ai déjà dit trois fois qu'elle se trompait, je fais un malheur !

Merde, c'est un MMS.

Je suis à l'étranger, je vais payer un bras, c'est sûrement une tentative de fhishing... Vous voyez, j'ai conscience de tout ça... Mais je suis curieuse ! Et bim, télécharge moi ça !

Mes yeux s'écarquillent et ma mâchoire est à un cheveu d'une rencontre fracassante avec le sol.

Impossible !

L'écran de mon téléphone me renvoie le visage de mon inconnue, dans le hall d'une gare, levant un café à emporter dans ce qui ressemble à un toast.

"Aux nouvelles rencontres et au plaisir de (peut être) un jour te revoir. J'espère que tes vacances t'apporteront les réponses que tu cherches.

PS : L'étiquetage des bagages c'est bien, mais on sait jamais quel genre de zinzin pourrait relever ton numéro, tu devrais te méfier! .

PS 2 : Au fait, moi c'est Sam :) "

 

 

FIN

 

Just me, à moi de vous faire préférer le train (ou pas!)
Si vous avez aimé (ou détesté d'ailleurs), n'hésitez pas à commenter !

18 février 2018

Chapitre 1

Pour la quarantième fois cette minute, je regarde l'heure et constate qu'elle n'avance toujours pas, bien au contraire. Je ne sais pas ce qui me déplaît le plus : cette énième réunion commerciale tout aussi inutile que les trois précédentes, ou l'arrogance déplacée de notre directeur commercial. Je l'observe du coin de l'œil de peur de me mettre à rire devant son ridicule. Son ventre bedonnant est à peine contenu par sa chemise au col pelle à tarte tandis qu'il fait de grands moulinets de ses bras.

Peut-être a-t-il enfin réalisé que la seule chose à laquelle il sert consiste à brasser de l'air ?

Ses paroles parviennent à mes oreilles et pour l'occasion, j'envie la surdité de ma grand-mère :

- Notre stratégie fonctionne, les concurrents ont peur là, c'est à nous de faire le jeu, ils savent à qui ils ont affaire à présent !

Fier de lui, il place ses mains sur ses hanches et attend une réaction de notre part. De mon côté, je suis fascinée par les vaguelettes que font les trois cheveux semi-longs qui lui restent au sommet du crâne alors qu'ils sont brassés par l'air conditionné. Par pure cruauté, je m'apprête à demander des chiffres venant étayer ses propos, sachant pertinemment qu'il n'a pas l'ombre d'une preuve hormis celles issues de son imagination débordante. Malheureusement, mon collègue et lèche-cul de première ne m'en laisse pas l'occasion et surenchérit :

- Oui, exactement, il faut imposer nos règles.

Je me demande si, en plus de paraphraser les dires de Gontrand, il a l'intention de s'habiller pareil prochainement, parce qu'une garde-robe années 70 risque d'être difficile à reproduire...

Souriant toute seule, j'attire bien malgré moi l'attention de mon cher "supérieur":

- Héléna, quelque chose que tu veux partager avec nous ?

Du talent, des connaissances, j'ai l'embarras du choix, mais pas vraiment l'envie de leur en faire part. J'opte donc pour un changement de sujet :

- Sait-on quand la nouvelle gamme de machines de traction sera disponible ? J'ai surtout des demandes dans le médical.

- Bonne question : si tout se passe bien, on aura des nouvelles dans les semaines, ou plus, à venir.

Mauvaise réponse, non seulement il n'est visiblement pas au courant de quoi que ce soit, mais en plus j'en ai besoin. Il m'a récemment "demandé" de changer de secteur suite à la démission de mon chanceux ex-collègue et étant donné que je ne connais pas ce type de clientèle, mes habitués étant plutôt dans la métallurgie, il va me falloir tous les arguments possibles si je veux m'introduire dans les sociétés.

- A-t-on les fiches d'information pour les outillages qui vont avec ?

- Ah euh... Oui oui on m’a envoyé un email à ce sujet hier, j'attendais que vous soyez tous réunis pour le partager et en discuter.

Mais bien sûr...

Il se penche sur le bureau et pianote sur son ordinateur. Quelques secondes plus tard, je reçois une notification de ma boîte mail. C'est déjà ça.

Le rétroprojecteur affiche le contenu d'une des pièces jointes sur le mur. Gontrand nous regarde et annonce :

- Ici, de quoi tester les autos injecteurs. Il y a également un lien vers une vidéo.

Intérieurement, je me demande s'il a conscience que nous savons lire. Probablement pas, vu comme il a l'air fier de lui.

Il décide de terminer la réunion là-dessus et on ne va pas m'entendre m'en plaindre ! Alors que je me crois libérée et me dirige vers la porte, il m'arrête d'une main sur mon avant-bras. Déjà qu'en temps normal je n'aime pas être touchée, quand il s'agit de lui je préférerais donner des free hugs à tous les sans-abri de la ville.

D'un air grave, il attend que mes collègues soient occupés à remballer leurs affaires pour lancer :

- Bon courage pour ton nouveau secteur, j'ai confiance en tes compétences.

Je lui fais un sourire tout sauf sincère, le remercie et m'éclipse avant de le frapper. Je suis en tête de l'équipe commerciale avec près de 120k € d'avance sur mon second, j'ai déjà dépassé de 21% mon objectif annuel, alors je n'ai pas attendu ses pauvres encouragements pour me sentir douée dans ce que je fais... Le fait qu'il pense que j'apporte une quelconque valeur à son opinion me prouve une fois de plus qu'il ignore à quel point je le méprise. Certains d'entre nous sont à leurs postes par compétence, non par copinage.

Alors que je m’apprête à franchir la porte, il m’interpelle.

- Héléna ?

Retenant difficilement un soupir, je me retourne :

- Oui ?

- Peux-tu rester s’il te plaît ? Dominique, Sasha, vous aussi.

M’asseyant sur la table de réunion, dans l’espoir qu’il saisisse que je n’ai pas que ça à faire, je l’écoute distraitement.

- […] formation d’un mois sur les nouvelles machines à proximité du siège de notre filiale aux USA.

- QUOI ?

Je regarde mes collègues pour m’assurer que j’ai mal compris.

Pitié faites que ce soit ça !

Gontrand ne semble pas remarquer mon désarroi et poursuit :

- Le but est de perfectionner votre formation sur les machines dédiées aux matériaux composites. En plus, ça vous permettra de tisser des liens.

Le seul lien que j’ai envie de tisser actuellement c’est celui de la corde que je compte bien me glisser autour du cou.

Je m’entends à merveille avec Dom mais Sasha… Comment dire… Si on me donnait le choix entre passer tout mon temps avec elle et devenir proctologue, je ne pense pas que j’hésiterais longtemps avant de me reconvertir.

C’est dire à quel point elle m’horripile. Je la soupçonne d’ailleurs d’être une serial killer.

Dubitatifs ?

Les preuves sont là !!!

Elle fait trop propre sur elle, est constamment souriante et sa tête… Avec ses cheveux châtains perpétuellement bien coiffés et ses stupides yeux verts, on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Elle s’est mis quasi tout le monde dans la poche à grands coups de flatteries et sourires mais ça ne prend pas avec moi ! Je vois clair dans son jeu et quand ils seront tous à l’agonie à baigner dans leur sang, je m’arrêterais une seconde pour lancer un « je vous l’avais bien dit ! ».

Gardant mes théories pour moi, je pose la question tant redoutée :

- Et ce serait quand ?

- Votre vol est prévu d’ici deux semaines. Le délai est réduit j’en ai conscience, mais la maison mère a décidé qu’il était important d’agir très vite pour prendre nos concurrents de court.

Bah oui, bien sûr. Je me demandais justement ce que j’allais faire de ma vie sur le très court terme ! Heureusement que Gontrand est là pour lui donner un sens !

Je songe à lui dire que je ne peux pas, parce que j’ai Poney, mais je lorgne trop sur une potentielle promotion pour ruiner mes chances d’entrée.

- C’est une bonne chose, j’ai hâte de pouvoir échanger de manière plus technique avec mes clients.

Je lève les yeux au ciel devant le commentaire de Sasha. 

Et après on s’étonne qu’on s’entende comme chien et chat. Si on était à l’armée, mon chef aurait les bottes toutes reluisantes dès qu’elle se trouve dans les parages.

 

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Éreintée, je m'affale sur le lit tandis que Rachel est déjà en train de boutonner son chemisier. Je la regarde faire, profitant de la vue tant que je peux.

C'est une belle femme, cultivée ce qui ne gâche rien et de très bonne compagnie. Elle a tout pour elle, sauf du temps.

Chercheuse en université, c'est une vraie passionnée qui n'a qu'un seul amour : la microbiologie. Étant donné que je suis sur la route au moins 3 jours par semaine, on se voit quand on peut, souvent le samedi soir et pour l'instant cette situation nous convient très bien.

On s'entend parfaitement, mais je dois avouer qu'en dehors du sexe et de vies à 100 à l'heure, nous n'avons pas grand-chose en commun.

Elle me sourit en passant ses mains dans ses cheveux blonds, recréant son style coiffée décoiffée façon savante folle. Désormais totalement présentable, elle me jette un regard langoureux qui ne laisse pas planer le moindre doute quant à ce qu'il m'arriverait si jamais elle pouvait se permettre de rester un peu plus longtemps à l’extérieur du labo. Elle prend appui de ses mains sur le lit et dépose un baiser sur mes lèvres :

- C'était un plaisir comme d'habitude. J'espère que ça t'aura aidée à décompresser une partie du stress du boulot...

Je lui souris en secouant la tête :

- Comme si j'avais besoin d'une raison pour te voir !

- Laisse-moi croire à mon utilité, j'avais enfin trouvé un nouveau sens à ma vie !

- Allez file avant d'être en retard. Et pour ta gouverne, sache que j'ai une totale confiance en mes capacités professionnelles.

- Je connais d'autres capacités pour lesquelles tu pourrais également dire ça...

Gênée, je lui jette la première chose qui me passe par la main à la figure, à savoir mes sous-vêtements. Riant, elle les attrape au vol et menace :

- Attention, je pourrais bien les garder !

- Essaie seulement ! T'as pas des trucs à faire toi?

Paumes exposées en signe de reddition, elle me rend mes dessous et ajoute d'un ton malicieux :

- Bon bon, je m'en vais ! Comme ça je pourrais commencer à te manquer !

Levant les yeux au ciel devant son assurance, je rétorque :

- Oui, fais donc ça ! Je ne compterais pas trop dessus si j'étais toi !

Visiblement peu perturbée par mes propos, elle me fait un nouveau bisou furtif avant de s'exclamer "pour la route" en quittant la pièce.

Laissant retomber ma tête sur l’oreiller, je me demande si elle et moi serons un jour plus que ce qu'on est actuellement... C'est commode et ça m'apporte tout ce dont j'ai besoin, peut être que c'est ça l'amour après tout.


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J'arrive dans le bureau de Dominique, mon collègue sédentaire, qui m'accueille comme toujours avec le sourire :

- Ah, la plus belle ! Comment tu vas ?

- Nickel et toi ? Les ventes se passent comme prévu ?

- Oh que oui, ce voyage aux Seychelles est pour moi ma vieille.

- Dans tes rêves, je vais t'éclater !

- Cours toujours !

C'est plus fort que nous, il faut systématiquement que l'on transforme tout en compétition. Alors quand il s'agit d'une vraie...

Je m'installe sur l'un des fauteuils réservés aux clients tandis qu'il met son poste en mode "ne pas déranger".

- J'allais justement partir en pause ! Quoi de neuf ? Je ne t'ai pas vue au club samedi.

- Nan, j'ai dîné avec Rachel et ça a pris plus de temps que prévu.

Comme je m'y attendais, un de ses sourcils se hausse, accompagné d'un sourire en coin :

- Dîner ? C'est comme ça que vous appelez ça de nos jours ?

Je lève les yeux au ciel. Il a 3 mois de plus que moi ce qui, selon lui, lui octroie une infinité de sagesse en plus. Il s’adresse souvent à moi comme s'il avait 70 piges et moi 15.

- Je regrette tellement de t'en avoir parlé…

- Tu sais ce que moi je regrette ?

- Dis toujours ?

- Ne pas l'avoir rencontrée ! Pourquoi tu ne l'amènes pas ? Au moins je pourrais te voir !

- Je t'ai dit. C'est rien de sérieux. Et puis tu ne me vois pas déjà assez au bureau ?

Il a l'air complètement offusqué, allant jusqu'à poser une main sur son cœur :

- Alors de 1 tu viens à peine une fois par semaine, deux grand max. De deux, ça commence à faire un paquet de soirées que tu rates pour "dîner" avec Rachel. Et de trois j'aime danser avec toi tu le sais, garce !

Qu'est-ce que ça peut m'agacer quand il fait ses guillemets avec les doigts... Bref, changeons de sujet :

- En parlant de garce, comment va ton ex ?

Il passe une main sur son visage et se contente de répondre dans une grimace :

- Une autre des raisons pour lesquelles il faut que tu cesses de déserter ! J'ai encore fini avec elle...

- T'es pas sérieux ?

Je regarde mon collègue et ami et une unique idée me vient à l'esprit : il doit être nul à chier au lit.

C'est la seule explication possible.

Fin je veux dire, il est grand, brun, ténébreux, belle gueule, musclé comme un boys band des années 90 et il ne trouve pas mieux que Melissa ? Vraiment ?

- Malheureusement si. J'attends toujours que tu me présentes la perle rare. C'est pour ça que ta Rachel m'intéresse autant ! Elle doit être spéciale pour que tu y retournes sans cesse.

Alors lui quand il a une idée en tête...

Je ressens le besoin de préciser :

- Déjà ce n'est pas ma Rachel. Et trouve-toi tes propres nanas !

Un sourire effronté apparaît sur son visage :

- Peur de la compétition ?

Il plaisante ou quoi ?

Je l'éclaterais les mains dans le dos.

À vrai dire si j'étais attachée et vulnérable j'aurais peut-être même encore plus de succès !

- Pas de toi en tout cas.

- Alors viens samedi...

- Tu l'auras voulu. Mets un haut vert pour que ta tête soit assortie, parce que tu vas être jaloux mon vieux c'est moi qui te le dis ! 


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Arrivée devant le club, je suis prise d'un soudain doute. Pourquoi je fais ça déjà ? J'ai rien à prouver à Dom... En plus j’ai eu du mal à convaincre Rachel de venir. Elle aime danser mais elle n'a que peu de temps pour elle et en gros elle m'a dit de manière à peine plus diplomate que quitte à être en ma compagnie elle apprécierait tout autant faire nos activités usuelles.

Rationnellement je la comprends, mais je ne suis pas certaine d'aimer l'idée d'être réduite en objet sexuel, aussi agréable cela soit-il.

Je parcours du regard ses formes peu dissimulées par sa robe moulante et relativise.

Après tout, ça pourrait être pire...

Après avoir déposé nos affaires au vestiaire, nous rejoignions Dom, positionné stratégiquement à proximité du bar et de la piste de danse.

Je constate avec soulagement que Melissa n'est pas là et c'est tant mieux ! Nous saluons mon collègue ainsi qu'un couple d'amis.

- Rachel, voici Dominique, que tu peux appeler Dom, Florian et Delphine. Les amis, je vous présente Rachel.

Une fois les présentations faites, Florian demande :

- Vous voulez quelque chose à boire ? C'est pour moi !

Étonnée par sa soudaine générosité, je n'en loupe pas pour autant une occasion en or et commande rapidement, comme tout le monde. Il part et tandis que Rachel fait connaissance avec Delphine, Dom se penche pour me dire à l'oreille :

- Ça me coûte de l'admettre, mais tu as bon goût. Ta chérie est très jolie.

- Merci. Et pour la millième fois, ce n'est pas ma chérie.

- Oui oui...

Parfois je me demande comment je fais pour le supporter. La soirée démarre à merveille et bien qu'elle soit à des années lumières d'eux sur un plan intellectuel, je ne peux que constater que Rachel s'intègre parfaitement.

Ils ont tous l'air de l'adorer.

Nous décidons d'aller nous déhancher avant de ne faire qu'un avec le mobilier.

Me levant, je tends la main en direction de Rachel. Tout sourire, elle s'en empare et me suit sur la piste.

C'est peut-être bizarre, mais on a pris l'habitude de tous danser les uns avec les autres.

Maintenant que j'y pense, ça explique certainement que Dom ait du mal à trouver quelqu'un, il doit avoir l'air casé quelque chose de bien.

Mon collègue m’annonce :

- Ce soir c’est mon soir, je sens que je vais faire une rencontre.

- J’espère, ça te ferait pas de mal, tu commences à avoir de la cale sur les mains.

Il me lance un regard noir et se venge par la parole :

- Je pensais que tu n’allais jamais proposer.

Ses propos sont accompagnés d’un sourire sordide et je mime un vomissement.

- Plus sérieusement Héléna, il est temps que je trouve ma Rachel.

Ma Rachel…

C’est reparti…

Mon regard ferait chouiner des rottweilers et pour être sûre qu’il capte bien le message, je l’agrémente de deux doigts d’honneur avant d’attirer Rachel contre moi dans un sourire séducteur. Je me colle contre elle par derrière et adresse un clin d'œil à Dom en voyant qu'il ne dirait pas non pour faire le beurre dans notre sandwich. Il doit vraiment être en manque !

Malgré mon mini-show, je ne suis pas fan des démonstrations en public et me recule dans l’idée de garder mes distances. D’autant plus qu’avec mes cheveux bruns ondulés et mes yeux bleus – gris j’ai beaucoup trop de succès auprès de la gente masculine…

Bien évidemment, Rachel ne me rend pas la tâche facile. Sa robe n'est pas vulgaire mais laisse néanmoins peu de place à l'imagination... Et j’en ai à revendre…

Pour échapper à la tentation, je ferme les yeux et me laisse porter par le tempo. Je sens de temps à autre les mains de Rachel sur mes hanches, son corps qui me frôle et se dérobe.

Parfois c'est Dom qui me prend la main, d'autres fois c'est avec Delphine qu'on invente des chorégraphies ridicules au possible. La plupart du temps, cette dernière se contente de se trémousser avec son chéri.

C'est vraiment un petit couple tout mignon.

Tout en dansant, je vois Dom s'approcher et il me dit :

- Regarde sur qui je viens de tomber !

Je réalise qu’il tient quelqu’un par la main.

Pas son ex, pitié.

Je donnerais cher pour être enfin débarrassée de ce boulet de Mélissa.

Elle le fait tourner en bourrique depuis trop longtemps, à miroiter la promesse de se mettre ensemble pour finalement le jeter dès qu'elle imagine qu'il drague des nanas. Le pire c'est que c'est uniquement dans sa tête que ça se passe.

Lorsqu’il s’écarte pour laisser apparaître Sasha, je réalise que j’ai peut-être été un peu dure avec Mélissa, s’il faut c’est une femme pleine de qualités.

Au moins, ma collègue a troqué son look de coincée pour une tenue adaptée aux sorties. Elle est quasi méconnaissable. Si je n’avais pas eu l’occasion de subir sa présence à d’autres reprises, je pourrais penser qu’elle est autre chose qu’une lèche-botte de premier ordre.

Il n’empêche que suis à peine remise de l’idée que je vais devoir passer des plombes à proximité, je n’ai pas envie de commencer en avance.

Mes yeux croisent ceux de Dom qui me lance un regard signifiant « ne commence pas » et parce que je suis la meilleure amie de l’univers, je me pare de mon plus beau sourire faux-cul :

- Hey Sasha !

-  Salut Héléna.

Elle me fait la bise et se tourne immédiatement pour discuter avec mon collègue. Au moins, elle a percuté que j’ai vu clair dans son jeu et ne fait pas semblant d’apprécier ma compagnie (non pas que je lui aie donné une raison de le faire).

N’empêche que s’il compte se la taper, je lui achèterai une bague de pureté parce que si elle est au boulot comme au lit, il devra attendre le mariage pour enfin pouvoir coucher avec elle et uniquement en missionnaire.

Je mets fin à mes médisances infondées lorsque Rachel se retourne et place ses mains sur mes hanches sans perdre le rythme, captant mon attention. À son sourire je me doute de la réponse, mais je demande néanmoins :

- Ça va tu passes une bonne soirée ?

- Oui, profite de l'instant qui va venir.

Je hausse un sourcil dans une question muette. Elle fait mine de prendre une grande inspiration avant d’annoncer :

- Tu as eu raison de me pousser à t’accompagner.

Posant ma main sur mon cœur, je feins l'étonnement. Je m'apprête à répondre lorsque Delphine me tapote sur l'épaule.

Continuant de danser, je me tourne vers elle pour l'entendre dire:

- Ton poulain a une touche je crois.

J'essaie de regarder la direction dans laquelle elle pointe mais un des spots passe directement dans ma rétine et ruine ma vision à tout jamais. À travers les flashs qui persistent, j'entraperçois effectivement Sasha qui pose sa main sur le torse de Dom en riant.

Erk.

Pas étonnant qu’il l’aime bien. Je connais ce genre de femme, qui fait miroiter des tas de possibilités pour finalement laisser les gens en plan.

Malheureusement, mon collègue n’est pas aussi avisé puisqu’il a l’air d’un type à qui l’on vient d’annoncer qu’il a gagné à la loterie.

- Mmh.

Rachel semble étonnée de mon manque d’enthousiasme et s’immisce dans la conversation :

- Minute, c’est elle l’ex atroce ? Parce qu’elle est plutôt très jolie ! Je comprends qu’il ne lui dise pas non.

- Non c’est pas elle. Et elle n’est pas totalement laide, je te l’accorde.

Un de ses sourcils se lève :

- Euh… tu l’as regardée ? Si on m’annonçait qu’elle a été recrutée dans la dernière série TV à la mode, je ne serais pas étonnée.

Ok, là ça commence à m’agacer. Pourquoi tout le monde semble être en pâmoison devant elle ? Si j’étais portée fantasy je serais persuadée que c’est une sorte de succube.

Surtout qu’elle est affreusement tactile !

Et pi ses cheveux châtains mi-longs toujours à briller comme si elle sortait d’une pub m’énervent !

TOUT m’énerve ! Argh !

- Mmhh.

Delphine me demande :

- Tu la trouves comment toi ?

- Urticante.

 Rachel me donne une petite tape et rétorque :

- Quelle grognon ! Si c’est ça qui t’inquiète, sache que c’est toi la plus belle. Et si tu veux que je te passe de la pommade anti-démangeaisons quelque part, n’hésite pas.

Elle ponctue sa proposition d’un clin d’œil qui me fait me pencher pour lui chuchoter à l’oreille :

- Je m’en souviendrais… 

15 novembre 2011

En transition disclaimers

Avertissements :

1 : cette fiction traite d’une histoire d’amour entre deux personnes du même sexe. Si rien que la lecture de cet avertissement vous a extirpé un « berk », c’est vraiment pas la peine de continuer.

2 : l’histoire est classée ALT + ou NC-17, ce qui veut dire ce que ça veut dire. Si vous êtes vraiment trop prudes vous pouvez toujours vous arrêter avant.

3 : les personnages principaux ressemblent physiquement à deux héroïnes qu’on connaît bien (cf : Xena et Gabrielle), mais pourtant, tous et toutes sont issus de mon imagination. (C’est pas triste, je suis au courant).

4 : l’histoire est vue en alternance par l’un et l’autre des personnages. Des fois que ça vous perturbe je préviens.

5 : Alors oui, je sais, vous me direz : mais c’est pas L.A ils parlent d’€uros ! Oui je sais, mais je m’en fous, parce qu’après tout je fais ce que je veux avec mes cheveux (non ça n'a strictement aucun rapport ) ! Et pi c’est pas L.A, L.A ça peut très bien être L’avoine sur Aube, ou autre… nan mais !

 

Merci d’avance à ceux qui voudront bien me lire, comme à ceux qui ont bien voulu me relire ! 

 PS: par "flemmingite aigue" (une maladie qui fait souffrir de nombreuses personnes), je n'ai taggé que cette intro, mais la fic est au complet, il suffit de cliquer sur la catégorie dans la colonne à gauche :p

Rappel : Article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle : “L'auteur d'une œuvre jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.  [..] L'œuvre est protégée du fait même de son existence."

7 octobre 2012

Chapitre 1

Si la peur des conséquences éloigne parfois du mal, elle éloigne beaucoup plus souvent du bien.

Charles Wagner

 

 

Mon nom est Fanny Klein, une jeune femme tout ce qu’il y a de plus ordinaire dans une merde noire.

À vrai dire, je ne sais pas comment j’en suis arrivée là. Enfin si, ce que je veux dire c’est que ce n’était pas prévu. Ma blondeur a peut-être un rôle là-dedans, mais je n’ai absolument rien vu venir.

Mais voilà.

Ça a commencé.

Et maintenant, à moi d’en assumer les conséquences, quelles qu’elles soient.

 

 

-          Je suis rentrée !

Je jette mes clefs dans le vide-poche machinalement, étant d’une précision diabolique à force d’entrainement. 

Une fois mes chaussures et mon manteau retirés j’entre dans le salon pour y trouver Julien, mon fiancé, planté devant son PC. Je lui dépose un baiser sur le haut du crâne avant d’aller m’asseoir sur le canapé.

-          ‘Jour chérie, ça a été aujourd’hui ?

-          Fatiguant, mais rien de plus que d’habitude.

Je ne prends pas la peine de lui retourner la question. Je sais pertinemment qu’il a cherché du boulot environ 10 minutes ce matin et a ensuite joué toute la journée sur le PC.

J’attrape un paquet de chips dans le tiroir de la table basse et allume la télé.

-          J’ai enfin eu mes jambes S10 ! dit-il plein d’entrain.

-          Hum cool.

À vrai dire, je m’en fous totalement. Mais j’ai remarqué que si je réponds quelque chose dans ce goût là il ne va pas en rajouter, tandis que si je pose des questions sur la signification de « S10 » j’en ai pour une bonne demi-heure.

Alors que la télé passe pour la millième fois la saison 1 de Charmed, je repense à ce que Anna, la responsable du département Management m’a dit.

Pour remplacer M. Zakorski, brillant professeur de négociation, ils nous ont trouvé une jeunette fraichement diplômée.

OK, c’était mon cas il y a deux ans aussi, mais n’empêche. Ce type est une légende de l’enseignement qui prend une retraite largement méritée. En plus, il a un net penchant pour les sucreries, ce qui m’arrangeait bien vu qu’on partageait le même bureau.

Perdre les bonbons ET me voir annoncer que je suis l’heureuse élue à qui incombe la tâche d’intégrer la nouvelle à l’équipe me ravit. Pas.

Le babysitting commence dès demain. Comme si l’approche imminente de la rentrée ne suffisait pas à occuper mes journées.

M’enfin, si ça se trouve elle est sympa et on va s’entendre à merveille.

 

  * * * * * 

 

[Le lendemain matin, à la fac]

 

Je lève les yeux au ciel avant de rentrer dans le bâtiment. Il fait beau c’est déjà ça.

D’un pas pressé, je me dirige vers mon bureau. Autant régler ça tout de suite. Je ne peux pas appliquer ma philosophie de « ne jamais remettre à demain ce qu’on peut déléguer » pour le coup. J’espère au moins qu’elle sera ponctuelle.

Une dernière inspiration et j’ouvre la porte.

Mes yeux vont directement se poser à l’endroit où se trouve le bureau de mon ancien collègue. Le siège en cuir est tourné vers la fenêtre et quiconque est assis dedans regarde à l’extérieur.

-          Premier jour et déjà on songe à s’enfuir ?

Le fauteuil remue sous l’effet d’un rire et une chaude voix féminine me répond :

-          Non, je me disais juste que je préfère largement être de ce côté de la barrière.

Je souris à cette idée. Elle n’a pas totalement tort.

Le siège indique ses souffrances par un grincement tandis qu’elle se tourne pour me faire face.

Mon regard est rivé à ce que je pense être l’une des plus belles femmes que j’aie jamais vue.

Comment suis-je censée l’apprécier si en plus de ne pas me donner de quoi me goinfrer elle est superbe ?

Elle se lève, laissant ses longs cheveux d’un brun très foncé cascader sur ses épaules dans un mouvement que certaines marques de shampoing seraient sans nul doute prêtes à breveter.

Mes yeux remontent de sa main tendue à ses bras légèrement musclés, à son sourire sincère et enfin à deux pupilles d’un marron profond, quasi noir.

Je lui serre la main machinalement, tandis que j’essaie de retrouver l’usage de la parole. C’est la première fois que je rencontre quelqu’un d’aussi… Intense. Je veux dire cette femme transpire le charisme.

-          Erin, enchantée. dit-elle

-          Fanny, de même.

Ok, ce n’est qu’un petit mensonge. Je ne suis pas vraiment ravie de son arrivée. D'autant plus que vu son physique, je m’attends à voir la totalité des étudiants défiler dans notre bureau sous de faux prétextes rien que pour avoir l’opportunité de la reluquer un peu plus longtemps.

Étant donné qu’elle s’est présentée en me donnant uniquement son prénom, j’imagine que j’ai le droit de la tutoyer. Au pire, elle me le dira.

-          Je suis celle chargée de te faire découvrir le campus… Tu es prête pour un tour ?

Elle se dirige vers la porte, ouvre celle-ci et annonce :

-          Après toi.

Au moins, ça a le mérite d’être clair.

 

  * * * * *

 

Fourbue, je rejoins Nico au café. Comme d’habitude, mon meilleur ami est en retard. J’investis donc la place qu’on occupe à chaque fois, un banc placé au fond de la pièce. En l’attendant, je joue avec le décor. Cet endroit est un bar à rhum le soir, et il y a toutes sortes de mixtures dans des bocaux derrière la barmaid, du coup les proprios ont décoré le lieu comme… une genre de cabane d’alchimiste. En tout cas pour avoir testé leurs décoctions, pas étonnant qu’Obélix veuille toujours de la potion magique si elle a ce goût-là !  

Après quelques minutes durant lesquelles ma patience est mise à rude épreuve, Nicolas arrive enfin. 

Un sourire parcourt mes lèvres en voyant les têtes des femmes se retourner sur son passage. Il a beau approcher la trentaine, il fait toujours jeune et son succès ne décroit pas.

Généralement, celles qui l’ont pour professeur sont enviées par toutes les autres. Il se penche et m’embrasse sur la joue avant de s’asseoir face à moi, souriant.

-          Salut beauté !

-          Coucou ! Ça a été ta journée ?

Il fait signe au serveur de lui amener son habituel cappuccino et passe la main dans ses courts cheveux bruns :

-          Crevante. Comme d’habitude, aucune des choses que j’avais demandées n’a été faite. Et toi ? T’as rencontré la nouvelle ?

Il se penche en avant, ses yeux verts pétillant à l’idée que je lui raconte un ragot.

-          Ouais. Je suis rassurée, elle a l’air sympa !

-          C’est cool alors, je suis content pour toi.

Il pose sa main sur la mienne et je me retiens de rire en voyant les regards dépités de ses prétendantes face à ce geste.

Lui en revanche ne remarque rien. En même temps c’est peut être mieux ainsi. Il a le chic pour tomber amoureux des mauvaises filles et finit le cœur brisé jusqu’à rencontrer la prochaine princesse pas-si-charmante-que-ça. Je suis la seule femme qui arrive à rester dans sa vie. La plupart de nos collègues sont d’ailleurs persuadés qu’il y a  quelque chose entre nous. Personnellement, ça m’est égal et je sais que ça donne un peu de répit à Nico et son cœur d’artichaut, alors on s’est mis d’accord sur le fait de ne rien déclarer et les laisser croire ce qui leur plait.

-          Dis m’en plus sur elle !

-          Il n’y a pas grand-chose à dire tu sais, je viens de la rencontrer.

Il sirote son cappuccino puis me demande :

-          Je ne sais pas moi, de quoi vous avez discuté, à quoi elle ressemble ?

Je ne peux retenir un sourire face à la curiosité maladive qui le caractérise.

-          On a parlé de tout et de rien, de ce qu’elle a fait avant d’atterrir ci, de boulot etc… Et physiquement… Pfiou !

Je fais un geste de la main supposé dire « c’est quelque chose ». Nico hausse ses sourcils, une expression étonnée sur le visage.

-          À ce point ?

-          Tu verras par toi-même.

Il plisse ses yeux d’un air inquisiteur et finit par s’enquérir :

-          Très bien… Et alors, d’où elle vient ? Elle a fait quoi avant ?

-          Bah de ce que j’ai cru comprendre elle a tout juste obtenu son diplôme et a récemment déménagé ici pour le boulot.

Armé de la cuillère, il remue distraitement le contenu de sa tasse.

-          Nouveau départ, pas d’amis, début de carrière, je suis passé par là. Je garde un bon souvenir de mon entrée dans la vie active perso. C’est à ce moment-là qu’on s’est rencontrés.

Il termine en posant sa main sur la mienne, un air faussement amoureux sur le visage.

-          Très drôle le tombeur. Et elle bossait déjà pour payer ses études.

-          Qui te dit que je plaisante ? Et c’était quoi comme job ? Serveuse, vendeuse, un truc dans le genre ?

-          Certainement le fait que tu aies préféré me présenter Juju plutôt que de tenter ta chance ! Nan, elle faisait des photos, du mannequinat pour des affiches.

Il siffle, visiblement admiratif.

-          Eh ben… Elle doit valoir le détour.

Même si la plastique de certains mannequins est plus que discutable selon moi, pour le coup tu n’as pas idée à quel point tu peux avoir raison mon pauvre Nico.

Peut-être que cette fois c’est la bonne nana, qui sait. 

 

  * * * * *

[Le jour de la rentrée]

 

J’arpente le couloir, les bras chargés de dossiers qui tiennent dans un équilibre plus que précaire. Alors que je tente de jongler avec le tout afin d’ouvrir la porte, ma collègue, ayant apparemment entendu mes « pas si discrets » jurons, me précède à la tâche.

-          Bonjour ! Et merci ! Même pas besoin de dire sésame ouvre-toi.

-          Salut ! Pas de problème ! En même temps, ne t’attends pas à trouver des trésors ici. J’ai fouillé partout, pas la moindre pièce d’or frappée Jules César, pas même une amphore ou deux.

Je lui offre un sourire tandis qu’elle me déleste de quelques charges pour aller les poser sur mon bureau déjà bien rempli. J’observe les piles de paperasse qui recouvrent mon espace de travail et soupire. Elle hoche la tête comme pour agréer et annonce :

-          Et l’année n’a même pas encore commencé !

-          Non en effet ! Alors comment ça va ? Tu te sens prête ?

Elle pose une fesse sur son bureau, joue machinalement avec le contenu de son pot à crayons et me dit :

-          Prête oui, mais surtout stressée.

Je ne peux retenir un petit sourire. Je ne me souviens que trop bien de la sensation, après tout ce n’était pas il y a si longtemps. Farfouillant dans ma poche, je lui jette un bonbon, qu’elle attrape à une main. Cette fille a des réflexes. Face à son air intrigué, je lance :

-          Tiens, une dose de courage.

Elle sourit devant mon geste, dévoilant un sourire Colgate extra white. Le genre qui vient de me faire perdre 3 points à chaque œil tellement il est éblouissant !

-          Merci. Et toi, comment tu te sens ?

-          Déjà overbookée j’en ai peur. J’ai du mal à gérer le stress de la rentrée, des exams et… des périodes entre ces deux événements. Sauf les vacances. Sur ce plan là j’assure je dois dire !

-          Comme je te comprends. Perso j’évacue en me dépensant.

Je mets un peu d’ordre dans mes montagnes documentaires et me dirige vers la petite table où trône la machine à café.

-          Ah oui ? Tu fais quoi ? T’en veux un ?

-          Non merci. D’ordinaire je faisais des sports collectifs, mais cette année j’ai envie d’essayer quelque chose de différent. J’ai vu qu’il y avait possibilité de pratiquer le jet-ski sur le lac, ça me tente bien d’autant que j’ai déjà le permis.

Je me retourne vers elle en faisant des yeux ronds comme des soucoupes. Je n’y crois pas !

-          Tu déconnes ? Ça fait des mois que je pleure pour que quelqu’un m’accompagne !

Ses yeux pourtant si sombres pétillent légèrement lorsqu’elle répond d’un ton guilleret :

-          J’imagine que tu as trouvé ton cobaye ! Enfin si tu veux bien de moi !

C’est bête, je sais, mais je suis tellement contente que je dois retenir mon irrépressible désir de la prendre dans mes bras pour l’y broyer ! Expliquer son décès par la suite pourrait s’avérer délicat. Depuis le temps que j’avais envie de tester !

-          Bien sûr que oui ! Et puis ce sera l’occasion de faire encore plus connaissance !

Finalement, je crois que le départ en retraite de M. Zakorski n’est pas une si mauvaise chose !

En plus, elle a son permis jet-ski, ce qui signifie que je n'aurai pas à serrer la taille d’un quelconque moniteur inconnu !

 

* * * * * *

 

Nico pénètre dans l’appartement sans frapper et vient me retrouver directement dans la cuisine, où je suis en train de préparer le repas. Il me sort d’un ton faussement réprobateur :

-          Tu devrais vraiment fermer cette porte ! Un jour, un cinglé pourrait rentrer !

Je lui jette un coup d’œil par-dessus mon épaule et lance :

-          On dirait bien !

Fière de moi, je ponctue le tout d’un petit sourire narquois. Comme je l’ai bien eu !

Il s’approche, me fait un bisou sur la joue et attrape mes épaules, me faisant me tourner vers lui :

-          Pourquoi tu ne m’en as pas dit plus !?

Mes sourcils se froncent involontairement. Mais de quoi il parle ? Je suis la première personne à lui apprendre qu’il a un problème mental ? Impossible !

Il lève les yeux au ciel, n’ayant pas besoin de m’entendre vocaliser ma confusion pour comprendre :

-          J’ai été à ton bureau après les cours, je pensais que tu finirais plus tard - soit dit en passant je constate que certaines ont été plus gâtées que d’autres question emploi du temps - et je suis tombé sur Erin.

-          Oh, je vois ! On en est déjà au stade des prénoms…

Je frétille des sourcils dans l’unique but de me foutre de lui. Il me frappe au bras et continue son histoire :

-          Te moque pas ! Mais… pourquoi tu ne m’as pas dit qu’elle était si…

Il avance son visage vers moi et écarquille les yeux. Essayant de comprendre ce que ça peut bien signifier, je penche la tête sur le côté. Peut-être que sous d’un autre angle… Voyant que ça n’aide pas, je demande :

-          Euh, je ne suis pas sûre de savoir ce que tu entends par ça !

-          Tu vas me faire croire que le fait que ta collègue soit sympa, brillante ET ultra canon t’a échappé ?

-          Non, mais ça je te l’ai dit !

Nico me regarde comme si j’avais perdu l’esprit :

-          Ce que tu m’as tout juste mimé c’était un euphémisme ! Erin c’est LA femme, elle a tout pour elle !

Un peu mal à l’aise et pour tout dire, habituée à l'entendre tenir ce genre de discours, j’acquiesce tant bien que mal, espérant qu’il ait raison cette fois. Et puis oui j’ai vu qu’elle est belle au point de faire passer n’importe qui à côté pour du papier peint, mais ça fait pas de moi une spécialiste en goûts de mecs :

-          Euh ouais, j’imagine que c’est le cas ! J’ai envie que ça marche pour toi, mais s’il te plaît, essaie de pas t’emballer trop vite, je voudrais pas te voir souffrir à nouveau.

N’ayant visiblement pas tenu compte de ma réponse, il trottine en direction du salon, me laissant plantée là en déclarant :

-          T’inquiète pas ma petite rabat-joie ! Faut absolument que j’aille annoncer la nouvelle à Juju.

Une fois seule dans la pièce, je me surprends à avoir un sourire mitigé. Je me sens comme une mère dont le fils s’emballe pour sa première petite copine. D'un côté, on est heureuse pour lui, de l’autre on le voit grandir et s’échapper du bercail.

Oui bon, je sais que Nico n’est pas mon enfant, mais c’est ce que je ressens je n’y peux rien ! Ce n’est pas rare de le voir s’enthousiasmer pour une femme, mais d’ordinaire il évite comme la peste celles du boulot.

Il ne reste plus qu’à espérer que les choses se déroulent pour le mieux.

 

* * * * *

[Une semaine plus tard]

 

Je lève le nez de ma pile de fiches en entendant quelqu’un entrer en trombe dans le bureau. Un coup d’œil plus tard, je lance un :

-          Salut !

-          Coucou ! Juste une question, tu peux t’éclipser un moment ?

-          Euh… Ouais pourquoi ?

Elle me décroche un superbe sourire avant de se ruer dans ma direction. Elle vient se placer derrière moi et saisit ma tête pour me tourner le visage en direction de la fenêtre.

-          Tu vois ça ?

Perplexe, je réponds d’un ton qui trahit mon incertitude :

-          La cour ?

-          Non, regarde plus haut.

-          Le ciel ?

-          Exact !

Elle me relâche et fait le tour du bureau. Puis, pose ses mains de part et d’autre du meuble, à la manière d’un inspecteur qui s’apprête à conduire un interrogatoire.

-          Et ? Tu en déduis quoi ?

Je fixe le ciel pendant 15 bonnes secondes, ne trouvant absolument rien à répondre, avant de tenter un :

-          Qu’il n’y a pas de nuages ?

-          C’est ça ! Il fait super beau ma vieille ! Alors, je me suis dit qu’avec l’été indien auquel on a droit, toi et moi on pourrait en profiter pour aller un peu sur l’eau. Une balade, ça te tente ?

Erin termine sa phrase dans un sourcil levé accompagné d’un petit sourire en coin.

Rien qu’à la manière dont mon visage s’illumine à cette idée, je crois qu’elle connaît ma réponse. Elle attend néanmoins que je réplique :

-          Laisse-moi juste le temps de prendre mes affaires !

-          J’avais espéré que tu dises ça !

Elle va s’asseoir dans son siège et me regarde ranger mon fourbi à la hâte avec un amusement non dissimulé.

Au bout d’un délai bien trop court pour quelqu’un qui aurait mis de l’ordre avec soin, j’annonce fièrement être prête.

Elle me fait un sourire radieux et prend ma main. On sort du bureau et j’ai à peine le temps de fermer celui-ci à clef qu’elle m’entraine au pas de course vers les abords du lac.

Pour l’occasion, elle a attaché ses longs cheveux bruns en une queue de cheval un peu lâche.

Après même pas dix minutes de marche, nous nous approchons de la cabine de location que j’ai toujours observée de loin. La bâtisse est séparée en deux, un coin pour acheter de quoi grignoter et à boire suite à l’effort et l’autre réservé à la réservation des jet-skis.

-          Tu as déjà mangé ? me demande-t-elle avec un signe de la tête en direction du troquet.

-          Oui, puis de toute manière il ne vaut mieux pas risquer l’hydrocution. Toi ?

-          Ouais ! Et tu n’as pas confiance en mes talents de pilote ? Je ne compte pas te jeter à l’eau tu sais… Quoique maintenant que tu le dis, je devrais pouvoir négocier avec certains élèves…

Elle fait semblant (du moins j’espère) de considérer l’idée jusqu'à ce que je lui lance un regard noir :

-          Je t’entrainerais dans ma chute, n’en doute pas une seconde.

-          Loin de moi cette idée !

Nous nous approchons de l’homme qui tient la boutique. Environ la cinquantaine, il est plutôt bedonnant et son surpoids lui donne un air jovial.

-          Bonjour mesdames ! Que puis-je faire pour vous ?

-          Nous aimerions louer un jet-ski et deux gilets de sauvetage.

-          Pas de problème !

Après une courte concertation, nous décidons de l’utiliser pendant une petite heure. Vu que la période estivale est terminée et que le travail et les cours ont repris, il n’y a pas d’autre client et nous pourrons certainement garder la machine un peu plus longtemps si jamais l’envie nous prenait.

Le loueur est déçu en apprenant qu’aucune de nous ne se serrerait contre lui étant donné qu’Erin a son permis. Au moins avec elle je suis certaine de réussir à faire le tour du pilote avec mes bras !

C’est seulement arrivée au niveau des cabines d’essayage que je réalise un léger souci. Je suis en jupe moulante en polyester accompagnée par des collants opaques et un petit haut, pas vraiment l’ensemble adéquat pour faire du sport.

J’enroule ma main autour de l’avant-bras d’Erin, stoppant sa progression.

-          Y a un problème ?

-          Quoi ?

-          Regarde comment je suis habillée…

Son regard me parcourt de haut en bas et je regrette soudainement d’avoir parlé. Je suis gênée, sachant très bien qu’elle inspecte ma tenue, mais ayant l’impression d’être « mise à nue » quand même.

Soudain, elle se met à sourire et me lance :

-          Ah je vois, madame a peur que sa jupe ne remonte, dévoilant ses dessous au monde entier !

Immédiatement, je sens une chaleur envahir mon visage. Je n’ai pas besoin d’un miroir pour être certaine que je rougis. Je la déteste, elle l’a fait exprès.

J’ai la confirmation en apercevant son air triomphal. Je fais semblant d’être exaspérée et demande :

-          Ça t’amuse ?

-          Oui, beaucoup !

Ses yeux noirs pétillent d’un plaisir non dissimulé et je me surprends à sourire à mon tour. Retrouvant son sérieux, elle m’annonce :

-          T’inquiète pas, j’ai pensé à tout. J’ai pris un short pour toi !

-          Trop aimable. Et si jamais je ne suis pas correctement épilée ?

J’ai beau avoir une jupe, elle m’arrive au-dessus du genou, alors même si ça n’est pas le cas, ça aurait pu être un vrai problème !

Elle marque une pause, ne s’attendant visiblement pas à ma réponse :

-          Ben euh… Je ne t’imaginais pas comme ça. T’auras qu’à te balader fourrure au vent ça tiendra chaud !

Rien que pour le commentaire sur ma pseudo fourrure, je décide d’en remettre une couche, je vais bien finir par l’avoir, non mais !

-          Ah parce que tu m’imagines ?

Et BIM !

Je suis immédiatement récompensée par le plus beau phare auquel il m’ait été donné d’assister. Forcément, je suis obligée d’éclater de rire, n’entendant qu’à moitié sa tentative de justification.

-          C’est pas ce que je voulais dire, enfin si, mais pas dans ce sens-là…

Elle marque une pause, avant de reprendre, me lançant un regard noir.

-          Très drôle, vraiment !

Je hoche la tête, ne faisant pas confiance à ma voix. À tous les coups, j’aurais ri.

Elle recherche quelques secondes dans son sac à dos et me tend un short noir de taille plutôt minimaliste. Je lève un sourcil en constatant la superficie de tissu du vêtement, mais me retiens de commenter. C’est déjà bien gentil à elle d’avoir pensé à me prendre quelque chose.

Je n’ai pas dû être aussi discrète que je l’aurais cru puisqu’elle ajoute :

-          Fanny, si tu t’inquiètes à l’idée qu’un étudiant puisse te voir en short, même à distance, tu n’as pas à t’en faire.

-          Pourquoi ça ? Tu disposes d’un filtre d’invisibilité dont j’ignore tout ?

Elle rit à ma blague pourtant pourrie et rétorque :

-          Non, mais je possède une arme tout aussi efficace.

Du bout de son doigt, elle balance un bikini rouge miniature.

-          C’est ÇA ta tenue ?

Je n’essaie pas d'empêcher mes yeux de s’écarquiller. Elle compte vraiment porter ÇA, si près de son lieu de travail ?

-          Exact ! Il fait chaud et j’aurai le gilet de sauvetage quoi qu’il arrive. 

-          Tu veux que les étudiants fassent la queue au bureau tous les jours dans le secret espoir de te voir avec presque rien sur le dos ? Non parce que si ça se produit je te préviens que l’entrée sera payante ! Et pas question qu’on partage les profits !

Ses lèvres s’étirent en un sourire coquin et elle me fait un clin d’œil avant d’annoncer :

-          Fallait me le dire si tu voulais des shows privés.

Je la déteste.

 À son air satisfait, je sais qu’elle l’a fait exprès.

-          Allez, file te changer, j’ai hâte de commencer !

Elle me fourre le short dans les bras et me pousse en direction de la cabine la plus proche.

J’y entre et me débarrasse rapidement de mes habits, troquant volontiers jupe et collants pour un short, si petit soit-il.

Je ressors après quelques instants pour constater qu’elle a été encore plus rapide que moi. Je la soupçonne de porter des vêtements à scratch.

Mes yeux parcourent sa silhouette. Ouep… Pas de doute, elle a de quoi faire du striptease !

Elle doit faire quoi ? Un bon C, au moins. Cette femme a un corps parfait. Je me demande combien Nico serait prêt à payer pour être à ma place en cet instant…

C’est à cet exact moment, celui où je louche ouvertement sur son décolleté avec un sourire en coin en pensant à mon meilleur ami que j’entends un raclement de gorge.

Immédiatement, mes yeux se relèvent et vont se poser sur ses cheveux.

Oui, je compense un peu trop peut-être, mais je ne voudrais pas qu’elle se fasse de fausses idées, surtout si je dois passer la prochaine heure plus collée à elle qu’un papillon de nuit dégueu à la lumière.

Minute, l’analogie ne me plait pas. Pourquoi je me suis donné le rôle ingrat ?

Bref, vous avez saisi.

J’ignore son petit sourire et dis d’un ton innocent :

-          J’aime beaucoup la couleur, ça te va bien.

Ce qui, en soi, n’est pas un mensonge. Loin de là.

Nous nous approchons de la berge, où le loueur a déjà préparé un jet-ski pour nous. Je le vois reluquer ouvertement Erin, que ça n'a pas l'air de déranger. Elle enjambe la machine puis se retourne vers moi, tout sourire, avant de tapoter le siège de sa main.

L’homme me regarde ensuite et je dois me retenir de lui tirer la langue en m’installant derrière elle.

Un doux parfum de shampoing aux fruits me parvient lorsque sa queue de cheval effleure mon visage. Elle se tourne légèrement vers moi et me tend le gilet de sauvetage.

À la manière qu’elle a d’enfiler le sien, je vois qu’elle est visiblement habituée. Mes dons d’imitatrice s’arrêtent là étant donné que je ne suis pas fichue de m’harnacher.

Après quelques secondes d’impatience, elle se retourne pour me faire face sur le siège.

Je lui offre un sourire timide, me sentant mal à l’aise et incapable.

Compréhensive, elle me dit :

-          Je suis passée par là moi aussi. Regarde.

Elle pose sa main sur la mienne et l’écarte des attaches pour la mettre sur son épaule. Elle s’attelle à serrer les différentes boucles. Ayant terminé, elle demande :

-          Ça va comme ça ?

Je détache un instant mes yeux de la tâche pour venir rencontrer son regard. D’un mouvement de la tête, j’acquiesce. Je n’ose pas me reculer, mais je suis tout sauf à l’aise dans cette situation.

-          Nickel alors, t’es parée !

Elle me sourit et à cette distance, je remarque que ses yeux, quasiment noirs à l’extérieur de la pupille, sont d’un marron noisette au centre. C’est super joli et ça donne une intensité que j’ai rarement vue dans un regard. Malgré moi, je fais une fixation là-dessus qu’elle brise en me faisant un clin d’œil complice, avant de se retourner pour s’installer convenablement sur l’engin.

Du coin de l’œil, je constate un regain d’intérêt de notre « ami » pour nous. J’en connais un qui se fait déjà des films et risque de bien dormir ce soir, du moins faire de beaux rêves. Les mecs parfois, je vous jure…

 

Hésitante, je pose mes mains sur ses hanches, que le gilet de sauvetage ne couvre pas tout à fait. J’essaie de garder mes distances, après tout, même si je l’apprécie, je ne l’ai rencontrée qu’il y a peu.

Erin ne semble pas de cet avis et après un petit « tssss », elle enroule mes bras fermement autour de sa taille. Elle tourne légèrement la tête pour me dire par-dessus son épaule.

-          Si tu ne te tiens pas, je ne te donne pas une minute avant de faire trempette ! Ramène également tes fesses avant que je ne le fasse pour toi.

Je déglutis et obéis. Après tout, c’est elle la spécialiste.

Elle démarre et immédiatement j’oublie mes préoccupations. C’est fun !

Elle alterne entre moments à faible allure et pointes d’accélérations. La sensation est étrange, donnant parfois l’impression d’être en apesanteur, puis tout à coup on s’écrase sur l’eau du lac pourtant calme. Je n’imagine même pas le ressenti en mer ou sur l’océan.

Après avoir fait un petit tour, elle s’arrête, nous laissant dériver et me demande par-dessus son épaule :

-          Ça va ? Ça te plaît ? 

-          C’est une vraie question ? J’adore !

A ses joues, je devine qu’elle sourit. Elle défait mes doigts entrelacés autour de sa taille et avance un peu sur le siège, pour finalement se lever.

Je détourne le regard en rougissant lorsque je réalise que je lorgne ses fesses sans le vouloir.

Quoi ??? C’était au niveau de mes yeux j’y suis pour rien !

Et puis il faut que je puisse donner quelques détails croustillants à Nico ! Et d’après ce que j’ai pu observer, ce n’est pas sa tenue de travail qui la met en valeur et la rend bien foutue. Ma compatriote mangeuse de chocolat a un corps de rêve !

Les dames le savent, l’épreuve bikini ne ment pas.

 

Perdue dans mes pensées, je manque de finir à l’eau lorsqu’elle remue le jet-ski en essayant de passer derrière moi. Je ne vois vraiment pas l’intérêt.

Intriguée, je tourne la tête juste assez pour l’avoir dans mon champ de vision, à présent qu’elle se trouve dans mon dos.

-          Tu fais quoi au juste ?

-          Je te donne un petit cours illégal de pilotage.

Ça a le mérite de me faire me retourner complètement. Moi qui pensais que seuls les hiboux pouvaient tourner leur tête de manière impressionnante, je viens de repousser les limites de l’humanité !

Mes yeux s’écarquillent de leur propre volition et mon ton laisse transparaître mon excitation à cette idée :

-          Tu déconnes ?

-          Han han !

Un gigantesque sourire envahit mon visage.

Je vais apprendre à piloter !

Je vais apprendre à piloter etttt ouaiiis !

Elle jette un œil vers le ciel face à mes mimiques et fait un petit signe de la main.

-          Avance, à moins que tu ne veuilles faire ça allongée ? En plus, j’ai déjà chauffé la place.

Je m’exécute rapidement, on ne sait jamais, des fois qu’elle change d’avis. Maintenant je comprends pourquoi elle nous a emmenées dans l’endroit le plus reculé du lac. On est à l’abri des regards indiscrets !

Je pose délicatement mes mains sur le guidon, n’osant pas trop de peur de faire démarrer l’engin.

-          Désolée, mais je vais devoir te coller un peu pour t’expliquer.

-          Pas de problème.

À vrai dire, je préfère apprendre un maximum avec elle pour avoir le moins de temps à passer dans cette position avec un examinateur si jamais je devais obtenir le permis par la suite. A l’auto-école, le moniteur me draguait depuis le siège à côté, je n’imagine pas la même chose avec lui pressé dans mon dos.  Brrr.

D’un ton sérieux, elle m’annonce comme par obligation :

-          Par contre, faut que ça reste entre nous sinon je risque d’avoir des soucis. Je te fais confiance.

-          Tu peux !

Je m’avance au maximum pour lui permettre d’atteindre le guidon. Elle place ses mains à côté des miennes et commence à m’expliquer :

-          Tu vas voir, c’est pas bien compliqué. Alors ça, c’est pour démarrer. Là, c’est l’accélérateur. Fais gaffe, c’est plutôt sensible, faut y aller mollo...

Elle continue ses explications, tandis que je suis distraite par le fait que son souffle chatouille le côté de ma gorge. Et il n’y a pas que ça qui m’empêche de me concentrer ! Je n’arrive pas à croire que je vais bientôt pouvoir tester ce bébé presque par moi-même. 

2 octobre 2019

Hors Limites - Partie 2

La porte s’ouvre brusquement, laissant passer un Nathan visiblement joyeux. D’un ton transpirant d’ironie, j’annonce :

– Entre sans toquer, fais comme chez toi !

Il ne prend même pas la peine d’avoir l’air désolé lorsqu’il rétorque :

– Oh allez, après quatre ans de vie commune, j’ai déjà vu tout ce qu’il y avait à voir…

Ew.

Pas faux, mais ew.

Décalant mon PC portable pour le poser à côté de moi, je me redresse, m’adossant à la tête de lit et m’enquiers :

– Qu’est-ce qui t’amène ?

Il jette un coup d’œil derrière lui avant de fermer la porte et s’asseoir au bord du matelas :

– Il faut que je vide mon sac ! Ça ne pouvait pas attendre ! 

Amusée, je demande :

– Laisse-moi deviner, t’as un nouveau chéri ?

Il amène ses mains à sa bouche, dissimulant très mal un large sourire :

– Pas encore, mais j’ai un rencard…

Il ponctue cette annonce d’un petit saut sur le lit. Emportée par son enthousiasme contagieux, je m’enquiers :

– Quiiii ?

– Tu te souviens du mec hyper mignon, celui qui bosse avec Aaron en tant que coach sportif ?

– Le dieu grec que tu m’as montré en photo ?

Ma description a l’air de l’étonner et le ravir à la fois. Je suis lesbienne, pas aveugle…

Il acquiesce d’un signe de tête, se mordant la lèvre inférieure.

– Ouhhh, je serais presque jalouse !

Immédiatement, il plisse les yeux, passant en mode « sur la défensive » :

– Pas touche hein !

Peu impressionnée, je lui adresse un regard équivoque qui le fait aussitôt changer de sujet :

– Et toi, quoi de neuf côté cœur ?

Excepté une attirance unilatérale envers notre nouvelle coloc, pas grand-chose… Mais bien sûr, je me garde bien de lui faire part de ça. Ça m’étonne qu’il n’ait pas encore mentionné l’incident « courses + sieste » d’ailleurs.

– Que dalle.

S’emparant de ma main, il hésite un instant avant de dire :

– Tu sais… Aaron et moi on s’inquiète…

Je sais très bien à quoi il fait référence. Ma réaction post-rupture avec mon ex. C’était ma première histoire sérieuse et elle s’est terminée à l’instant où je l’ai trouvée au lit avec une autre. Je n’avais aucun soupçon et suis tombée de très haut.

– Je sais. Ça va mieux, promis.

Je serre sa main dans la mienne, contente que ce soit la vérité. C’est con, mais l’arrivée de notre nouvelle coloc m’a vraiment apporté une bouffée d’air frais. J’étais dans une routine, perdue dans mes pensées, toutes mes soirées passées devant Twitch ou à emballer des inconnues, occupée à m’engourdir l’esprit.

La venue de Kara a bouleversé ça, me donnant envie de profiter de sa compagnie, donc du présent.  

– Content de l’entendre. Ma Nom-Nom me manque.

Fronçant les sourcils d’un air pseudo-menaçant, je réponds immédiatement :

– Je t’ai déjà demandé cent fois de ne pas m’appeler comme ça !

– Et cette fois encore, j’ai bien l’intention de faire ce que je veux !

 

=====

On est dimanche et de ce fait, je suis affalée sur le côté, en jogging devant la télé, à regarder des dessins animés. Enfin... regarder, comater, appelez ça comme vous voudrez.

J’ai peu et mal dormi. Enfin non. Je dormais bien jusqu’à recevoir un message de mon ex, visiblement alcoolisée. J’étais certaine d’avoir bloqué son numéro pourtant.

Lorsque j’entends une porte s’ouvrir, je considère changer de chaîne l’espace d’un instant, avant de me rendre à l’évidence : la télécommande est beaucoup trop loin pour que je fasse l’effort et j’ai réussi à enrouler la couverture pile comme il faut autour de moi.

À la légèreté des bruits de pas, je sais que c’est Kara qui va me trouver dans toute ma gloire.

Elle se traîne jusqu’au canapé, clairement pas réveillée et j’ai à peine le temps de replier mes jambes qu’elle s’affale de tout son poids.

Ses yeux semis-clos vont se poser sur la télé. Immédiatement, je propose :

– Tu peux zapper si tu veux…

Elle tourne lentement la tête dans ma direction, semblant se demander de quoi je parle. D’un mouvement de tête, je désigne l’écran plat :

– Je regarde pas, tu peux changer de chaîne.

– Oh. Nan c’est très bien.

Sa voix est encore pleine de sommeil, assez rauque et ses cheveux détachés font un pied de nez à la gravité. Ça m’extirpe mon premier sourire de la journée.

Ses yeux restent sur moi, suffisamment longtemps pour que je m’imagine avoir un gros bouton sur le front ou quelque chose du genre. Elle finit par demander d’un ton hésitant :

– Ça va ?

La vraie réponse est non. Je ne sais pas quoi faire pour passer à autre chose et j’en ai marre de me réveiller (ou pire, me faire réveiller) en pleine nuit à cause de ça.

M’efforçant de soulever un coin de ma bouche, je réponds un timide :

– On fait aller, toi ?

Ignorant ma question, elle s’exclame :

– MUNNTTTT, réponse insatisfaisante !

Amusée, je demande dans un sourire en coin :

– Ah, je dois aller vers le plus joyeux ou le plus triste ?

– Duh, le plus joyeux bien sûr. Je te demanderais bien la raison pour laquelle tu as cette petite mine Stalkerish, mais j’ai peur de la réponse…

Faisant mine de regarder autour de moi, j’annonce :

– La mini caméra que j’ai placée dans ta chambre est très haute résolution. J’ai peu dormi.

Je ponctue le tout du genre de sourire qui pourrait facilement me valoir une ordonnance restrictive.

Me prenant à contrepied, elle répond :

– Ah oui, je comprends mieux ta déception. Désolée, mais il fallait que je coupe ces ongles de pieds, ça devenait urgent !

Ma réaction est bien évidemment celle escomptée : une grimace de dégoût :

– Ewww, mais non !

Un air hautement satisfait fermement en place, Kara déclare :

– Tu l’as mérité. Oh et tu peux me filer un bout de couverture s’il te plaît ?

Opportuniste comme jamais, j’en profite sans vergogne :

– Tu me donnes quoi en échange ?

– Un câlin ?

Elle ponctue sa proposition d’un geste « bras écartés » dans ma direction et bien que ça soit trèèèès tentant, on n’est pas du tout à ce niveau de proximité et j’aime autant garder mes distances. À la place, je joue les blasées :

– Meh. Je passe.

Ce faisant, je m’emmaillote encore plus dans mon cocon de chaleur, jubilant ostensiblement.

Ses bras retombent et elle adopte une moue boudeuse qui me donne envie de prendre sa lèvre inférieure entre les miennes.

Naomi, non.

Pas touche on a dit.

Finalement, elle hausse les épaules et tire sur le tissu, s’engouffrant dans la brèche ainsi créée. Mon cri d’indignation est royalement ignoré tandis que Kara s’installe à l’arrière de mes jambes, collée à mes fesses :

– Hey ! Mon espace vital !

Feignant (très mal) l’innocence, Kara demande :

– Ton quoi ?

Argh, ce petit sourire narquois…

Elle se blottit un peu plus contre moi, son corps est ferme et chaud et je dois bien avouer que c’est loin d’être désagréable. Mais vous savez ce qui est désagréable ?

Moi.

J’ai une réputation en jeu et elle l’aura voulu.

Aux grands maux les grands remèdes :

– Je vais péter.

Ses yeux s’écarquillent et elle s’installe dans une position « prête à fuir au moindre signe de danger » :

– T’as pas intérêt ! Je viens d’arriver, t’es supposée me mettre à l’aise, pas m’enfumer.

Levant la tête pour estimer l’étendue des dégâts, force est de constater que même une anguille couverte de vaseline aurait du mal à se glisser entre nous. Pour toute réponse, je grommelle :

– Ouais bah t’as déjà l’air suffisamment à l’aise comme ça.

Ma réplique, bien que désobligeante, lui semble satisfaisante puisqu’elle émet un son de contentement et se blottit même un peu plus contre moi.

Intérieurement, je suis en panique, mais si je veux avoir l’ombre d’une chance d’un jour être en mesure de me comporter normalement avec elle, il va falloir que je prenne sur moi. Elle est exactement dans la vie comme à l’écran et j’ai imaginé ce que ça ferait de passer ce genre de moment avec elle des centaines de fois.

Sa voix me sort de mes pensées :

– Et sinon, qui es-tu Naomi ?

Fronçant les sourcils, je lui adresse un regard interrogateur :

– Tu viens littéralement de dire mon prénom.

Elle m’administre une tape sur la hanche tout en levant les yeux au ciel :

– Mais non, je veux dire… Tiens, quels mots tu utiliserais pour te décrire ?

Je ne sais pas si je suis mal à l’aise à l’idée de me dévoiler ou par peur de ne pas être discrète quant au fait que je veux tout apprendre d’elle en retour :

– On joue à 20 questions maintenant ?

– Pénible, bien noté. Couleur préférée ?

Soupirant, je comprends qu’elle n’a pas l’intention de me laisser m’en tirer à bon compte :

– Bleu nuit... Toi ?

Elle se ressaisit rapidement, mais je peux voir que le fait que je me prenne au jeu et lui retourne la question lui fait plaisir :

– Rouge. Nourriture préférée ?

Immédiatement, j’adopte l’air rêveur adapté à l’aliment délicieux que sont :

– Les frites !

Elle sourit devant mon enthousiasme quasi enfantin :

– Ça va, c’est pas trop dur à trouver au quotidien !

– Pourquoi tu dis ça, la tienne c’est quoi ? Une soupe berbère très spécifique ?

– Haha nan, pas vraiment. Je tuerai pour des gaufres.

Pourquoi ça ne m’étonne pas ? Si je prends en compte ce que je sais d’elle via Twitch, elle a une dent pour tout ce qui est sucré, ce n’est pas une surprise.

– Ok. Ne pas lui voler ses gaufres. Message reçu.

– T’as pas intérêt ! Hmmm… t’as un petit copain ?

Et merde. Mon sourire vacille sur mon visage, retombant un peu. J’assume ma sexualité, mais il y a toujours une légère appréhension lorsque je l’annonce pour la première fois.

– Je suis une célibataire qui joue pour l’autre équipe.

Je scrute sa réaction comme un aigle royal affamé fixerait un lapin, voulant m’assurer que cela ne va pas être un problème. Son visage marque l’étonnement, mais ne porte pas la moindre trace de jugement ou pensée négative :

– Oh ok, cool. C’est les mecs qui doivent être déçus.

Clairement, ce n’est pas le genre de conversation que j’ai envie d’avoir. D’ordinaire, je déteste quand les gens disent des choses comme ça, mais venant d’elle, ça passe. Et savoir qu’elle ne me trouve potentiellement pas désagréable à regarder n’aide pas du tout. C’est pourquoi j’opte pour l’ironie :    

– C’est vrai que je suis tellement un cadeau…

Kara se contente de hausser les sourcils, dédramatisant, les yeux rivés au téléviseur :

– Hey, t’as déjà l’emballage !

Je sais qu’elle plaisante, parce qu’elle demande à passer du temps avec moi alors à moins d’être totalement maso, elle comprend mon humour et ma façon d’être.

Blasée, je lui adresse un regard entendu. Techniquement c’est à mon tour de lui retourner la question, mais elle m’a déjà présenté le fameux Mathieu et l’idée de la voir s’épancher en me racontant à quel point il est formidable ne me tente pas du tout. En plus, je n’ai pas envie de m’éterniser sur le sujet « amours », qui est un peu sensible en ce moment.

À la place, je lui retourne sa toute première question :

– Si tu devais te décrire en un mot, ce serait quoi ?

Elle tourne la tête pour me faire face et glisse sa langue entre ses dents pour finalement lancer :

– Mhh… espiègle !

J’avoue, c’est plutôt bien choisi.

 

 ======= 

 

Quelques jours après notre tête-à-tête, je me lève tardivement et me rends dans la cuisine en traînant des pieds. J’y retrouve une Kara visiblement peu fraîche, les cheveux dans un chignon fait à la va-vite, en train de bailler aux corneilles.

– Hey.

– Salut.

Je me tourne vers le placard haut qui contient les céréales et tente d’ignorer le fait que je ne porte qu’un T-shirt et un mini short en tant que pyjama. Autant m’habituer à sa présence directement, elle me verra probablement dans une tenue pire que ça d’ici peu. Après tout, on n’est pas dans une démarche de séduction, peu importe.

Récupérant le lait, je m’installe à ses côtés et demande :

– Bien dormi ?

– Nickel et toi ?

– Mhh, ça peut aller merci !

N’étant pas du matin, j’espère que la conversation va s’arrêter là. Après tout j’ai sorti les banalités usuelles…

– Quoi de prévu aujourd’hui ?

Et merde.

– Finaliser les croquis de plusieurs costumes et les faire valider par mes clients.

Ses yeux s’illuminent immédiatement :

– Oh oui, c’est vrai, Aaron m’avait dit que t’es costumière ! C’est trop cool !

– Ouais. Je bosse principalement avec des théâtres, mais de temps en temps, j’ai une demande pour de l’aide sur du cosplay et c’est de loin les ensembles sur lesquels je préfère travailler !

– Tu pourrais m’en faire un ? J’ai toujours rêvé de devenir Nova dans Starcraft l’espace d’un jour ou le temps d’une convention. Chaque année je regrette de ne pas l’avoir fait ! Je te paierai hein !

Je dissimule mon sourire derrière une bouchée de céréales. Elle vient de basculer de moitié assoupie à totalement réveillée en une fraction de seconde. C’est adorable.

– Pas de problème, même si je ne suis pas convaincue que passer plus de temps que nécessaire en ta compagnie sera bon pour ma santé mentale.

– Pffft, tu m’adores Stalkerish, je le sais.

– Mhh mhh. L’essentiel c’est d’y croire.

– Tout le monde m’apprécie, sauf toi, c’est ça que tu essaies de me dire ?

Je dois avouer que son jeu d’actrice est plutôt bon, elle paraîtrait totalement sûre d’elle si je n’avais pas suffisamment regardé son stream pour savoir qu’elle n’a aucune idée de l’ampleur de son effet sur les gens. Le fait qu’elle reste humble est franchement plaisant.  

– Exactement.

– Et qu’est-ce qui m’assurerait de rentrer dans tes bonnes grâces ? Quel est le truc auquel tu ne peux pas résister ?

Feignant la réflexion, je lance d’un ton hautement ironique, sourire narquois aux lèvres :

– La flatterie. Qu’on me fasse sentir que je suis un être exceptionnel. Et n’hésite pas à donner du tien et y aller franchement, plus c’est direct mieux c’est. J’aime bien quand c’est bien insistant, limite lourd. Le type d’interactions qu’on peut avoir dans le métro, qui te fait te sentir valorisée si tu vois ce que je veux dire.

Clairement, je suis 100% provoc et m’attends à me faire remballer, mais absolument pas à sa réponse :

– Challenge accepté.

Les regrets sont immédiats :

– C’était pas un défi.

– Trop tard ! Prépare-toi à être totalement charmée.

Elle m’adresse un sourire ravageur et je me prends une telle vague de sex appeal que j’ai l’impression de me faire gifler.

Il faut que je tue cette idée dans l’œuf.

– Nan, vraiment Kara, j’insiste, ce n’est pas nécessaire.  

– Pourquoi ? T’as peur ?

OUI. Non seulement je finirais probablement déshydratée, mais en plus Aaron m’achèverait à coup sûr, persuadé que j’essaie de corrompre sa sœur. Mais je ne peux pas me permettre d’avoir l’air faible :

– Pffttt. Bien sûr que non !

Elle hausse les épaules et lance nonchalamment :

– Dommage, j’aurais bien voulu savoir que je fais battre ton cœur un peu plus vite, une jolie fille comme toi…

Elle n’arrive pas à dissimuler son sourire et il est évident qu’elle a conscience que c’est nul, c’est pourquoi je l’abats sans pitié :

– Tu te fais juste du mal, je t’assure. Je plaisantais.

 Ramassant son mug et allant le déposer dans le lave-vaisselle, elle chantonne :

– On verraaaaa…

Voulant changer le sujet avant qu’elle ne parte et ne commence à concocter je ne sais quel plan tordu, je demande :

– Et toi, quoi de prévu aujourd’hui ?

Elle passe derrière moi et me susurre à l’oreille :

– Je serai devant mon pc, caméra braquée sur moi, si tu veux je peux te donner le lien…

Alors qu’environ un milliard de frissons me parcourent tout le corps, je rétorque du tac au tac :

– Ça sera pas nécessaire, merci, j’ai déjà Nat Géo Wild si je souhaite regarder un reportage animalier.

Elle se recule, sourire aux lèvres, absolument pas perturbée par ma remarque désobligeante. Je suis persuadée qu’elle va partir dans sa chambre, mais elle se penche pour s’accouder à l’îlot central, son T-shirt lâche m’offrant une vue plongeante sur ses attributs.

Pour le coup je ne suis pas sûre que ça soit fait exprès. Dans un cas comme dans l’autre, je ne regarde pas, la fixant dans les yeux lorsqu’elle demande :

– Tu ne veux toujours pas me dire ton pseudo ?

– Je croyais que tu l’avais deviné ?

– Ohh allez quoi ! Rien qu’un indice !

Terminant mon bol, je simule un soupir et annonce :

– C’est pas important, vraiment, tu le reconnaîtras sûrement pas.

C’est un mensonge éhonté s’il en est un. Elle ne salue pas tous ses spectateurs et je suis bien placée pour le savoir. On a même déjà discuté à l’écrit sur Discord et fait une partie ensemble sur Apex.

– Mouais… Si c’était le cas, tu ne ferais pas toutes ces histoires… Je me trompe ?

Elle ponctue sa phrase par un battement de cils et je suis tellement faible que j’ai limite envie de tout avouer sur le spot.

– Oh ? Serait-ce mon téléphone que j’entends ? C’est peut-être un client, je ferais mieux d’aller décrocher !

Elle fronce les sourcils, ne comprenant pas tout de suite :

– De quoi tu parles, je n’entends ri — Naomi reviens ici !

Puérile, je m’enfuis à toutes jambes et suis rattrapée juste au moment où j’arrive au niveau de la porte, fonçant dedans. Évidemment, elle s’ouvre alors que j’essaie de prendre appui dessus et je me tape la gamelle du siècle, ayant à peine le temps de mettre mes mains devant moi avant de faire un magnifique plat.

Pas très loin derrière, Kara m’éclate la fesse gauche en se réceptionnant dessus avec sa main, avant de me couper le souffle en tombant sur moi, ses seins au creux de mes reins.

C’est elle qui se met à rire en premier, quittant mon dos pour rouler en direction du sol, demandant quand même :

– Ça va ?

– Si tu vois des trucs blancs sur le parquet, merci de me l’indiquer, c’est probablement mes dents.

Je pose ma tête à même le sol, la regardant et me met à rire moi aussi, avant de m’exclamer sans réfléchir :

– Tu m’as fait super mal au cul !

Souriante, elle n’en rate pas une et demande :

– Puis-je masser ton superbe postérieur pour me faire pardonner ?

Ne voulant pas continuer sur sa lancée dangereuse, même pour plaisanter, j’esquive sa main et me relève, lui tendant la mienne en retour.

– T’as pas un jeu ou deux à finir toi ? Tu t’humilies là, ça en devient gênant !

Elle se redresse et demande :

– Ça dépend ? Tu me laisserais pianoter sur ton clavier ?

Au vu du regard lubrique qu’elle m’adresse, je sais qu’elle ne parle pas de mon ordinateur portable…

Je sens mon visage entrer en état de combustion spontanée et son air amusé ne me réconforte pas du tout ! Elle n’a pas froid aux yeux, sachant qu’elle a connaissance de ma sexualité.

Comment j’ai fait pour me mettre dans un pétrin pareil ? Ça m’apprendra à toujours faire des réflexions désobligeantes pour plaisanter…

– Nan, reste avec tes joysticks et sors de ma chambre ! 

– Ok ok… Si tu me cherches… Tu sais où me trouver...

– Ouais bah si tu me cherches, je serai au magasin de bricolage le plus proche pour acheter un verrou supplémentaire pour ma porte et du scotch noir opaque pour le trou de la serrure. On n’est jamais trop prudente !

Visiblement amusée par ma répartie, elle s’en va et à la manière dont elle tourne des fesses, je suis quasi certaine qu’elle a conscience que je la regarde faire…

Et merde.

 

======

 

De retour à l’appart, je franchis le pas de la porte et m’arrête net, déposant mon sac au sol et lançant d’une voix forte pour couvrir le bruit : 

– On a attrapé le coupable ?

Kara stoppe le mixeur et m’observe d’un air confus :

– Huh ?

Je regarde autour de nous et précise :

– On dirait que quelque chose a explosé dans cette cuisine.

– Ah. Oui... Je veux faire une surprise à Mathieu.

M’approchant, je place mes mains au bord du plan de travail et retiens difficilement un sourire. Entre le tablier, les ingrédients et le livre de recettes, ce qu’elle fait paraît évident.

Visiblement, mon silence la fait parler puisqu’elle désigne la préparation d’un signe de tête et précise :

– Un… gâteau au chocolat. Mais je ne suis pas très douée.

Elle ponctue sa phrase d’un rire gêné et passe le dos de sa main sur son visage, se tartinant la joue de farine et de chocolat au passage. Je resserre mes pouces sur le rebord pour m’empêcher d’aller lui retirer, ayant parfaitement conscience que nous ne sommes pas assez proches pour ce genre de gestes.

– Tu viens de t’en mettre…

Du bout des doigts, je désigne la zone en question sur mon visage.

S’ensuit un monument de mignonnerie. D’abord elle rougit, puis elle attrape un chiffon à proximité et entreprend de s’essuyer avec.

Sauf que le bout de tissu n’était pas exactement propre et ça ne fait qu’aggraver les choses.

Je me mords la lèvre inférieure, essayant vaillamment d’endiguer un sourire.

Kara tourne ses grands yeux bleus vers moi, pleine d’espoir :

– C’est mieux ?

Ma bouche s’étire malgré moi et je secoue la tête à la négative, m’efforçant de ne pas rire.

– C’est pas mieux ?

Mince, va falloir parler. C’est mort, je n’arriverais jamais à me retenir de me moquer :

– Si tu visais un look poudré façon renaissance, avec une énorme mouche en chocolat, c’est très réussi, sinon… non.

Elle baisse la tête et je me mets à rire jusqu’à ce que je me prenne un coup de torchon sur le bras, m’envoyant un nuage de farine en plein visage. En plus je porte du noir, ça tombe bien.

Une fois que j’ai fini de tousser, je lui adresse un regard offusqué, yeux ronds et sourcils froncés :

– Tu cherches à mourir ?

Loin d’être impressionnée, Kara plonge son index dans le mélange chocolaté. Elle l’observe un moment, me tapote le bout du nez avec avant de le mettre dans sa bouche, les yeux pétillants.

– J’ai pas peur de toi Stalkerish… Je suis imbattable !

Hors de question qu’elle reste impunie. 

Détournant son attention, je réplique tout en avançant sa direction :

– C’est pas exactement comme ça que je me rappelle une certaine série d’échecs face à un boss final qui a créé une grosse demande pour l’émoticône « rage de perdre »…

C’est à son tour d’ouvrir la bouche d’un air totalement scandalisé et c’est le moment que je choisis pour frapper. Passant ma main sur le plan de travail afin de ramasser un maximum de farine, je lui en tartine les joues et le front !

L’espace d’un instant, je me dis que je l’ai faite buguer. Elle ne bouge plus, les yeux écarquillés et le visage intégralement enfariné.

Elle éclate de rire de manière soudaine et je ne peux m’empêcher de suivre.

– Ok, je laisse courir parce que c’était mérité.

Et moi j’abandonne la mission vengeance parce que la voir sourire me donne des palpitations.

Kara se dirige vers l’évier, mouillant un morceau d’essuie tout pour tenter d’effacer le plus gros des dégâts. Je la regarde faire, ayant toujours du mal à croire qu’elle se trouve face à moi.

Voulant m’occuper les mains, j’attrape l’éponge et commence à nettoyer tandis qu’elle termine de mixer les ingrédients avant de les verser dans le plat qu’elle avait préalablement beurré. 

C’est très domestique comme scène, on travaille ensemble sans se gêner, virevoltant de part et d’autre comme si c’était habituel pour nous.

Calme-toi Naomi. Tu l’aides à faire un gâteau pour son mec…

Elle place la préparation dans le four, se lave les mains, retire son tablier et part s’affaler sur le canapé, tapotant l’espace à côté d’elle dans une invitation muette.

Une fois que je m’estime suffisamment propre pour ne pas salir le cuir, je la rejoins.

On ressemble toutes les deux à des lamantins échoués, la journée ayant eu raison de nous.

Le silence est confortable.

Trop, si l’on considère que j’ai officiellement fait sa connaissance il y a peu.

– C’est bizarre.

Levant un sourcil, je tourne juste ma tête dans sa direction, questionnant sa phrase d’un son :

– Hm ?

– J’ai pas l’impression que je viens de te rencontrer, plus que je retrouve une vieille amie. T’es sûre que tu ne veux pas me dire ton pseudo ?

Oh putain. Elle lit dans mes pensées ou quoi ?

– Je préfère faire planer le suspense ! Et s’il te plaît, on approche de mon anniversaire, ne m’inclus pas dans une phrase avec vieille, c’est un sujet sensible !

– Haha je vais essayer.

– Réussir, tu vas réussir.

Je lui adresse un de mes fameux regards “fais ce que je dis ou meurs” qui fonctionne sur tout le monde. Tout le monde sauf elle apparemment, puisqu’elle me taquine quasi immédiatement :

– Ou sinon quoi ? Une nouvelle menace de mort ?

Mécontente qu’elle mette mon bluff en évidence, je reste évasive :

– Peut-être bien...

– De toute manière, t’essaies déjà d’attenter à mes jours.

– Pardon ?

À l’instant où elle tente de retenir un sourire, je réalise que j’ai bêtement marché dans son piège :

– À chaque fois que je te vois, tu es belle à couper le souffle. Je peux avoir ton 06 ou 07 mademoiselle ?

Je lève les yeux au ciel et soupire, masquant tant bien que mal mon amusement. Pas question de l’encourager. Même si elle plaisante, elle me plaît. Et ça a beau être grossier et évident, j’ai peur d’oublier que c’est une blague.

– Dis-moi franchement : est-ce qu’il y a une chance pour que tu avortes dès à présent tes atroces tentatives de flirt ? C’était vraiment pas un défi !

Elle m’observe, les yeux pétillants, avant de me donner un petit coup d’épaule :

– Tu fais genre, mais je sais qu’au fond de toi tu adores…

– Ouais bah si tu attends que j’admette un truc pareil, un conseil : ne retiens pas ton souffle !

Son sourire se fait plus doux et régresse lentement, jusqu’à disparaître :

– J’ai déjà entendu cette phrase quelque part… C’est frustrant, t’es sûre qu’on se connaît pas d’avant ? On a peut-être des amis en commun ?

Merde, je la dis tout le temps dans le chat… vite, trouve une excuse :

– C’est une réplique culte, forcément ! Et il est fort probable que ma charmante personnalité déteigne sur ton frère.

Son visage adopte un air malicieux et avant même qu’elle n’ouvre la bouche, je sais qu’elle va sortir une grosse connerie. Et effectivement, elle ne me fait pas mentir :

– Ça c’est bien vrai que vous êtes charmante mademoiselle. Z’êtes libre un de ces soirs, qu’on fasse connaissance si vous voyez ce que je veux dire ?

Elle ponctue “ça” d’un frétillement des sourcils trois fois trop long. Le plus triste, c’est que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, je me suis infligé ça toute seule. D’un air faussement mielleux, je l’abats sans concession :

– Vraiment, ça aurait été avec plaisir, mais je ne peux pas, j’ai poney.

Son ton est incrédule :

– Tous les soirs ?

Haussant les épaules, je reste stoïque et réponds naturellement :

– J’aime le poney.

Kara éclate de rire à côté de moi et aucune force au monde ne suffirait à retenir mon sourire. Si jamais j’étais encore en maternelle, je m’accorderais un bon point pour avoir réussi à l’amuser.

Ouais, ‘fin en l’occurrence c’est plus le cas et méfie-toi Naomi, c’est une pente glissante sur laquelle il ne vaut mieux pas t’engager.

On sait comment ce genre d’histoire finit. Elle ne fait que plaisanter, parce qu’elle est à l’aise avec toi. Ton cœur se remet à peine, inutile d’en rajouter.

Son rire diminue puis s’éteint, nous plongeant à nouveau dans le silence.

L’index de Kara se promène le long de la couture de mon jeans, longeant l’extérieur de ma cuisse sans un mot. Elle a l’air soudainement pensive et avant que je ne puisse lui demander ce qu’il se passe, elle prend la parole :

– Je peux te poser une question ?

Tournant la tête pour l’observer, je me fais prendre au piège par ses yeux l’espace d’une seconde, acquiesçant muettement.

– Indiscrète ?

L’un de mes sourcils se lève tout seul et un sourire en coin menace de gagner mes lèvres, mais un coup d’œil en direction de Kara me fait changer d’avis. Elle a l’air étonnamment vulnérable.

Quoi que ce soit, c’est important pour elle.

– Je t’écoute.

– Comment t’as su que t’étais attirée par les femmes ?

Alors ça… C’était la dernière des choses auxquelles je m’attendais.

Je me retrouve sans trop savoir quoi dire alors même que je connais la réponse à sa question.

Prenant une grande inspiration, plus pour gagner du temps qu’autre chose, je détourne mon regard de ma coloc et entreprends de formuler mes pensées :

– À vrai dire, j’avais tellement pas compris que c’en était drôle !

– Comment ça ?

Elle se tourne vers moi, son genou plié venant empiéter sur ma cuisse. Je me retiens de faire de même, le sujet de conversation étant suffisamment intime comme ça sans que je la regarde dans les yeux.

– À l’époque, j’étais ce qu’on pourrait appeler une croqueuse d’hommes. J’en changeais comme de chemise, sans jamais qu’un ne trouve grâce à mes yeux. Objectivement, je voyais bien qu’ils étaient sympas, mignons et compagnie, mais… j’sais pas, je n’arrivais pas à m’attacher.

– Et du coup ?

– Je les quittais dès que je sentais qu’ils commençaient à avoir des sentiments ou être trop pressants… si tu vois ce que je veux dire.

Lui jetant un regard du coin de l’œil, j’aperçois le sourire pervers qui peint ses lèvres. Avant qu’elle ne puisse embrayer sur une réponse sordide ou pire, une phrase de drague, je reprends :

– Bref. Je savais que le “problème” venait de moi, mais je n’avais aucune idée de quoi il s’agissait.

– Mais tu ne regardais pas les femmes ?

Haussant les épaules, je réagis sincèrement :

– Pas spécialement, non.

– Hmm.

Ma réponse n’a pas l’air de la satisfaire, puisqu’après une demi-seconde à peine elle demande :

– Comment tu l’as su alors ?

– Une copine a fait son coming out à ce moment-là. Elle était pas mal, je me doutais qu’elle avait des sentiments pour moi et je me suis dit que je n’avais pas grand-chose à perdre. Du coup, je suis allée la voir en mode “si ça te tente…”.

Kara se penche de plus en plus vers moi, la curiosité évidente dans sa voix :

– Vous l’avez fait ? Oh vous l’avez trop fait !

La manière quasi enfantine dont elle sort ça me fait rire et quitte à casser son délire, je rectifie :

– Non. Elle a eu peur de n’être qu’une expérience et m’a dit “je ne pense pas que tu puisses être lesbienne”. Et têtue comme je suis, j’ai pris ça comme un défi.

– T’as fait quoi ?

– Ni une ni deux, j’ai été créer un profil sur un site de rencontres LGBT, en mode “tu vas voir si je ne peux pas”.

– Haha je t’imagine tout à fait.

– Bref. Je parle avec une fille, qui n’avait pas de photo.

Je la vois me jeter un regard, mais l’arrête tout de suite d’une main levée :

– Oui oui, je sais, mais à l’époque c’était différent, je savais pas. Pi de toute manière, avec tous les catfishs qui traînent… Finalement, au bout d’une semaine, elle propose qu’on se rencontre. J’accepte et là…

Je garde le silence un moment, en partie pour laisser planer le suspense et partiellement pour voir ce qu’elle va dire :

– Bowchicawowow ?

Je secoue la tête en lui lançant un regard amusé :

– Tout de suite ! Non madame, je l’ai vue, j’ai eu le coup de foudre pour elle et on s’est embrassées le jour même.

– Awwww. C’est mignon.

Gênée, je souris en baissant les yeux.

Je meurs d’envie de savoir pourquoi elle me demande ça, mais ne sais pas comment le formuler sans avoir l’air d’une crevarde.

Fort heureusement, elle répond spontanément à mes interrogations :

– Parfois… parfois je me pose des questions…

Mon cœur manque quelques battements. Pourquoi elle me fait ça ?

Je suis prise de soudaines bouffées de chaleur. Particulièrement localisées. Quand est-ce que j’ai eu mes règles pour la dernière fois ? Est-ce que je ne serais pas en train de développer un cas de ménopause extrêmement précoce ?

Calme-toi Naomi.

Tu ne sais pas quel genre de questions. Peut-être qu’il s’agit de questions existentielles type « ma place dans l’univers »…

Tentant d’adopter un air vaguement détaché, je lance :

– Ah oui ?

– Je sais pas comment l’expliquer. Certaines femmes… m’attirent ?

Est-ce qu’elle a quelqu’un en particulier en tête ? Et attirer comment ? Façon “je suis intriguée par sa manière de penser et d’être” ou “je me demande à quoi elle ressemble quand elle jouit”?

La bouche sèche, je croasse :

– Amicalement ?

Son pied se met à gigoter, trahissant sa nervosité :

– Pas que, je crois. J’ai envie de passer tout mon temps avec, de tout apprendre sur elle…

Immédiatement, je jalouse celles qui ont su susciter son intérêt.

Le pire, c’est de sentir l’espoir qui me gagne.

C’est totalement stupide.

Elle n’est sûre de rien et se confie à moi probablement uniquement parce que je suis la seule lesbienne qu’elle connaît. Ça ne veut pas dire qu’elle est vraiment bi ni que je l’intéresse… Et si on a passé beaucoup de temps ensemble ces derniers jours, c’est parfaitement normal, on vit sous le même toit ! Sans oublier que j’ai fait une promesse à son frère…

Ma posture est très clairement celle de l’avocat du diable :

– Oui, mais… t’es sûre que c’est pas juste de l’admiration ou de la curiosité ?

Pour être honnête, j’ai besoin de ça. Si je ne vocalise pas mes doutes, je sais ce qu’il va se passer. Et tomber amoureuse d’une nana bi-curieuse et hors limites est la dernière des choses dont j’ai besoin.

Une chose est claire : ma réponse ne la satisfait pas.

Soupirant, elle se recule et se réinstalle dos au canapé. Le silence s’établit quelques secondes, mais avant que je ne puisse changer de sujet, elle se tourne à nouveau vers moi :

– Tu sais quoi ? Non ! Non c’est pas ça. J’admire beaucoup de gens, mais je ne me demande pas ce que ça ferait de les embrasser et je ne me réveille certainement pas en sursaut au milieu de la nuit parce que j’ai fait un rêve érotique dans lequel ils occupaient le rôle principal.

Je ferme les yeux une seconde, essayant de calmer les battements de mon cœur.

J’ai toujours aimé les femmes sûres d’elles et la voir défendre sa possible sexualité me plaît beaucoup plus que ça ne devrait. Franchement, je n’avais pas besoin de ça.

Évitant son regard, je consens d’un signe de tête :

– Ok. C’est toi la mieux placée pour savoir.

Elle acquiesce en souriant, visiblement contente de cette conclusion. J’espère qu’elle a trouvé des réponses à ses questions.

– Et toi Naomi, qu’est-ce qui te plaît le plus chez les femmes ?

Va regarder dans le miroir, tu sauras.

Levant une main en opposition, je l’arrête avant qu’elle ne puisse commencer :

– Non non, j’ai pas signé pour ça !

– Oh allez quoi, je croyais qu’on était amies !?

Amies… C’est déjà généreux vu que l’on vient à peine de faire connaissance, mais le terme me dérange quand même.

Comme souvent lorsque je me sens en danger, je me rabats sur un humour acerbe :

– Ouais, mais j’ai ni la patience ni les crayons qu’il me faudrait pour te faire comprendre.

J’ai rarement été aussi satisfaite de voir un air offusqué sur un visage…

Amies. Je peux gérer.

 

=======

 

Je pousse vaguement sur les coussins du banc de musculation, essayant de jauger l’intensité de l’effort à accomplir.

Etant donné qu’on vient tout juste de s’étirer et que je suis déjà à l’agonie, n’importe quel poids supérieur à “rien” sera de trop. Et c’est clairement le cas.

– Tu sais que je veux me remuscler, pas concourir aux championnats du monde d’haltérophilie hein ?

Insensible à ma tentative d’humour et totalement inflexible, Aaron réplique d’un ton las :

– Arrête de te plaindre et soulève !

– Pourquoi tu me fais ça ?

Mon coach d’un jour me fixe d’un air blasé et lance :

– Parce que tu me l’as demandé.

– Ouais bah je suis une idiote.

– Premier truc sensé que tu as dit de la journée !

Sérieux ? Je parie qu’il ne dit pas ça aux clients qui le paient !

Alors que je lui adresse un regard qui, je l’espère, va l’inciter à se lancer dans une litanie d’excuses, j’entends qu’on frappe à la porte de sa chambre :

– Ouais ?

Voulant faire mine d’être une athlète, je pousse de toutes mes forces pour faire bouger la fonte tandis que la tête blonde de Kara passe l’entrebâillement.

– Je peux me joindre à vous ?

– Comme si t’avais besoin de demander !

Elle rentre dans la pièce et à l’instant où mes yeux se posent sur elle, j’oublie ce que je suis en train de faire et les poids retombent dans un “clang” monstrueux.

Le frère et la sœur se tournent vers moi, me lançant des regards curieux. Priant pour que ma voix ne trahisse pas l’énormité de mon mensonge, je m’explique :

– J’avais fini ma série.

Acceptant visiblement ma réponse en l’état, ils retournent tous les deux à leur conversation.

Malgré moi, mes yeux parcourent avidement la silhouette de Kara. Manifestement prête à se joindre à nous, elle a choisi de porter des petites baskets, un pantacourt de yoga et une brassière de sport. Ses cheveux sont attachés dans une queue de cheval et ses épaules sont finement musclées. La brassière est noire et lui maintient suffisamment la poitrine en créant un décolleté discret, mais très appréciable.

Vérifiant qu’ils restent occupés, je continue mon inspection, tentant de mémoriser chaque parcelle de peau dévoilée.

Elle n’a pas une tablette de chocolat, mais on peut clairement deviner où se situent ses abdos. J’ai toujours eu un truc pour les ventres bien dessinés et le sien, avec son petit nombril creux est pile comme j’aime.

Voilà de quoi m’occuper les longues soirées d’hiver…

Ma séance de reluquage intensif arrive à son terme lorsqu’Aaron passe une main devant mon visage, essayant visiblement de capter mon attention :

– Ohé Naomi ! Tu en as fait combien ?

Concentre-toi perverse, on t’adresse la parole !

– Juste une série, désolée j’étais perdue dans mes pensées.

Kara a un petit sourire en coin qui me laisse imaginer qu’elle est au courant de la teneur exacte des “pensées” en question, mais son frère est (fort heureusement) beaucoup plus naïf. Se tournant vers elle, il tend le bras pour me montrer de la main en s’exclamant :

– Tu vois avec quoi je dois travailler ? Comment tu veux en tirer quelque chose ?

– Il faut trouver sa carotte, ce qui la motivera.

Marquant son mécontentement, Aaron souffle un grand coup et se dirige vers le tapis de course.

Pendant ce temps, Kara se penche en avant, posant ses mains sur ses genoux pour mettre son visage à hauteur du mien, qui suis assise sur le banc de musculation :

– Dis-moi Naomi, qu’est-ce qui te ferait envie ?

Je sais EXACTEMENT la vue que je pourrais avoir si je baissais les yeux rien qu’un peu. Mais m’est avis que c’est pile la réaction qu’elle souhaite déclencher alors je lutte pour maintenir mon regard dans le sien, même si ça me donne probablement un air constipé. Et je ne parle pas de la formulation… Malheureusement, je crois que ça l’amuse de flirter avec moi…

– Une petite pause et que tu cesses de me comparer à une ânesse !

Comme si ma réponse avait pour unique vocation de le provoquer, Aaron lève les bras au ciel avant de les laisser retomber, comme dépité. J’avoue que pour lui qui est hyper porté sport et dont c’est le métier, se retrouver face à moi ça doit faire un choc. Un peu comme si on larguait un citadin excentrique en pleine jungle amazonienne. Le choc des cultures !

Sa sœur abandonne moins facilement puisqu’elle demande :

– Quelle partie tu souhaites muscler en priorité ?

Malgré moi, mes yeux vont se poser sur son ventre et je n’ai même pas le temps de vocaliser mon choix qu’elle s’exclame :

– J’ai une idée, bougez pas.

Kara file dans sa chambre et revient quelques secondes plus tard, munie d’un ballon dégonflé et d’une pompe.

Tendant les deux à son frère, elle demande :

– Tu peux t’occuper de ça stp ?

– Pas de problème.

– Tu lui as échauffé le dos ?

– Oui madame.

– Parfait.

Elle se frotte les mains avant de se tourner vers moi, ce qui ne m’évoque rien de bon.

– Ok Naomi, tu préfères travailler quels abdos ?

J’y connais que dalle, pourquoi elle me demande mon avis ?

Pour éviter de faire étalage de mon inculture, j’opte pour la ruse :

– Euh… Les mieux pour moi, je te fais confiance !

– Tu penses que tu as besoin de travailler plus cette zone-ci, celle-là ou par ici ?

Comme si elle avait lu le manuel de « comment torturer une lesbienne lubrique », elle ponctue chaque option d’une contraction de la zone en question qu’elle montre du doigt. Mon cerveau la déteste, parce qu’il est évident qu’elle a conscience de ce qu’elle est en train de faire, mais mes hormones l’aiment beaucoup.

– Honnêtement ? Un peu tout.

– Pas de problème. Allez debout.

Elle s’empare du ballon à présent gonflé et me guide devant d’une main sur ma hanche :

– Ok, tu vas te mettre sur le côté, le flanc sur le ballon, les paumes derrière les oreilles. Il faudra garder les jambes tendues et croisées, un peu comme si tu faisais la planche.

 Je suis hautement sceptique quant au fait que je vais réussir à me placer dans la pose souhaitée, alors réaliser un exercice…

– Et après je fais quoi ?

– Rien, tu maintiens la position pendant 30 secondes, avant de faire une pause et faire l’autre côté. C’est pour gainer latéralement ta taille et tes fessiers.

Je jette un coup d’œil au ballon comme si c’était un nid de serpents venimeux. Quoique je crois bien que j’aurais préféré les reptiles. Mon intuition me crie « tu vas te ridiculiser, refuse de faire ça », mais il est hors de question de passer pour une trouillarde devant elle. Au pire je fais un fail épique, mais j’aurais eu le mérite d’essayer. 

Quand il faut y aller il faut y aller.

Alors que je m’installe sur l’engin de torture avec la grâce d’un sumo tentant de faire une représentation du lac des cygnes, Kara m’aide à trouver mon équilibre pour parer à une éventuelle chute avant même d’avoir commencé.

À peine en place, elle glisse une main sous ma taille, m’indiquant dans un tapotement vers le haut :

– Essaie de te tenir le plus droite possible pour éviter de te faire mal au dos.

Tant bien que mal, j’entreprends de m’exécuter et suis récompensée d’un :

– Parfait, c’est parti ! 1, 2...

Ok c’est pas aussi facile qu’il n’y paraît ! Le ballon bouge, c’est des muscles que je n’ai pas l’habitude de solliciter et ils me le font bien comprendre.

Le pire, c’est que je vois Aaron courir comme un dératé sur le tapis tout en ayant l’air de faire une promenade de santé tandis que sa sœur est en position chaise contre le mur et c’est tout juste si elle n’est pas à bailler.

C’est pas juste !

30.

Je me laisse glisser par terre, un peu comme une crêpe pas assez cuite qui viendrait s’écraser sur le mur après qu’on ait tenté de la faire sauter.

De prime abord, ils paraissent très différents l’un de l’autre, mais à les voir faire, il n’y a pas de doute que ces deux-là sont frère et sœur.

Comme pour corroborer ma pensée, Kara ne me laisse pas beaucoup de répit, comme son tortionnaire de frangin. Je me retrouve bien vite à faire l’autre côté tandis que tous deux adoptent un air détendu en faisant un entraînement digne des forces spéciales.

Je les déteste.

– Ok Naomi, parfait. Je te montre l’exercice suivant.

Elle s’installe à même le sol, mollets sur le ballon, jambes serrées, talons au sommet et pointe des pieds vers le plafond.

Une fois en position, elle m’indique :

– L’idée c’est de placer tes bras le long de ton corps, de contracter les fesses et les abdos, soulever le tout et pareil, tu tiens la position.

Elle me fait la démonstration et cette fois c’est sûr, s’il y a un club de fétichisme des ventres plats et légèrement musclés, je vais vite atteindre sa présidence. Ou lancer une nouvelle religion, j’hésite encore.

Loin de réaliser que je suis en train d’imaginer sa petite sœur avec le ventre contracté dans des circonstances totalement différentes, Aaron pointe du doigt les muscles que ça fait travailler, comme si ce n’était pas évident.

– Tu vois, ça tire dans toute cette zone en plus des fessiers. Maintenant, si tu n’y arrives pas avec autant d’instabilité, tu peux écarter un peu les jambes, ça te fera de meilleurs appuis. Kara ?

Elle redescend, attend qu’il maintienne le ballon, espace ses mollets et renouvelle l’opération.

Mes yeux sont comme aimantés par son entrejambe et si je m’écoute, le seul sport que je ferais serait de courir dans ma chambre pour récupérer mon appareil photo et immortaliser ce glorieux moment. Mais à la place, tentant de garder le peu de dignité qu’il me reste, je croise le regard de Kara alors qu’elle soulève la tête pour demander :

 – T’as compris le mouvement c’est bon ?

– Mhh mhh…

Me mettant en position, je commence l’exercice et espère que les résultats vont vite apparaître, parce que subir ça régulièrement sans voir d’amélioration ça mènera à l’abandon assuré.

Derrière moi, j’entends Kara dire :

– Je pense pas que soulever de la fonte soit la solution pour elle. Vaut mieux y aller doucement avec le ballon, en renforcement musculaire dans un premier temps, un truc ludique tu vois.

– Ouais, t’as sûrement raison. D’habitude je travaille surtout avec des potes mecs qui veulent prendre rapidement…

– Ça m’étonnerait qu’elle soit intéressée par de la gonflette, à moins que… Naomi ?

Au prix d’un effort surhumain, je parviens à lancer un :

– Pas intéressée !

Qui les fait rire tous les deux.

 

========

 

Les lèvres de la fille parcourent ma nuque et sont totalement contre-productives tandis que j’essaie vainement d’ouvrir la porte. Nathan, Aaron et Kara ont prévu une soirée à l’extérieur, j’ai donc l’appart rien que pour moi et bien l’intention d’en profiter.

Après ma rupture avec mon ex, j’ai eu une période intense niveau rencontres d’un soir. C’était mon pansement émotionnel à moi et j’ai rapidement arrêté car ce n’était pas très sain. Mais j’ai du mal à m’adapter à la présence de Kara et la familiarité de nos échanges. Je vois bien que je saute sur la moindre occasion de passer du temps avec elle et apprécie un peu trop sa compagnie … Il faut que je passe à autre chose avant qu’il ne soit trop tard. Et si « autre chose » est une magnifique inconnue, on ne va pas m’entendre m’en plaindre !

Je retiens un cri de victoire lorsque la serrure cède enfin.

Immédiatement, nous pénétrons dans l’appart plongé dans le noir. J’allume la petite lumière de la hotte pour lui permettre de voir quelque chose tandis qu’elle me plaque contre l’îlot central.

Ses mains ne manquent pas d’assurance et se montrent possessives, me gardant dans l’instant. Toute son attention est focalisée sur moi et je sens que je vais passer un bon moment.

J’ai à peine tiré sur le tissu qu’elle se débarrasse de son haut, me laissant apprécier sa poitrine tout juste couverte par un soutien-gorge à balconnet. Immédiatement, je penche la tête pour venir embrasser son décolleté, découvrant un sein de ma bouche, caressant l’autre de ma main. Ses soupirs d’encouragement parviennent à mes oreilles et je relève la tête pour lui sourire, capturant à nouveau ses lèvres des miennes.

Ses baisers ont un goût de reviens-y et je ne suis pas étonnée d’avoir la respiration un peu courte lorsque je demande :

– Ma chambre ?

Elle m’adresse un sourire, passant une main dans ses cheveux et m’observant de bas en haut avant de répondre :

– J’ai une meilleure idée…

Elle place ses mains sur mes hanches, m’incitant à m’asseoir sur le plan de travail. Je m’exécute et elle vient se positionner entre mes cuisses sans hésiter. Nos lèvres se retrouvent et toute sensation de culpabilité à l’idée de faire ça dans la cuisine me quitte en sentant la paume de sa main se placer à l’intérieur de ma cuisse, à la limite de ma jupe.

Bien vite, ses doigts viennent jouer avec mon sous-vêtement et je soulève les hanches pour lui permettre de le faire glisser le long de mes jambes.

Ses yeux me parcourent et je me contracte rien qu’en voyant la manière qu’elle a de me dévorer du regard, encore plus lorsqu’elle ajoute :

– À l’instant où je t’ai aperçue, j’ai eu envie de me retrouver entre tes cuisses…

Elle n’attend pas de réponse de ma part avant de glisser sa tête sous ma jupe. Honnêtement, je ne sais pas laquelle de nous deux gémit le plus fort en sentant sa langue contre moi.

M’appuyant d’une main en arrière, je soulève ma jupe de l’autre, avant de glisser mes doigts dans ses cheveux.

– Mhh… Si... j’avais su... on aurait pu être en train de faire ça.... depuis 30 minutes.

Je la sens rire plus que je ne l’entends, et j’ai limite envie de m’auto donner une tape dans le dos en voyant les vibrations que ça crée.

Ma coloc, quelle coloc ? Ça me fait du bien de penser à autre chose, il ne faut pas que je remplace mon ex par une autre situation malsaine pour moi.

Je sens l’un de ses doigts se présenter à l’entrée de mon sexe et je donne un coup de bassin dans sa direction, espérant que ça suffise à lui faire comprendre ce que je veux.

Hmmm…

Suffisant effectivement.

Faiblissant à vue d’œil, je place mon dos à plat sur le plan de travail, agrippant le rebord au niveau de mon cou et appuyant ma tête sur mon bras plié.

L’appartement est totalement silencieux et ça m’excite que les seuls bruits que l’on entende soient liés à sa langue et ses doigts qui travaillent sans relâche entre mes cuisses.

Les vagues successives de plaisir montent rapidement et je lâche ma prise sur le comptoir pour dégager quelques mèches de cheveux de son visage. Je penche la tête en arrière, partiellement dans le vide et les paupières fermées, me concentrant sur les sensations. Sentant que j’approche du but, ma prise dans ses cheveux se resserre et j’ouvre les yeux, voulant lever la tête pour jouir en la regardant faire.

Mais mes yeux viennent directement croiser ceux de Kara. La pièce est très faiblement éclairée, mais je n’ai pas l’ombre d’un doute que la forme sombre sur le canapé est ma nouvelle colocataire, en train de me fixer en silence.

Je n’ai pas le temps de comprendre ce que ça signifie avant d’atteindre le point de non-retour.

Le plaisir me gagne et je suis incapable de détacher mon regard de celle à laquelle je ne devrais SURTOUT pas penser à ce moment-là.

Tout du long, Kara me fixe en retour.

9 octobre 2019

Hors Limites - Partie 4

La fête s’est terminée il y a trente minutes et tout le monde est parti, pourtant je suis toujours super tendue, même allongée dans mon lit.

Elle m’a fait des avances, j’arrive pas y croire. Je revois la manière dont ses yeux se sont assombris, l’assurance avec laquelle elle m’a fait comprendre qu’elle me voulait…

Je doute très fortement que quelqu’un lui ait refusé quoi que ce soit avant moi.

J’ai déjà du mal à réaliser que je l’ai fait !

Dire que j’ai toujours pensé que si on me draguait de manière « directe » ça me couperait tout… Comme j’ai pu être naïve...

Je sais que j’ai fait le bon choix, mais ça n’enlève rien au fait que j’avais envie de craquer et lui donner ce qu’elle voulait. J’ai passé des jours à me convaincre que mon attirance était unilatérale, pour finalement découvrir que non et je ne peux même pas en profiter.

Me redressant légèrement, je tape sur mon oreiller pour lui redonner un peu de moelleux, dans l’espoir que ça m’aide à trouver le sommeil, car il est tard. Enfin tôt plutôt. Bref.

Me réinstallant, force est de constater que c’est un échec cuisant. Peu importe la position que je prends, c’est inconfortable. En plus, avec l’alcool, j’ai vaguement l’impression que la pièce tangue, c’est pas top.

– Fait chier !

Je sais ce que mon corps veut, mais est-ce que ce ne serait pas totalement contre-productif ? Aaron n'approuverait pas et c’est pas une victoire de réussir à la repousser si derrière j’agis sur mes envies avec elle dans mes pensées… si ?

Semblant avoir décidé pour moi, mon bras se met à bouger.

Hey, où tu crois aller mimine ?

Reviens ici !

T’as pas intérêt à te glisser sous…

Oh…

Sous mes doigts se trouvent les preuves pour répondre à sa question. Fermant les yeux, je la revois me demander « est-ce que tu me veux en retour ? ».

La réponse est un oui massif.

C’est comme si mon esprit avait pris soin de bien tout mémoriser, de la manière dont son souffle venait frapper mes lèvres à la prise possessive sur ma hanche, en passant par ses yeux aux pupilles gigantesques…

Bien que ça soit moralement discutable, je m’installe et m’imagine acceptant son offre. Je la plaquerais contre le mur, avalant sa surprise dans un baiser. Pendant quelques minutes, je la caresserais partout, mais sans me diriger là où elle le souhaite. Puis je ferais sauter le bouton de son jeans avant de baisser la fermeture éclair.

Mes doigts prendraient le temps de la découvrir, frôlant son clitoris, avant de glisser plus au sud… Le bout de mon majeur sentirait ses muscles se contracter pour m’attirer en elle, puis remonterait, se servant de la lubrification nouvellement acquise pour lui rendre l’expérience plus plaisante. Je chercherais à savoir ce qu’elle aime du bout des doigts, alternant les mouvements, la pression, jusqu’à trouver ce qui fonctionne le mieux pour elle.

Puis, écoutant son corps je —

La sonnerie de mon téléphone me paraît stridente et je décroche en panique, sans vraiment réfléchir, ne voulant pas réveiller Nathan et me faire surprendre la main entre les jambes.

– Allo ?

J’attends sans bouger que mon interlocuteur se manifeste, n’ayant même pas regardé l’écran avant d’accepter l’appel :

– Je te réveille pas ?

Évidemment… quand on parle du loup, on en voit la queue. Laissant retomber ma tête sur l’oreiller, je réponds sincèrement :

– Non, j’arrive pas à dormir.

– Moi non plus...

La voix de Kara est légèrement plus rauque que d’ordinaire, son ton semble quasi hésitant et il se passe quelques instants de silence avant qu’elle ne reprenne la parole :

– J’ai été trop loin ?

Vu les prouesses de mon imagination en ce qui la concerne, ce serait hypocrite de ma part de répondre oui…

La nuit, l’alcool dans mes veines, l’atmosphère, le fait qu’on chuchote presque… C’est comme si tout était permis, que ça allait rester secret…

Essayant de ne pas me faire repérer, je réponds sans réfléchir :

– Pour être honnête, c’était tentant…

– Naomi…

Elle murmure mon prénom, quasiment comme une plainte. À l’autre bout du fil, je n’entends plus que sa respiration.

Mes pensées partent immédiatement en territoire dangereux et je n’essaie même pas de lutter quand ma main se remet en mouvement.

Faut croire que je ne suis pas aussi coincée que mon ex pouvait le penser…

Avec du bol, elle n’en saura rien.

Lorsque son souffle marque un à-coup, je l’imagine allongée sur son lit, nue, la lumière de la lune s’engouffrant à travers les rideaux ouverts.

Nous surprenant toutes les deux et n’étant plus capable de me censurer, je demande :

– Tu fais quoi ?

En entendant ma question, elle prend une inspiration qu’elle retient, avant de la relâcher dans un rire un peu gêné :

– … Je crois que tu le sais.

Sa réponse me fait fermer les yeux et laisser s’échapper une expiration destinée à calmer le rush qu’elle a créé.

Oh putain…

J’espère qu’on est sur la même longueur d’onde, car sinon je vais avoir du mal à justifier ma prochaine phrase :

– Décris-moi.

Elle marque un temps d’arrêt et j’ai peur d’avoir dépassé les bornes, jusqu’à ce qu’elle prenne la parole, une tension d’un nouvel ordre dans sa voix :

– Tu veux savoir quoi ?

Je me mords la lèvre en entendant qu’elle attend que je mène la conversation :

– Comment t’es installée ?

– Je suis sur le dos, dans mon lit, au-dessus des draps.

Pile comme dans mon imagination jusque-là… Est-ce qu’elle sera aussi nue ?

Si j’étais saine d’esprit, je devrais très probablement m’arrêter là, mais je crois qu’elle a usé tout ce que j’avais de retenue durant le cours de la soirée. Ma voix est quasi méconnaissable lorsque je demande :

– Tu portes quoi ?

– Un T-shirt et mon jogging gris.

C’est pas exactement ce que la plupart des gens considèrent comme sexy, mais c’est une tenue qu’elle porte le matin. Or, c’est dans ces instants-là que je suis assez faible pour imaginer une autre réalité entre nous…

– Et en dessous ?

– Ri - rien j’allais aller au lit.

J’ai rarement autant réagi en entendant simplement quelqu’un être essoufflé.

Me disant qu’elle en a déjà pas mal révélé, je décide de lui rendre la monnaie de sa pièce :

– J’ai à peu près la même position que toi, sauf que je porte juste mon sous-vêtement.

– Tu dors quasi nue ?

– Pas toujours, j’avais chaud…

Je marque un temps d’arrêt, me concentrant sur la manière dont elle respire, essayant de savoir où elle en est. Est-ce que m’écouter lui évoque les mêmes sensations ? Comment est-ce qu’elle m’imagine ?

Fuck.

Il faut que j’en découvre plus :

– T’as ton kit main libres ?

– Nan, j’ai calé mon téléphone contre l’oreiller.

Donc elle est libre de ses mouvements…

Je crève d’envie d’en savoir plus et ose demander ce qui me fait envie, oubliant toute notion de pudeur ou de politiquement correct :

– Dis-moi ce que font tes mains.

Un léger silence est marqué, juste assez long pour que je me mette à paniquer. Mais Kara ne recule pas, répondant à ma question, d’une voix encore plus rauque que d’ordinaire : 

– Je me caresse la poitrine de la droite, la gauche est dans mon jogging.

Je ferme les yeux en entendant son aveu. Elle est gauchère c’est vrai.

– J’aimerais te voir.

Sa respiration marque un arrêt, suivi d’un gémissement :

– T’es la bienvenue.

Je sais exactement ce qu’il va se passer si je me rends dans sa chambre maintenant. Et c’est ce que je ne veux surtout pas. Je suis déjà en train d’aller trop loin… Demain matin j’aurais probablement envie de me frapper la tête sur les murs pour avoir dépassé les bornes, mais l'alcool aidant, la prise d'Aaron sur ma conscience se fait lâche…

– Y a des limites que je ne préfère pas franchir. Pour l’instant. T’imaginais quelque chose de particulier ?

– Nan, je pensais à tout à l’heure. À la manière dont tu me disais non en me dévorant du regard. Je l’ai jamais fait, mais je crevais d’envie de me mettre à genoux, de sentir ta main dans mes cheveux, me guidant tandis que l’autre baisserait la braguette de ton jeans...

Le visuel qu’elle me décrit me fait lâcher un gémissement bien à moi :

– Fuck… t’as pas idée de ce que tu me fais…

Elle vole ma réplique en lançant :

– Dis-moi.

– J’ai fui parce que j’avais atteint ma limite… Je crève d’envie de te toucher, de t’entendre, de te goûter… J’arrête pas d’y penser. Mais à défaut de pouvoir faire ça, j’ai craqué juste avant que t’appelles, on a eu la même idée.

Quelque part, je sais que peu de gens auraient admis ça sans être forcés, mais j’espère que l’idée lui plaira autant qu’elle m’a plu. Et on dirait bien que oui puisqu’elle continue :

– Mhhh… tu ferais quoi si t’étais avec moi dans la chambre ?

Quelque chose lâche en moi, et je m’entends avouer des choses que je n’oserais jamais sortir en temps normal. En cet instant, je n’ai plus aucune censure :

– Je ferai en sorte de te ruiner pour tous les autres… que tu penses systématiquement à la manière dont je t’ai possédée ce soir.

Sa seule réponse est un changement dans sa respiration, s’accélérant notablement.

– Bizarrement j’en doute pas. Depuis que je t’ai rencontrée j’ai fait que penser à ça. Je sais pas ce que tu m’as fait…

Je prends un instant pour apprécier le fait que je ne suis pas la seule à être troublée, avant d’aller encore plus loin :

– T’es mouillée Kara ?

– Tellement…

Fuck fuck fuck. Bordel !

– Moi aussi... Décris-moi ce que tu fais avec ta main gauche.

– Je me caresse lentement… j’ai pas envie que ça s’arrête trop vite.

Je ne sais pas si elle essaie d’en profiter parce qu’elle a conscience que ça ne se reproduira plus, mais je veux qu’elle perde le contrôle.

Non.

J’ai envie qu’elle me le donne :

– Pénètre-toi. Deux doigts.

À son souffle, je suis certaine qu’elle s’exécute et imite ses mouvements de mon côté. Si je me concentre, j’arrive presque à imaginer que c’est elle qui est en moi.

Je marque volontairement une pause, sachant instinctivement qu’elle attend mes prochaines instructions et voulant lui laisser le temps de réaliser la position dans laquelle elle se trouve sur mes ordres.

– Garde ta paume appuyée contre toi et fais des va-et-vient.

– Naomi…

– Je suis là… je — je fais la même chose en imaginant…

Je m’arrête, songeant au fait qu’elle n’a peut-être pas envie de savoir ça, mais elle demande quasi instantanément :

– Quoi ?

– … Que c’est toi.

Pendant un moment, il n’y a plus aucun autre son que nos respirations saccadées, entrecoupées de gémissements. Sa voix est sensuelle en temps normal, mais là… C’est un truc de fou. J’ai envie de l’entendre encore et encore… Et justement :

– J’y suis presque…

Si c’est l’unique fois où je m’autorise à déraper, autant y aller jusqu’au bout :

– Pas avant que je te l’ai indiqué. Et avant je veux entendre ce que tu te fais. Amène le téléphone à proximité.

 Je devrais probablement avoir honte de demander ça, mais j’ai dépassé trop de limites ce soir pour me soucier de ça.

Elle ne cherche même pas à discuter et j’entends les sons de ses doigts en elle.

Couplé à ses gémissements étouffés, je crois qu’il n’y a rien de mieux. Sauf en être témoin, bien sûr.

J’adapte mon rythme au sien, plus rapide. Elle ne mentait pas quand elle disait qu’elle était proche.

Sa voix me parvient à l’oreille, quasi brisée par le plaisir.

– C’est ce que TU me fais…

Elle a visiblement ramené le téléphone à son oreille, je n’hésite donc pas à offrir une réponse :

– Mhhhfff…. Accélère.

– Toi aussi.

– T’en fais pas… je... te suis de près.

– Je peux ?

Au moment même où elle me demande la permission, mon corps se met à se contracter et j’ai à peine le temps de lancer un « oui » que je suis envahie par le plaisir.

Ni elle ni moi ne retenons plus rien, laissant savoir à l’autre exactement à quel point on profite de l’instant.

Je retombe mollement sur le lit, m’étant cambrée sans m’en rendre compte, mes doigts toujours en moi.

Kara est silencieuse à l’autre bout du fil, écoutant probablement ma respiration autant que moi la sienne.

C’est très certainement le moment où on devrait réaliser ce qu’il vient de se produire et être gênées, mais heureusement, elle arrive à éviter ça d’un :

– Je crois que ça mérite un merci.

J’éclate de rire avant de me souvenir que Nathan est dans sa chambre.

J’écarquille les yeux, soudainement paniquée. J’espère qu’il dort toujours !!!! S’il s’est réveillé et m’a entendue, je n’en verrais jamais la fin !

Mais bon, j’aurais bien assez le temps de m’en inquiéter (et probablement me sentir coupable) demain.

– Je te le retourne ! Tu vas réussir à dormir ?

– Ça dépend, c’est une proposition ?

Ne voulant pas la laisser élaborer sous peine de craquer une seconde fois, je réponds sur le ton de l’avertissement :

– Kara…

– Bon ok ok. Ça devrait aller. Fais de beaux rêves Naomi.

– Haha, oh ça ne devrait pas être trop dur. Bonne nuit, fais de beaux rêves toi aussi.

 

========

 

Étonnamment, je me réveille dans une forme olympique… Comme quoi il fallait peut-être seulement que je laisse retomber la pression ? Apparemment, rien de tel qu’un petit orgasme avant de dormir !

Je me demande comment elle va se comporter, si ça va changer quelque chose entre nous…

Ne prenant pas le temps de réfléchir (et potentiellement paniquer), je m’habille et sors de ma chambre, retrouvant le frère et la sœur à la table de la cuisine :

– Salut.

– Lu’

– Hey Google.

Fronçant les sourcils, je demande à Kara :

– Google ? Je veux vraiment savoir pourquoi ?

Elle me fait un clin d’œil exagéré et explique :

– T’as tout ce que je cherche…

Aaron grogne de concert avec moi avant de s’exclamer sur un ton plein de reproche :

– Mais ça va pas Kara ?

Pas perturbée du tout, elle hausse les épaules et surenchérit :

– Naomi est habituée. Elle est un peu comme mon WIFI… je sens la connexion.

M’installant sur un des tabourets et me retenant de me facepalm devant ses pauvres phrases de drague, je décide de lui rendre la monnaie de sa pièce :

– Kara, t’es une mise à jour logicielle ? Parce que... pas maintenant.  

Aaron est très certainement content de ma réponse puisqu’il éclate de rire et lève sa main afin que je lui en tape 5, ce que je m’empresse de faire. Du coup, je me sens encore plus coupable d’avoir craqué hier soir. Aussi bon que ça ait été.

Malheureusement, ça ne suffit pas à arrêter une Kara décidément très en forme ce matin :

– Dis voir Naomi, tu serais pas assise sur la touche F5? Parce que t’es vraiment rafraîchissante comme nana.

Ayant certainement atteint ses limites, Aaron repousse son bol dans une moue de dégoût :

– Ok, j’en ai trop entendu ! Je sais pas à quel jeu tu joues, mais c’est pas drôle ! Tu devrais laisser Naomi tranquille.

Après avoir défendu ma vertu (du moins dans sa tête), il place ses affaires dans le lave-vaisselle et file dans sa chambre. Sa sœur est visiblement très fière d’elle, si j’en crois l’immense sourire qui court sur son visage.

– T’es cruelle avec lui !

– Tu rigoles ou quoi ? Il essaie de contrôler ma vie depuis que je suis petite, il l’a bien mérité. J’espère qu’il a compris sa leçon.

Je ne sais pas trop quoi répondre, d’un côté je suis d’accord avec elle, de l’autre, ça part d’une bonne intention, pas de l’envie de lui pourrir la vie… Du coup j’opte pour une grimace et un bruit, qu’elle interprétera comme elle veut :

– Mhhh.

Attrapant un bol, je verse les céréales à l’intérieur, suivies de près par le lait. Je me penche un peu plus à la table pour manger et remarque qu’elle porte son jogging gris.

Dès l’instant où mon esprit percute, cela engendre des répercussions entre mes cuisses. Ça risque d’être compliqué à gérer… Je suis sortie de mes pensées en sentant la main de Kara sur mon épaule :

– Ça va ? Je t’ai perdue là non ?

Piquant un phare, je tente de garder l’air naturel en répondant :

– Oui désolée, je réfléchissais à un truc.

– Quelque chose d’intéressant ?

Elle plonge ses yeux dans les miens tandis que sa main glisse le long de mon bras et je dois me retenir de tout avouer. C’est arrivé une fois, j’ai déjà été trop loin et je n’ai pas l’intention de refaire la même erreur. Maintenant que je suis sobre, je réalise que c’était mal. J’ai résisté du mieux que j’ai pu et hier soir c’était insuffisant, mais aujourd’hui est un nouveau jour :

– Kara… On peut pas laisser ça se reproduire, tu le sais autant que moi.

Plutôt que de me confronter sur les raisons, elle fronce les sourcils et s’enquiert :

– Tu regrettes ?

Mon esprit est assailli par les souvenirs de ma fin de soirée et je n’ai pas le cœur à mentir :

– Moralement : oui. Égoïstement : non.

 Interprétant certainement mon aveu comme une porte ouverte, elle me demande très sérieusement :

– Et on pourrait pas être égoïstes ensemble ?

Elle baisse la tête un instant, comme pour éviter de voir ma réaction, avant de continuer :

–  Je sais que j’y vais fort la plupart du temps avec mes répliques de crevard… mais je plaisante qu’à moitié, j’ai vraiment l’impression qu’il y a quelque chose à creuser. J’ai jamais agi comme ça avec quelqu’un d’autre, je suis plutôt du style à laisser venir. Alors va pas croire que ce genre de « relation » est la norme pour moi. C’est spécial. T’es spéciale.

J’ouvre la bouche pour répondre, mais aucun son n’en sort.

Je ne m’imaginais pas qu’elle était aussi directe avec tout le monde, mais je ne pensais pas non plus être la seule.

Comment je suis supposée réussir à la repousser après ça ?

Je résiste uniquement par respect pour Aaron, pas parce que je n’ai pas envie d’elle. Mais clairement ça ne marche pas, ça ne suffit pas.

Plaçant ma main devant elle, je lance ma contre-proposition :

– Égoïstes. Mais avec des limites.

Un gigantesque sourire illumine son visage tandis qu’elle vient serrer ma paume tendue :

– À ton rythme, pas de problème.

Je suis peut-être en train de faire une grosse bêtise, mais un frisson me parcourt à l’instant où l’on scelle le deal. J’espère vraiment ne pas avoir ouvert la boîte de Pandore…

Plus qu’à établir les limites.

Il faut que je reste raisonnable et que je trouve un moyen de ne pas trop m’investir.  

Sinon, je crois qu’elle pourrait me détruire.

C’est rigolo quand on y pense, c’est la bi (potentiellement curieuse) qui dit à la lesbienne qu’elle est prête à s’adapter à son rythme !

Ses yeux ne quittent pas les miens et j’espère juste qu’on est sur la même longueur d’onde. Je ne voudrais pas qu’elle s’attende a plus que ce que je peux lui donner. Il faut que je me protège.

Nathan rentre dans la pièce et interrompt notre échange muet.

– Salut les filles. Bien dormi ?

– Très bien.

– Ça peut aller.

Il me regarde et lève un sourcil, demandant :

– Ah ouais ? Pourtant hier soir on aurait dit que t’avais fait un cauchemar ! J’ai entendu du bruit dans ta chambre, j’ai failli venir voir si tu allais bien.

Oh mon Dieu, il m’a entendue… Non, mais non ! Stop !

J’ai changé d’avis, y’a pas de deal, c’est mort !

Il ne faut surtout pas que ça se reproduise.

Étonnamment, c’est Kara qui me sort du pétrin :

– Probablement le champagne, je dors mal à chaque fois que j’en bois !

M’accrochant à toutes les branches susceptibles de ralentir ma chute dans le ravin de la honte, je m’empare de celle qu’elle me tend :

– Juste en début de nuit, j’ai fait quelques mauvais rêves le temps que l’alcool soit évacué, rien de méchant. Toi bien dormi ?

Et la récompense du prix du sang froid est attribuée à… *roulement de tambour* Naomi !

 – Pas trop mal merci ! Quoi de prévu aujourd’hui ?

Refusant de risquer ma peau une seconde de plus que nécessaire, je décide de prendre la tangente :

– Bosser, d’ailleurs je suis hyper en retard, je vais m’y mettre.

Ne demandant pas mon reste, je file m’isoler dans ma chambre avant que l’un ou l’autre ne puisse m’arrêter.

 

==============

 

Je suis à 4 pattes en train de chercher l’épingle que je viens de faire tomber lorsqu’on toque :

– Entrez.

Kara franchit la porte et avance jusqu’à mon bureau, s’appuyant sur ce dernier.

Attrapant l’échappée entre mes doigts, je me relève pour la repiquer sur ce que Nathan appelle « ma poupée vaudou » et demande à ma coloc :

– Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

Elle baisse la tête et joue avec ses mains :

– T’as pu réfléchir aux… règles que tu voulais établir ?

Oh.

J’en connais une qui ne perd pas de temps.

Ou qui craint que je ne change d’avis…

Sachant qu’il vaut mieux lui apporter une réponse le plus tôt possible pour s’assurer que l’on est sur la même longueur d’onde, je me lance tout en ayant l’impression que je cours à ma perte.

– Oui. 3.

Ses yeux viennent croiser les miens et elle annonce :

– Je t’écoute.

– 1. Ça reste entre nous. Ni ton frère ni Nathan ni qui que ce soit sera mis au courant.

Je me sens un peu coupable de demander ça, car ce n’est pas comme si elle me faisait honte, bien au contraire. Mais je ne veux pas ruiner mon amitié avec son frère pour quelque chose qui pourrait n’être qu’une passade.

– Mhh… Je peux pas dire que ça me plaît, mais ok. Ensuite ?

– 2. Pas de notion d’exclusivité ou autre. Il n’est pas question d’être en couple. On prend les choses comme elles viennent.

Je vois que ça lui demande réflexion et ça m’étonne un peu. De nous deux, c’est elle qui a le plus à perdre étant donné qu’elle a quelqu’un, même si c’est pas sérieux.

Je ne me fais aucune illusion quant au fait qu’il n’y aura qu’elle pour ma part, mais c’est une manière de m’assurer de me rappeler ma place. Coloc ++, pas petite amie.

Au vu de la tête qu’elle fait, il est évident que la suggestion n’est pas du tout à son goût, mais plutôt que de contester, elle demande :

– Sous couvert que l’on soit toutes les deux testées régulièrement, on pourra éventuellement en reparler. Et 3 ?

J’apprécie qu’elle soit consciente des risques d’une vie sexuelle volage, c’est rare les gens qui abordent le sujet ! Je ne vous raconte même pas la tête de certaines lorsque je sors des moyens de prévention si elles sont actives et non-testées… C’est d’ailleurs autour de ça qu’on a sympathisé avec mon dernier coup d’un soir... Mais pour l’occasion, ce n’est pas nécessaire, puisque ma troisième règle est très restrictive : 

– Aucun contact physique.

Immédiatement, elle se remet debout, comme si je venais d’électrifier mon bureau :

– QUOI ? C’est quoi cette règle de merde !?

M’attendant exactement à ce type de réaction, j’ai déjà préparé ma réponse :

– Je sais que c’est extrêmement… limitatif, mais j’ai promis à ton frère que je ne te toucherai pas et je ne veux pas revenir sur ma parole.

– Oui, et ta première règle implique qu’il ne sera pas au courant ! La numéro 2 ne me plaît pas non plus, mais je conçois que tu penses que je vais changer d’avis et ne veux pas t’engager, fermer des portes, mais cette troisième règle c’est vraiment du grand n’importe quoi !

Kara fait les cent pas devant moi, ne s’attendant pas à ce genre de demande. La voir bouleversée de la sorte ne me laisse pas indifférente.

Reste ferme Naomi.

C’est justement parce que ses réactions m’importent déjà qu’il faut me protéger. Cette règle n’a absolument aucun sens et quelque part, j’espère que ça va la pousser à refuser tout accord. D’une voix aussi assurée que possible, je campe sur mes positions :

– Peut être bien, mais c’est le deal que je te propose.

Elle s’approche de moi et s’agenouille au pied du lit pour venir croiser mon regard, l’agacement se lisant clairement dans le sien :

– Ouais, bah moi je propose qu’on oublie tes règles… C’est quoi la différence entre l’amitié et ce que tu me décris ? Oh ! Je sais ! Je peux caresser les cheveux de mes potes, mais pas les tiens. Wouhou. Super dis donc !

Prenant l’une de ses mains dans les miennes, j’essaie de me justifier :

– Je ne parle pas de rester à plus de 3 mètres l’une de l’autre en permanence, bien sûr que l’on peut se toucher normalement… Je parle de contacts… fin tu vois.

Une lueur qui ne présage rien de bon passe dans ses yeux et elle s’enquiert :

– Donc, tu me demandes juste de ne pas te toucher ?

– Et ça vaut aussi pour moi.

– Mais ce qu’il s’est passé hier soir par exemple, ce serait ok ? Ou autre comportement que j’aurais avec mes amies ?

Rien qu’à l’entendre mentionner la scène en question, mon corps m’envoie une énorme bouffée de chaleur.

– Ce ne serait pas contre les règles…

Elle m’adresse un sourire qui me laisse penser que c’est exactement la réponse qu’elle espérait et réplique sans plus attendre :

– Ok. J’accepte.

C’est à la fois trop simple et trop rapide, il y a quelque chose qui m’échappe, c’est certain. Mais quoi ? Fuck ! J’étais tellement occupée à réfléchir à mes stupides règles, à me dire qu’elle n’approuverait jamais et que cette affaire serait close que l’idée qu’elle accepte et cherche des moyens de détourner le système ne m’est même pas venue à l’esprit.

À moins que… :  

– Tu respecteras les règles, hein ?

Si elle relève mon ton clairement dubitatif, elle n’en fait pas état et répond d’un air innocent :

– Bien sûr ! Quand est-ce que je n’ai pas écouté quelque chose qu’on m’a dit ?

Alors ça c’est la meilleure !

– Tu veux la liste par ordre alphabétique ou par degré de foutage de gueule ?

Sachant que ma question est rhétorique plus qu’autre chose, elle se dirige vers la porte, saisit la poignée et lance :

– J’ai hâte…

Et sur ça, elle s’éclipse, me laissant seule avec mes pensées.

Sa réaction me fait totalement flipper. J’ai l’impression d’avoir mis ma tête dans la gueule d’une lionne qui n’a pas mangé depuis des semaines en étant persuadée que tout va bien se passer. C’est pas l’idée du siècle quoi.

Mais bon, ce qui est fait est fait et elle a accepté de jouer le jeu, donc je ne devrais pas avoir grand-chose à craindre, pas vrai ?

16 octobre 2019

Hors Limites - Partie 6

Alors que l’on est en train d’éplucher les pommes de terre pour nos futures frites, je sens que Nathan a envie de me parler de quelque chose.

– J’ai regardé le stream.

Ne voyant pas où il veut en venir et ne préférant pas risquer de dévoiler quelque chose par inadvertance, je me contente d’un simple :

– Ah ?

– Je savais que tu appréciais son contenu, mais pas que vous étiez aussi proches.

Haussant les épaules, je la joue détachée :

– On s’entend bien et on a appris à se connaître depuis qu’elle est arrivée.

– Toi et moi aussi, mais je n’ai jamais eu droit à la sieste câline sur le canapé.

J’aurais dû me douter qu’il n’allait pas laisser ça passer. Soupirant, j’essaie de remettre les évènements en perspective :

– Tu réalises que les choses ne se sont pas déroulées comme ça hein ?

Son regard est sur moi, me sondant, tandis qu’il répond d’un ton dubitatif :

– Mmh. Je sais pas, je te trouve bizarre avec elle.

Arf, comment faire ? D’un côté j’ai envie de demander des explications pour pouvoir plus facilement corriger mon comportement, de l’autre ça reviendrait à donner du crédit à son idée.

Mieux vaut être fixée.

– Du genre ?

– Des petits trucs. Comme la manière dont tu tolères ses vieilles phrases de drague alors que tu aurais perdu patience avec quelqu’un d’autre, la façon dont tu la regardes comme si tu ne sais pas si tu dois l’embrasser ou l’étrangler… tu vois…

Merde merde merde merde merde ! Reste zen, joue la fille nonchalante :

– Pas vraiment… Mais soit.

C’est pas bon, je suis trop flag.

Loin de lâcher prise face à ma mauvaise foi, il insiste, plaçant une main sur la mienne :

– Tu peux me parler, tu sais. J’ai pas l’intention de tout aller répéter à Aaron.

À la manière dont il soutient mon regard, il est clair que ses convictions sont bien ancrées et que nier ne servirait qu’à achever de le persuader que quelque chose se trame.

Si je veux que la vérité reste secrète, il va falloir lui donner du grain à moudre :

– Ok. Je… elle…

– Prends ton temps.

Je n’arrive pas à croire que je vais dire ça :

– J’ai un faible pour elle, ok ? Ça va passer.

Mon ton est ostensiblement défensif, et ce n’était pas spécialement planifié. Continuant de me fixer, il semble digérer mes paroles et s’enquiert :

– Et Kara ?

Ce qu’il demande réellement est clair : « est-ce que tes sentiments sont partagés ? », mais il est préférable de tourner la conversation vers un terrain moins dangereux :

– Elle ne doit pas le savoir.

Les mots ont à peine quitté mes lèvres qu’il s’esclaffe :

– Ma chérie, désolé de te l’annoncer, mais elle est déjà au courant !

Ça, j’en ai conscience, mais il faut que je joue le jeu. Fronçant les sourcils, je m’exclame :

– Quoi ? Mais je suis hyper discrète !

Son sourire s’agrandit, me faisant douter :

– Je suis pas discrète ?

– Disons que la plupart du temps, à la manière dont tu la bouffes du regard, tu pourrais aller lui taper sur l’épaule et lancer « c’est une bien belle paire de loches que t’as là ! » que tu serais au même niveau de discrétion !

Gardant le silence, je penche la tête sur le côté pour le fixer d’un air blasé.

Heureusement pour moi, notre corvée d’épluchage touche à sa fin.

Me lavant les mains tandis qu’il met les pommes de terre dans la passoire afin de les rincer et d’éviter que l’amidon ne ruine nos frites, je demande :

– Tu lui diras rien hein ?

– Tu t’inquiètes plus pour elle que pour Aaron ?

Pinçant les lèvres le temps de la réflexion, je me corrige :

– Tu leur diras rien hein ?

– Haha, je me disais aussi ! Nan t’inquiètes, ça reste entre nous. Mais si t’as besoin de t’épancher, je suis là.

Haussant les sourcils et plaçant mes mains sur mes hanches, je demande :

– M’épancher, vraiment ?

Face à mon air peu commode et loin d’être impressionné, il se contente de rire en secouant la tête :

– Voilà tout le merci que j’ai pour être un ami formidable !

 

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Toquant à la porte, j’attends son autorisation avant de pénétrer dans la chambre de Kara.

Un sourire sur les lèvres, elle pose son livre sur le lit, s’installe au bord de ce dernier et demande :

– Hey, qu’est-ce qui t’amène ?

– Le dîner est bientôt prêt.

– Ok, j’arrive !

Regardant derrière moi, je ferme la porte et m’assieds sur le matelas pour annoncer :

– Nathan se doute de quelque chose.

– Oh ?

– J’ai été obligée de lui dire que j’ai un faible pour toi pour qu’il arrête de poser des questions auxquelles je n’ai pas envie de répondre.

Se redressant, elle me donne un petit coup d’épaule :

– Un faible pour moi hein ?

Levant les yeux au ciel, je rétorque :

– C’est vraiment ça que tu retiens ?

Elle hausse les épaules et réplique du tac au tac, un air coquin sur le visage :

– Eh, c’est la partie qui m’intéresse le plus !

– T’es incorrigible... Mais bon, il vaudrait mieux qu’on garde nos distances d’ici mon anniversaire, si on ne veut pas qu’il comprenne qu’il se trame quelque chose.

– Au contraire, c’est agir différemment qui lui mettrait la puce à l’oreille.

– Mh…

Je prends un instant pour réfléchir à ce qu’elle vient de dire et arrive à la même conclusion :

– Ça me coûte de l’admettre, mais tu n’as pas tort. Qu’est-ce qu’on fait du coup ?

– Rien de plus ni de moins que d’habitude. Enfin sauf si tu veux faire plus, je dis pas non…

Soupirant, je lâche un :

– Kara…

Immédiatement, elle lève les mains afin de m’apaiser :

– Je sais, je sais. C’est juste…

J’attends patiemment qu’elle s’explique. Bizarrement, cette fois je n’ai pas l’impression qu’il s’agit de l’habituel « tes règles sont merdiques ».

– Est-ce que t’en as vraiment envie ?

– De quoi ?

– Toi et moi.

Interpellée, je prends le temps de l’observer et suis étonnée de voir un réel doute sur son visage. Fronçant les sourcils, je ne perds pas un seul instant avant de poser ma main sur la sienne et répondre :

– Bien sûr ! Pourquoi tu me demandes ça ?

Elle hausse les épaules d’un air défait et s’explique :

– C’est toujours moi qui pousse et insiste. Et contrairement à ce que mes fabuleuses phrases de drague peuvent laisser penser, je ne veux pas être lourde ou… ‘fin tu vois. Te forcer la main.

Immédiatement, je suis envahie par la culpabilité. Jouer sur les mots pour ne pas trahir la promesse faite à Aaron c’est une chose, mais si ça fait qu’elle se sent mal ou pire, indésirable, ça ne va pas le faire.

– Hey…

Elle fixe le côté de son bureau avec insistance, refusant de croiser mon regard :

– Kara, regarde-moi.

Lentement, comme si elle n’était pas sûre de ce qu’elle allait y lire, ses yeux viennent trouver les miens :

– Je ne veux pas que tu penses ça parce que ça ne pourrait pas être plus éloigné de la vérité. La vérité c’est que… Cette histoire me fait flipper, parce que j’en ai envie, parce que je ne veux pas trahir la promesse que j’ai faite à ton frère, parce que j’ai peur que tu changes d’avis…

Baissant les yeux, je pince les lèvres dans une espèce de sourire/rictus avant de continuer :

– Le problème n’est pas que je ne veux pas… Je veux trop… Je ne maîtrise pas du tout la situation et ça me fait flipper.

Mon admission, aussi honteuse soit-elle, est vraie.

Kara prend le temps de digérer ce que je viens de lui dire, restant silencieuse quelques secondes. Son index se place sous mon menton, tournant mon visage vers le sien :

– C’est pareil pour moi. Mais pas assez pour me faire reculer. Toi ?

Sa réponse me rassure et me terrifie à la fois.

D’un côté, elle ressent la même chose. De l’autre, si c’est moitié aussi intense pour elle que pour moi, j’ai peur que ça escalade et que le peu de contrôle que l’on a ne nous échappe totalement.

On devrait peut-être arrêter tant qu’on le peut.

Un simple coup d’œil à son visage, attendant ma réponse, les traits pleins d’espoir, suffit à mettre un terme à mes idées noires.

C’est con, mais si elle me demandait de sauter d’un pont en me regardant avec cet air-là, je le ferais probablement.

Même si la rivière était 400 mètres plus bas, faisait 1 mètre de fond et que je ne savais pas nager de toute manière.

J’acquiesce d’un hochement de tête et son visage se transforme sous mes yeux, la joie l’illuminant littéralement. Mon cœur s’emballe devant ce spectacle et je souris en retour sans même m’en rendre compte.

On doit avoir l’air fines toutes les deux, à s’observer béatement sans dire un mot !

Nos sourires diminuent lentement, remplacés par un silence intense, mais confortable. 

Son regard oscille entre mes yeux et ma bouche. Passant machinalement sa langue sur ses lèvres, alors que je fais de même, il est clair que je n’ai pas l’intention de reculer cette fois-ci.

Notre « danse » s’interrompt lorsqu’Aaron toque à la porte, sa voix portant à travers le bois :

– Les filles, vous venez manger ? Vous pourrez geeker plus tard !

Malgré l’interruption, deux sourires identiques regagnent nos lèvres.

Il n’y a pas eu de baiser, mais il y a eu une promesse silencieuse, un accord tacite.

Se levant en premier, elle m’entraîne en direction de la porte, nos doigts entrelacés. Avant qu’elle n’aille dans le couloir, j’ai besoin d’être sûre d’avoir apaisé ses doutes :

– Moi aussi je déteste mes règles.

Amusée, elle serre légèrement ma main et lance :

– Si tu ne veux pas les lever, fais comme moi, contourne.

Haussant un sourcil, je demande :

– Comment ?

– Surprends-moi !

Mon air dubitatif doit être apparent puisqu’elle rajoute :

– Tu vas trouver. J’ai déjà hâte.

M’adressant un sourire coquin, un bout de langue visible entre ses dents, elle ouvre la porte et part manger.

Dans quoi je viens encore de me fourrer ?

 

==================

 

Assise sur mon lit en attendant qu’il soit l’heure, ma jambe tressautante est le seul signe extérieur de nervosité que je m’autorise.

Ce soir, on se rend à une fête organisée par le nouveau copain de Nathan et excepté Kara et lui, je ne vais pas connaître grand monde. Techniquement, c’est l’occasion parfaite pour mettre mon plan à exécution.

J’ai bien réfléchi à ce que Kara m’a dit l’autre jour. Et elle a raison, c’est toujours elle qui initie, qui prend des risques. Mais ça va changer aujourd’hui.

J’ai envisagé des méthodes pour contourner mes limites auto-imposées et après un achat impulsif en ligne, me voilà fin prête à me lancer.

Sauf que je n’ai jamais fait quelque chose dans ce goût-là. Faire des propositions et essayer de nouveaux trucs lorsque l’on est en couple, c’est une chose, mais c’est très loin d’être notre cas. Du coup je ne sais pas comment elle va le prendre et j’appréhende un peu.

Comme toujours lorsque l’on sort, Nathan donne de la voix dans le couloir :

– Je suis prêt dans 5 minutes !

Plus le temps de reculer, je me sentirai encore plus ridicule après. Entrouvrant la porte pour vérifier que la voie est libre, je me rends dans la cuisine où Kara nous attend en jouant sur son téléphone.

– Je peux te parler deux secondes ?

Mettant immédiatement son application en pause, elle me dit :

– Bien sûr, je t’écoute.

Hors de question que cette conversation se tienne dans un lieu où pourraient traîner de potentielles oreilles indiscrètes.

– Dans un endroit un peu plus isolé, comme ma chambre ?

Il est clair que ma formulation l’amuse, et je ne suis pas étonnée de l’entendre me sortir une énième phrase bidon :

– Pas de souci, je te suis. Ma mère m’a toujours dit de suivre mes rêves.

Elle a du mal à se retenir de rire, visiblement très fière d’elle, et même si je lui suis reconnaissante de détendre l’atmosphère stressante que je nous ai infligée, je ne peux pas m’en empêcher :

Levant les yeux au ciel, je fais mine de soupirer et lance d’un ton dédaigneux :

– Je ne gratifierai même pas ça d’une réponse.

Arrivées dans ma chambre, elle ferme la porte et s’exclame :

– Bon, je suis là, quels étaient tes deux autres souhaits ?

J’ai envie de sourire, mais refuse de l’encourager, elle s’amuse déjà beaucoup trop :

– C’est bientôt fini ?

– Encore une ou deux et j’aurais mon compte pour la soirée.

– J’ai eu mon compte pour toute une vie…

– Au fond je suis sûre que t’aimes bien ça.

« Aimer » est un terme un peu fort, mais je trouve ça drôle qu’elle aille jusqu’au bout de la blague, même si mes deux colocs la regardent avec effroi chaque fois qu’elle ouvre la bouche.

Constatant qu’elle garde le silence, je hausse les sourcils et lance d’un ton amusé :

– On en a déjà parlé : si t’attends que j’admette quelque chose dans ce goût-là, je serais toi je ne retiendrais pas ma respiration !

Elle me tire la langue et demande :

– Bref. Que puis-je faire pour toi ?

Je prends une grande inspiration et tente de me lancer :

– J’ai repensé à ce que tu m’as dit…

Ses yeux s’écarquillent et je vois qu’elle trépigne sur elle-même.

– Quoi ?

– J’en ai une autre !

Je sais très bien à quoi elle fait référence. À ses phrases de drague pourries. Elle m’en a tellement fait depuis le jour où j’ai eu le malheur de dire ça que je reconnais sa tête de « je vais dire une énormité ». Je crois que la pire, c’est une fois où je lui ai demandé si elle pouvait tâcher de m’épargner ça le temps d’une soirée et que j’avais eu droit à un « mon attirance pour toi est comme une grosse diarrhée, impossible à retenir »… Pour la séduction on repassera.

Fermant les yeux et faisant mine de soupirer, je lui donne mon accord :

– Fais-toi plaisir…

En plus au fond ça m’arrange, ça me permet de gagner un peu de temps. Ayant certainement peur que je change d’avis, elle se lance sans perdre une seconde : 

– Si j’avais un euro à chaque fois que je pense à toi…

Elle attend que je tente de deviner, ce que je fais dans l’unique but de lui faire plaisir : 

– Tu serais riche ?

– Non, j’aurais exactement un euro, parce que depuis que je t’ai rencontrée, tu ne quittes pas mon esprit.

Malgré moi, un sourire gagne mes lèvres. Immédiatement, elle serre le poing et l’amène vers le bas dans un « YES, je savais que celle-là marcherait ! ».

J’attends patiemment qu’elle ait fini son cinéma, mon sourire grandissant au fur et à mesure des pas de sa mini danse de la victoire.

– C’est bon ?

– Laisse-moi savourer. Femme qui rit à moitié dans son lit !

Haussant un sourcil, je me contente de relever :

– Tu réalises que j’ai à peine esquissé un sourire ?

– On a entraperçu tes dents. Et tu t’es retenue, je le sais !

N’ayant pas le cœur de lui gâcher son plaisir, je lui concède sa semi-victoire :

– Bon, j’avoue, de toutes celles que tu as pu me sortir, c’est l’une de mes favorites.

– C’est laquelle ta préférée ?

Celle qui m’a fait le plus rire (mais pas sur le moment) est celle de Raiponce, autant dire qu’il est hors de question que je l’admette !

Devant mon air blasé, elle comprend bien vite qu’insister serait peine perdue :

– Bref. Tu voulais quoi ?

Avec ses conneries, il ne me reste plus beaucoup de temps pour expliquer mon idée et si jamais elle la rejette, je vais passer une drôle de soirée.

Prenant le taureau par les cornes, je glisse ma main droite dans ma poche pour en sortir le mini boitier que je lui tends.

Elle s’en empare et la regarde curieusement.

– Merci pour… ? Qu’est-ce que c’est ? La télécommande de ta chaîne hi-fi ?

Elle est visiblement perplexe, mais je ne me sens pas capable de lui expliquer en termes clairs :

– Tu te souviens de notre conversation ? Du fait que tu étais à l’initiative ? Je t’ai donné les commandes au sens figuré… maintenant tu les as au sens propre.

– Je ne suis pas sûre de…

Elle s’arrête, écarquille légèrement les yeux, appuie sur le bouton « on » et scrute ma réaction. Excepté une faible crispation de surprise, je ne laisse pas paraître grand-chose, mais à la manière dont un lent sourire satisfait gagne ses lèvres, elle n’est pas dupe.

– C’est ce que je crois ?

Essayant de garder un visage neutre pour ne pas trop en dévoiler, je demande :

– Ça dépend. Tu penses à quoi ?

Me fixant, elle augmente le volume, me poussant à fermer brièvement les yeux sous l’effet des sensations.

J’ai choisi ce modèle d’œuf pour la discrétion de ses vibrations combiné à la redoutable efficacité de sa forme venant faire pression là où il faut.

Une chose est certaine : les autres utilisatrices n’avaient pas menti dans leurs commentaires sur le produit.

Lorsque je soulève mes paupières, son air hautement satisfait est la première chose que j’aperçois. Malgré les évidents feux verts que m’envoie sa gestuelle, je ressens le besoin de me justifier :

– Je ne savais pas comment tu l’aurais pris si je t’avais demandé de… d’inverser les rôles.

– Mhh, peut-être plus tard, là je ne suis pas mécontente de cette option…

On entend Nathan qui sort de sa chambre et part en direction du salon, ce qui signifie qu’il s’apprête à aller enfiler ses chaussures.

Tenant fièrement la télécommande entre son pouce et l’index, elle me regarde droit dans les yeux et appuie sur le bouton « off ».

Voyant que je ne sais pas comment interpréter son geste, elle se mordille la lèvre inférieure et m’attire à elle d’une main sur la hanche pour me murmurer à l’oreille :

– Une fois dehors, je veux que tu penses à ce que tu as en toi et que tu gardes bien à l’esprit que je peux le déclencher à n’importe… quel… moment…

Marquant ses propos, elle l’allume puis l’éteint, me dépose un baiser juste sous l’oreille et quitte la pièce.

Oh bordel… Je ne sais pas si c’est ma meilleure idée ou la pire à date !

 

===============

 

Après quelques cocktails, je me retrouve à danser sur la piste improvisée au milieu du salon. Je passe un super moment.

M’arrêtant le temps de reprendre mon souffle, je me dirige vers le « bar » afin de me resservir. Alors que je me verse un verre, une inconnue m’adresse la parole.

Sans vouloir être méchante, ce n’est pas la conversation la plus palpitante de ma vie et ça suffit à ce que je prenne le temps de réaliser ma situation. Me voilà, parlant avec une étrangère qui ne se doute pas un seul instant que j’ai un œuf vibrant en moi.

Ça me fait sourire.

J’ai rien écouté... J’espère qu’elle n’était pas en train de m’annoncer la mort de son hamster ! Je réalise que je suis loin du compte lorsqu’elle place sa paume sur mon avant-bras en demandant :

– T’es la coloc de Nathan c’est ça ? Il m’a beaucoup parlé de toi…

Oh. C’est elle, la fameuse nana qui aime les femmes plutôt féminines.

Et si Nathan ne lui a rien promis, il paraît évident qu’elle n’est pas venue pour échanger sur la pluie et le beau temps.

– Oui c’est… hm ça.

Regardant par-dessus l’épaule de la fille, mes yeux croisent ceux de Kara, un sourcil levé à mon intention.

Elle n’en rate pas une…

Elle me « rappelle à l’ordre » en allumant l’œuf alors que je discute avec cette inconnue, m’extirpant un sursaut de surprise. Mais au fond, ça m’amuse, tant et si bien que je continue :

– Désolée, un frisson. Il m’a dit qu’il avait parlé avec une amie de son chéri, mais sans préciser ton prénom. Tu t’appelles comment ?  

– Nina, j’ai fait l’atelier des chefs avec lui, on a discuté à ce moment-là.

– Oh tu cuisines, bon à savoir !

Mon sourire s’agrandit en voyant que Kara s’impatiente, le volume des vibrations augmentant. Je me sens délicieusement perverse à continuer de lui parler comme si de rien n’était… 

 – Tu pourrais peut-être te joindre à nous à l’occasion, si ça te tente ?

Hmm, quoi faire ? Si j’opte pour oui, ce serait la faire marcher. Si je réponds non, Nathan me demandera sûrement la raison de mon refus, elle est très mignonne et pile dans mes goûts.

Les vibrations s’arrêtent.

Oups… L’aurais-je fâchée ?

– Ça aurait été avec plaisir, mais je crois que je suis une cause perdue. À un moment, quand l’univers envoie tous les signes pour signifier « STOP », il faut savoir écouter !

Elle ouvre la bouche et je m’attends à recevoir une proposition de cours particuliers, mais avant qu’elle n’ait pu dire un mot, nous sommes interrompues par l’arrivée de Kara :

– Ah Naomi, je te cherchais. Tu peux venir sur la terrasse deux minutes ?

Elle a un air coquin sur le visage et il est hors de question que je rate une opportunité d’être seule avec elle. Lançant un petit sourire désolé à mon interlocutrice, je demande :

– Tu veux bien m’excuser ?

Son regard balaie rapidement Kara, essayant certainement de déterminer la nature de notre relation, mais en dehors de ça elle lève la main et m’adresse un sourire :

– Je t’en prie ! Contente d’avoir fait connaissance, peut-être à plus tard...

Répondant à son signe de tête et son sourire, je lance :

– Peut-être !

Ne perdant pas un instant, Kara s’empare de ma main et nous fraye un passage jusqu’à la terrasse, relativement vide étant donné que le froid tombe.

Amusée, elle demande :

– Je constate que t’as pas de difficulté à trouver des prétendantes... Je devrais m’inquiéter ?

Je referme la porte coulissante derrière nous et lève les yeux au ciel avant de lancer :

– Tout de suite ! Tu vois le mal partout.

– Mhh… T’es sûre ? Elle m’a regardée des pieds à la tête et n’avait pas l’air ravie de l’interruption. Ça ne m’aurait pas étonnée qu’elle sorte le maillot de bain et me défie en combat de boue singulier.

Écarquillant les yeux, je demande :

– Tu crois ? Parce que si c’est le cas on y retourne tout de suite, je ne voudrais pas rater ça !

Déposant mon verre au sol, je fais mine de faire demi-tour et ça me vaut une tape sur le bras :

– Perverse !

J’ai beau être une sommité en matière de mauvaise foi, je ne peux pas nier cette évidence-là. Dès que Kara est concernée, c’est comme si tous mes neurones déclaraient sécession avec mon cerveau et partaient en vacances dans ma culotte !

Elle s’assied sur un fauteuil en bois légèrement sur le côté et place son bras autour de ma taille, essayant de m’attirer sur ses genoux. Je résiste et me libère, regardant tout autour de nous :

– Qu’est-ce que tu fais ? Nathan est là je te signale !

– Relax, son copain et lui sont partis chercher d’autres pizzas.

Elle ponctue sa phrase en tirant légèrement sur ma main et tapotant sa cuisse.

Jetant un dernier coup d’œil afin d’être certaine que la voie est libre, je m’autorise un écart en m’asseyant sur ses genoux. Immédiatement, elle passe ses bras autour de ma taille, me collant à elle (ou l’inverse, dépendamment de qui demande).

Elle ne dit rien, mais je l’entends sourire, son visage n’étant pas très loin de mon cou.

– Je suis bien.

Ce n’est que lorsqu’elle s’apprête à répondre que je réalise que ces mots sont sortis de ma gorge :

– Moi aussi.

On reste comme ça quelques instants, à profiter du moment. 

Le petit groupe présent sur la terrasse finit par rentrer, nous laissant seules dans la nuit.

Partiellement à l’abri des regards, le fauteuil n’étant pas face à la fenêtre, je m’autorise un nouvel écart, me retournant pour être à cheval sur ses genoux.

Plaçant mes avant-bras sur ses épaules, mon initiative est accueillie par un sourire. Kara m’enlace par la taille, m’attirant plus à elle et glissant son visage au creux de mon cou. Je la laisse faire, par peur de ne pas réussir à me retenir de l’embrasser si je venais à croiser son regard.

On est en train de franchir les limites imposées, elle le sait, je le sais, on s’en fout.

Elle dépose des baisers au creux de ma nuque, ses lèvres chaudes contrastant avec la fraîcheur de la nuit, m’arrachant des frissons.

Ses actions m’incitent à me coller plus à elle, ses paumes venant se placer à plat dans mon dos.

Lentement, elle remonte jusqu’à capturer mon lobe entre ses dents, murmurant à mon oreille :

– Y a que nous ici.

Le message n’est pas fait pour être subtil : laisse-toi aller, personne n’en saura rien.

Excepté nous.

Sauf que dans nous, il y a ma conscience et je me sens déjà assez coupable comme ça.

Me reculant suffisamment pour venir capter son regard, je glisse une mèche de cheveux derrière son oreille et adopte un air désolé. Elle comprend que je ne suis pas prête à céder et me fait un petit sourire en retour.

Mal à l’aise, j’entreprends de me réinstaller plus convenablement. En bougeant ma jambe, mon genou cogne contre un objet dans sa poche.

Les vibrations m’indiquent immédiatement de quoi il s’agit.

Mortifiée, mes excuses meurent sur mes lèvres en voyant l’expression sur son visage.

Partagée entre l’étonnement et l’excitation, c’est sourcils levés et se mordant la lèvre d’un air coquin qu’elle lance :

– Je peux le sentir...

Certainement atteinte de folie temporaire, mon unique réaction est de me décaler pour me coller davantage à sa cuisse. Je ne sais pas ce que j’espérais accomplir en faisant ça, mais ça la pousse à placer ses mains sur mes fesses, m’encourageant à accentuer la pression.

Fermant les yeux, je viens poser mon front au sien, mes coudes sur ses épaules et nos souffles se mêlant. C’est le moment rêvé pour lancer une excuse Naomi, tu balances l’explication de ton choix, tu te relèves en emportant avec toi l’once de dignité qu’il te reste et tu essaies d’oublier.

Au lieu de ça, faisant preuve d’une retenue que quelqu’un de généreux pourrait qualifier de « minable », je me laisse aller. Dans d’autres circonstances, j’aurais peut-être honte d’avoir quoi que ce soit en commun avec certains frotteurs dans le métro, mais pour le coup je suis trop occupée à apprécier le moment. Et puis bon, bien qu’elle n’ait pas vocalisé son accord explicite, ses actes parlent d’eux-mêmes.

Bien que moralement discutable, mon comportement a le mérite d’être très gratifiant, puisqu’à la seconde où j’accentue le contact entre mon sexe et sa cuisse, même à travers nos vêtements mes sensations sont décuplées. Je n’ai jamais été du genre hyper sensible et je ne sais pas si c’est l’atmosphère, l’interdit ou simplement elle, mais j’ai l’impression que toutes mes terminaisons nerveuses se sont donné rendez-vous au niveau de mon entrejambe.

Mes hanches réalisent une sorte de staccato et il est parfaitement impossible qu’elle ignore le fait que je suis en train de me servir d’elle pour mon plaisir.

Les bruits étouffés de la fête parviennent jusqu’à nous à travers la baie vitrée et j’ai pleinement conscience que si quelqu’un venait à regarder par la fenêtre sous un certain angle, cette personne n’aurait pas l’ombre d’un doute quant à la nature de nos activités. Essayant de me montrer un tant soit peu responsable, je préfère la prévenir :

– On risque de nous voir.

Sa réponse est instantanée et sans équivoque :

– Ça m’est égal. Continue.

Bien madame.

Bien que nos têtes soient placées l’une contre l’autre, je peux voir que ses yeux ne perdent pas une miette du spectacle. J’aime la prise possessive qu’ont ses mains sur mes fesses et la manière dont elle accompagne mon rythme. Elle est étonnamment sûre d’elle pour quelqu’un qui n’a jamais fait ça. J’essaie de garder un minimum de retenue, mais entre sa façon de me toucher, les vibrations et sa cuisse offrant une pression quasi parfaite, ce n’est pas une mince affaire.

Elle se recule et avant que je ne puisse m’inquiéter d’avoir été trop loin, ses yeux viennent croiser les miens, maintenant le contact.

Simplement éclairée par la lumière tamisée de la fête et celle de la lune, elle est magnifique. Il se passe quelque chose entre nous qui rend cette situation nettement moins sordide qu’il n’y paraît de prime abord. Et quelque part, la peur d’être surprise est à la fois paralysante et grisante.

Le problème, c’est que j’ai atrocement envie de l’embrasser…

Mais si je respecte l’espèce de logique tordue de mon esprit, ce serait « pire » que ce que je suis en train de faire, ça rendrait le tout plus intime.

Alors que bon, en toute objectivité, je doute qu’Aaron apprécie mon sens du sacrifice à sa juste valeur s’il venait à me surprendre en train de chevaucher sa petite sœur comme s’il s’agissait d’un taureau mécanique…

Ma respiration s’accélère et s’arrête par moments et c’est la seule manière par laquelle je m’autorise à marquer mon plaisir.

Alors que ses mouvements comme les miens gagnent en vitesse, un des sons à l’intérieur parvient à pénétrer notre bulle.

L’un des invités, visiblement imbibé, crie « Pizzaaaaaa » et c’est comme si l’on me versait un seau d’eau glacée sur la tête.

Nathan.

Il est là.

Merde !

Poussant sur mes jambes sans crier gare, je me propulse en arrière, me libérant de l’étreinte de Kara.

L’atterrissage est tout sauf gracieux, mes pieds ayant à peine touché le sol que je perds l’équilibre pour venir m’écraser sur mon postérieur. Une fois par terre, je rampe, m’aidant de mes mains et mes jambes afin de mettre le plus de distance possible entre elle et moi.

Kara a les yeux grands ouverts et un air de totale incompréhension sur le visage.  

Essayant de regagner mes esprits, je parviens à lancer :

– Nathan. Revenu. Pizza.

À défaut d’être un modèle d’éloquence, je suis concise.

Elle ferme lentement les paupières et ne masque pas sa déception. J’ignore la manière dont ses poings se serrent sur ses genoux et me relève maladroitement, l’arrière-train endolori et une sensation particulièrement inconfortable entre les cuisses.

J’attends d’avoir à nouveau son attention pour lui tendre une main pour l’aider à se redresser et remarque une légère hésitation de sa part à s’emparer de ma branche d’olivier.

Fait chier !

Une fois de plus, je n’aurais pas dû me laisser emporter. Certains font des stages de gestion de la colère, moi je n’ai plus qu’à aller rejoindre un certain golfeur dans sa cure pour accros au sexe…

On est passées de zéro à 100 en deux secondes, tout ça à cause d’un faux mouvement. Je ne sais pas si c’est parce qu’on a un niveau de retenue proche du néant ou s’il s’agit simplement d’un témoignage de l’attirance que l’on a l’une envers l’autre.

Une fois debout, elle me lâche comme si j’étais en feu et se dirige d’un pas preste en direction de la baie vitrée.

Je vois bien qu’elle n’a qu’une hâte, s’éloigner le plus vite possible de moi et ne suis pas certaine de comprendre.

L’interruption ne m’arrange pas non plus ! 

Je voudrais bien m’excuser, mais je ne sais pas de quoi et crains d’aggraver mon cas.

À défaut, la retenant d’une main sur le bras, mes mots sont maladroits et certainement pas ceux qu’elle aurait voulu entendre :

– Est-ce que tu peux couper… stp ?

Je suis ridicule. J’ai passé les dernières minutes à me frotter allègrement contre sa cuisse et je n’arrive ni à lui demander clairement de faire cesser les vibrations, ni à m’excuser de m’être « emportée ». Même si je ne suis pas vraiment désolée de l’avoir fait, juste de l’interruption et de ne pas oser avoir une discussion avec mon ami.

Elle pince les lèvres et plonge sa main dans sa poche, comprenant à quoi je fais référence. Elle en ressort la télécommande, appuie sur le bouton off et me la fourre au creux de la paume avant d’ouvrir la fenêtre coulissante pour rentrer à l’intérieur.

O-kay… C’est maintenant qu’il faut l’épater avec une justification de haut vol :

– Kara, je…

Elle se retourne et son regard me silence instantanément :

– Pas maintenant Naomi. J’ai besoin d’un moment.

J’acquiesce d’un signe de tête, même si je me sens hyper mal. Ces excuses auraient plus été pour moi que pour elle, j’en ai conscience, mais ça ne veut pas dire qu’elles ne méritent pas d’être dites.

Ramassant mon verre, je la suis à l’intérieur, penaude. La situation la frustre énormément et je ne suis pas sûre qu’elle va tolérer ça encore longtemps.

16 mars 2019

Histoire participative sur le blog !

Bonjour ! Animée par une tendance vraisemblablement masochiste et suite aux votes, l'histoire participative est à présent en ligne (pour l'instant elle n'a pas de titre, il est probable que je tente de vous exploiter pour en trouver un sur la fin de la...
11 mars 2018

Chapitre 13

On se retrouve tous les trois comme des imbéciles devant l’immeuble, chacun une part de tarte en main, Sasha en ayant une supplémentaire pour Chris.

C’était pas mon idée.

Une fois que ce dernier nous fait grâce de sa présence, James demande :

- Bon, vous avez une préférence ?

Sasha hausse les épaules, croque dans sa part et dit :

- Je m’en fo --- Mhhh Héléna c’est méga bon !

Elle m’observe avec des yeux écarquillés et je mange également pour tenter de dissimuler mon sourire.

James et Chris suivent la lancée et me complimentent à leur tour, mais l’effet n’est pas le même. Une fois qu’on a fini, nous nous mettons en route en direction d’une salle d’arcade. La main de Sasha frôle la mienne, trop de fois pour que ça soit autre chose qu’un message et je m’en empare comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

Elle m’adresse un sourire tandis que nous marchons côte à côte, suivant nos collègues.

De ce que j’en sais, Chris n’est pas au courant de la charade et je suis assez étonnée que Sasha se montre ouverte aux démonstrations d’affection devant lui. S’il remarque, il n’en dit rien. Après il n’est pas impossible qu’elle se serve de moi pour lui faire comprendre que ses avances ne sont pas les bienvenues…

On s’installe tous les quatre et commandons à boire et des jetons, le temps de regarder la sélection de machines à disposition.

Finalement, les mecs se dirigent vers une borne proposant un jeu de rallye,  tandis que Sasha me traîne vers deux motos.

Elle se tourne vers moi, les yeux brillants :

- Prépare-toi à te faire éclater !

Je secoue la tête, amusée, la gratifiant même d’un :

- Que la meilleure gagne.

Sasha insère les jetons nécessaires à notre partie et chevauche son engin, plaçant ses mains de part et d’autre du réservoir, m’observant de bas en haut.

Est-ce qu’elle jauge la compétition ou se rince l’œil ? Avec toutes ces conneries, c’est difficile de faire la différence.

Que ce soit l’un ou l’autre, je m’assure d’être la plus fluide et gracieuse possible. Je veux qu’elle pense que j’ai fait ça toute ma vie. Le secret est d’instiller le doute dans l’esprit de l’adversaire. La partie commence et comme l’avant est fixe, il faut pencher ses fesses pour tourner.

J’aurais peut-être mieux fait de juste la regarder jouer.

Après le premier tour, nous sommes au coude à coude. C’est toujours le cas lors du troisième et dernier tour de l’énorme circuit. Lorsqu’elle prend un tournant à la corde un peu trop serré, ma roue avant semble taper celle à l’arrière de sa moto, l’envoyant dans le décor et manquant de peu de me faire suivre le même chemin.

Je passe la ligne d’arrivée victorieuse et me relève en grande pompe pour célébrer sa défaite.

Immédiatement, elle descend et vient se planter à approximativement deux millimètres de mon visage :

- J’allais gagner ! T’as triché !

Ravie de constater qu’elle est agacée, je m’approche un peu plus et en rajoute une couche :

- J’y peux rien si tu n’arrives pas à contrôler ta machine. Quoi qu’il en soit, le résultat est inscrit sur l’écran. Tu veux que je t’aide à le lire, loser ?

Bien loin de se reculer, je sens une expiration offusquée frôler mes lèvres, tandis que ses yeux verts et passablement énervés me fusillent littéralement.

Elle fulmine et j’en viens à me demander si donner un coup de pied dans la ruche était ma meilleure idée…

Fort heureusement, nous sommes rejointes par les garçons. James place ses bras entre nous, comme si on était sur le point de se battre :

- Oh oh oh les filles, on se calme, c’est qu’un jeu.

Sasha me pointe du doigt et s’exclame :

- Elle a triché !

Chris sourit devant son comportement puéril tandis que j’essaie (sans succès) de masquer mon amusement.

James me lance quant à lui un regard entendu, tapote mon épaule et annonce :

- Suis-moi, je voulais tester un truc avec toi.

Voyant qu’il pointe en direction du côté opposé de la salle, j’ai la forte intuition qu’il n’est pas question de jouer, mais de m’isoler pour pouvoir parler tranquillement.

Et en effet, nous sommes à peine installés depuis quelques secondes devant un jeu de tir qu’il me glisse :

- Alors ? Tu comptes attendre combien de temps encore pour me remercier ?

- J’attends que tu meures !

Du coin de l’œil, je le vois tourner la tête dans ma direction, sourire et reposer son arme tandis que son personnage se fait attaquer.

Refusant d’entrer dans son jeu, je m’efforce de le défendre, mais il décède, mon soldat suivant le même chemin quelques instants plus tard.

L’air fier de lui, il patiente les bras croisés, jusqu’à ce que je vienne trouver son regard :

- J’attends.

- T’es pénible.

La dernière des choses dont j’ai envie, c’est de le remercier. J’étais bien dans mon manteau d’innocence, à détester cordialement ma collègue. Et maintenant je dois être reconnaissante pour une attirance à sens unique et une fausse relation me montrant tout ce que je rate ? Super.

- J’attends toujours…

Du ton le moins sincère à ma disposition, je cède, n’ayant pas envie de m’attarder sur le sujet :

- Merci.

Satisfait de ma réponse, aussi faux cul qu’elle soit, il lance une nouvelle partie :

- Je suis content pour vous. T’es beaucoup plus souriante ces derniers jours.

Cette nouvelle me fait grimacer. J’espère qu’il est le seul à avoir remarqué.

- Par contre, si vous pouviez limiter les regards énamourés ou alors me fournir les sacs à vomi je vous en serais reconnaissant.

Tournant mon arme dans sa direction, j’appuie sur la gâchette, ce qui ne sert à rien si ce n’est à faire passer le message.

- T’es juste jaloux.

Mais t’as pas de raison de l’être… Vraiiiment pas.

À vrai dire, s’il savait il aurait peut-être même pitié de moi.

- Exactement Héléna. Je suis fou amoureux de toi et je n’osais pas t’en parler. Veux-tu m’épouser ?

Quel petit con !

Levant un sourcil, je m’apprête à lui asséner une réplique bien sentie, mais suis battue sur le fil par Sasha:

- Tssss… Je ne peux pas te laisser sans surveillance deux minutes c’est ça ?

Je me tourne vers elle, les yeux écarquillés. Elle plaisante j’espère ? On en parle d’hier soir ?

- C’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité tu ne crois pas ? 

Ignorant royalement ma remarque, elle s’approche et demande :

- T’as gagné ?

- Bien évidemment.

Sachant saisir une opportunité quand elle se présente, James en profite :

- Elle a triché !

Souriant, Sasha vient croiser mon regard et s’exclame :

- M’étonne pas !

On continue notre tour, passant d'une machine à une autre pour finalement atterrir devant un jeu d’air-hockey. Immédiatement, Chris se vante de pouvoir tous nous éclater. J’ai de sérieux doutes sur ses capacités et n'hésite pas avant de rouler des yeux d’une manière peu discrète. Lui et son égo... Prenant ma réaction comme une provocation, il défie James, le considérant probablement comme l’adversaire le plus digne. Avant de commencer la partie, il demande :

- C’est quoi la récompense en cas de victoire ?

Haussant un sourcil, Sasha annonce :

- La gloire.

Il la regarde d’un air dubitatif et tente sa chance :

- Un baiser ?

James m’observe, s’attendant certainement à une réaction de ma part. Sauf que même si ma collègue était réellement ma copine, je ne suis pas du genre à agir comme un chien de garde. Je préfère très largement qu’elle dise non elle-même, tout en restant à proximité si elle souhaite de l’aide.

Secouant immédiatement la tête en signe de négation, elle fait une contre-proposition qui ne me plaît pas du tout :

- Un bisou sur la joue d’Héléna et moi si tu nous bats tous les trois.

Hey ! Pourquoi elle m’implique là-dedans ? J’ai plus envie de déménager au Yémen que de l’embrasser, même sur la joue. Il représente tout ce qui pourrait me convaincre d’être homo, si notre sexualité était un choix !

Elle a qu’à dire que James l’embrassera, pas moi !

Lui filant un coup de coude dans les côtes, je croise le regard de Sasha et lui fais les gros yeux, m’apprêtant à ouvrir ma bouche pour contester ma participation. C’est sa main sur mon bras, tentant de m’en dissuader qui m’en fait douter.

Chris réfléchit millième de seconde puis acquiesce, visiblement content du deal...

Et merde. J’ai raté le coche, trop tard pour me désister.

J’espère pour elle qu’elle sait ce qu’elle fait, sinon ma vengeance sera terrible.

C’est tout sourire qu’il insère les jetons dans la table, lançant le système d’aération permettant au palet de glisser plus vite :

- On va jusqu’à 10, que le meilleur gagne !

Le premier match commence et arrivé à 7-2, il paraît peu probable que James remporte la victoire.

Effectivement, 4 palets plus tard, c’est à mon tour de briller. Hors de question que je passe en dernier et sois celle sous pression si jamais les deux premiers perdent. Il est évident que pour le coup, Chris ne s’est pas vanté sans fondement et je ne donne pas bien cher de ma peau.

Il insère les jetons et m’adresse un sourire arrogant, plaçant le palet pour l’engagement. Évidemment, James et Sasha me soutiennent, refusant de croire au fait qu’on va tous les trois se faire écraser.

Franchement, je m’en sors pas trop mal ! On est à 6-5 en ma faveur et je vois que Chris commence à douter.

- Alors Champion, on faiblit ?

J’espère que ma provocation va suffisamment l’agacer pour qu’il se mette à faire des conneries, car pour être tout à fait honnête, mes deux derniers points relèvent plus de la chance que d’autre chose.

- Arrête de parler et joue, garde tes lèvres en parfaite condition pour après.

Il ponctue sa phrase en faisant la bouche en cœur, pour mon plus grand effroi.

Ohhhh que non !

J’essaie de masquer l’horreur sur mon visage, mais suis totalement perturbée. Et malheureusement, ça se ressent dans mon jeu.

Ça suffit pour qu’il prenne l’ascendant… Parfois je me déteste.

Tandis que je laisse la table derrière moi, défaite, j’attrape le bras de Sasha qui s’avance pour me relayer, lui murmurant à l’oreille :

- T’as pas intérêt à merder !

Loin d’être impressionnée, elle m’adresse un sourire complice et annonce, accompagné d’un clin d’œil :

- Garde tes lèvres en parfaite condition pour après.

Ça me fait rigoler et a le mérite de désamorcer une partie de la tension que je ressens. Le match commence, James encourageant bruyamment Sasha, sa solidarité masculine étant réduite à néant après l’humiliation qu’il a subie.

Franchement, elle s’en sort bien et ils sont au coude à coude. Ayant certainement compris que c’était partiellement en me perturbant qu’il avait remporté la victoire, Chris n’arrête pas de lancer de petites phrases du genre : “j’ai bien fait de me raser ce matin”, “James, je compte sur toi pour prendre une photo du moment”, “deux pour le prix d’une, merci pour le deal Sasha”...

Si je voulais déjà que ma collègue gagne, plus il ouvre la bouche plus je m’agace. Certaines remarques me mentionnent, mais il me paraît évident que Sasha semble être plus à son goût, puisqu’il lui adresse une tonne de clins d’œil et baisers volants.

Peut-être que c’est juste parce que c’est elle contre qui il joue, mais je ne crois pas.

Dans tous les cas, ça me saoule. J’aurais dû me montrer plus affectueuse avec elle, il se serait sûrement mieux comporté, ce n’est pas un secret que j’ai mauvais caractère et avec un peu de bol je lui aurais fait peur.

Les minutes s’étirent, le score atteignant 9-9 et au vu de la réaction de mon cœur, je suis beaucoup trop investie compte tenu du très faible enjeu.

Le dernier point est très disputé, manquant de rentrer plusieurs fois. Les yeux de tout le monde sont rivés sur le palet filant à toute allure d’un but à l’autre, jusqu’à ce que Sasha fasse un coup en rebond que Chris n’arrive pas à intercepter.

- YES !

Honteuse, je baisse les bras que j’avais levés au ciel sans même m’en rendre compte. Mes trois collègues me regardent, James et Sasha d’un air amusé, Chris nettement moins.

Sasha abandonne son poussoir sur la table et s’apprête à la contourner pour venir me voir lorsque son amoureux transi tente sa chance :

- Une revanche ?

- Nan.

- Un bisou juste de toi alors, j’ai gagné 2 parties sur trois quand même, ça mérite quelque chose.

C’est bon oui ? Il en a pas marre d’insister ? Décidant d’intervenir, je prends la parole :

- Vraiment désolée, mais c’était pas ça le deal !

Il est possible que mon ton ait laissé transparaître le fait que je ne suis pas DU TOUT affligée par sa défaite, mais n’est pas actrice de génie qui veut…

Ignorant le regard agacé que ma réplique me vaut, je tourne mon attention en direction de Sasha et lui fais signe de s’approcher de mon index. Elle vient en sautillant à moitié, un petit air arrogant fermement en place.

Sur elle je trouve ça plutôt mignon, mais je ne le reconnaîtrai pas !

Arrivée à mes côtés, elle tapote sa joue et attend.

Je suis prise d’un doute. Ça pourrait (à juste titre) être considéré comme du favoritisme…

Je pourrais m’en sortir en faisant remarquer qu’il n’a jamais été question de récompense en cas de victoire de notre camp, mais je lui ai fait signe et vu comme Chris se moquait de nous, c’est l’occasion de le lui faire regretter.

Je m’approche d’une Sasha très souriante, qui écarte son doigt pour me laisser place libre.

J’ai envie de marquer le coup et étant donné que James est présent elle n’est pas exactement en position de refuser, alors…

Ma main se place sur sa joue, l’encourageant à me faire face et dès que c’est le cas je n’hésite pas à venir poser mes lèvres sur les siennes.

Si elle est surprise, elle le dissimule bien et répond au baiser sans perdre une seconde. Même si ce n’est que pour le show, ça me fait quelque chose de voir qu’elle n’objecte pas un seul instant.

J’entends Chris émettre un petit son de surprise et ne peux m'empêcher de sourire tandis que nos lèvres se cherchent doucement, l’ensemble restant très chaste.

Et ouais mec, la grande gagnante dans l’histoire, c’est moi !

Je me recule en premier, mon regard amusé venant croiser celui de ma collègue, qui me donne un coup dans le bras avant de chuchoter :

- T’es vraiment une garce, le pauvre !

Dire que la culpabilité m’étouffe serait une grossière exagération, mais c’est vrai que lorsque je regarde Chris et le vois être totalement dégouté, j’ai limite des regrets.

Mes yeux se posent sur Sasha, qui n’arrive pas tout à fait à me regarder dans les yeux et dont les joues adoptent un ton légèrement rosé absolument trognon.

Limite.

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- Ils ne remarqueront pas si je ne viens pas.

Croisant les bras pour marquer mon point, je vois Dom me lancer un regard désabusé et répondre :

- Si je suis forcé d'y aller toi aussi. Allez ce sera sympa, c'est notre dernier repas avant de partir.

On ne doit pas avoir la même définition de "sympa", parce que selon moi ça n'implique pas un déjeuner formel avec mes collègues. Chiant, ennuyeux, mortel, pénible, atroce... Ça oui.

Sympa ? Non.

Lui adressant un regard indiquant clairement le fond de mes pensées, je concède ma défaite, râlant plus par principe qu'autre chose :

- Ouais bah j'ai jamais autant eu hâte de prendre l'avion.

Sachant reconnaître mes grommellements pour la confirmation qu'ils sont, Dom me donne une petite tape dans le dos et s'éloigne, me laissant aller me préparer.

J'entre dans la salle de bain et la porte percute Sasha, plantée devant le miroir, l'air dépitée.

L'idée que je ne sois pas la seule n'ayant pas la moindre envie de m’y rendre m'extirpe un sourire. On a au moins ça en commun.

Croisant son regard dans le reflet, je fais un signe de mon pouce derrière moi et annonce :

- Désolée. Appelle-moi quand tu as fini.

Plutôt que d'acquiescer comme je pensais qu'elle allait le faire, Sasha m'adresse un regard implorant et demande :

- Tu veux bien me filer un coup de main ?

Je m'apprête à lui indiquer qu'elle n'a pas besoin d'aide pour se préparer, mais réalise que c'est l'une des dernières occasions que j'aurais de passer du temps avec elle avant de repartir en fin de journée.

- Bien sûr.

Elle s'assied sur la baignoire et me tend sa trousse à maquillage sans dire mot.

À force de l’observer, je commence à connaître sa manière d’être et là, j'ai l'impression que quelque chose ne va pas. La manière dont ses yeux sont moins brillants, je ne sais pas trop comment le décrire.

Mais peu importe.

J’ai un peu peur de demander.

On s'entend bien et j’admets que ce que je connais d’elle me plaît, mais nous ne sommes pas pour autant à un stade « meilleures amies pour la vie » où l'on se raconte nos malheurs.

Tendant le bras en arrière à l'aveugle, j'attrape le petit tabouret sur lequel on pose nos affaires lorsqu’on se douche et le traîne vers moi, m'asseyant dessus pour lui faire face :

- T'as une préférence ?

Ses yeux verts viennent caresser mon visage, et d'une voix plus vulnérable que d'ordinaire, elle demande :

- Rends-moi belle.

Dans n'importe quelle autre circonstance, j'aurais lancé une remarque du genre "c'est du maquillage, pas de la magie", mais pour le coup j'opte pour la version douce.

Voulant lui remonter le moral, je fais une scène durant laquelle je l'observe sous toutes les coutures avant de poser le maquillage sur le lavabo et m'exclamer :

- Tadaaaa.

Elle lève les yeux au ciel, mais constatant que ça lui extirpe un sourire malgré tout, je capitalise dessus :

- Qu'est-ce que j'ai cru voir Sasha ? Les coins de tes lèvres ont défié la gravité !! Oh mon Dieu mais t'es ma-gni-fique quand tu fais ça ! Un vrai miracle ! Mon talent est sans limite !

Sasha reprend possession de la trousse, qu'elle me fourre dans les bras en lançant :

- Maquille-moi comme un camion volé, c'est tout ce que je demande.

C'est une flagrante tentative pour détourner mon attention de ses joues rougissantes, mais elle sourit alors ça me va.

Est-ce que mes compliments lui plaisent secrètement ou la mettent juste mal à l'aise ?

Bah, si je continue dans la métaphore douteuse, elle pourra choisir de prendre le tout à la rigolade :

- T'inquiète, tes mécaniques vont rutiler comme jamais, ils ne retrouveront pas ton vrai numéro de série.

- Qu'est-ce qui te fait croire que quelqu'un va jeter un œil sous mon capot ?

Souligner qu’elle est celle qui a lancé le sujet "véhicule volé" serait l'option facile. Pas pour moi donc.

Et puis il faut que j'en profite tant que je peux, avec du bol j'obtiendrais la moue répugnée qui me plaît tant :

- Tu ne t'es pas toujours montrée aussi réticente à l'idée que je mette les mains dans ton cambouis...

- Ewww Héléna, dégueu !

Je n'essaie même pas de retenir mon sourire satisfait et commence à la maquiller.

Comme elle ne m'a pas donné d'indication et qu'à mon sens elle n'a pas besoin de ça pour être belle, j'opte pour des tons plutôt naturels.

Tapotant le pinceau applicateur dans le fard choisi, je profite de la distraction pour demander d’un air aussi détaché que possible :

- Tu veux en parler ?

Mes yeux vont trouver les siens et je peux y lire la surprise. J’imagine qu’elle ne pensait pas que je remarquerais. On est assez proches et en attendant de savoir si elle veut me dire ce qui ne va pas ou non, je l’observe, mémorisant chaque détail.

Ses iris sont d’un vert très pâle au centre et entourés d’une corolle plus foncée à l’extérieur. Ça rend son regard perçant, la couleur contrastant totalement avec le noir profond de ses pupilles.

Je suis tellement focalisée là-dessus que je ne remarque qu’elle ne parle uniquement parce qu’elle baisse les yeux dans un haussement d’épaules :

- Rien de bien grave. Juste… Ça me fait bizarre de se dire que c’est fini ce soir. Je m’étais habituée à vos conneries.

Sérieux ? C’est pour ça qu’elle est un peu triste ?

Ohhhhh elle est troooop mimi.

Un sourire étire mes lèvres tandis que j’essaie de la réconforter :

- Hey… C’est la fin de la formatio,n mais on travaille encore tous dans la même entreprise et dans la même région…

Mon “on pourrait se voir” est implicite et c’est mieux ainsi. J’ai déjà suffisamment l’impression de tendre le bâton pour me faire battre.

Sasha relève la tête pour m’observer, cherchant certainement à jauger ma sincérité. En même temps, qui peut l’en blâmer, j’ai connu des portes de prison plus sympas que moi avec elle avant que je ne prenne le temps de la découvrir, alors un revirement de situation pareil…

Elle fait un sourire timide, que j’interprète comme une porte entrouverte, un “on verra”.

J’ai sûrement tort d’espérer la voir dans un contexte amical après la formation, mais j’ai l’impression qu’on a encore des tas de choses à se dire, même dans nos silences.

Soupirant par le nez, j’applique son fard à paupières, contente d’être soulagée du poids de son regard.

Je le suis encore plus lorsqu’elle ouvre la bouche :

- Pour la grande révélation de notre blague aux garçons…

Mon visage se crispe involontairement face au sujet abordé. Je n’ai pas envie de parler de ça et encore moins qu’elle y fasse référence en disant : “la blague”.

Ça ne peut pas s’appeler comme ça si ça ne fait rire personne, non ?

- Hmmm?

- Je pensais qu’on pourrait faire ça à l’aéroport.

J’acquiesce d’un mouvement de tête, ne faisant absolument pas confiance à ma voix. Si elle perçoit que j’ai du mal à jouer les indifférentes, elle ne le montre pas et continue :

- Je me disais… Ça pourrait être drôle que l’une de nous renverse l’autre dans une position baiser de cinéma pour finalement lancer “ou pas”. Là on se relèverait pour se taper dans la main en mode “high five” ou se faire la bise… On pourrait même mettre quelqu’un dans la confidence, histoire de prendre une photo épique ou deux...

La première chose qui me vient à l’esprit est que ça ne sonne pas comme “tiens, j’ai une idée”.

Elle a déjà réfléchi à la question.

Depuis qu’on a commencé cette charade, je n’arrête pas de me dire que j’ai hâte qu’on en finisse, mais j’ai jamais vraiment percuté que ça pouvait être son cas aussi.

Ça me fait bien plus chier que je ne veux l’admettre.

Je fais mine d’être focalisée sur le choix d’un rouge à lèvres et réponds d’un ton évasif, sans croiser son regard :

-  Ça me va. C’est un bon plan.

Quoi qu’elle ait eu l’intention de répondre est réduit au silence par mon approche, tube en main.

Je trace le contour de sa bouche, essayant de ne pas m’attarder sur la forme de ses lèvres ni sur le souvenir des baisers qu’on a pu échanger. En termes de succès, on a vu mieux.

Une fois terminé, je me recule, partiellement pour admirer mon œuvre, mais surtout pour échapper à notre proximité l’espace de quelques instants.

Mes yeux se posent sur son visage, que le maquillage léger met parfaitement en valeur et un compliment m’échappe :

- Tu es magnifique.

Je suis tentée de rajouter que je vais faire des jaloux, mais garde les mots pour moi. Il n’est jamais trop tard pour se rappeler de sa place.

Sasha ne tourne même pas la tête pour se regarder dans le miroir, m’offrant un sourire radieux, le genre qui fait battre mon cœur un peu plus vite et réplique :

- Merci. T’es pas mal non plus.

Je lève les yeux au ciel en entendant ça. C’est gentil, mais hautement mensonger. Pour l’instant, je ne suis pas du tout apprêtée et elle le sait.

- Bon, maintenant que t’es présentable, à mon tour. File de là.

Ponctuant ma phrase par un minuscule sourire afin de retirer un peu de son mordant, je lui fais signe d’évacuer d’un mouvement de main.

 

21 mars 2018

Chapitre 19

OMG !

Mais non !

Ils vont tous se faire des films maintenant !

Bon, ça n’aurait pas été très éloigné de la réalité, mais là n’est pas la question.

Je grogne mon désarroi, tandis que Sasha trouve visiblement la situation amusante.

Je lance un regard à ma complice, avant de répondre, à voix basse pour Sasha dans un premier temps, puis plus fort pour que Dom entende :

- Je l’avais bien dit ! Sasha, pourquoi tu nous as enfermées ?

Elle ouvre la bouche et me regarde avec un air de trahison suprême, un peu comme si je venais de lui annoncer que je la quittais pour sa mère et que toute sa famille était au courant.

Ne voulant pas lui laisser le temps de se venger, je déverrouille et ouvre la porte d’un seul coup, manquant de faire tomber mes deux collègues ayant les oreilles collées à la porte.

Croisant les bras et les observant essayer de ramasser les miettes de leur dignité, je m’exclame :

- Pourquoi ça ne m’étonne pas ?

Absolument pas perturbés par leur total ridicule, ils se relèvent rapidement et nous regardent suspicieusement, James demandant dans un sourire :

- On interrompt quelque chose ?

- Pffft, mais bien sûr. Dans vos rêves ! On réglait nos différends… Verbalement.

Ils n’ont pas l’air convaincus alors je lance un regard à Dom et demande d’un ton moqueur :

- Tu m’as confondue avec Arturo Braccetti ou quoi ? Il me faut plus qu’une seconde pour enfiler mes habits !

Ne lui laissant pas le temps de répondre, je pars en direction du salon, persuadée que Sasha m’emboîtera le pas.

Bien que ça ne soit pas étonnant, je suis dégoûtée qu’on m’ait piqué ma place sur le canapé.  

Repérant une chaise de bar libre, je jette mon dévolu dessus, n’ayant aucune intention d’aller me déhancher pour mieux profiter de la désagréable sensation entre mes cuisses.

J’ai à peine les deux fesses posées sur l’assise que Sasha écarte mes jambes et vient se glisser entre, face à moi.

Levant un sourcil, je la taquine :

- Madame prend ses aises ?

Au vu du regard brûlant qu’elle me lance, j’ai une idée très précise de ce à quoi elle pense. J’ai la confirmation que ce ne sont pas ses capacités cognitives usuelles qui la dirigent lorsqu’elle se contente de répondre d’un :

- Mhh mhhh.

Ses pupilles sont complètement dilatées et elle fixe mes lèvres avec insistance.

Je sais ce qu’elle veut et ça coïncide avec mes envies, alors pourquoi pas ?

Ça fait 10 minutes qu’on s’est avoué ce qu’on ressent et une évidence s’impose déjà : en ce qui la concerne, essayer de lui résister reviendrait à sauter d’une échelle et tenter de combattre la gravité par ma seule force mentale.

Impossible et une totale perte de temps.

C’est pourquoi, sans avoir parlé du statut de notre relation et sachant que les garçons sont suffisamment intelligents pour ne pas avoir colporté des rumeurs au sujet de ce qui s’est passé lors de la formation, je me penche pour l’embrasser devant tout le monde.

Elle place ses mains sur le haut de mes cuisses et répond immédiatement.

Même si elle a visiblement d’autres idées, je garde ma langue pour moi, car pour le coup il ne s’agit pas de faire un show, ni marquer un point et je préfère que nos “démonstrations d’affection” restent essentiellement privées. J’avais juste besoin d’un petit fix, rien qu’une dose.

Et puis je n’aime pas voir les amygdales des autres, j’imagine qu’il en est de même pour eux !

Sasha se recule et boude à moitié, y allant même de son commentaire :

- Tentatrice !

- Tu peux parler !

Elle s’apprête à rétorquer lorsque James prend la parole, une pince dans les mains et un bac dans l’autre :

- Vous voulez des glaçons ? On dirait qu’un ou deux dans la culotte ne vous ferait pas de mal !

Il nous lance un regard entendu qui fait rire Sasha :

- C’est très gentil, mais on va faire sans pour cette fois.

Pour cette fois ?

Intéressant !

Loin d’être perturbé, James nous menace à nouveau :

- Si ma veste a …

Je l'interromps, ne voulant pas connaître la suite :

- Relax, ta veste va bien ! On n’est pas tous des pervers qui attendent la moindre occasion pour faire des choses sur les affaires des autres...

Je lui lance un regard plus qu’appuyé, faisant référence à la fois où Monsieur m’avait avoué A POSTERIORI qu’il avait eu des préliminaires sur mon canapé ! Erk, j’en frissonne encore de dégoût ! Quand je pense à toutes les fois où j’ai innocemment grignoté sur ce canapé, sans me douter un seul instant du risque bactériologique que j’encourais...

Sasha grimace et lève la main pour le stopper avant qu’il ne réponde :

- Pitié ne dis rien, je ne veux pas savoir !

Croisant son regard, je confirme :

- Non, tu ne veux vraiment, vraiment pas !

Voyant qu’il a perdu pour cette fois, James s’éloigne en marmonnant quelque chose qui ressemble fortement à “si c’est ça le merci que j’ai pour avoir joué les cupidons…”.

Sasha et moi l’observons partir d’un œil amusé.

Le reste de la soirée se déroule normalement, à l’exception du fait qu’elle et moi pourrions passer pour des siamoises tellement nous sommes collées. Enfin non, peut-être pas des sœurs étant donné nos mains parfois baladeuses...

C’est une sensation à la fois étrange et agréable de pouvoir poser mes mains sur Sasha sans peur des répercussions ni sans avoir à me justifier. Sa réaction est toujours la même, un mélange de surprise et de joie, suivie d’un sourire dans ma direction.

J’imagine que c’est parce que c’est un récent développement, mais ça ne me dérangerait pas que ça reste tel quel.

Après avoir dit au revoir à tout le monde, on remonte dans ma voiture pour que je la ramène chez elle. Le trajet est globalement silencieux, sa main posée sur ma cuisse. C’est peut-être rien du tout, mais c’est nettement plus que j’espérais avoir alors rien qu’un minuscule geste comme celui-là me fait vraiment plaisir.

Arrivées devant chez elle, j’arrête le moteur et la raccompagne à la porte de sa petite maison mitoyenne. Voulant qu’elle le sache, je lance:

- J’ai passé une très bonne soirée.

- Moi aussi.

On s’observe l’une l’autre sans un mot, un silence confortable s’installant. Plus pour éviter de m’imposer que par réelle envie de partir, j’annonce :

- Je ferais mieux d’y aller.

Déposant un bisou sur ses lèvres, je m’apprête à faire demi-tour lorsqu’elle demande :

- Ça te dirait de rester ?

Je la regarde, un sourire au coin des lèvres, levant un sourcil, tant est si bien qu’elle ressent le besoin de se justifier :

- Juste pour dormir.

Je ne suis pas totalement convaincue qu’elle n’a pas une idée ou deux derrière la tête, mais ça ne m’incite pas exactement à refuser.

- Ok.

Elle me fait un sourire quasi timide, en totale contradiction avec son comportement un peu plus tôt dans la soirée et s’écarte pour me laisser entrer.

Ses volets sont restés ouverts et la pleine lune illumine le salon.

Elle allume la lumière et se retourne vers moi dans une grimace, passant sa main dans les cheveux à l’arrière de son crâne :

- Désolée, c’est pas super bien rangé !

Lui adressant un sourire compréhensif, je réponds :

- T’en fais pas, on est tous pareils !

Elle me fait visiter sa maison, qui n’est pas très grande, mais décorée avec goût.

Ça devrait être bizarre de se retrouver côte à côte dans sa salle de bain, brosse à dents fraîchement déballée en main, mais c’est étonnamment plus familier qu’autre chose. La pièce sent un mélange de son parfum et son gel douche et ça me rappelle la formation.

Une fois terminé et toutes les deux démaquillées, elle prend ma main dans la sienne et me guide dans la chambre.

Se retournant, elle me demande :

- Tu dors dans quelle tenue ? Je peux te prêter ce qu’il faut.

Ne résistant pas à la tentation, je rétorque :

- Ma tenue usuelle ne nécessite pas grand-chose, si tu vois ce que je veux dire…

Je m’attends à ce qu’elle rougisse, voire bafouille, mais un flash de la Sasha sûre d’elle que j’ai pu entrapercevoir chez Dom passe dans son regard, avant qu’elle ne secoue la tête et réponde dans un sourire :

- Je suis trèèèès tentée de dire “fais comme chez toi” mais… Tu vois.

L’attirant à moi, je dépose un baiser sur ses lèvres et acquiesce :

- Je vois. Un T-shirt et un short feront l’affaire.

C’est plutôt plaisant la manière dont elle se métamorphose soudainement en femme sûre d’elle d’une minute à l’autre. Comme si la seule chose qui lui faisait défaut avant était le manque de confirmation de mon attirance pour elle.

Pour le coup, je suis bien contente de m’être épilée ce matin. Je ne suis pas sûre que lui offrir un peeling gratuit en frottant mes jambes contre les siennes ne m’accorde beaucoup de faveurs.

Elle se tourne pour farfouiller dans une commode et me tend les vêtements en question :

- Je te laisse te changer, je reviens.

Sasha s’éclipse, éteignant au passage le plafonnier en faveur de la lampe de chevet. Je me prépare rapidement, ayant un peu de mal à réaliser où je me trouve.

Il y a quelques heures encore j’étais persuadée qu’elle me méprisait à moitié et maintenant je me retrouve dans sa chambre, sur le point de dormir avec elle. On ne peut pas dire que je l’avais anticipé !

Sasha revient et je manque de m’étouffer avec ma salive en voyant sa tenue.

Constatant ma réaction, elle baisse les yeux vers son corps, couvert uniquement d’un top et short en soie noire en total contraste avec sa peau claire. L’ensemble n’est pas moulant, mais pas exactement lâche non plus et mon regard semble irrémédiablement attiré par ses seins dont le tissu me laisse deviner les formes.

Gênée, elle trépigne sur place et demande :

- Quoi ? Me regarde pas comme ça, c’est vraiment mon pyjama !

Vous voyez, quand on me dit “pyjama” j’imagine un truc en pilou ou autre matière laide mais confortable, potentiellement affublé de motifs atroces et globalement tue l’amour. Un onesie licorne, ça ça pourrait être un pyjama par exemple !

Mais sa tenue n’entre clairement pas dans cette catégorie !

Je n’ai pas la moindre idée de comment je suis supposée dormir à côté d’elle dans ces conditions. Au niveau de la poitrine, si elle portait un haut en papier-calque j’en verrais moins que là !

Et je peux difficilement lui demander d’aller enfiler une burka sans expliquer pourquoi sa tenue me pose problème : “Bah tu vois Sasha, en ce qui te concerne j’ai la libido d’un garçon de 13 ans, alors si tu pouvais ne pas donner plus de grain à moudre à mon imagination d’ores et déjà débordante, je t’en serais reconnaissante ! ”.

Nan.

Et puis bon, s’il y a bien une chose que je suis, c’est une opportuniste. Si elle est à l’aise à l’idée que mes yeux parcourent ses formes, je ne vais pas m’en plaindre :

- J’ai rien dit ! T’es juste superbe, tu ne peux pas te pointer comme ça et attendre de moi, pauvre lesbienne, que je reste impassible ! On va se coucher ?

Mon compliment est accueilli par un sourire timide.

Semblant se ressaisir, elle prend ma main dans la sienne et marche à reculons en direction du lit, m’attirant à elle jusqu’à ce que nos lèvres se touchent. Je ne remarque même pas que nous sommes toujours en mouvement jusqu’à ce que ses genoux heurtent le bord du matelas. Elle s’assied, se reculant jusqu’à être au centre du lit, tirant légèrement sur ma main pour m’inciter à la suivre.

Je prends une seconde pour apprécier la vue de Sasha en petite tenue, les yeux noirs de désir à la lumière de sa lampe de chevet placée au centre du lit.

Ne voulant pas la faire attendre (ou risquer qu’elle réalise qu’elle ne peut pas me blairer en fin de compte), j’avance à genoux jusqu’à venir chevaucher ses hanches.

D’une seconde à l’autre, la femme timide face aux compliments a totalement disparu, remplacée par une Sasha sûre d’elle et de ce qu’elle veut, qui s’empare d’une pleine poignée de mon t-shirt, m’incitant à la retrouver à mi-chemin dans un baiser où “retenue” n’est qu’un vague concept abstrait.

Elle s’allonge sur le lit, relâchant sa prise pour poser ses mains sur mes hanches, m’encourageant à placer une partie de mon poids sur elle.

Pas besoin de me le dire deux fois.

Je détache mes lèvres des siennes, m’attaquant à son cou. Immédiatement, elle frissonne et glisse une main à l’arrière de ma nuque afin que je continue. Son souffle est déjà erratique et savoir que je suis celle qui l’a mise dans cet état ne me laisse pas de marbre. Elle est extrêmement réceptive à mes attentions et ça m’excite encore plus. Les deux épaisseurs de tissu ne sont pas une barrière très efficace et je peux sentir sa poitrine se presser contre la mienne.

J’ai envie de beaucoup, beaucoup plus, mais me souviens qu’il était question d’attendre un minimum, pas la traiter comme une fille d’un soir avec laquelle je finirais au lit directement.

Fais chier !

D’un côté elle n’a pas l’air de se plaindre que l’on va trop vite, de l’autre je veux vraiment faire les choses bien cette fois.

À contrecœur, je me recule au nom de principes que je ne pensais pas avoir.

Sasha met quelques secondes à ouvrir les yeux, visiblement confuse.

Je me relève, m’asseyant sur elle et priant pour qu’elle comprenne sans mettre ma volonté à plus rude épreuve qu’elle ne l’est déjà :

- On devrait peut-être dormir.

Elle me lance un regard qui signifie clairement “sérieusement ?” et laisse retomber ses bras de part et d’autre de sa tête, étirant son haut et m’offrant une vue sans pareille sur sa poitrine. Mes mains meurent d’envie d’aller se placer dessus, de découvrir ce qu’elle aime, de…

Ok.

Stop.

Allez Héléna, résiste.

Passant ma jambe par-dessus elle, je viens m’allonger à ses côtés, fermant les yeux pour tenter de me calmer.

C’est dingue comme avec elle je peux passer de 0 à 100 en quelques secondes.

Avec les autres nanas, j’ai toujours été en total contrôle. Que ça soit dans l’envie ou l’énervement, je restais maître de moi-même.
Pas avec Sasha.

Peut-être que James était plus dans le vrai que je ne l’aurais cru. Elle évoque des choses en moi avec une force qui est à la fois grisante et totalement terrifiante.

Je la sens se tourner et ouvre un œil, la trouvant accoudée, me questionnant d’un :

- Tout va bien ? On peut arrêter si… Enfin… Je ne veux pas te mettre mal à l’aise.

S’il y a effectivement une sensation inconfortable quelque part entre mes cuisses, c’est justement parce que je suis un peu trop à l’aise !

Ne voulant pas risquer qu’elle interprète mal ma réaction, je préfère m’expliquer :

- J’ai vraiment, vraiment très envie de toi. Mais je veux aussi faire les choses bien. Prendre notre temps. Même si là tout de suite, j’ai du mal à me rappeler pourquoi.

Je détourne la tête, un peu honteuse de mon admission, aussi vraie soit-elle.

Elle place sa main le long de ma mâchoire, m’incitant à venir croiser son regard :

- Hey. C’est ok. On n’est pas obligées de faire quoi que ce soit. Désolée si je t’ai mis la pression. C’est juste…

Elle marque une pause et hausse les épaules, comme si c’était limpide.

Je lui adresse un regard encourageant, voulant qu’elle explique le fond de ses pensées, ce qu’elle finit par faire :

- Pour moi c’est pas d’attendre ou pas qui rendra ça spécial. C’est le fait que ça soit avec toi. Mais je respecte ton choix. T’en fais pas. Je me languirai sans broncher jusqu’à ce que tu sois prête.

Elle m’adresse un sourire compréhensif tandis que je reste bouche bée devant ce qu’elle vient de m’annoncer. Elle est généralement éloquente, mais pour le coup c’est comme si elle savait pile quoi dire.

Minute.

Sasha sent des fesses !

Je la scrute, mais pas de réaction.

Ok, c’est bon, elle ne lit pas dans mes pensées.

Voulant certainement désamorcer l’atmosphère que son aveu suivi de mon mutisme soudain ont engendrée, elle ajoute :

- Juste… Si tu me vois disparaître vite fait dans la salle de bain pendant la nuit ne t’inquiète pas hein !

Ça m’extirpe un rire auquel je ne m’attendais pas du tout et je rétorque d’un ton innocent :

- Mais si tu avais besoin d’assistance ?

Voyant clair dans mon jeu, sa réponse est accompagnée d’un haussement joueur des sourcils :

- Quoi qu’il arrive, ne rentre pas dans la pièce, même si tu as l’impression d’entendre ton nom !

Souriante, je secoue la tête de droite à gauche, un air de “j’y crois pas” sur le visage :

- T’es bête !

Elle m’adresse un clin d’œil et réplique :

- On fait ce qu’on peut !

On passe quelques instants les yeux dans les yeux, à se sourire béatement, jusqu’à ce qu’elle dise d’un ton plus doux :

- Bonne nuit Héléna.

Elle se penche pour me déposer un délicat baiser sur les lèvres, avant d’éteindre la lumière et se décaler pour ne plus être en plein milieu du lit.

Sa présence me manque déjà, alors même qu’elle n’est qu’à quelques centimètres.

Je me sens bête.

Pourquoi j’ai mis le holà ?

Je veux pas m’arrêter !  

Et elle a raison.

Que ça soit aujourd’hui ou plus tard dans la semaine, ça reste Sasha.

Ça fait longtemps que je ne suis plus virginale, il ne s’agit pas d’un cap à franchir, mais d’un assouvissement de mes envies.

Mais bon d’un autre côté si j’y retourne je vais passer pour une girouette…

Hmpf.

J’ai fait mon lit, plus qu’à me coucher dedans… Et visiblement j’ai choisi le côté mouillé !

J’espère qu’elle ne m’en veut pas de l’avoir “repoussée” par deux fois maintenant ?

Nan, elle a plaisanté derrière, on est ok.

Oui, mais si elle décidait que finalement je fais trop d’histoires ?

Souhaitant en avoir le cœur net, je m’approche d’elle et tente un :

- Je peux te faire un câlin ?

Elle se retourne et me fait un sourire :

- Si tu dois demander, tu n’as rien compris à tout ce que je viens de te dire !

Soulagée de constater qu’elle ne m’en tient pas rigueur, je plaisante :

- Oh tu sais, j’ai dû choisir entre un cerveau et la beauté…

D’un mouvement de la main, je termine en désignant mon corps, comme pour signifier ce que j’ai choisi.

Je m’attends à une énième remarque concernant les vertus de la modestie, mais Sasha me surprend en me lançant un “Crois-moi j’ai bien remarqué…” accompagné d’un regard qui me laisse penser qu’elle approuve ce qu’elle voit.

Ne voulant pas surenchérir au risque de retomber dans la spirale infernale, je lui donne une petite tape et me contente de placer mon bras autour de sa taille, soupirant de contentement lorsqu’elle vient se blottir contre moi.

Finalement, c’est un mal pour un bien de vouloir prendre mon temps.

Elle se retourne pour me faire face, nichant son visage au creux de mon cou et déclarant :

- Tu sens bon. J’ai bien choisi.

Au moins, je ne suis pas la seule à renifler l’autre…

- Tu parles de moi comme si j’étais une acquisition au salon de l’agriculture…

Même dans le noir, je l’entends tapoter d’un doigt sur ses lèvres, faisant mine de réfléchir, avant de lancer :

- Maintenant que tu le dis, tu ferais un très beau poney, avec ta crinière soyeuse…

Une (ou quinze) réplique salace me traverse l’esprit, entre des allusions à ma croupe et l’idée de me faire chevaucher, mais j’écoute la voix de la raison et décide de les garder pour moi. Si jamais elle venait à me prendre au mot, ce qu’il me reste de self-control ne suffirait pas à me rappeler ma bonne résolution.

À la place, chassant la main qu’elle avait l’intention d’utiliser pour caresser mes cheveux, je rétorque :

- Je vais choisir d’ignorer l’intégralité de cette conversation et dormir. Bonne nuit Sasha.

Sentant que je souris, elle relève la tête et me dépose un bisou sur les lèvres avant de retourner pile où elle se trouvait.

- Bonne nuit à toi aussi, fais de beaux rêves.

Ohhh ça ça ne devrait pas poser problème...

Ma main vient se poser entre ses omoplates, l’incitant à rester contre moi, bien qu’elle n’ait pas vraiment eu l’air de vouloir s’enfuir. La chaleur de sa peau traverse le tissu et j’ai hâte de pouvoir l’avoir contre moi, sans barrière.

C’est la dernière pensée cohérente que j’ai avant de sombrer.

25 mars 2018

Chapitre 21

À peine rentrées, on retire nos chaussures et Sasha allume la télé, dépliant le canapé-lit afin que l’on puisse s’affaler dans les règles de l’art, avant de s’éclipser. Avant que je ne décide d’aller voir ce qu’elle fait, elle me rejoint sur le canapé, petit pot de Ben & Jerry’s en main et deux cuillères. Le levant, elle me demande :

- Ça te va ?

- Parfait.

On ne met pas longtemps pour se mettre d’accord sur un film, principalement parce que je ne doute pas un seul instant que je vais passer la majorité du temps à regarder son profil, et pour ça n’importe lequel fera l’affaire. Je ne connais même pas le titre, c’est pour dire.

Elle se blottit contre moi et l’on partage la glace à même le pot, un peu comme on pourrait le faire avec une amie après une rupture.  Sa cuillère n’attrape rapidement plus que du vide et elle se penche pour déposer le pot sur la table basse avant de revenir se placer contre moi, les yeux rivés sur l’écran.

La seule source de lumière est le film et mon regard n’arrête pas de retourner se fixer sur elle. J’ai vraiment très envie de l’embrasser.

Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il peut bien se passer à l’écran.

N’y tenant plus, je me décide :

- Sasha ?

Elle tourne la tête dans ma direction et je capture immédiatement ses lèvres. Ne manquant pas un battement, sa main quitte le canapé pour venir dans mes cheveux, appuyant le baiser tandis qu’elle ouvre légèrement la bouche, venant caresser ma langue de la sienne. Lorsque l’on doit se reculer pour avoir un peu d’oxygène, elle lance un regard appuyé qui fait battre mon cœur un peu plus vite et annonce :

- J’ai cru que t’allais jamais te décider…

Hé, c’est un peu facile !

- T’aurais pu  prendre les devants si tu trouvais que j’étais trop longue…

- Ça me va !

Prenant visiblement ma réponse comme un défi, elle place une main sur mon buste, juste en dessous de mon cou et pousse, m’encourageant à m’allonger. Je m’exécute et ne cache pas mon appréciation lorsqu’elle se place à cheval sur moi, prenant quelques secondes pour m’observer d’un air affamé avant de s’abaisser pour reprendre où l’on s’en était arrêtées.

Mes mains vont instinctivement se poser sur ses hanches, pour glisser sur ses fesses quelques secondes plus tard. Sasha place le poids de son corps sur un seul bras tandis qu’elle caresse ma taille de l’autre.

J’aime vraiment la manière dont elle embrasse, la façon dont son corps tout entier semble répondre au baiser, comment elle arrive à m’inciter à poursuivre ses lèvres pour peu qu’elle se recule…

Ses doigts parcourent mon ventre à l’endroit où mon haut s’est soulevé et je peux sentir qu’elle se retient d’aller plus loin, probablement pour respecter mes choix.

Mais ça c’était avant !

J’ai appris de mes erreurs.

Délaissant ses fesses pour venir exercer une légère pression sur son ventre afin qu’elle se redresse et en gardant le contact de ses lèvres le plus longtemps possible, je la suis et m’assieds.

La différence de niveau me place face à son cou et je n’hésite pas un seul instant avant d’y attacher mes lèvres, la mordillant puis l’embrassant.

Ses mains se placent dans mon dos, me plaquant contre elle.

- Héléna ?

Refusant de me détacher d’elle, j’amène ma bouche à son oreille et laisse échapper un :

- Mmhhh ?

M’en prenant à présent à son lobe, je la sens frissonner et effectuer un mouvement de bassin involontaire. Un sourire m’échappe lorsqu’elle se recule pour m’embrasser avec tout ce qu’elle a avant de dire :

- J’ai vraiment très envie de toi…

Me dérobant à ses baisers, je nous fais rouler et me redresse entre ses jambes écartées, juste assez pour retirer mon haut d’un mouvement fluide.

Ses yeux viennent parcourir l’espace dévoilé, le vert n’étant plus qu’une fine ligne autour de pupilles dilatées. Gardant le poids du haut de mon corps sur mon coude, j’attends que son regard retrouve le mien avant de m’emparer de sa main pour la faire glisser sur mon ventre, puis remonter jusqu’à ma poitrine. Nos lèvres se retrouvent à l’instant même où sa main englobe mon sein, mon gémissement d’appréciation étouffé entre nous.

Les jambes de Sasha s’enroulent autour de ma taille, plaquant mon bassin contre le sien. Alors que son autre main passe dans mon dos pour dégrafer mon soutien-gorge, je la sens sourire dans le baiser en voyant que je n’oppose pas la moindre résistance, l’aidant au contraire à m’en débarrasser.

Ne voulant pas être en reste, je me recule et tire légèrement sur son haut, lui faisant passer le message. Il faut absolument que je sente sa peau contre la mienne, et vite !

Sasha me lance un regard brûlant et se déshabille lentement, révélant sa peau centimètre par centimètre. Elle est sur le dos, sa poitrine mise en exergue par son soutien-gorge en dentelle sombre et la manière dont sa respiration rapide la fait se soulever.

Elle est super belle.

Voyant la manière dont je la dévore des yeux, elle me fait un sourire coquin avant de poser son regard sur ma poitrine, l’intensité de ce dernier suffisant largement à faire réagir mes seins. Ayant besoin de plus de contact, je me mets à genoux et amène ma main sur le bouton de son jean, venant capter son regard pour m’assurer d’avoir son accord.

Pour toute réponse, elle soulève ses fesses. Je défais rapidement bouton et fermeture éclair et glisse le vêtement le long de ses jambes, prenant ses chaussettes au passage.

Je m’apprête à me réinstaller contre elle lorsque Sasha dit :

- Le tien aussi.

N’ayant pas l’intention de discuter, je retire tout rapidement sous les yeux de Sasha, ne conservant que mes dessous.

C’est elle qui me les retirera…

Me tournant vers elle, je constate qu’elle est cambrée pour dégrafer son soutien-gorge. Elle le fait glisser le long de ses bras et le jette au loin, souriant devant ma réaction.

J’aime la manière assurée qu’elle a de se dévêtir, ne doutant pas un seul instant de son pouvoir de séduction.

À juste titre.

Passant inconsciemment ma langue sur mes lèvres, je la dévore des yeux. La lumière de la télé la sublime, mettant en avant son ventre plat et les courbes de ses seins, dont les tétons dressés captent mon attention. Elle a les pieds à plat sur le canapé, jambes pliées et lorsque mon regard se porte sur la dernière barrière entre elle et moi, elle écarte légèrement les jambes, dans une invitation silencieuse.

Elle courbe son index dans un mouvement de « viens par-là » et j’avance immédiatement à quatre pattes dans sa direction, plaçant mes cheveux détachés du côté où il n’y a pas la télé afin de pouvoir la voir le mieux possible.  Je fais une pause en chemin, déposant des baisers le long du dernier vêtement qu’il lui reste tandis qu’une de mes mains part à la découverte de sa poitrine. Levant les yeux, je la vois la bouche entrouverte et le souffle court, totalement à ma merci.

Ses seins sont parfaits, ni trop gros ni trop petits, fermes et demandant ma totale attention. Qui suis-je pour refuser ?

Lorsque mes lèvres se referment sur son téton, Sasha glisse ses doigts dans mes cheveux, son dos s’arc-boutant pour tenter d’avoir plus de contact. Souriant, je m’écarte légèrement pour qu’elle puisse voir ma langue sur son corps, reproduisant le même rythme que ma main sur son autre sein.  

Sa prise dans mes cheveux se resserre et elle finit par me guider jusqu’à ses lèvres, un baiser brûlant m’y attendant. Trop occupée à savourer le trop plein sensoriel de sa peau contre la mienne et avant même que je ne m’en rende compte, elle a entremêlé nos jambes et inversé nos positions, me mettant sur le dos.

On continue de s’embrasser, nos mains parcourant avidement le corps de l’autre. Mon cœur bat à cent mille à l’heure et j’ai l’impression que je vais exploser si on ne passe pas rapidement à la vitesse supérieure.

Comme si elle lisait dans mes pensées, sa cuisse vient m’offrir un peu de friction, mon bassin ondulant pour venir s’y frotter. Plaçant ma jambe à sa portée, je ne retiens pas mon approbation lorsqu’elle m’imite, le tissu de son sous vêtement ne dissimulant pas son excitation.

Alors que ses lèvres délaissent les miennes pour aller se poser sur mes seins, j’en profite pour remplacer ma cuisse par ma main, la prenant littéralement au creux de ma paume. Son gémissement est étouffé par ma poitrine mais suffit largement à m’encourager à continuer.

Profitant de la matière relativement élastique, je décale le tissu sur le côté pour venir la découvrir du bout des doigts. Elle est absolument trempée…

Elle marque une pause dans son exploration, fermant les yeux et plaçant son front contre ma peau, ses hanches cherchant plus de contact.

Parcourant son sexe, je vais trouver son clitoris et le caresse, prêtant une attention particulière à la manière dont elle réagit afin de savoir ce qu’elle préfère. La main près de mon épaule se resserre et elle relève soudainement la tête pour m’embrasser. Je réponds avec ferveur, appréciant tout particulièrement la manière qu’elle a de gémir dans ma bouche. Elle se recule pour reprendre sa respiration  et murmure :

- Héléna, j’ai besoin…

Ne m’attardant pas trop sur la manière dont mon prénom sonne lorsqu’elle le prononce, essoufflée alors que je lui donne du plaisir, je comprends ce qu’elle attend de moi et glisse mes doigts un peu plus bas.

La sentant plus que prête, je place deux doigts à l’entrée de son sexe, m’arrêtant un instant pour apprécier la façon dont ses muscles se contractent, essayant de m’attirer à l’intérieur…

Sasha me rappelle à l’ordre d’un mouvement de bassin et je ne perds pas une seconde de plus avant de plonger en elle.

Pour être honnête, je ne suis pas certaine qu’elle soit celle qui ait pris le plus de plaisir. Je la sens se serrer rythmiquement autour de mes doigts et place ma paume contre son clitoris pour y faire pression.

Bien que poussant sur ma main avec ma jambe, je reste limitée dans mes mouvements et plie les doigts à la recherche de son point G. A l’instant même où je le trouve, elle se redresse pour s’asseoir sur ma cuisse, emprisonnant mes doigts en elle.

Elle me regarde, le souffle court et je souris devant la manière dont elle ferme les paupières lorsque je la caresse pile où il faut. Comme pour me torturer, elle mord sa lèvre inférieure et vient placer sa paume sur mon tibia, basculant la tête en arrière et ondulant sur ma main.

Elle est complètement focalisée sur son plaisir, se servant de moi sans chercher d’excuses et c’est ultra sexy. Plaçant mon autre main sur ses fesses, je l’encourage à me chevaucher, à m’utiliser.

Ses mouvements se font plus erratiques, les muscles de son ventre et ses cuisses semblant spasmer. Ne voulant pas qu’elle finisse trop vite, je me redresse et la guide afin qu’elle se décale pour être à cheval sur mes jambes écartées.

Alors que je la maintiens d’un bras dans le dos, ma bouche caresse sa poitrine, prenant son téton entre mes lèvres.

La nouvelle position me donne plus d’amplitude et je fais des allers retours entre ses jambes, la base de ma main venant systématiquement en contact avec son clitoris.

Sasha m’attrape par l’épaule, me serrant contre elle. Comme si j’avais l’intention d’aller où que ce soit !

Basculant à nouveau la tête en avant, son souffle vient caresser mon oreille et je suis aux premières loges pour entendre la manière dont sa respiration semble s’arrêter lorsqu’elle jouit. Je sens tout son corps se contracter, quasi immobile l’espace d’un instant, alors qu’un gémissement lui échappe. Les ongles de sa main laissent certainement des traces en demi-lune sur mon épaule avant qu’elle ne retombe sur moi, s’empalant une dernière fois sur mes doigts, comme vidée de toute énergie.

Après quelques secondes passées à la laisser reprendre son souffle tout en savourant la manière dont nous sommes intimement enlacées, mes doigts toujours en elle, elle m’embrasse doucement.

Se reculant pour me sourire, elle annonce :

- Allonge-toi. J’en ai pas fini avec toi.

 Je lève un sourcil devant son assurance, n’hésitant pour autant pas le moins du monde à lui obéir. D’ordinaire je ne suis pas du genre à accepter que l’on me donne des ordres, mais si elle ne me touche pas rapidement je risque de mourir de frustration et la question ne se posera plus.

Une fois le dos à plat sur le canapé, je garde ma main immobile alors qu’elle se retire, mon regard ne manquant pas une miette de la scène. A la vue de mes doigts recouverts des preuves de son plaisir, j’ai déjà envie de recommencer. Ça risque d’être problématique cette histoire, dans le genre cercle vertueux…  

Sasha se redresse sur des jambes visiblement en coton et retire son pauvre sous-vêtement, que je m’étais contentée d’écarter du chemin et qui n’a pas dû apprécier l’expérience autant que moi. Je n’ai pas le temps de me demander où il atterrit que ses doigts s’attachent à me débarrasser du mien.

Le contact de l’air frais sur mon sexe est à la fois un soulagement et un supplice, me permettant de mieux apprécier à quel point elle m’affecte et l’état dans lequel je suis…

Ses yeux se posent sur mon entrejambe et à l’instant où sa langue parcourt ses lèvres, je sais ce qu’elle a l’intention de faire. Elle me guide jusqu’au bord du canapé tandis qu’elle attrape l’un des coussins pour le mettre au sol, plaçant ses genoux dessus. Elle s’installe dos au téléviseur, entre mes jambes écartées et même à contre-jour, le désir dans son regard est évident.

Approchant la table basse, elle m’encourage à placer mes pieds dessus, tandis qu’elle dépose un baiser à l’intérieur de mon genou.

Elle se rapproche de l’endroit où j’ai besoin d’elle, un bisou à la fois, me soumettant à un doux supplice. Alors que mon attention est captée par sa bouche, sa main gauche passe à l’intérieur de ma cuisse et descend jusqu’à ce que son pouce fasse pression sur mon clitoris. Je lutte pour garder les yeux ouverts et suis récompensée en voyant Sasha tourner la tête, m’adresser un sourire en coin avant de décaler sa main pour passer lentement sa langue le long de mon sexe.

- Ohhhmhh.

Son regard ne quitte pas le mien, le contact étant uniquement rompu lorsque ses lèvres entourent mon clitoris et que je ferme instinctivement les paupières.  

OMG.

Entre les sensations et le visuel, c’est presque trop.

Ayant peur que l’une de mes mains ne vienne se placer à l’arrière de sa tête sans que je m’en rende compte et ne sachant pas comment ce genre de geste serait pris, je les amène à ma poitrine, me caressant sous les yeux de Sasha.

Si je me demandais si elle avait déjà eu une expérience avec une femme, je viens d’en avoir la confirmation. C’est impossible qu’elle sache autant ce qu’elle fait lors de sa première fois.

Sa langue fait des merveilles et si elle continue comme ça, je vais avoir fini d’ici quatre secondes environ. Je n’ai aucun souvenir d’une discussion durant laquelle je lui aurais parlé de mes préférences en la matière, mais elle a dû avoir lieu pour qu’elle sache pile ce qu’il faut faire.

Sasha se recule pour m’observer et je n’ai pas le temps de me plaindre de la chose qu’elle glisse un doigt en moi. Elle est plus basse et l’angle fait qu’elle vient appuyer pile au bon endroit à chaque va et vient. Sans que je ne contrôle quoi que ce soit, mes hanches vont à la rencontre de sa main suivant le rythme qu’elle impose.   

Très vite, elle place son avant-bras en travers de mon bassin me maintenant et se servant de son pouce et index pour exposer mon sexe tandis que sa langue retourne à son poste.

Je ne suis pas silencieuse du tout mais elle aime visiblement cela si j’en crois la manière dont elle gémit contre moi, ajoutant de délicieuses vibrations à l’expérience.

Mon corps commence à se contracter de lui-même et j’aurais presque honte de jouir si vite si ce n’était pas si bon. Finalement, c’est le fait de croiser son regard qui va déclencher mon orgasme, toute la retenue du monde ne suffisant pas à empêcher ma main de se poser sur ses cheveux, comme pour lui indiquer de ne surtout pas s’arrêter.

Elle m’accompagne de sa langue et ses doigts jusqu’à ce que je me recule, trop sensible pour l’instant. Se relevant, elle me rejoint tandis que j’essaie de réunir ce qu’il me reste de forces pour me déplacer de sorte à ne plus avoir les jambes dans le vide.

J’ai super soif, du mal à reprendre ma respiration et des fourmis dans les jambes mais niveau moral je pète la forme !

Me laissant un moment pour récupérer, elle dépose des baisers dans mon cou alors que je regrette profondément mes choix de vie :

- Si j’avais pas voulu attendre, j’aurais pu connaître ça plus tôt ?

Elle rit à proximité de mon oreille, me faisant frissonner de plus belle, avant de répondre :

- Mhhh mhhh.

- Plus qu’à rattraper le temps perdu…

La prenant par surprise, j’inverse nos positions, ne voulant pas être sur le dos pour rester libre de mes mouvements. Je l’embrasse et parcours son corps de ma main, alternant entre caresses légères et appuyées.

J’avais l’intention de prendre mon temps mais ma patience n’est plus ce qu’elle était, tant est si bien que je fais glisser ma main le long de son ventre puis entre ses cuisses. Je suis accueillie par la preuve qu’elle n’a pas fait semblant d’aimer s’occuper de moi. Reculant ma main, je mordille ma lèvre devant la manière dont mes doigts luisent, ce qui extirpe un « Héléna… » plaintif à Sasha, plaçant une main dans mes cheveux et voulant certainement que je passe aux choses sérieuses.

Me penchant pour l’embrasser, je m’empare de ses doigts et les guide vers son sexe, voulant qu’elle réalise à quel point elle est trempée. Relevant ma tête, j’amène ses doigts couverts de son essence à ma bouche, m’assurant de capter son regard alors que je passe ma langue le long d’eux avant de refermer mes lèvres autour.
A la manière dont elle me regarde, si je veux avoir mon tour, j’ai plutôt intérêt à me dépêcher de passer à l’action. Je recule sa main et la pose sur le canapé, descendant le long de son corps jusqu’à avoir mes épaules entre ses cuisses et son sexe en ligne de mire.

Nous ayant toutes les deux fait attendre, je me penche immédiatement, la découvrant de ma langue. Il n’est pas question d’y aller de manière tentative, je veux qu’elle sente que je suis là, qu’elle ne puisse plus se focaliser que sur moi, qu’elle se sente possédée par la manière dont je la parcours.

A en juger par sa réaction, c’est le cas. Je souris devant les sons que j’arrive à lui extirper, aimant la manière éhontée qu’elle a de me faire savoir ce qui lui plaît.

J’amène mes mains sous ses fesses pour l’aider à soulever son bassin alors qu’elle cherche plus de contact et profite de l’occasion pour plonger ma langue en elle. Ses muscles se contractent autour de moi et sa main file à l’arrière de ma tête, me maintenant en place. Excepté pour la pénétrer encore et encore, bouger est la dernière des choses qui me serait venue à l’esprit, bien trop contente d’être à la source de son plaisir et qu’elle me laisse la dévorer de la sorte. C’est un peu dur de respirer mais la manière dont elle alterne entre gémissements et halètements en vaut largement la peine.

Sentant qu’aussi agréable que ça soit, ça ne suffira pas, je me recule juste assez pour m’en prendre à son clitoris. Libérant mes mains, j’attrape un coussin et le mets sous ses fesses, la voulant offerte devant moi. Immédiatement, mes doigts entrent en elle et reproduisent le rythme imposé par ma langue. Cette fois, la position me permet d’avoir plus de puissance et sa main quitte ma tête pour s’agripper au canapé, son bassin accompagnant mes mouvements. Je sens qu’on approche très rapidement de son point de rupture et essaie de mémoriser chaque détail. Son regard noir posé sur moi, sa poitrine qui se soulève au rythme de sa respiration rapide,  la manière dont ses muscles enserrent mes doigts à chaque pénétration, les sons qu’elle laisse s’échapper…

Elle jouit presque trop tôt à mon goût. Je l’accompagne dans son plaisir, voulant le faire durer le plus possible. Lorsque sa main repousse délicatement mon front, je me recule à contrecœur, le visage recouvert de son envie et avec la ferme intention de recommencer dès qu’elle aura récupéré.

Qu’est ce qui m’a pris de vouloir attendre… ?

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J’ai à peine passé la porte des bureaux que je croise le regard de Sasha, qui, profitant d’être dos aux collègues, m’adresse un sourire en coin avant de demander :

- Bonjour Héléna. Tu as passé un bon week-end ?

Elle sait très bien comment il s’est passé.

Au lit, avec elle.

Tandis qu’elle me fait la bise la plus lente de l’univers, je décide de profiter du fait qu’elle ne pourra pas répondre sans nous griller pour la taquiner :

- Ça peut aller merci. J’ai connu mieux. Et toi ?

Garder ma poker face est très dur lorsqu’elle ouvre la bouche de surprise, un air offusqué fermement en place sur le visage. Ça devient quasi impossible lorsque je m’approche pour saluer la comptable et que Sasha me file une tape sur les fesses en représailles.

Si la reine des chiffres trouve bizarre le petit spasme que je semble avoir, elle ne le relève pas.

- Ça peut aller également, rien de spécial.

La petite pouf. Faisant semblant de m’intéresser aux autres personnes autour de la machine à café, je demande :

- Et vous les filles ?

J’avoue, je n’écoute pas tellement leurs réponses, trop occupée à dissimuler mon sourire en voyant que Sasha choisit d’appuyer ses fesses sur la chaise de bar plutôt que de s’y asseoir.

Je me demande bien pourquoi.

Mon attention est attirée par Dom qui arrive avec un grand sourire aux lèvres :

- Hey Héléna. Alors c’est le grand jour ?

Oui, on va avoir le résultat du concours et s’il espère entrer dans mes bonnes grâces avec le sourire le plus flippant de l’univers c’est raté !

- Oui. J’ai hésité à venir avec une chemise hawaïenne mais je me suis dit qu’il serait cruel de remuer le couteau.

Le sourire de Dom s’agrandit, comme s’il s’avait quelque chose que j’ignore, mais mon tour de table pour trouver des indices m’indique que personne ne sait quel est son problème.

Ils annoncent d’ici 2 minutes, venez !

S’emparant de nos poignets, il traîne Sasha et moi jusqu’à son bureau.

Il est trop joyeux. Ça cache quelque chose.

On le suit et là, comme de fait exprès, m’attend son écran tourné en direction de la porte avec les résultats du concours. Je ne sais pas comment il les a obtenus mais peu m'importe ! 

Les yeux écarquillés, je me rue à proximité pour lire les consulter.

Avec un peu de bol ils vont me payer le champa-

Non.

Mais non !

- J’y crois pas…

Dom est plié en deux, se tenant le ventre et arrivant à peine à respirer.

Sasha me tapote le dos de sa main dans un geste de réconfort bien malvenu. Immédiatement, je plisse les yeux et me retourne lentement vers elle…

- Toi…

Elle cesse instantanément tout contact et l’air coupable qu’elle essaie d’adopter est largement entaché par le sourire qui menace de gagner ses lèvres. 

- C’était vraiment un gros contrat !

- Tu m’as abandonnée des jours entiers pour EN PLUS me voler la première place du concours ?

Elle lève un doigt pour m’interrompre et précise :

- Je n’irais pas jusqu’à dire voler…

Ne l’écoutant même plus, je lève les bras au ciel et m’exclame :

- Nan mais la blague quoi !

Cette fois-ci, son sourire est bien en vue lorsque ma collègue demande :

- Ça ne faisait pas référence à autre chose ça ?

Lui lançant un regard entendu, je me contente d’un :

- Très drôle…

Gontrand nous appelle dans la salle de réunion, certainement pour nous annoncer les résultats, ayant comme d’habitude un train de retard.

- J’en ai pas fini avec toi Sasha…

Me laissant sortir de la pièce avant elle, je la sens me pincer les fesses tandis qu’elle rétorque :

- J’espère bien. Si t’es sage je te laisserais peut-être m’accompagner, il paraît que c’est un voyage pour deux…

- Nan mais… La blague quoi !

FIN

 

PS : si vous avez aimé, commentez, ça motive vraiment à continuer et c'est tout ce que je demande ! (Comme ça je n'aurais pas l'impression d'avoir fait tout ça pour rien !).

PS 2 : svp, n'essayez pas de vous approprier mes écrits, non seulement ça devient lassant, mais ça m'encourage à ne plus les partager gratuitement. Et accessoirement si je pouvais m'éviter un voyage au tribunal, ce serait cool.

PS 3 : par contre pour les commentaires y a pas de limite hein... Même si vous n'avez pas aimé mais avez lu jusqu'au bout par masochisme, ça m'intéresse, tant que c'est constructif ! Bon ok, j'arrête d'insister (mais quand même un peu !). 

 

Un grand merci à VOUS (vous vous reconnaîtrez) qui avez pris la peine de commenter à chaque update, c'était vraiment génial de savoir ce que vous pensiez de l'histoire au fur et à mesure et de discuter de vos impressions, vous assurez ! 

18 février 2018

Chapitre 2 (ok j'ai pas trop prévu les chapitres j'avoue...)

Prenant une bouchée de mon sandwich, je mâche à peine avant de continuer sur ma lancée :

- N’empêche que je ne trouve pas ça cool pour nos clients. Je viens de changer de secteur, j’ai mieux à faire que d’annuler des rendez-vous. Et autant dire qu’on peut dire adieu à la perspective de gagner le concours, on va perdre notre avance c’est sûr.

Dom grimace et marmonne :

- M’en parle pas. Ça me gonfle. Mais il y a moyen qu’on passe du bon temps !

Euh… On ne doit pas avoir la même notion de « bon temps ».

Rien qu’en apercevant ma tête, il doit savoir ce que j’en pense puisqu’il soupire et joue sur la corde sensible :

- Vois le verre à moitié plein, tu profiteras de ma compagnie sur plusieurs semaines.  En plus, mon petit doigt m’a dit qu’on va tous vivre ensemble.

- PARDON ?

Il me sourit de toutes ses dents et frétille des sourcils d’un air lubrique :

- Si tu y tiens, on pourra se doucher en même temps pour économiser de l’eau et satisfaire ton côté écolo.

Reposant mon sandwich à moitié terminé, je m’exclame :

- Ok, cette conversation, comme mon appétit, vient de prendre fin.

- Je déconne pour la douche, sauf si tu insistes, mais pas pour la partie colocation.

Passant ma main sur mon visage, je demande :

- Fais-moi rêver, il y aura qui d’autre dans cet appart ? Et j’ose espérer que l’on a au moins des chambres séparées, t’entendre ronfler à travers le mur sera déjà un test pour ma santé d’esprit, il est hors de question que je me rende là-bas si c’est pour subir une ambiance colonie de vacances en sus.

- James….

Cool. Je m’entends à merveille avec lui. Il est super intelligent, nous le rappelle à loisir, a zéro filtre et n’hésite pas à glisser des remarques putassières bien placées. Ah, et aussi on était inséparables à l’école d’ingénieur, les meilleurs amis du monde. Je ne le vois plus très souvent, sans qu’il y ait une raison à cela, mais dès qu’on se revoit, il y a cette familiarité.

- et Sasha.

De mieux en mieux.

Inutile d’en remettre une couche sur ma collègue, il sait ce que j’en pense.

Ça me paraissait difficilement possible, mais plus ça va, moins j’ai envie d’y aller.

- Nan mais sérieux, il n’y a pas un autre moyen de nous filer les infos ? Autre que nous faire perdre notre temps ?

Dom écarquille les yeux et me fait signe de me taire.

Regardant dans le reflet de la fenêtre, j’aperçois effectivement Gontrand en train de rôder autour de nous telle une mouche à merde cherchant un endroit où atterrir.  

Inutile de tenter ma chance. Je me lève et me mets en route en lui lançant par-dessus mon épaule :

- On en parlera plus tard. 

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 Le silence dans la voiture dure un peu trop longtemps pour être confortable. Lorsque Rachel prend la parole, je sais à son ton que notre discussion ne risque pas d’être plaisante :

- J’ai quelque chose à te dire.

Retenant le soupir qui menace de s’échapper, je réponds :

- Je t’écoute…

- Je…

Elle s’arrête, inspire un grand coup puis reprend nerveusement :

- J’ai rencontré quelqu'un.

- Oh…

Mon cœur m’indique qu’il n’apprécie la nouvelle que modérément.

Ça fait plus mal que je ne l’aurais cru.  

Je n’ai pas de sentiments amoureux pour Rachel, juste beaucoup de tendresse, mais c’est en grande partie parce que j’étais persuadée qu’avoir plus n’était pas envisageable avec nos emplois du temps respectifs. Je ne me les suis jamais autorisés.

Elle garde le silence pendant quelques minutes, me laissant digérer ce qu’elle vient de me dire, avant de reprendre la parole, les yeux fermement ancrés sur la route :

- Je l’ai croisée au labo,  elle -

Je lève une main pour la faire taire.

- S’il te plaît, pas maintenant. Je suis contente pour toi, tu le mérites.

Voyant qu’elle me regarde, je lui fais un brave petit sourire.

C’est sincère.

Mais ça fait mal de réaliser que contrairement à ce que je pensais, elle semble pouvoir trouver le temps pour une relation, juste pas avec moi.

- J’espère qu’elle te rendra heureuse.

Je préfère parler au futur, ne voulant pas savoir si c’est déjà fait.

C’est une fille bien et j’apprécie qu’elle me l’annonce en face, même si la voiture me rend un peu claustro.

Sa main lâche le levier de vitesse, se pose sur mon genou et vient serrer dans un geste de soutien.

- Il ne s’est rien passé, je ne sais même pas si elle est intéressée par les femmes, mais je…  j’aurais l’impression de te tromper.

J'essaie de retrouver ma voix pour lui rappeler que l’on n’est pas en couple et qu’elle ne me doit pas d’explications… D’un autre côté, j’apprécie qu’elle m’en donne. Après tout, elle s’inflige cette « rupture » par correction envers moi.

- Je ne voulais pas te l’annoncer comme ça, mais je ne m’y attendais pas et avec ton départ précipité…

Elle arrête la voiture et se tourne vers moi, me laissant apercevoir les larmes au bord de ses yeux.

- Je comprends. Merci.

Je me penche, hésite un instant puis place ma main sur sa joue, essayant de mémoriser la sensation alors que je dépose un baiser sur ses lèvres pour la dernière fois.

Ouvrant la portière, je me dirige vers le coffre où je retrouve Rachel, regardant partout sauf là où je me trouve. Ça n’a pas l’air facile pour elle non plus.

Elle se jette dans mes bras et me serre fort contre elle. Pas besoin de mots pour échanger un moment.

Me détachant à contrecœur, j’ouvre le battant et récupère ma valise.

- Envoie-moi un message pour dire que tu es bien arrivée ?

J’acquiesce d’un mouvement de tête et lui dépose un baiser sur la joue, sûrement trop prolongé, mais peu importe.

On se regarde dans les yeux une dernière fois dans un au revoir silencieux et après un petit sourire je fais volte-face, m’engouffrant dans l’aéroport au pas de course.

Hors de question qu’elle voie mes larmes et culpabilise de vouloir être heureuse.

Je rejoins Dom et m’efforce d’avoir l’air aussi naturelle que possible.

- Aux revoirs difficiles avec ta Rachel ?

Je sais que c’est injuste envers lui, mais entre cette formation que je n’ai pas envie de faire et ça, j’ai bien l’intention de m’épargner ses taquineries :

- Elle vient de m’annoncer qu’elle veut être la Rachel d’une autre.

Passeport en main, je me dirige vers l’enregistrement, ignorant l’air choqué de mon collègue.

Oh que le voyage commence bien...

Se faire “larguer” un lundi à 4h32 du matin alors qu’on va prendre l’avion pour passer une formation de merde à l’autre bout du monde n’est pas ce que j’aurais choisi si j’avais dû décrire la meilleure manière de débuter ma semaine.

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Ah bah ça je ne m’y attendais pas le moins du monde !

James vient d’ouvrir la porte de notre appart et je ne peux que constater que l’espace de vie est immense. Le salon et la cuisine à l’américaine ont l’air très conviviaux, tout comme le petit fauteuil inclinable qui va bientôt porter mon nom.

Les choses s’améliorent.

Bon faut dire qu’avec mon humeur plus que charmante pendant les 10h d’avion, tout le monde a bien compris qu’il était préférable d’être gentil avec moi au risque de subir une mort lente et douloureuse.

Oubliant toute notion de galanterie, Dom se rue à la découverte du couloir à gauche de la pièce à vivre, le plus proche de la porte d’entrée, suivi de près par James.

Sasha me regarde, soupire et entreprend de trainer les valises de mes collègues à l’intérieur.

Elle est toute mince alors c’est plutôt marrant de la voir s’attaquer à des objets qui font deux fois sa taille.

Quant à moi je m’occupe de la mienne et pas une de plus. Avec un peu de bol, elle va se ruiner le dos et partir loin, très loin, pour ne revenir JAMAIS !

Les garçons rebroussent chemin en courant et s’emparent de leurs bagages, sans même un merci pour le mulet, ce qui me laisse penser qu’ils ont trouvé les chambres.

Je les suis et ne peux que constater que ces salopards ne se mouchent pas du coude. Le couloir présente trois portes : deux chambres et la salle de bain en face.

Pas dégueu.

Mais ça veut dire que je vais devoir partager un espace nuit avec Sasha.

Oh joie.

Oui, c’est plus logique étant donné que nous sommes toutes les deux des nanas.

Mais durant les quatre fois où j’ai été dans l’obligation de lui adresser la parole pour raisons professionnelles, je n’avais strictement AUCUN point commun avec elle.

Du coup, c’est un peu dommage sachant que James et moi on se connaît par cœur et qu’avec Dom on s’entend bien….

Tant qu’il reconnaît mon ultime suprématie bien sûr.

D’un autre côté je n’ai pas envie de l’entendre ronfler ou pire, se taper une nana !

Alors qu’un frisson de terreur me parcourt à cette idée, je réalise que finalement ce n’est pas plus mal.

Le bon côté des choses, c’est que si Sasha est aussi coincée dans la vie qu’au boulot, je ne risque pas d’avoir des nuits agitées à cause de son tapage nocturne. C’est plutôt elle qui viendra me demander de faire moins de bruit en respirant, car elle n’arrive pas à dormir. Le tout à 21H.

Repassant par le salon, j’attrape ma valise et me dirige vers le couloir identique du côté opposé.

Nous prenons chacune une chambre et je ne peux m’empêcher de penser que ça va être bizarre de vivre avec eux. Je n’ai pas envie de les voir H24.

Même pas la moitié du temps à vrai dire…

Nous avons croisé d’autres collègues dans l’immeuble, l’entreprise a dû louer plusieurs apparts. Je prie secrètement pour qu’ils ne nous invitent pas à passer du temps avec eux tous les soirs. 

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Luttant pour garder les yeux ouverts, je suis persuadée que la marque de mes phalanges est imprimée sur ma joue.

Notre formateur sait de quoi il parle, mais sûrement un peu trop. Il nous abreuve de termes techniques et part dans des digressions sauvages à chaque fois que quelqu’un lui demande de réexpliquer un concept.

Autant dire que l’on n’avance pas.

Je ne sens plus ma jambe droite et le décalage horaire m’éclate totalement.

Bon, peut-être aussi que je dors mal à cause de cette histoire avec Rachel…

D’autres n’ont pas ce même problème apparemment puisque Sasha place une main sur ma cuisse et se penche pour me murmurer à l’oreille :

- Regarde Dom.

Je jette un regard glacial à sa main, ce qui l’incite à la retirer.

Comme quoi elle comprend des choses quand elle veut.

Elle ne peut pas s’occuper à conserver son statut de première de la classe et me laisser pioncer tranquille ?

Hier elle était au premier rang, bien loin de moi. D’ailleurs à la pause j’irais dire deux mots aux crétins qui ont piqué sa place, hors de question qu’elle prenne ses aises. En plus ce salopard de James s’est décalé pour qu’elle se retrouve à côté de moi, m’adressant un sourire amusé au passage. Traître.  

N’ayant même plus la force de parlementer, je lève les yeux vers mon collègue, en grande discussion avec… Alycia je crois.

Oh non. Par pitié. Faites qu’elle ne soit pas jalouse. J’ai pas l’énergie pour ces conneries :

- Ben quoi ?

- Il l’aime bien.

J’ai très envie de dire qu’elle a des organes génitaux féminins et qu’elle entre donc forcément dans ses critères, mais c’est uniquement parce que je suis de mauvais poil. Dom est un mec bien.

- Et ?

Le regard vert de Sasha croise le mien, avant de scruter les alentours comme pour s’assurer que personne ne nous épie :

- Je l’aime bien.

Oh boy. Ça y est, ça commence.

Je savais bien qu’elle était zinzin, mais si elle a l’intention de piquer des crises alors même qu’ils ne sont pas ensemble, c’est encore pire que ce que je croyais !

Et puis je ne sais pas ce qui peut lui laisser présumer que j’ai la moindre envie d’être sa confidente, mais elle s’est plantée en beauté. Il est plus probable que je sorte un jour dans la rue affublée d’une combinaison léopard en lycra et de moon boots rose fluo que je ne la branche avec mon ami.

Fort heureusement, elle continue, me corrigeant :

- Et je pense qu’ils seraient mignons tous les deux.

Alors là, elle capte mon intérêt. Sourcils haussés, je jette un nouveau regard à mon poulain.

Œil vif, sourire béat… Ouep, pas de doute il est sous le charme. 

Me tournant vers elle, j’essaie de dissimuler mon mépris et annonce :

- Je t’écoute…

- Ça t’intéresse de jouer les entremetteuses avec moi ?

C’est nécessaire ?

Enfin, je veux dire… J’aime beaucoup Dom, mais est-ce que je l’apprécie au point de faire un pacte avec le diable pour son bonheur ? Est-ce que je suis disposée à m’infliger la présence de Sasha pour le rendre heureux ?

Je le regarde du coin de l’œil et prends ma décision en voyant son air joyeux.

Soupirant afin qu’elle ne se fasse pas d’illusions quant à l’amour que je lui porte, je demande :

- … Mhhh. J’en suis. T’as un plan ?

Elle me fait un sourire malicieux et répond :

- Des idées… Je connais déjà pas mal Alycia et ses goûts. Mais je ne m’en fais pas, je suis sûre qu’on va faire une équipe d’enfer.

Levant les yeux au ciel, je parviens à retenir mon « c’est le cas de le dire », mais pas à étouffer mon envie de revenir sur ma décision.

Dom va m’être TELLEMENT redevable et ne le saura même pas. La vie est injuste. 

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La soirée de bienvenue se déroule comme prévu,  mon poulain étant en grande discussion avec Alycia tandis que Sasha et moi interceptons avec brio tous les collègues qui tentent d’aller leur parler au moment de l’apéro. J’ai émis l’idée que l’on se sépare, soit-disant pour couvrir plus de terrain, mais c’est surtout pour qu’elle garde ses distances.

Plus elle se trouve loin, mieux je me porte, d’autant qu’elle à la fâcheuse tendance à être tactile ce qui me donne envie de lui refaire sa dentition afin de lui expliquer la notion d’espace vital. J’ai entamé un début de syncope quand elle m’a attrapée par le bras un peu plus tôt, entrelaçant le sien comme si l’on était deux collégiennes dans la cour de récré.

Croisant le regard émeraude de ma complice qui feint de s’intéresser à ce que raconte Timothée, je l’observe lever son verre discrètement, l’air de toaster, avant de faire un signe de tête en direction de Dom.

Refusant de la gratifier d’un sourire, j’observe néanmoins mon collègue.

De ce que j’en vois, il se débrouille bien, la petite blonde est tout sourire et rit à ses blagues. Pour avoir subi ses tentatives d’humour un nombre incalculable de fois, je peux vous dire qu’elle l’apprécie, c’est la seule explication possible.

En plus de l’opération « interception », Sasha et moi avons discrètement échangé les cartons sur les tables de sorte à nous retrouver tous les quatre. Avec ça, il aura le champ libre !

Je pensais que notre furtivité était maximale, mais à peine Alycia s’éclipse-t-elle pour aller aux toilettes que Sasha et moi sommes traînées manu militari dans un coin de la salle par Dom.

- Je peux savoir à quoi vous jouez ?

Si j’ignorais à quel point elle est en train de mentir, je pourrais être bernée par l’air totalement innocent de Sasha :

- Pardon ?

- Vous deux... qui… conspirez soudainement.

Étant donné qu’on est proches, je préfère ne pas m’exprimer de peur qu’il me prenne en défaut et laisse ma collègue déformer la vérité :

- Tu vois le mal partout. On a juste discuté hier soir avant de retourner dans nos chambres et en fait elle n’est pas si terrible que ça.

Elle place son bras autour de mon épaule et j’ai toutes les peines du monde à me retenir de la repousser comme si elle était en feu, alors autant dire que si j’espérais vendre notre nouvelle relation amicale je peux repartir.

Connaissant mon amour pour elle, Dom me regarde l’air de dire “sérieusement ?” et exige :

- Vous avez deux secondes pour m’expliquer de quoi il retourne !

Sasha s’apprête à replonger dans la mythomanie, mais je sais qu’il n’y a aucune chance qu’on s’en tire à si bon compte, alors je décide de cracher le morceau :

- On a prévu de te vendre comme jamais auprès d’Alycia, te rendre irrésistible alors même que tu ronfles comme un sonneur et as du poil plein le dos.

- Hey, j’ai pas de poil au dos !

- Peut-être, mais j’ai pas menti pour les ronflements. Bref. Toujours est-il que tu es notre toute dernière œuvre caritative.

Il me lance un regard noir :

- Tu sais ce qu’elle te dit l’œuvre caritative ?

Sasha tente de désamorcer la situation avec humour ou de m’enfoncer, je ne suis pas sûre :

- Merci ?

Fort heureusement, nous sommes sauvées par le retour d’Alycia :

- Hey. On va s’asseoir ? Ils ne devraient pas tarder à servir le dîner.

Nous lui faisons tous trois un immense sourire et la suivons jusqu'à notre table. Sur le chemin, j’esquive avec brio le croche-pied que tente de me faire Dom, mais pas son coup de coude dans les côtes.

Aïe ! Ce n’était même pas mon idée et c’est moi le bouc émissaire ! Je savais bien que cette nana n’apporterait que des mauvaises choses !

Me glissant à côté de Sasha, je fais mine d’ignorer les promesses de violences futures que m’envoie Dom à travers son regard.

Alors que j’amène un verre d’eau à mes lèvres, Alycia prend la parole pour taper pile là où ça fait mal, la seule faille dans notre plan diabolique :

- Sasha , j’ignorais qu’Héléna et toi êtes amies.

Ce serait l’occasion rêvée pour expliquer qu’il s’agit d’un récent développement, car le fait que je peux difficilement la piffrer n’est pas le secret le mieux gardé de l’univers, mais non, elle choisit l’option douloureuse.

Sasha se frappe le front de la paume, l’air de dire « mais oui suis-je bête » et nous enfonce davantage :

- On est comme ça.

Elle montre ses doigts croisés et je n’ai pas l’air d’être la seule étonnée par cette nouvelle, m’étouffant dans mon verre en entendant ça. Elle est culottée, on peut lui laisser ça.

Tellement qu’elle ressent le besoin de se justifier, tout en me tapotant le dos :

- Nan je plaisante. Disons qu’on a décidé de mettre nos différends de côté le temps de la formation. Après tout, nous sommes ici pour apprendre sur le plan technique, mais j’ai cru comprendre qu’on allait avoir droit à des ateliers « esprit d’équipe ».

Profitant du grognement de dépit que tout le monde lâche à cette idée et voulant confirmer sa version tout en détournant le sujet,  je prends la parole :

- C’est sûrement pour ça que la direction nous a même mis dans le même appart. D’ailleurs, je ne savais pas que tu connaissais Dom.

M’adressant à mon collègue,  j’ajoute :

- Petit cachottier.

Il me fait un sourire charmeur et précise :

- J’ai eu la chance de faire connaissance avec Alycia lors du forum de l’an dernier.

Celle qu’il essaie de séduire lui administre une petite tape qui me laisse penser que l’intérêt que Dominique lui porte n’est pas à sens unique…

Au moins, je n’aurais pas donné de ma personne pour rien.

À ce rythme, à ma mort je serai canonisée.

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J’engloutis mon 6ème daiquiri de la soirée et c’est pile assez pour m’aider à oublier à quel point ma vie est merdique.

Mes pensées retournent (comme souvent en ce moment) vers Rachel et même si ça me fait chier, j’espère que son histoire va marcher.

J’aimerais juste que la même chose puisse m’arriver.

Étant donné que je n’ai pas l’intention d’aller me dégoter une copine à l’autre bout du monde, pour ce soir du sexe facile m’ira très bien.

Ne dites rien à ma mère.

Ça fait un moment que je n’ai plus fait ça, heureusement ce n’est pas écrit sur mon front. C’est comme le vélo non ?

Sûrement par fait exprès, Dom nous a emmenés dans un bar gay friendly. Quand on y pense, c’est une bonne idée de sa part. Ça lui permet de voir si Alycia n’est pas homophobe (ce qui serait un problème parce que hello, énorme lesbienne ici présente !) tout en s’évitant une trop forte concurrence masculine.

En plus, j’avoue qu’il y a un effet secondaire hilarant qui n’est pas pour me déplaire.

James et Sasha sont tellement collés l’un à l’autre que si je ne les avais pas rencontrés séparément je jurerais qu’ils sont siamois.

Soit ils ont développé une amitié fulgurante, soit sœur sourire a peur d’attraper les spores gay traînant dans l’air !

Pff.

J’ai presque envie d’aller lui souffler dessus, rien que pour voir la panique que ça créerait.

Oui, il est possible que tous les deux aiment juste danser, mais je préfère mon idée. 

Me retournant, je scanne le bar bondé à la recherche de la jolie brune dont je n’arrête pas de croiser le regard.

En temps normal, je m’inquièterais d’être trop saoule pour faire la conversation, mais au vu de la manière dont elle me dévore des yeux, je pense que ce ne sera pas nécessaire.

Et en effet…

10 minutes plus tard, nous sommes dans un coin un peu plus sombre, collées l’une à l’autre. Ses lèvres ont le goût de tequila et nous savons toutes les deux comment va se terminer la soirée.

Elle m’a indiqué son prénom, mais je ne m’en souviens plus, non pas que ça ait la quelconque importance. L’urgence dans nos baisers me laisse penser qu’il ne va pas être question de se murmurer des mots d’amour à l’oreille.

Ses mains parcourent mon corps, ne rencontrant pas la moindre résistance de ma part. C’est pile ce dont j’ai besoin.

Ne voulant pas être en reste, j’entame à mon tour la découverte de ses formes. Sa silhouette toute en courbes est à l’opposé de celle de Rachel et…

Et merde.

Arrête de penser à ça Héléna.

Plaquant quel-que-soit-son-nom contre le mur, je place ma bouche dans son cou, espérant que son odeur différente de mon « ex » évite à mes pensées de me torturer une fois de plus à l’idée de celle que je n’ai pas su retenir.

Sa main glisse sous mon haut, caressant mes abdos et créant des frissons avec ses ongles. J’ai totalement zappé la compagnie de mes collègues comme notre possible auditoire et suis ramenée à l’ordre de la manière la plus désagréable qui soit : Dom qui me tire par le bras.

Détachant ma bouche un instant, j’ai la ferme intention de l’insulter puis de continuer mes activités, mais il me dit :

- Héléna,  aussi sympa que soit le show, veto.

Je sais que je me comporte comme une enfant à qui l’on vient de prendre son jouet, mais je tente quand même une supplication d’un ton geignard :

- Dom stp… J’en ai besoin !

Ne daignant même pas me répondre, il se contente de croiser les bras et lever un sourcil avant de faire un mouvement de tête en direction de ma quasi-conquête.

Plaçant mon front sur celui de la nana, je grogne mon mécontentement, mais lui explique :

- Il faut que j’y aille, vraiment, vraiment désolée. Ça aura été un plaisir.

Je lui fais un dernier baiser et m’enfuis, ne voulant pas lui laisser le temps d’argumenter.

Sourcils froncés et tentant de comprendre ce qu’il vient de se passer, quel-que-soit-son-nom est visiblement trop sur le cul pour me retenir à temps, me regardant filer sans faire d’histoires.

Dom et moi avons connu notre lot de soirées trop arrosées où l’on fait n’importe quoi. C’est comme ça qu'on en est arrivés à un système où le moins bourré des deux peut véto une activité de l’autre s’il pense que ce dernier va la regretter le lendemain.

Honnêtement, je ne pense pas que ça aurait été mon cas, mais accepte néanmoins de suivre la règle qui nous a extirpés de pas mal de situations douteuses.

Je me laisse conduire jusqu'à notre table et ignore royalement le regard pesant que m’envoie Sasha.

Je vis ma vie comme je veux et si ce n’est pas à son goût elle n’avait qu’à pas regarder. Contrairement à elle, je n’ai pas enfilé une ceinture de chasteté dont j’ai oublié le code.

Boudant (non pas que je le reconnaîtrais si on me le demandait), je n’ai qu’une hâte : rentrer.

Visiblement, Dom ne va pas me laisser avoir du fun, je m’en souviendrais pour la prochaine fois.

Nota pour moi-même : sortir seule.

D’une manière ou d’une autre, il va falloir que mes émotions sortent, je ne tiendrai pas comme ça. 

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Malheureusement, c’est à peine rentrée que la soupape lâche.

N’ayant pas décroché un mot à qui que ce soit, je vais m’enfermer dans ma chambre, me retenant de claquer la porte au passage. Inutile d’ajouter l’immaturité à la liste grandissante de mes qualités.

À l’instant où je suis seule, les larmes que j’avais jusqu’à présent réussi à retenir se mettent à couler.

Et merde.

Je m’installe en boule sur mon matelas, tentant d’étouffer mes sanglots dans le coussin que je serre contre moi comme si ma vie en dépendait.

Trop occupée à essayer de ne pas faire de bruit, je mets trop de temps à réagir lorsqu’on frappe à la porte.

Avant que je puisse envoyer chier la personne dans le couloir, la porte s’ouvre puis se referme et j’ai à peine le temps de me placer dos à l’embrasure pour dissimuler mes larmes.

Priant pour que ma voix ne me trahisse pas, je tente de faire partir mon visiteur :

- Dom, si t’es venu me faire la leçon épargne-moi ça s’il te plaît…

Je sursaute à moitié en entendant une voix de femme me répondre :

- Je ne suis pas là pour ça…

Sasha marque une pause, dépose quelque chose sur ma table de nuit et s’assied au bord du lit :

- Je t’ai ramené une bouteille d’eau et de l’aspirine. Bois un maximum avant de dormir et avec un peu de chance tu t’éviteras la gueule de bois demain.

Je me demande si elle va tenter de m’empoisonner, mais garde ma paranoïa pour moi. Le répit serait sûrement bienvenu :

- Merci.

Ma respiration continue à être saccadée malgré toutes mes tentatives pour la maîtriser et je sais qu’elle a conscience de mon état quand je sens sa main se poser sur mon épaule.

- Si tu veux en parler, ou juste de la compagnie…

Je ferme les yeux devant la vague de colère qui me parcourt. Pour qui elle se prend ? C’est la dernière personne à qui j’ai envie de me confier.

Qu’elle aille prêcher ailleurs.

Elle ne peut pas rester alors que je suis vulnérable. Actuellement l’unique constante dans ma vie c’est la méprise que je lui porte, alors hors de question que ça change. Il faut que je la fasse partir :

- La seule compagnie que je voulais est sûrement toujours au bar et je doute que tu te proposes…

Voyant qu’elle ne répond pas à ma provocation, j’en rajoute une couche :

- Si je décide de parler, je te sonnerais, mais je serais toi, je ne retiendrais pas ma respiration.

J’ai conscience que c’est bas, un coup de pute comme qui dirait et moralement discutable. Mais vous ne me ferez pas croire que vu la nature de nos relations elle est vraiment venue pour m’aider. M’est avis qu’elle est surtout là pour jubiler de mon état. Être aux premières loges.

Qu’elle aille se faire foutre.

Elle retire sa main comme si je l’avais brûlée, se lève et me remets à ma place comme il faut :

- T’es peut-être trop bourrée pour ça, mais essaie de réfléchir au fait que si les gens partent, c’est peut-être parce que tu repousses comme des merdes ceux qui veulent t’aider. Je ne sais pas comment Dom fait pour te supporter au quotidien et sois rassurée j’ai bien compris que tu ne me portais pas dans ton cœur, mais pour le coup j’essayais juste d’être sympa. Autant pour moi. Va te faire foutre Héléna.

Sans me retourner, je rétorque :

- J’aurais bien voulu !

Un projectile vient heurter l’arrière de mon crâne à toute vitesse et j’ai l’intime conviction qu’il s’agit de l’aspirine.

Sasha claque la porte et ça fait sûrement de moi une tordue, mais je suis contente d’avoir réussi à contrarier sœur sourire. Les masques finiront par tomber ! 

 

21 février 2018

Chapitre 3

- Pourquoi je dois faire ça déjà ?

James me fait un sourire sadique et se contente d’un :

- Parce que contrairement à un génie que tu fréquentes, tu n’as pas prêté attention à l’une des lignes de ton contrat de travail.

Dom lui lance un regard noir et à l’air tout aussi dégoûté que moi.

Aujourd’hui, pas question de formation.

Oh non.

Suite à un merveilleux mail de Gontrand, nous avons été informés qu’il fallait profiter de l’occasion pour faire quelques photos de la nouvelle gamme de machines, dont certaines avec nous en opérateurs pour servir de support à la newsletter.

Dire que je suis ravie est un doux euphémisme.

Le problème n’est pas lié à un manque de confiance en moi, mais plutôt à une envie de garder mon image parfaitement dissociée de mon travail.

Ce n’est pas en ayant ma tête placardée dans des milliers d’emails que ça va arriver…

J’écarquille les yeux lorsque j’aperçois Sasha et particulièrement ce qu’elle a en main.

- Euh James…  pourquoi elle tient l’appareil photo ?

Je donne un coup de tête discret dans la direction de ma collègue pour lui indiquer à qui je fais référence.

- C’est à elle qu’incombe le tour de magie consistant à vous rendre photogéniques…

S’il est nonchalant devant cette nouvelle, pas moi.

J’ai agi comme une conne hier soir.

J’en ai conscience.

Mais je ne sais pas comment m’excuser sans m’humilier et mon égo est 100% contre l’idée.

Du coup, j’ai opté pour l’évitement total depuis ce matin, me levant volontairement très tard.

Que ça soit clair : j’ai l’intention de le faire.

Juste… j’aurais préféré avoir un peu plus de temps pour me préparer au traumatisme. La dernière chose que j’ai envie de faire est me soumettre aux bonnes grâces de Sasha.

Remarquant ma soudaine pâleur, James essaie de me remonter le moral :

- T’en fais pas ! Tu te souviens de la photo de Gontrand sur laquelle il avait presque l’air compétent ? Bah elle est d’elle. Et mieux, elle n’a pas été photoshopée ! Conclusion : elle a du talent, si quelqu'un peut vous rendre présentables c’est elle ! Bon par contre, ça risque de prendre la journée...

Oh non, c’est encore pire si elle est douée.

Si je ne m’excuse pas, je cours le risque qu’elle ponde une série de photos sur laquelle j’ai l’air de ne pas avoir de dents, ou je ne sais pas quoi !

Mon absence de réplique cinglante semble inquiéter James qui me pousse dans sa direction :

- Va lui parler, elle te rassurera mieux que moi.

Baissant la tête (et m'apprêtant à faire de même avec ma culotte), je prends une grande inspiration et me dirige vers ma collègue.

- Salut Sasha… je peux te parler deux minutes ?

Elle lève les yeux de l’écran de son appareil et me lance un regard franchement glacial :

- Salut. Ça dépend, tu as toujours l’intention de te comporter comme une conne ?

Je grimace, mais ne renchérit pas, me contentant de rester tête basse, après tout ce n’est pas totalement volé. C’est sous mes ongles qu’il y a la boue de quand j’ai déterré la hache de guerre… Ce genre de réaction m’étonne quand même d’elle, qui est d’ordinaire parfaitement composée.  C’est mal d’en être presque fière ?

Un coup d’œil alentour me confirme qu’aucune commère ne rôde dans les parages (bon, j’avoue, j’ai surtout cherché à localiser Dom, c’est lui le pire !).

- Je suis désolée d’avoir agi comme ça… J’avais trop bu et je n’ai rien trouvé de mieux à faire que d’être ingrate et m’en prendre à toi sans raison. J’espère que tu voudras bien accepter mes excuses.

Voilà.

C’est fait.

J’ai tout donné, n’ai plus une once d’amour-propre et ses pompes sont luisantes. Elle-même n’aurait pas fait mieux et c’est une vraie experte !

J’ose enfin lever les yeux pour jauger sa réaction.

Elle semble pensive.

Merde.

- J’apprécie que tu viennes t’excuser, vraiment. Mais tu as abusé... Je sais que tu n’étais pas dans ton état normal et que ta vie personnelle est… compliquée en ce moment, mais ce n’est pas une raison pour parler comme à un chien aux gens qui veulent t’aider.

Compliquée ? Inexistante oui !

Ça m’agace qu’elle évoque ce sujet.

Elle n’a pas le droit.

Et aussi qu’elle en remette une couche. J’ai déjà été réprimandée hier et mes excuses ont été présentées en bonne et due forme, selon moi ça montre que j’ai compris la leçon.

J’ai conscience d’être dans le tort et qu’il vaut mieux que je fasse profil bas pour l’instant, c’est pourquoi j’ajoute même si ça me coûte :

- S’il y a quelque chose que je peux faire pour me faire pardonner…

Elle laisse s’échapper un sourire en coin et ouvre la bouche, mais on nous fait signe qu’il est temps de commencer la séance.

Elle se dirige vers les machines et lance par-dessus son épaule :

- Si je pense à quelque chose, je te le ferai savoir.

C’est moi ou ça ressemble un peu à ce que je lui ai dit ?

Je crois que je suis semi-tirée d’affaire. Pas de look édenté pour moi.

Pfiou.

Je rejoins Dom, qui a l’air du type à qui l’on vient d’annoncer que le médecin est prêt à commencer sa coloscopie.

- Ça va mon vieux ?

- Plus vite on en aura fini, mieux ce sera. J’ai déjà trop de succès auprès des femmes, faire cette séance photo glamour revient à chercher les ennuis.

Glamour ? Entre les machines, les collègues chauves et ventripotents engoncés dans leurs costumes, je ne vois rien dans cette pièce qui ferait jubiler Miranda Priesley.

Il stresse et essaie de le cacher, il déteste les photos et n’est pas très fort niveau confiance en soi.

En revanche, je sais ce qui peut lui faire oublier tout ça :

- Hmmm…  ça doit être ça. Tu penses pouvoir sortir de plus beaux clichés que Guillaume ?

Immédiatement, son esprit de compétition fait son apparition et il me lance un sourire sûr de lui :

- Ce clown ? Stp je suis un apollon et lui est à peine potable !!

Je croise le regard amusé de James, qui sait exactement ce que je viens de faire, mais ne dit rien. Enfin quelqu’un qui met son intelligence à bon escient.

Voulant lui insuffler une vague de motivation supplémentaire, j’ajoute :

- Et si les photos sont sympas, Alycia pourrait vouloir en garder une ou deux…

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Nous sommes affalés sur le canapé tel un gang de limaces, à observer le résultat de notre début de carrière dans le mannequinat.

C’est l’idée de Sasha de regarder tous ensemble pour éliminer toute photo jugée atroce. Plutôt sympa de sa part même s’il est hors de question que je l’admette.

Et ses clichés sont juste bluffants.

En bonne garce que je suis, je n’ai pas arrêté de lever les yeux au ciel à chaque fois qu’elle demandait à ce qu’on ajuste les réflecteurs, pensant naïvement qu’elle se la racontait, mais suis devant la preuve absolue de mon erreur.

Le résultat fait forte impression à tout le monde on dirait puisqu’alors qu’un cliché de moi s’affiche, James s’exclame :

- Wah. T’es magique Sasha, il va absolument falloir que tu t’occupes de ma nouvelle photo de profil Tinder !

Étant donné que James est le plus grand coureur que la terre ait porté, c’est un énorme compliment !

Baissant la tête dans une vaine tentative de dissimulation de son rougissement, Sasha le remercie.

Je lui envoie quant à moi un regard noir et exige des explications :

- Ça veut dire quoi ça ?

C’est Dom qui répond avant que James ne puisse formuler ses pensées en des propos qui auraient sans doute été insultants !

- Regarde cette photo de toi ! Franchement Héléna, si je ne savais pas quel caractère de merde tu as je me laisserais tenter ! Quelle que soit la camelote que tu vends, si tu me la présentes avec un visuel pareil je te l’achète.

Ok… tout aussi insultant donc…

- Hey ! T’es supposé être mon ami !

Détournant l’attention de mes nombreuses qualités, incluant un sens de la répartie hors du commun, Sasha nous invite à regarder l’écran :

- Celle-ci est plutôt pas mal aussi je trouve.

J’avoue que Dom à l’air très pro et est totalement beau gosse !

Mais il n’a pas le temps de se la péter que James demande :

- C’est laquelle ta préférée ?

Sasha rougit et tente d’éviter d’avoir à répondre dans un :

- Oh je ne sais pas trop… ça vous dit de boire quelque chose pour fêter ça ?

Mes collègues flairent le coup fourré et ne mordent pas à l’hameçon, la danse étant menée par James :

- Pas si vite ! Tu n’espères quand même pas t’en tirer à si bon compte ? Crache le morceau !!

Plutôt que de s’avouer vaincue, elle continue sur sa lancée de déni :

- Vous voyez le mal partout !! Je n’essaie pas de changer le sujet.

Le fait qu’elle refuse de nous la montrer m’intrigue plus que ça ne devrait et je suis la première surprise de m’entendre apporter mon soutien :

- Oh que si tu essaies. Tu devrais abandonner direct ils ne lâcheront jamais.

Dom n’hésite pas avant d’ajouter :

- C’est clair !

Soupirant, elle revient sur une des photos de Dom, pas mal, mais pas la meilleure :

- C’est celle-ci. Contents ?

Elle porte l’une de ses mains sur sa hanche et à l’air de dire « on peut passer à autre chose maintenant » ?

Mon collègue est fier comme un paon, mais James n’y croit pas un seul instant, à raison si vous voulez mon avis.

- Et sinon la vérité ?

Elle va mentir à nouveau c’est sûr, mais James se jette sur elle et commence à la chatouiller sans merci.

Je hausse un sourcil en voyant ça, je ne les pensais pas si proches. D’un autre côté, ils sont tous les deux extrêmement tactiles alors peut-être que leurs limites sont différentes des miennes.

Sasha bataille bien, tentant de la jouer “je ne suis pas chatouilleuse” dans un premier temps, avant d’éclater de rire et de se débattre. Malheureusement, faire de la mécanique toute la journée ça muscle et James est sans pitié.

Face à son appel à l’aide, Dom se tourne vers moi, demandant :

- T’entends quelque chose toi ?

- Nan, rien du tout.

De toute manière, soyons réalistes, il est fort peu probable qu’elle ait compté sur moi pour aller la secourir.

Finalement, quelques secondes passent et Sasha abdique :

- Ok ok, stop !

Essuyant ses larmes de rire, elle précise en pointant un doigt menaçant dans notre direction :

- Je vous la montre, mais je ne veux pas vous entendre, c’est clair ?

James et Dom se regardent, puis sourient d’un air victorieux avant d’acquiescer d’un signe de tête.

Elle réajuste son chignon encore et toujours parfait et prend une grande inspiration.

Sasha est complètement stressée, naviguant carrément dans un autre dossier jusqu'à ce que s’affiche à l’écran la photo de son choix.

Minute.

Un gros plan de moi en train de rire ? Et pas devant une machine ?

Mes deux lourdauds de collègues tournent des yeux effarés vers elle, puis moi, puis alternent de l’une à l’autre comme s’il y avait un match de tennis imaginaire.

Finalement, rouge comme un camion de pompier et malgré l’absence de commentaires, Sasha ressent le besoin de se justifier dans un haussement d’épaules :

- C’est mon truc, capter des tranches de vie et voir les gens différemment à travers ma lentille. Et puis vous devez avouer que ce cliché est superbe.

Quelle est cette chaleur désagréable que je sens au niveau de mon visage ?

J’espère que ça n’est pas ce que je crois.

Elle parle du cliché, pas de moi et mon corps réagit comme celui d’une écolière…

Parfois (souvent), je me fatigue.

N’empêche que c’est bizarre de me dire qu’elle m’a photographiée à mon insu en dehors de la séance. Parce que je ne risque pas d’avoir de crampe aux maxillaires à force de rire lorsqu’elle est à proximité. Je la crois quand elle implique que son sens de la photographie la pousse à toujours garder l’œil ouvert pour trouver le cliché qui fera la différence… Mais quand même !

Après c’est clair que sans vouloir me la péter, je déchire l’écran vue sous cet angle.

J’ai l’intention de diffuser la situation avec une remarque nonchalante bien sentie, mais suis sauvée par James qui m’adresse un clin d’œil et se lève d’un bond :

- J’avais espéré une photo volée de Gontrand aux toilettes, mais bon, je m’en accommoderais ! Quelqu’un a mentionné une célébration ?

- Yey ! Je peux inviter Alycia et Audrey ?

Sasha, James et moi nous regardons d’un air entendu. On sait pertinemment qui il a surtout envie de voir des deux !

Lui adressant un sourire compréhensif, je lui donne l’autorisation dont il n’avait pas besoin :

- Fais-toi plaisir.

Tout content, Dom part directement dans sa chambre pour appeler les filles, tandis que James se dirige vers la cuisine où nous avons rangé notre stock spécial fête.

Ça me laisse seule avec Sasha et c’est n’est pas du tout bizarre… nooooon.

D’autant plus qu’elle n’ose même pas me regarder.

Il va falloir qu’elle dise quelque chose très très vite avant que je ne fasse une blague déplacée pour tenter de détendre l’atmosphère. Je ne voudrais pas paraître amicale.

Heureusement, c’est le cas :

- Héléna, je peux te parler en privé un instant ?

Non.

Peut-être que si je lui rappelle ma sexualité elle changera d’avis ? Ça vaut le coup d’essayer :

- Sasha ça me touche vraiment, mais je ne suis pas prête à ce que notre relation passe au niveau supérieur, désolée !

Avec un peu de chance, elle va faire une syncope et me lâcher la grappe.

Elle me lance un regard désabusé et rétorque :

- Mince, j’espère qu’ils voudront bien me rembourser la bague…

Elle a de l’humour ? Depuis quand !?

Je suis étonnée qu’elle ose partir sur ce type de sujet. Peut-être qu’elle est moins coincée que je l’aurais cru. Fin en même temps ce n’est pas comme si je prétendais tout savoir d’elle. Sa tête ne me revient pas et selon moi c’est une raison suffisante pour la détester.

Ne t’emballe pas Héléna, s’il faut elle a l’intention de te parler en privé pour t’expliquer que bien qu’elle ne soit pas homophobe, la preuve elle connaît quelqu’un d’homosexuel, elle n’est pas attirée par les femmes et ne veut pas que tu te fasses des idées.

Le pire, c’est que c’est probablement ça…

Elle me guide jusqu'à sa chambre et ferme la porte derrière nous.

Je ne suis pas du tout à l’aise, je n’y ai jamais mis les pieds et Sasha elle-même a l’air d’être inconfortable.

Qu’est-ce qu’elle peut bien avoir à me dire ?

Heureusement, mon attente est de courte durée :

- Ok, j’ai une idée de service que tu pourrais me rendre, pour… tu sais.

Elle se balance d’un pied à  l’autre et semble développer une soudaine fascination pour le sol.

Il s’agit donc de me faire pardonner. Qu’est-ce qu’elle va me demander ? Vu comme elle se comporte, ça doit être un gros truc.

- Je t’écoute…

Elle reprend d’un ton compréhensif :

- Ne te sens surtout pas obligée d’accepter, j’ai conscience que c’est démesuré comparé à ce que tu m’as dit, mais…

Je lève la main pour arrêter Sasha dans sa tirade. Je suis tentée de faire une nouvelle blague du genre « ok, j’accepte d’être ton expérimentation dans le monde du lesbianisme » mais de 1 je ne suis pas sûre que ça soit bien pris et il n’y aurait pas de témoin confirmant qu’il s’agit d’une mort naturelle et de 2 je n’ai aucunement l’intention de l’être. Je ne voudrais pas qu’elle pense que j’ai changé d’avis à son sujet et ai soudainement décidé de lui laisser le bénéfice du doute.

- Hey, c’est ok, dis-moi et on en parle.

- Ok. Une amie à moi est une jeune styliste qui vient de lancer sa propre marque de vêtements.

Elle me regarde avec curiosité, espérant certainement que je vais faire le lien toute seule.

Si c’est le cas, on risque d’être là longtemps.

- Et ?

- Et bien… Elle cherche des modèles photo pour sa collection et tes photos sont toutes superbes et t’es pas obligée d’accepter hein et elle te donnerait sûrement un petit quelque chose pour ta peine et si tu es ok, on pourrait peut-être essayer d’en prendre quelques-unes avec les habits qu’elle m’a passés pour voir comment ça rend ?

Houla.

C’est … pour le moins inattendu.

Elle est EXTREMEMENT nerveuse, se mordant la lèvre inférieure, ses yeux verts se posant partout sauf sur moi et remettant constamment ses cheveux châtains en ordre alors qu’ils sont déjà coiffés. En même temps, c’est vraiment bizarre de demander ça à sa collègue si vous voulez mon avis. Surtout qu’on n’est pas vraiment proches… Et par « pas vraiment proches », j’entends « pas proches du tout ».

Mon premier instinct est de dire « ohhhh que non » et prendre mes jambes à mon cou. Après tout, ce n’est absolument pas mon amie et ça dépasse largement ce que je suis disposée à faire comme effort juste à titre d’excuse… Surtout compte tenu du fait que je ne suis pas si désolée que ça…

Mais d’un autre côté, j’aime assez l’idée que je lui rendrais un service et qu’elle me sera redevable. Ça suffira peut-être à échapper à sa potentielle future folie meurtrière qui sait ! Si en plus je peux être un peu payée pour ma peine, pourquoi pas.

Avant de me décider, j’ai besoin d’infos. Si sa pote fait des fripes, c’est non.

- Je … sais pas trop. Tu pourrais me montrer quel genre de fringues elle fait ?

Son visage s’illumine dans un sourire surpris. Je crois que quelqu’un s’attendait à un refus catégorique d’emblée. On se demande bien pourquoi, je suis pourtant charmante avec elle !

- Bien sûr, ne bouge pas.

Elle farfouille dans sa valise et en sort un sachet. Je lui lance un regard amusé en constatant que les vêtements portent toujours des étiquettes. 

- Elle voulait absolument mon avis et est venue me déposer les échantillons juste avant mon départ… Je n’ai pas eu le temps d’y jeter un œil.

Elle étale le tout sur son lit, se reculant pour me faire de la place.

Machinalement, je fais la même chose qu’en magasin : je touche. La texture des habits est très importante pour moi. Je fais encore des cauchemars des pulls qui grattent que ma mère me forçait à enfiler quand j’étais petite.

Satisfaite de ce que je vois, je soulève une chemise pour regarder la coupe. Pas mal du tout. Pas forcément mon genre, mais pas dégueulasse !

J’imagine que la taille donnée est celle de Sasha mais ça devrait passer quand même. Elle est fine et élancée, mais elle porte ses vêtements de manière plus lâche, quasi flottante… J’ai plus de courbes qu’elle, mais préfère mes habits parfaitement ajustés.

Les deux combinés devraient faire l’affaire.

Visiblement impatiente, elle demande :

- T’en dis quoi ?

Au pire elle m’est éternellement reconnaissante, je me fais payer si les clichés plaisent à sa pote et j’ai de belles photos de moi, c’est ça ?

J’ai déjà fait des deals plus mauvais que ça.

- Ça marche. Tu me diras quand tu voudras qu’on le fasse.

Je manque de tomber à la renverse lorsqu’elle se rue sur moi et me prend dans ses bras.

Elle a perdu l’esprit ? À moins qu’elle n’ait un couteau caché quelque part ?

Tendue comme un string, je la tapote vaguement dans le dos en retour, espérant que ça va y mettre terme plus tôt.

Plus qu’à jeter ma tenue.

Qu’on soit clair : je ne fais pas ça pour lui rendre service et ne peux toujours pas la blairer, c’est uniquement parce que j’y vois un intérêt personnel et qu’en plus elle se sentira redevable.

 

Et ça, ça a de la valeur.

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Je passe le portillon de sécurité et même la palpation vigoureuse de la vigile n’arrive pas à ternir mon enthousiasme.

Mon premier match de basket en NBA !!!

J’ai trop hâte.

On n’aura pas les meilleures places, mais LeBron James sera sur le terrain alors je m’attends à du spectacle !

J’ai trop hâte !

Je l’ai déjà dit ?

Les quelques bières que j’ai bues avant de venir font leur petit effet et je suis juste comme il faut pour profiter à fond du show.

Je me faufile parmi les spectateurs pour rejoindre mon siège, constatant que Dom, James et Sasha se font désirer.  

Ça fait peut-être de moi une enfant, mais j’ai un mal fou à me retenir de trépigner ! C’est d’ailleurs ce même enthousiasme qui a fait que j’ai quitté l’appart bien avant eux pour être sûre d’être à l’heure.

Mes collègues arrivent et je ne peux que constater la présence d’une traitresse dans les rangs. Pourquoi ne suis-je pas étonnée ?

Sur ses joues, Sasha arbore fièrement les couleurs jaune et bleu des Golden State Warriors. Une raison de plus pour ne pas l’aimer !

Alors que je m’apprête à la charrier éternellement, je baisse les yeux.

Elle porte leur maillot et… c’est à peu près tout. Bien sûr, elle a certainement un mini short en dessous, mais on ne le voit pas et mon imagination travaille.

Elle a le look et la tenue d’une fille qui vient de se lever après une nuit de passion et je me fais totalement des films sur ce qu’il a pu se passer entre elle et Dom.

Je ne suis pas sûre que ça me plaise.

J’y peux rien. C’est pas cool pour Alycia.

C’est sûrement la bière, ou l’euphorie ambiante qui affecte mon jugement, mais j’étais presque prête à tolérer sa présence. Voilà qu’elle ruine tous mes efforts.

Fort heureusement, elle interprète mal ma réaction et se justifie :

- Je viens de passer au magasin et ils n’avaient plus ma taille…

Reprends-toi Héléna, pour cela rien de tel qu’une petite remarque désobligeante :

- Il n’empêche que tu t’es trompée d’équipe !

Alors que James s’installe à ma droite, Sasha se met à ma gauche et Dom à la sienne. Elle approche son visage du mien et lance d’un air sûr d’elle :

- On en reparlera à la fin du match ma belle…

Poker face. Ne la laisse pas voir que le non-respect de ta sphère privée t’atteint ! Fais preuve de répartie !

- Hmm hmm, au pire tu pourras toujours sécher tes larmes et te moucher dans ton maillot, lui donner une utilité !

Dom, jamais aidant et n’étant pas du genre à refuser un bon vieux combat de boue, en rajoute une couche :

- Et il se passera quoi pour la perdante ?

Mon regard vient soutenir celui de Sasha. Ses yeux brillent et je sais qu’avant la fin de la soirée, l’une de nous deux devra endurer les moqueries de l’autre. Je n’arrive pas en croire mes oreilles lorsqu’elle lance le défi :

- Une journée de totale servitude et reconnaissance de l’analyse supérieure du jeu de la gagnante.

Alors ça, c’est totalement inattendu.

Je ne suis plus certaine de vouloir jouer. Elle est passée où la jumelle de sœur Thérèse de l’enfant Jésus ? La bière doit être plus forte que je ne pensais ! Déglutissant tant bien que mal, je m’enquiers d’un timide :

- Tu plaisantes ?

- Peur de perdre Héléna ? Tes Cleveland Cavaliers ne sont pas à la hauteur ?

Son petit sourire en coin m’indique qu’elle m’a eue et qu’elle le sait. S’il y a bien une chose que je suis, c’est ridiculement compétitive. Lui tendant la main pour valider l’accord, j’ignore tout bon sens et surenchéris :

-  J’espère que tu as prévu une petite tenue de soubrette quand tu as fait tes valises, parce que je n’attends que le meilleur de mon personnel…

Soutenant mon regard, elle valide notre pari d’une poigne ferme et rétorque d’une voix pleine de promesses :

- Je te laisse la surprise. Perso j’ai déjà quelques idées de ce que je pourrais te faire faire…

Ok.

C’est décidé.

Quand j’aurai gagné, je lui ordonnerai de rester loin de moi toute la journée et de ne plus jamais s’adresser à moi sur ce ton !

Je viens de faire un deal avec Satan en personne, je regrette déjà… Pourtant, j’ai visionné pas mal de films d’horreur sur le sujet, je devrais savoir que ça se termine toujours mal ! C’est sûr, elle va me demander d’aller en bord de falaise et sauter ou un truc dans le genre !

James et Dom sifflent et surenchérissent :

- C’est trop tard pour se joindre aux paris ?

Sasha lève les yeux au ciel et se contente d’un :

- Pervers, il ne s’agit pas de ce à quoi vous pensez.

Ah bon ?

LeBron, je compte sur toi !

 

Je ne sais pas s’il est préférable de gagner ou perdre, mais il aurait mieux valu ne pas parier du tout…

21 février 2018

Chapitre 4

À la fin du deuxième quart temps, les Cavaliers sont menés 60 à 71 mais je garde espoir. Le spectacle est au rendez-vous et je suis quasiment en transe à ce stade-là.

Le pauvre James m’écoute patiemment tandis que je relate mes actions préférées, avec bien évidemment le mime qui va avec.

Je hausse un sourcil en entendant la foule s’exclamer une première fois, puis une seconde beaucoup plus fort, mais n’y prête pas attention, trop occupée à faire mon dunk imaginaire.

Sentant que Sasha me tapote le bras, je lève un doigt pour signifier « 1 seconde » à James et me retourne.

Le sourire façon Joker que me lance Dom par-dessus l’épaule de ma collègue ne me dit rien qui vaille, mais alors que j’ouvre la bouche pour demander ce qu’elle me veut, Sasha passe sa main dans ma nuque et m’embrasse.

Elle a perdu la boule ?

Pendant un millième de seconde, je ne bouge pas.

Puis je réalise et place une main sur sa clavicule pour faire pression et la contraindre à s’éloigner.

Mais elle resserre sa prise dans mon cou, ne me laissant pas l’occasion de mettre fin au baiser.

Ses lèvres sont souples et insistantes, pas totalement désagréables et j’ai comme un déclic.

Si on vous demande, c’était l’alcool.

Ma main sur son épaule arrête de pousser et agrippe au contraire une pleine poignée de son maillot pour l’attirer plus à moi. Je ne sais pas ce qu’il lui prend, mais ça n’a plus d’importance tandis que je réponds au baiser. J’espère que son traumatisme fera qu’elle voudra quitter la maison ! Sentant que j’ai cessé de lutter, sa prise se relâche et alors que son autre main se glisse sur ma hanche, Sasha se recule soudainement, me laissant totalement dans le vent.

Son regard troublé vient croiser le mien puis elle fait à nouveau face au terrain et lève les bras au ciel, tout sourire.

WTF ?

Qu’est-ce qu’il vient de se passer au juste ?

Dom jubile et James m’enlace par derrière, pointant du doigt l’écran géant. Je m’y vois, la bouche entrouverte, les joues roses, sous l’inscription kiss cam et à côté d’une Sasha demandant à la foule de faire plus de bruit.

Mes yeux se posent sur elle et je ne me sens soudainement pas très bien.

- Faut que je file aux toilettes, je reviens.

N’attendant pas sa réponse, je me désengage de l’étreinte de James et me dirige au pas de course vers la sortie des gradins.

J’ai du mal à trouver un endroit qui ne soit pas surpeuplé, mais finis par m’installer au détour d’un couloir. J’appuie ma tête sur le mur derrière moi et passe mes mains sur mon visage.

Ok, ressaisis-toi, c’était rien qu’un tout petit baiser de 5 secondes à tout casser et sans la langue. Il n’y a pas mort d’homme.

Je viens de jeter tous mes principes à l’eau, mais à part ça…

Et je n’arrive pas à concilier l’image que j’ai de Sasha au boulot avec comment elle se comporte depuis qu’on est ici.

Ça n’a aucun sens.

Je n’aime pas ça !

Pourquoi elle ne peut pas continuer à être le petit puits de science lèche-cul que je déteste cordialement ?  Et puis depuis quand elle n’est pas coincée comme pas permis ? Et c’est quoi son problème à vouloir toujours mettre ses sales paluches sur tout le monde ?

Après quelques minutes de panique totale, je finis par me calmer. Ce n’est pas le moment de flancher et de montrer mes faiblesses. S’il faut, elle essaie juste de me désarçonner pour me sauter à la gorge dès que je baisse ma garde ! C’est quoi cette phrase dans le Parrain déjà ? Garde tes amis près de toi et tes ennemis encore plus près ?

Décidée et adoptant un air de totale nonchalance, je retourne dans l’arène.

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 Il est hors de question que j’ouvre les yeux.

 

Nope.

Hnn hnn.

J’arrive pas à y croire.

 120 à 129.

Les Cleveland Cavaliers ont perdu. 

Parce qu’apparemment, me faire humilier une fois dans la journée n’était pas suffisant !

J’entends malgré moi les caquètements de joie de Dom et Sasha, tout en sentant la main pseudo réconfortante de James sur mon épaule.

Mes yeux s’écarquillent d’horreur en écoutant mon collègue dire d’un air bien trop graveleux :

- Si tu as besoin d’idées pour le pari, n’hésite pas !

Relâchant la prise de la mort que j’avais sur mon visage, je place une main sur le genou droit de Sasha pour attirer son attention. Ne trouvant pas les mots, je me contente de secouer la tête de gauche à droite, la suppliant du regard. Il faut sauver ce qu’il me reste de dignité.

- Tu verras samedi prochain Héléna, je ne voudrais pas gâcher ta surprise.

Et merde.

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À peine rentrés à l’appart, après le plus humiliant trajet de toute ma vie, je prévois déjà de me rendre dans le magasin de bricolage le plus proche.

Oui.

J’y achèterai une pelle, ferai un trou et y planterai fermement ma tête jusqu’à ce que l’orage passe.

Connaissant Dom, j’y serai sûrement un bon moment.

Je me terre dans la salle de bain quelques minutes, bien décidée à faire comme si de rien n’était. Malheureusement, à peine ressortie je retrouve les trois mousquetaires affalés sur le canapé avec un pay per view du match, à faire des commentaires et conspirer pour trouver les pires trucs à me faire faire…

- Ah, tu arrives pile au bon moment !

Dom arrête l’avance rapide sur la kiss cam.

Ce n’est qu’en voyant les images que je comprends ce qu’il s’est réellement passé.

La caméra est braquée sur nous trois. Je suis visiblement au taquet dans mon histoire et ne calcule même pas.

C’est alors que Sasha pointe du doigt Dom puis moi et alterne en faisant signe qu’elle fera selon le bruit de la foule.

En toute objectivité, je ne suis pas convaincue d’avoir remporté le suffrage.

Mon salopard de collègue appuie sur le bouton pause au moment où ses lèvres se posent sur les miennes et éclate de rire à la vue de ma tête.

Je trouverais peut-être ça drôle si je n’étais pas aussi mortifiée. C’est comme si mon pire cauchemar prenait réalité. Connaissant Sasha, sa bouche a embrassé un paquet de culs incalculables tout au long de sa carrière. ERKKKK.

La principale coupable pose une main sur ma cuisse pour me réconforter et a la décence d’avoir l’air penaude et gênée. Même si j’aurais préféré qu’elle me remonte le moral en gardant ses distances, j’apprécie l’intention.

James et Dom n’ont quant à eux aucune pitié puisqu’ils passent la scène au ralenti avant de réaliser ce qui je l’espère est une grossière imitation de moi qui retourne le baiser.

Sasha rougit et n’ose pas croiser mon regard.

Si je commets un triple homicide, la direction aura ce qu’elle veut non ? On aura tissé des liens… à la vie à la mort…

Il faut que ça cesse :

- Okay les gars. Premièrement, cette imitation de nous : wow ! De premier ordre, vraiment. Vous avez misé dans le mille… Si j’étais vous, je lâcherais tout pour me consacrer à des carrières d’acteurs. Et deuxièmement, on pourrait arrêter de regarder ça en boucle ?

Malgré mes paroles, mes yeux peinent à se détacher de l’écran tandis que les deux mecs m’ignorent royalement et repassent une nouvelle fois la scène.

Je ne sais pas pourquoi j’ai réagi comme ça et ne l’ai pas juste giflée.

Ça devait être l’instinct, la fatigue ou… La fragilité émotionnelle engendrée par Rachel.

Oui voilà.

Dans ces cas-là, on te jette quelque chose, tu l’attrapes.

Même si c’est une crotte en feu.

Une petite voix me chuchote que le problème n’est peut-être pas tant le baiser que le fait qu’elle ait eu une raison pour le faire.

Comme toujours quand elle dit de la merde, j’ignore ma conscience et décide d’aller me terrer dans ma chambre, non sans entendre James m’indiquer qu’il se chargera de me garder une copie de la scène.

Trop aimable.

J’ai tellement hâte que cette mascarade de formation prenne fin…

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 Comme souvent à l’école d’ingé, j’ai donné rendez-vous à James et il est en retard. Avec n’importe qui d’autre, ça me gonflerait, mais certainement par force d’habitude, avec lui ça passe.

Après 10 minutes, je le vois enfin franchir la porte du lobby de l’immeuble.

Il s’affale dans le siège à côté du mien et demande :

- Comment ça va ?

- Plutôt bien, toi ?

- Mhhh.

Il a l’air distrait et ça ne peut vouloir dire qu'une chose : il est préoccupé.

Et effectivement :

- Je peux te poser une question ?

Un sourire vient se placer sur mes lèvres en entendant ça. Je le connais trop bien.

- Depuis quand tu demandes ?

Il gigote dans son fauteuil et c’est signe que je ne vais pas aimer ce qui va suivre :

- C’est quoi le deal avec Sasha ?

Je laisse s’échapper un énorme soupir. Bien sûr, il fallait qu’il se mêle de ça. Il n’arrête pas de me répéter qu’il est un génie, alors j’ai le secret espoir qu’il pige que je ne veux pas en parler lorsque je réponds :

- Je ne suis pas certaine de savoir à quoi tu fais référence.

Il me regarde d’un air de dire “sérieusement Héléna ?”

Pas de bol apparemment.

- Tu agis comme si elle avait pissé dans tes chaussures et que tu t’en étais aperçue en les enfilant…

- Charmant visuel. Et il n’y a rien à rajouter, je ne l’aime pas, c’est viscéral, j’y peux rien.

- Tu ne la connais même pas !

- En quoi c’est gênant ?

Il semble prendre ma réponse en considération l’espace d’un instant, avant de déterminer qu’elle n’est pas satisfaisante :

- Ou alors… Tu ne l’aimes pas parce que tu l’aimes trop.

Mon cœur a un sursaut des plus désagréables lorsque je comprends ce qu’il implique.

Incrédule, je bafouille :

- Pa- Pardon ? Dis-moi que je viens de mal entendre…

- Ça a du sens quand on y réfléchit. Toi d’habitude totalement en contrôle, Madame “je peux avoir n’importe qui” qui se retrouve toute chose face à une femme… et ne sait pas comment gérer.

J’ai l’impression d’avoir un groupe de percussionnistes dans la cage thoracique et suis complètement bouche bée devant ce qu’il suggère.

N’importe quoi.

Sasha ne me plaît pas.

C’est impossible.

Je le saurais.

Pas vrai ?

James déraille.

- C’est la théorie la plus ridicule que j’ai jamais entendue !

Je sens son regard sur moi et suis consciente qu’il va bien falloir répondre à sa prochaine question si je veux avoir la moindre chance de clore le sujet.

- Alors dis-moi pourquoi ? De ce que j’en ai vu, elle a toujours été sympa avec toi et même si ça n’avait pas été le cas (ce dont je doute), ça ne justifierait pas la manière dont tu la traites. Je ne serais même pas étonné que tu l’appelles Satan dans ta tête.

Et merde.

Comment il sait !?

Réfléchis Héléna.

Tu ne peux pas le laisser dire ça.

Je ne suis pas attirée par Sasha. Je ne l’aime pas parce que sa tête m’insupporte, c’est tout.

Malheureusement, mon silence était un peu trop long apparemment puisqu’il reprend :

- C’est bien ce que je me disais. Si ça peut te consoler, je ne pense pas qu’elle ait compris.

Minute, il interprète mon mutisme comme un aveu là !

- James, juste non. Oui, je n’ai pas de raison valable excepté que sa tête ne me revient pas et qu’elle fayote constamment, mais ça ne veut pas dire ce que tu imagines…

Il m’observe d’un air compatissant et je suis prise d’une soudaine envie de le gifler…

- Réfléchis-y. Je ne pense pas me tromper. Et entre nous, c’est une chouette fille.

Passant mes mains sur mon visage, je marmonne :

- On peut arrêter avec tes théories fumantes, certainement alimentées par ta libido ?

Ignorant le caractère désagréable de ma question, il acquiesce :

- Pas de problème. Mais sache que si tu veux parler de ton crush, le génie qui t’a sorti la tête du rectum est disposé à t’écouter.

J’espère qu’il ne s’attend pas à faire le psy parce qu’il va être déçu !

Je n’ai strictement rien à dire là-dessus.

Sasha m’énerve avec ses stupides cheveux toujours bien coiffés, son stupide sourire même quand je suis désagréable et sa stupide manière d’être systématiquement de bonne humeur.

Sentant certainement que je n’ai pas l’intention de continuer cette ridicule conversation, il ajoute :

- Juste, si je peux te demander ce service, même si tu refuses de reconnaître que j’ai raison, si tu pouvais essayer d’être un minimum cordiale avec elle, ce serait cool… Ça ne nous met pas vraiment à l’aise Dom et moi, on doit vivre avec vous et on se retrouve au milieu.

Au-dessus de mon épaule gauche se trouve une version de moi qui dit « on s’en fout d’eux, rappelle-toi comme ils t’ont passé la vidéo en boucle ».

Pas faux !

Mais au-dessus de la droite, j’en ai une autre qui susurre « ce serait quand même con de se mettre les garçons à dos pour une nana que tu n’as pas vraiment de raison de ne pas aimer ».

Je préfère la première, en plus elle est mieux habillée.

Mais la deuxième n’a pas tort.

Décidément, ce n’est pas ma journée. Grommelant, je décide que faire quelques efforts monumentaux par-ci par-là pour tenter d’être cordiale devrait être envisageable :

- Mmmh. Je vais faire des efforts. Pour vous. Mais ne t’attends pas à ce qu’on échange prochainement des bracelets d’amitié tissés main !

Il m’adresse un large sourire et a l’air enfin disposé à changer de sujet :

- Nickel et non, je n’en demande pas tant. Bref, de quoi tu veux discuter ?

Honnêtement ? N’importe quoi sauf ses pseudo révélations et toute discussion impliquant celle dont il ne faut pas prononcer le nom. 

25 février 2018

Chapitre 5

Je m’assieds à la table en soupirant et je dois avoir l’air extrêmement blasée (je le suis), puisque mes collègues me demandent immédiatement :

- On a raté quelque chose ?

Ils auraient pu demander si ça allait, ou si j’avais besoin d’aide pour quelque chose… Mais ça n’est pas ça qui les inquiète, uniquement les commérages potentiels.

J’ai quitté la salle de réunion un total de 5 min pour me rendre dans les toilettes du bar dans le hall de l’immeuble.

- Juste un relou.

James, toujours dans la délicatesse, me donne son avis :

- S’il a tenté sa chance sans être insistant, tu ne peux pas vraiment lui en vouloir, ton look en jette !

Sasha rigole et ça lui vaut un regard assassin. Je ne peux pas les laisser dire ça !

Ma tenue serait considérée comme habillée dans certains endroits.

Comme le cap d’agde.

Nan je plaisante. J’ai juste une chemisette sans manche, relativement déboutonnée et une jupe plus moulante que d’ordinaire. Je sais que même si tout à fait correct, ce n’est pas mon style habituel, du coup je ressens le besoin de me justifier :

- Déjà, je m’habille comme je veux et j’avais chaud au moment de choisir mes vêtements ok ?

Ok Héléna, un peu moins défensive ! Reprends dans le calme :

- Et ensuite c’est pas ça le problème, c’est que je lui ai indiqué que j’étais lesbienne et il ne m’a pas crue.

James roule des yeux en entendant ça. Bien d’accord avec toi mon pote.

Dom n’est quant à lui pas du tout aidant :

- En même temps, c’est un hétéro et tu ne corresponds pas aux stéréotypes habituels.

- Ouais, mais même si ça n’était pas vrai, ça voudrait dire que j’ai été jusqu’au point de mentir à propos de ma sexualité pour éviter qu’il ne me parle. D’où c’est mieux ? 

Sasha fait une grimace et acquiesce :

- Hé, présenté comme ça j’avoue… T’aurais pu lui dire que tu étais ma future esclave, j’aurais confirmé.

Mon regard blasé passe inaperçu au milieu des deux guignols qui s’esclaffent à côté de moi. Ma collègue est visiblement extrêmement fière d’elle et m’adresse un sourire satisfait. Sa réplique était un peu drôle, je veux bien le reconnaître dans ma tête, mais c’est tout ! Hors de question que je le dise à voix haute.

Puisqu’elle joue comme ça, on va voir ce qu’elle répond :

- Sasha, ça a l’air d’un peu trop te plaire cette histoire, pari perdu ou pas je ne suis pas sûre de vouloir être impliquée dans tes délires SM…

Fière de moi, je porte mon verre à mes lèvres et m’étouffe totalement lorsqu’elle réplique :

- Héléna, il ne faut jamais dire fontaine je ne boirai pas ton eau.

Mon imagination est assaillie par un visuel complètement inapproprié lorsque je l’entends dire ça.

Je crois que je suis en manque sérieux pour en arriver là.

Satan en personne et moi.

Brrrr.

Y’a pas moyen.

Mon esprit tente de me ramener aux théories fumantes de James, mais il est hors de question que j’aille sur ce terrain glissant.

Alors que mes collègues se repaissent de mon désarroi, un type monte sur l’estrade pour nous annoncer la (j’en suis convaincue) fabuleuse occupation du jour. Je sais qu’on va avoir un peu de répit par rapport aux formations bourrage de crâne de d’habitude, mais le titre « initiation à l’esprit d’équipe » me fait craindre le pire.

Un autre mec passe de table en table pour déposer des casques de réalité virtuelle et les brancher à tout l’attirail déjà en place.

Ça ne me plaît pas du tout !

J’espère qu’ils n’ont pas l’intention de me faire jouer à un jeu d’horreur, car il est hors de question que je paie le pressing pour ma tenue si jamais j’ai un peu trop peur !

Monsieur Présentation-de-l’activité nous explique que l’un va enfiler le casque et l’autre aura un manuel et devra guider la personne immergée dans l’univers du jeu.

Hein ?

Dom a l’air super content. Peut-être qu’il en sait plus que moi…

Comme d’habitude, sa joie se manifeste par un débordement d’énergie et une petite danse.

C’est bien le seul à qui ça fait ça.

- Allez Grumpy, fais pas cette tête, ça peut être fun !

Sa remarque lui vaut un énième regard assassin :

- Dois-je te rappeler que pour l’instant RIEN dans ce voyage ne l’a été ?

Pour toute réponse, j’ai droit à un clin d’œil.

Le pire n’est pas de devoir subir les cours “ d’esprit d’équipe”, mais de savoir qu’il y a de fortes chances que je me coltine la cire-pompes.

⅓ du moins.

Aucune raison qu’ils nous forcent à développer des liens avec des types d’autres filiales qu’on ne reverra jamais…

En parlant d’elle, elle est extrêmement intriguée par le concept. L’œil brillant et tout.

Autant dire que sa bonne humeur empiète sur mon envie de vivre.

Comme je le craignais, les équipes sont tirées au sort par table. Et comme la vie tient absolument à se venger de moi pour une raison que j’ignore, devinez avec qui je suis ?

Pas James, non.

Pas Dom non plus…

*Soupir*

Inquiète pour ma santé mentale, j’enfile le casque de réalité virtuelle avec appréhension, m’emparant de la manette par la même occasion. J’espère réussir à suffisamment me plonger dans l’univers pour en oublier la présente compagnie.

Je vois…

- Y’a un bureau avec une boite sur laquelle il y a écrit bombe.  

Sasha prend immédiatement les choses en main.

- Ok, moi j’ai un manuel. Je pense qu’ils vont te montrer la bombe et qu’il faut que tu me décrives ce que tu as sous les yeux pour qu’on la désamorce ensemble.

- On n’est pas dans la merde si notre sort dépend de nos capacités de communication.

Elle rigole en m’entendant dire ça et rétorque :

- J’ai toujours bien aimé m’attaquer aux cas désespérés.

Si je savais où elle se trouve exactement, je pourrais lui faire un doigt. Mais comme je n’ai pas envie de m’attirer les foudres d’un inconnu, ou pire, qu’il ne se fasse des idées, je me contente d’un :

- J’espère pour toi que tu ne parles pas de moi…

Elle parlait de moi, je le sais, elle sait que je sais, mais elle ment comme une arracheuse de dents :

- Je n’oserais pas. Allez on se concentre, dis-moi ce que tu vois…

- Mmmh…. Alors voyons... Il y a 6 éléments, dont deux blocs oranges avec rien dessus. Sur celui en haut à gauche il y a quatre boutons avec des symboles bizarres.

- Euh… Symboles bizarres, j’ai ! À quoi ils ressemblent ? Décris-les-moi.

- Un C comme pour copyright, un K double, une étoile et euh… Une espèce de paire de fesses tombantes avec un poil dans le bas du dos.

Je l’entends glousser devant ma description. J’aimerais bien l’y voir !

- Ok, appuie sur les boutons dans cet ordre : Le copyright, les fesses, le double K et l’étoile.

M’exécutant, le voyant passe au vert.

- Ça à l’air ok. Ensuite en haut à droite j’ai un bloc avec des fils.

- … Combien il y en a ?

- 5.

- Les couleurs ?

- Rouge jaune jaune bleu jaune.

- Coupe le premier fil Héléna.

-  Ok. J’espère pour toi que je ne vais pas exploser, ça ne me paraît pas être une bonne idée de couper le fil rouge !

Selon moi, ce ne serait pas impossible qu’elle me fasse volontairement exploser la caboche.

M’exécutant malgré mes appréhensions, je constate que le voyant passe au vert.

Je ne commente pas et panique en voyant qu’il ne nous reste plus que 3 minutes et la nature du bouton que j’ai devant moi ! Impatiente, Sasha me pousse :

- C’est quoi le prochain module ?

-  Un gros bouton sur lequel il y a écrit « DETONATE ».

- Detonate, detonate. Ok, appuie dessus et relâche tout de suite.

Elle est sérieuse là ? J’ai déjà coupé un fil rouge, maintenant faut que j’appuie sur le bouton marqué détonation ?

- J’espère que tu sais ce que tu fais.

Malgré une absence totale de confiance en ma partenaire, je m’exécute et suis soulagée en voyant la diode passer au vert. Ok, plus qu’un :

- J’ai un écran avec écrit yes et en dessous 6 boutons avec next, u, done, uh uh, you’re et like.

- Ok….

Elle ne répond pas tout de suite et je suis en transe en constatant que le chrono défile.

- Plus que 1 minute 30, grouille-toi !

- Hey, j’aimerais bien t’y voir ! Ce machin fait 23 pages…

- Ouais bah c’est pas ton visage qui va être réduit en charpie !

- Ok je l’ai. Il y a écrit quoi sur le bouton du milieu de la colonne de gauche ?

- U. 50 secondes Sasha…

- Appuie sur le premier que je te dis que tu verras : uh uh, sure, next –

- Ok c’est bon. Pourquoi le compteur ne s’arrête pas ? Oh merde, maintenant le mot c’est « reed ».

- Euh… Y’a quoi en bas à gauche ?

- Done.

- Ok, premier que tu as dans ta liste : sure, uh huh, next, wha-

- C’est bon. L’écran affiche display et il nous reste 25 secondes !!!

Je n’arrive pas à garder le stress en dehors de ma voix, mais Sasha gère pour deux en répondant du tac au tac :

- Le bouton en bas à droite dit quoi ?

- No.

- Ok, blank, uhhhh, wait…

En mode panique totale, j’appuie sur le bouton blank et le compteur s’arrête à 9 secondes.

Je retire le casque tout sourire. Ça m’a stressée, quelque chose de bien ce jeu !

Dom et James sont quant à eux en train de se blâmer l’un l’autre pour l’explosion. C’est pas gagné pour eux.

J’ai à peine posé l’instrument de torture et me suis levée pour évacuer le stress qu’une Sasha victorieuse me prend dans ses bras.

Tellement contente de notre exploit, je l’enlace à mon tour sans réfléchir et on va même jusqu’à sautiller sur place.

Malheureusement, ma joie est interrompue par la voix de James :

- Hey ben, pour certaines ça à l’air de marcher leur stratégie pour nous rapprocher.

Je me crispe immédiatement en réalisant que je pactise avec l’ennemi. Sous les yeux de celui qui se fait déjà des films…

Manquait plus que ça !

Bah, s’il se moque je dirais que je fais des efforts surhumains pour lui faire plaisir, étant donné qu’il m’a demandé d’être courtoise.

Reprenant une contenance, je repousse quand même ma collègue. On va éviter qu’elle ne prenne ses aises, elle est déjà tactile comme pas deux alors que j’ai clairement exprimé ma profonde répugnance envers sa personne, si jamais elle venait à penser que je l’apprécie ce serait mort !

==========================================

 Mes mains sont moites.

 

La chambre de Sasha a été transformée pour l’occasion en mini atelier de photographie, deux réflecteurs et une lampe ayant été gracieusement prêtés par l’entreprise. D’un côté, je suis soulagée que l’on ne fasse pas ça dans le salon sous les yeux de mes collègues masculins, de l’autre c’est une atmosphère beaucoup plus intimiste.

J’ai conscience d’être entre de bonnes mains, mais ne peux m'empêcher de stresser.

Sasha toque afin de savoir si je suis décente.

- Tu peux entrer.

Elle ouvre à peine la porte et se glisse dans la chambre, renforçant malgré elle cette impression de deux personnes se retrouvant en cachette pour d’autres activités…

Ses yeux verts me parcourent de haut en bas et ne pas gesticuler nécessite un effort conscient.

Elle ouvre finalement la bouche pour annoncer :

- Les photos vont être géniales.

Elle trafique l’appareil photo tandis que je me demande comment elle compte accomplir ça alors que je suis raide comme la justice. À ce prix-là, elle avait autant photographier des planches de contreplaqué.

Sasha passe une main dans ses cheveux châtain, se décoiffant au passage et tapote ses lèvres de son index, me fixant.

- Ok on va faire quelques clichés le temps que tu t’habitues à l’objectif et te décrispes. T’as aucune raison de stresser, crois-moi.

Son regard croise le mien et j’y trouve un peu d’assurance. Ça ne me ressemble pas de douter comme ça. C’est sûrement lié au fait que j’ai opté pour laisser temporairement mon inimitié pour elle de côté au nom des garçons et que je ne sais pas comment me comporter autrement en sa présence. C’est comme si demain je venais à décider que finalement j’aime les choux de Bruxelles. J’aurais beau faire tous les efforts du monde, ça sentirait quand même le prout rance.

Elle me fixe à travers l’objectif et relève les yeux pour me guider :

- Tu peux glisser ton pouce dans ta poche et pencher légèrement la tête ?

Je m’exécute sans grande conviction. C’est elle l’experte.

- Ok… Hmmm.

Son regard croise le mien et pendant une seconde j’espère qu’elle va m’annoncer : ‘ça ne le fait pas, mais merci d’avoir essayé’. En tout cas, elle n’a pas l’air de la photographe qui réalise les meilleurs clichés de sa vie.

- On va passer la nuit ensemble. Tu me plais, tu le sais, t’attends juste que je me décide à venir vers toi.

Qu’est-ce qu’elle bave ?

Elle a consommé de la drogue ou quoi ?

J’ai pas signé pour ça !

J’ai raté beaucoup d’épisodes là je crois.

Toujours éloquente, je lui lance un : “Hein ?” confus.

Roulant des yeux, elle clarifie :

- Pas moi ! Essaie d’imaginer ça. J’ai besoin de voir la Héléna suffisante. Ce petit air prétentieux que tu adoptes lorsque tu veux ramener une femme chez toi, sachant qu’il est impossible qu’elle te refuse quoi que ce soit quand tu ressembles à ça.

Elle ponctue ses mots d’un signe de la main dans ma direction.

Pendant une fraction de seconde, j’ai envie d’argumenter qu’il n’y a aucun moyen qu’elle connaisse ce genre de détails, mais je me rappelle ma tentative au club, celle avortée par Dom.

Je ne l’aurais pas décrit comme ça, mais elle marque un point j’imagine.

Ça m’agace suffisamment pour mettre du mien afin de refaire mon air “je sais que tu me veux”. Pour la punir, je laisse mes yeux caresser ses formes des pieds à la tête avant de planter mon regard dans le sien, levant un sourcil dans un challenge implicite.

Elle a beau avoir la personnalité d’une éponge, je peux reconnaître (dans mon esprit uniquement), qu’elle est bien foutue. Si je fais totale abstraction de sa propriétaire, je peux reluquer son corps sans vergogne. 

Je m’attends à ce qu’elle m’asperge d’eau bénite, mais bien qu’un drôle d’air passe sur son visage, elle se contente d’un :

- Parfait.

Elle se remet en position dès qu’elle sent mon changement d’attitude.

Au bout de quelques minutes, j’en oublie presque les clics et m’efforce d’avoir juste l’air belle. Je ne suis pas convaincue que ça va être un succès, mais ça c’est le job -problème- de Sasha. J’ai conscience que mon physique est avantageux de base, mais ça ne suffit pas à faire de beaux clichés.

Elle s’arrête un instant, pose l’appareil sur le lit et s’approche de moi en silence, les sourcils semi-froncés.

Qu’est-ce que j’ai fait de mal encore ?

Elle passe ses doigts dans mes cheveux ondulés, découvrant un peu plus mon visage. Ses yeux verts viennent se ficher dans les miens tandis que sa main quitte ma chevelure pour glisser le long de mon cou, tracer ma clavicule et venir déboutonner le haut du chemisier crème que je porte.

Je suis comme paralysée.  

Euh… Elle fait quoi là exactement ?

 Je ne suis pas sûre que la séance soit supposée être si… tactile ? Depuis quand les photographes palpent les modèles ?

Ma gorge est serrée et je suis figée sur place, la laissant faire, tout bêtement parce que je ne sais pas quoi faire d’autre.

Ses pupilles sont dilatées, mais je mets ça sur le compte du fait qu’elle est à contre-jour, m'efforçant de ne rien y lire de particulier. Me faire des films sur mon ex Némésis est la dernière chose dont j’ai besoin.

Sasha quitte mes yeux pour balayer mon corps des siens, sa main toujours placée au niveau des boutons du chemisier à présent entrouvert et je m’entends déglutir.

Semblant réaliser quelque chose, elle se recule soudainement et m’offre un sourire un peu étrange, murmurant :

- Elle va halluciner en voyant les clichés.

Elle retourne rapidement derrière l’objectif et prend quelques photos de plus avant que je ne change de tenue.

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Cette fois-ci, c’est moi qui quitte la pièce pour aller enfiler une robe rouge asymétrique, où des bandes stratégiquement placées laissent entrevoir juste assez pour faire envie sans être vulgaire ni faire effet saucisson. En plus, elle a un genre de soutif intégré.

Pratique !

Bon, c’est pas fait pour être porté en partant acheter le pain, mais en soirée par contre…

Je ne sais pas qui est sa copine, mais si elle arrive à me faire ressembler à ça au moment de sortir, il y a moyen qu’elle ait une cliente avant même de lancer sa collection.

De retour dans la chambre, je me mets en position et réalise que Sasha a l’air vraiment gênée et ne fait pas le moindre mouvement en direction de l’appareil.

- Quelque chose ne va pas ?

Son regard se portant absolument partout sauf sur moi, elle annonce d’une petite voix :

- … Est-ce que tu… Enfin… Il faudrait changer de sous-vêtements pour les photos de profil ou de dos…

Mes sourcils se haussent tous seuls en entendant ça. Eh ben, apparemment elle n’a pas les yeux dans sa poche quand j’ai le dos tourné.

Cela dit je ne peux qu’admirer son culot, parce que perso si j’avais eu les yeux baladeurs et remarqué quelque chose, j’aurais attendu le moment opportun pour le signaler, histoire de ne pas totalement me faire griller. Surtout si j’ai volontairement cherché à avoir une réputation de coincée !

Me tournant pour regarder mes fesses dans le miroir placé à côté de son armoire, force est de constater qu’elle a raison.

Le voilà le défaut de cette robe ! Je savais bien qu’elle était trop belle pour être vraie.

- On va vite avoir un problème je crois…  Comme tu as pu remarquer…

Je marque une pause pour lui adresser un regard entendu avant de reprendre dès qu’elle rougit :

- … je porte un tanga en dentelle et on devine limite les motifs… Si je mets un string ou rien du tout, j’en déduis qu’on va apercevoir tout aussi nettement un autre motif, plus… linéaire dirons-nous.

Son visage est tellement rouge qu’on pourrait croire qu’elle a avalé un truc de travers quand j’étais sortie et est en train de s’étouffer. C’est d’autant plus drôle que je sais que parfois on regarde sans le vouloir.

Par exemple, ma dentiste est jeune et porte énormément de décolletés. Bien sûr, elle se penche pour observer mes quenottes et c’est une lutte de tous les instants pour ne pas loucher sur ses seins ! Et je vous assure que bien qu’elle soit potable, je n’ai pas la moindre envie de reluquer et potentiellement agacer la dame en possession d’instruments de torture ayant peu évolué depuis le moyen âge.

Sasha retrouve finalement sa voix :

- Pour le coup, je pense que si tu mets un string ça va se voir aussi…

Elle a à peine terminé de parler qu’elle place ses mains sur son visage, visiblement honteuse d’avoir dit ça à voix haute.

- Sasha, serais-tu en train de suggérer l’organisation d’une mission commando dans ta chambre ?

Je ponctue ma phrase d’un sourire carnassier, fière de moi.

Oui elle est déjà à terre, à agoniser sous le poids de son embarras.

Et oui, elle n’avait certainement pas besoin que je remue le couteau dans la plaie.

Mais je suis un être cruel, que voulez-vous.

Mon sourire vacille un instant lorsque son oreiller vient percuter mon visage, mais je ne m’avoue pas vaincue pour autant :

- Je vais retirer mes sous-vêtements, je reviens…

Faisant volte-face juste avant de franchir le pas de la porte, je prends soin de lui adresser un clin d’œil coquin, simplement parce que je peux.

Voyant qu’elle se rue sur le coussin déjà à terre, je m’enfuis à toute allure, ne demandant pas mon reste.

Je fais ce que j’ai à faire et respire un bon coup avant de m’apprêter à y retourner. C’est vraiment bizarre, mais je suis beaucoup plus à l’aise à l’idée de faire la prochaine série de clichés que la première, alors même que je n’aurais pas de culotte. Tout ça parce que me moquer d’elle m’a détendue. Comme quoi… S’il faut j’avais la mauvaise approche tout du long…

Revenant dans la chambre avec en tout et pour tout la robe et mon sourire amusé, je jubile semi intérieurement (soyons honnêtes je le cache très mal) du malaise palpable de Sasha.

Elle a creusé sa propre tombe.

Pendant l’espace d’un instant, je contemple la possibilité de la tuer en me penchant pour ramasser un truc par terre avant de me raviser : James serait capable de qualifier ça de crime passionnel.

Je suis déjà à moitié convaincue que mes tentatives de limitation de désagréabilité vont être interprétées comme un aveu alors même que c’est lui qui me l’a demandé, inutile de lui donner du grain à moudre !

Par contre, m’amuser à sortir des phrases à double sens pour faire rougir ma collègue, ça je peux :

- Tu me veux où ?

Sasha m’envoie un regard très clair sur le fait que mes moqueries feraient mieux d’être rapidement avortées.

- Arrête ton cirque et tourne-toi, que je puisse voir l’étendue des dégâts.

Venant d’être réprimandée, je ne réponds pas, mais lui adresse quand même un coup d’œil sulfureux avant de m’exécuter, demandant par-dessus mon épaule :

- Alors, verdict ?

Sasha grimace et me dit la dernière des choses auxquelles je me serai attendue :

- Ben… Je viens de gruger l’étape bouquet de fleurs et dîner… Tu t’es faite arnaquer.

Éclatant de rire, je suis tentée de rétorquer quelque chose de l’ordre du “pour toi je peux faire une exception à la règle du jamais le premier soir” mais 1) elle sait très bien que cette règle est le cadet de mes soucis, 2) je n’envisage même pas de la toucher avec un bâton 3) ça reste ma collègue et 4) je fais des efforts, mais on n’en est pas au point de faire copines-copines.

Je suis tellement proche des deux guignols que j’en oublie parfois que je ne peux pas me comporter pareil avec tout le monde. Et puis c’est pas comme si avant-hier encore je ne cachais pas mon animosité pour elle et qu’elle doit certainement se demander ce qui a engendré ce 180°…

Du coup, je me contente d’un pas marrant “On fait quoi alors !? Que des photos de face ?”.

Elle hausse les épaules et annonce :

- Si t’es ok, j’imagine qu’on va faire ton premier shooting semi-érotique. Je lui dirais ce que j’en pense et elle verra par elle-même… Et ne t’en fais pas, aucune des photos ne sera postée sans ta permission.

Je la regarde, étonnée, n’ayant retenu qu’un détail de tout son speech :

- MON premier ? Ce ne serait pas le cas pour toi ?

Elle me fait un clin d’œil et me nargue :

- Tu voudrais bien savoir hein ?

Quelle pouf !

 L’audace j’y crois pas ! Je savais bien qu’il y avait une raison pour laquelle je ne l’aimais pas outre sa tronche de cake.

25 février 2018

Chapitre 6

Le réveil sonne, me sortant de mes rêves, les remplaçant par la dure réalité où je suis supposée aller travailler.

Je veux pas !

Ne me levant pas tout de suite, je prends quelques instants pour repenser à la séance photo d’hier.

Ça s’est mieux passé que je ne l’aurais cru. J’ai presque réussi à m’adapter à la nouvelle “dynamique” entre nous, même si ça n’a pas été facile. Il suffit de remplacer les remarques acerbes par des moqueries gratuites. Les doigts dans le nez !

N’en déplaise à James, je ne pense vraiment pas avoir un truc pour Sasha.

J’avais juste besoin d’un bouc émissaire et étant compétitive, j’ai pris la cible la plus évidente. La seule menace au travail, pas tant niveau des résultats, mais par son caractère. Elle pourrait se mettre nos supérieurs dans la poche. Maintenant que j’y pense, ils lui mangent déjà tous dans la main.

Mais j’avoue que c’est bizarre de réconcilier l’image que je m’étais faite d’elle dans ma tête avec la réalité. Oui, elle pose beaucoup de questions, mais j’ai pu constater qu’elle fait ça avec tout, pas spécialement pour flatter l’orateur. Pareil, elle ne commente pas forcément sur nos blagues graveleuses quand on est plusieurs, lui donnant un air prude, mais lorsqu’on est en comité réduit, elle renchérit.

Rien qu’hier soir, il y a une semaine j’aurais juré qu’elle crierait au loup si la lesbienne ne jetait rien qu’un seul regard dans sa direction, mais en fait pas du tout, elle me rendait coup pour coup. À tel point que si elle avait joué dans mon équipe, je me serais posée des questions.

Minute.

J’espère qu’elle ne croit pas que je flirtais avec elle et qu’elle sait que c’était uniquement pour la charrier ! On commence à peine à se tolérer, ce n’est pas le moment de la faire flipper !

Ces pensées m’extirpent de sous la couette et je m’habille à la hâte pour retrouver mes collègues au petit déjeuner, comptant sur l’attitude de Sasha pour m’indiquer si j’ai des raisons de m’inquiéter ou non.  

Tout le monde est déjà à table et je ne suis pas surprise de voir Alycia. Ça a l’air de rouler entre Dom et elle, c’est plutôt cool. Le fait qu’ils soient tous les deux bruyants au lit l’est nettement moins, mais j’imagine que le bonheur de mon collègue vaut bien l’achat de boules Quies et quelques séances chez le psy…

Je me penche pour leur faire la bise et m’assieds là où James vient de poser la tasse de café qu’il m’a servie.

- Merci !

Sachant qu’il est tactile, je lui fais un bisou sur la joue au passage.

Dom est le premier à prendre la parole :

- Comment ça va ? Bien dormi ? Bien aérée ?

James a l’air confus, Alycia frappe le bras de Dom et Sasha s’étouffe à moitié dans sa tasse.

- De quoi tu parles ?

Me faisant un sourire incroyablement pervers, il s’enquiert :

- T’as enfilé une culotte ce matin ?

Ma bouche s’ouvre et mes yeux vont foudroyer Sasha.

Elle m’a balancée !

J’y crois pas !

Je lui rends service et elle raconte à l’autre vicelard que je ne mets pas de culotte !

- Ohhhh toi ! Viens par ici j’ai deux mots à te dire !

Je me lève avec la ferme intention de la noyer dans la cuvette des toilettes, ignorant Dom qui explique à James sa remarque.

Alors que j’ai presque atteint une Sasha très justement terrorisée par mon approche, je suis stoppée nette par James s’esclaffant :

- Je croyais que tu avais arrêté depuis l’incident de la plateforme en verre ?

Fermant les yeux, j’essaie de maitriser mes pulsions meurtrières, tout en acceptant l’idée que la notion de dignité n’est plus qu’un lointain souvenir.

Dom n’en manque évidemment pas une miette :

- C’est quoi cette histoire ? Raconte !

Dans un volte-face plus rapide que l’éclair, je me jette sur James, plaçant ma main sur sa bouche.

- T’as pas intérêt !!!!

 Je retire ma main un quart de seconde plus tard en sentant sa langue visqueuse au creux de ma paume :

- Ewwww !

Profitant de ma distraction, il dévoile l’un de mes pires secrets dans un flow dont la rapidité vaut celle d’un roi du rap :

- Elle n’avait pas mis de culotte avec sa robe pour surprendre sa sex friend, on est passés dans la passerelle en verre allant d’un immeuble à un autre et les touristes en train de photographier le bâtiment en ont eu plein les lentilles !

Finissant de m’essuyer sur son haut, je m’assieds sur ses genoux et dissimule ma tête au creux de son épaule :

- Dès que je me serais remise de la honte que tu viens de m’infliger, je mettrais fin à tes jours de la manière la plus douloureuse qui soit.

Bien évidemment, tous les autres sont absolument hilares derrière nous. Pourquoi je suis amie avec lui déjà ?

Loin de se ruer à ma rescousse, c’est Sasha qui prend en charge les finitions de mon cercueil :

- Je me sens lésée maintenant !

Ma seule réponse est un grognement dépité, ce qui me vaut une tape de James dans le dos en mode « là… ça va aller ».

Au moins, je sais : elle n’a visiblement pas été traumatisée… Malgré tout, je crois que j’aimais mieux la version d’elle qui contemplait la possibilité d’entrer dans les ordres.

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 Je sors de la salle de formation comme un vêtement en cachemire passé à l'essoreuse : dans un drôle d'état. Le break est arrivé pile à temps.

 Alors que je m'efforce de conserver une démarche humaine en me rendant à la machine à café, je repense à la bombe que m’a balancée James il y a deux jours.

Je me suis mise à l’autre bout de la pièce et même si je fais tout pour éviter de penser à elle, impossible d’échapper à Sasha. Rien que le formateur : à chaque fois qu’il regarde vers la gauche de la salle, il vomit des arcs-en-ciel de joie rien qu’en voyant ma collègue… On a bien compris qui était la chouchoute du prof….

M'approchant de la machine à café, je glisse une pièce de 50 centimes dans la fente prévue à cet effet et opte pour un cappuccino vanille.

- Un peu de douceur dans ce monde de brutes ?

Perdue dans mes pensées, je sursaute et inspecte mon interlocuteur. Je suis nez à nez avec un beau brun, je dirais 1m80, un sourire fermement en place. J’espère qu’on ne s’est pas déjà rencontrés, parce que si c’est le cas j’ai tout oublié, jusqu’à son nom… De quelle filiale il peut être ??? 

- C'est ça.

Lui adressant un sourire bien à moi, je pose mon épaule contre la machine tandis qu'il se sert, attendant mes collègues et ne pouvant pas quitter l’espèce de cagibi tant qu’il est dans le chemin.

- T’es avec l’équipe venant de France c’est ça ?

Il semble réaliser quelque chose et ajoute :

- Oh, pardon, j'en oublie mes manières. Chris, enchanté.

Ouf, un inconnu. Je serre la main tendue et me contente d'un :

- Héléna, de même. Et oui, c’est ça. 

Mon sourire reste bravement en place tandis qu'il me tient la main pendant beaucoup trop longtemps à mon goût.

Juste quand je suis à deux doigts de récupérer mon membre par violence s’il le faut, Sasha s’approche de nous et il me libère immédiatement, reculant de plusieurs pas et me laissant la voie libre.

Une fois arrivée à proximité de Don Juan, elle s’empare de sa main qu’elle serre dans les siennes d’un air excité :

- C’est toujours bon de ton côté ?

Je fronce les sourcils devant la familiarité de son geste. Ça devrait me rassurer de la voir tripoter d’autres gens, mais ce n’est pas le cas. À quoi peut-elle faire référence ?

Je n’ai que trop conscience de la manière dont elle le fixe avec des yeux pleins d’espoir.

Elle n’est quand même pas attirée par ce bellâtre ?

Nan, elle ne peut pas être suffisamment naïve pour se faire piéger par un dragueur de bas étage. Je n’ai pas une haute opinion d’elle, mais elle pourrait trouver mieux. Fin je veux dire, physiquement elle est bien et mentalement… Elle a des atouts.

J’imagine.

Il semble savoir de quoi elle parle puisqu’il répond en souriant :

- Je te l’ai dit, j’obtiens toujours ce que je veux.

Visiblement, la modestie ne compte pas parmi l’une de ses qualités. Il a vraiment tout pour lui ! Mais Sasha ne s’en formalise pas et se contente d’un :

- Yes !

Le surprenant autant que moi, elle le serre rapidement dans ses bras avant de porter son attention sur ma petite personne.

Son immense sourire est toujours en place et même si je sais qu’il ne m’est pas réellement adressé, mon cœur manque quelques battements.

C’est pas bon signe.

Depuis « la discussion », j’ai beau lutter, je remarque et ça me terrifie.

Je remarque la manière qu’à Sasha de systématiquement toucher la personne à qui elle parle. Je remarque la couleur de ses yeux, un vert émeraude au centre, plus foncé tout autour de l’iris. Je remarque à quel point son rire est contagieux.

Et aussi à quel point je suis foutue si ça continue comme ça.  

Il est hors de question que je commence à l’apprécier.

Subconscient, que ça soit clair : c’est non, oublie ça direct !

Je suis tellement perturbée que je remarque à peine qu’elle vient de me demander quelque chose.

- Hmm ?

- Prête à y retourner ?

- J’arrive.

Ne m’attendant pas, elle fait demi-tour et son pas joyeux attire mon attention plus bas que son dos. Je ne suis pas portée fesses, mais pour le coup je pourrais établir une religion vénérant la manière dont son jean épouse ses formes.

- Elle a tendance à faire ça à tout le monde.

Il me faut quelques instants pour percuter qu’il s’est adressé à moi.

Voulant savoir si je me suis grillée en beauté, je demande :

- Comment ça ?

M’offrant un sourire compatissant, il explicite :

- Son enthousiasme est hyper contagieux, on se retrouve à sourire sans trop savoir pourquoi. C’est ce que tu viens de faire apparemment sans même t’en rendre compte.

- Il faut croire.

Je ponctue ma phrase d’un sourire crispé et retourne en direction de la salle de formation, plus perturbée que jamais.

Je dois trouver un moyen de contrôler ça, et vite. J’ai déjà du mal à me faire à l’idée qu’elle n’est peut-être pas la rabat-joie que je m’imaginais, gérer une attirance physique par-dessus le tas me paraît trop demander.

M’asseyant à côté de Dom, ce dernier me cuisine sans attendre :

- Alors ? Le tombeur de ses dames a fait une autre victime ? Lui parler t’a fait tout bizarre dans la culotte ? 

- Si elle a une culotte ! ajoute James.

Leur lançant un regard noir, je décide d’être la plus sale possible pour les punir :

- La seule humidité que ce type produit au niveau de mes cavités est du vomi dans ma gorge…

Dom fait une grimace de dégoût qui me satisfait au plus haut point.

- T’es dégueu ! Comment tu peux avoir l’air sophistiquée et être aussi… hughhh.

Il mime un frisson et je me contente de hausser les épaules :

- Votre contact j’imagine ! Mais rassurez-vous, même si je n’étais pas lesbienne, je ne vois pas comment il pourrait ramener des filles si c’est ça sa technique de drague ! À ce prix-là il devrait garder le silence, il est mieux tant qu’il ne parle pas.

Dom regarde autour de lui avant de se pencher pour chuchoter :

- Il paraît que ça a bien fonctionné sur Sasha…

Mes sourcils effectuent une rapide migration en direction de mon cuir chevelu.

Nan !

Nan ?

James me lance un petit sourire désolé dont je n’ai pas du tout besoin et ajoute :

- J’en ai entendu parler moi aussi.

- Pourquoi je ne suis jamais au courant de rien ? Depuis quand ? Comment ?

Dom place une main sur mon épaule et rétorque :

- L’an dernier, Alycia m’a raconté qu’elle et quelques collègues les avaient surpris en train de se peloter dans un couloir au retour de soirée. Quant au « comment », je vais te laisser faire tes propres recherches Google si tu veux bien !

Je n’en reviens pas.

Mon regard se porte sur ma collègue, qui rit à quelque chose que dit son voisin.

Elle… Et lui ?

Les garçons se regardent et semblent avoir une discussion silencieuse, mais je suis trop préoccupée par ce que je viens d’entendre pour m’en inquiéter.

Je ne les vois pas du tout ensemble. Est-ce que c’est toujours d’actualité ? Pourquoi elle ne l’a jamais mentionné ?

Oh, oui, on n’est pas amies, c’est vrai.

Mais quand même, fin je ne sais pas.

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 Je rentre et m’affale directement sur le canapé. Après la journée d’aujourd’hui la seule activité envisageable est de larver devant la télé.

D’ordinaire, j’aurais tendance à toujours préférer le PC, parce que subir les pubs et le programme n’est pas mon truc, mais même Netflix me demanderait trop d’efforts là !

Zappant, je tombe sur une émission au titre prometteur : hell’s cats.

Ahh…

Plaçant mes jambes le long du canapé je m’installe en occupant le plus de place possible, profitant du fait que James et Dom sont partis ennuyer quelqu'un d’autre. Sasha est dans sa chambre, sûrement en train de retoucher les photos qu’on a prises pour son amie.

Au bout de quelques minutes à peine, je suis au taquet sur le chat trop mignon qui se transforme en bête féroce pour peu qu’on tente de le caresser.

J’entends une porte s’ouvrir et fais un petit sourire poli en direction de la Sasha en peignoir qui vient d’apparaître dans l’embrasure.

Elle s’approche du canapé, soulève mes jambes, s’installe en dessous et les repose. Comme à la zonzon la nana ! Sans gêne !

- On regarde quoi ?

Parce qu’en plus elle a visiblement l’intention de s’incruster…

Sois sympa Héléna. Tu as promis à James…

- Un comportementaliste félin qui aide un couple avec leur chat qui a des tendances schizophrènes.

- Cool.

Ses yeux vont se placer sur l’écran et je détaille son profil malgré moi. Il faut absolument que je trouve le moyen de contrôler cette impulsion récente et malvenue !

Je n’ai même pas envie de regarder ! Je suis sûre que c’est mon subconscient qui fait de la psychologie inversée, ou je ne sais pas quoi ! Genre « aha, elle refuse de regarder, bah je vais faire en sorte qu’elle développe une nouvelle fascination pour l’exact ton de vert qu’ont les yeux de sa collègue ! ».

Connard !

Fort heureusement, la vue de chats semble avoir le même effet hypnotique sur elle que sur moi, me permettant de m’adonner à ce plaisir coupable.

Ses cheveux sont en bataille, simplement glissés derrière l’oreille et je me demande comment elle a pu se décoiffer à ce point en si peu de temps. Les photos ne doivent pas être aussi bonnes qu’elle a voulu me faire croire. Je souris en l’imaginant se les arracher à moitié devant la piètre qualité des clichés.

- J’ai quelque chose sur le visage ?

Prise en flagrant délit, mon réflexe, aussi navrant que ça soit, est de fermer les yeux.

Si je la vois pas elle ne me voit pas non plus c’est bien ça ?

Je sens son regard sur moi.

Elle attend une réponse Héléna !

- Non.

Oh mon Dieu. Pitié, dites-moi que ce pathétique croassement est l’œuvre de quelqu'un d'autre ?

Sa main caressant mon tibia, juste sous mon genou, me fait ouvrir les yeux.

- Relax Héléna. J’ai habitude que ma coiffure anti-gravitationnelle attire l’œil.

Elle reporte son attention sur la télé avant d’ajouter :

- Et non, tu ne connaîtras pas mon secret.

Je lui suis reconnaissante du changement de sujet, mais pas assez pour me demander si elle a conscience que je n’observais pas que ses cheveux.

Et si tu ne veux pas avoir à te justifier, tu ferais mieux de regarder l’écran imbécile.

Depuis que j’ai décidé d’arrêter de me comporter comme une garce avec elle, c’est comme si elle avait perçu cette porte entrouverte et s’était s’engouffrée dans la brèche. Un peu comme un témoin de Jéhovah à qui on ne dirait pas non d’entrée.

Pour être honnête, je ne sais pas quoi faire de l’intruse, ni comment m’en débarrasser.

Bien que ma tête soit tournée en direction de l’émission, mon attention est entièrement captée par les caresses sur ma jambe.

De base, c’était pour me réconforter, je l’ai bien compris, mais par contre la raison pour laquelle elle continue m’échappe totalement.

Est-ce que c’est un mouvement inconscient ?

Je devrais lui faire remarquer ?

Ouais non, si elle le fait volontairement ça va juste être bizarre.

Et pas la peine d’y lire quoi que ce soit. Tu as appris hier que ses goûts se portaient plutôt sur des BB : benêts bodybuildés.

N’empêche, je me demande vraiment ce qu’elle peut bien lui trouver...

- Je t’entends réfléchir d’ici !

Penaude, je me défends néanmoins :

- Excuse-moi d’être cortiquée !

Elle tourne la tête pour me fixer, un sourcil relevé, ne faisant pas de commentaire.

Au bout de quelques instants, je ressens le besoin de rajouter quelque chose. Je déteste quand les gens me mettent la pression par leur silence !

Dans la panique, je dis une des plus pitoyables répliques de ma vie :

- Tu regardes pas non plus !

Ça me coûte, mais je me retiens de croiser les bras, ne voulant pas avoir l’air encore plus infantile. Je vous jure, il y a une époque où j’arrivais à me comporter en adulte !

Ses lèvres s’étirent jusqu’à former un sourire affectueux et c’est avec effroi que je la vois tendre les doigts et me pincer la joue dans un “t’es trop mignonne !”.

Chassant sa main d’un mouvement de la mienne, comme on le ferait avec une mouche nous tournant autour, je hausse mon niveau de menace :

- Tu cherches la mort Dastré ?

- Oh allez, dois-je te rappeler que demain tu seras mon esclave personnelle et qu’hier soir j’ai photographié tes fesses ? Je pensais qu’on avait atteint une certaine familiarité.

OMG elle se permet de me provoquer en plus ?

- Je vais t’en montrer de la familiarité !

- Ouuhhh j’ai peur ! Tu comptes me faire quoi exactement ?

Ne pouvant pas tolérer un affront supplémentaire, je pose un pied par terre pour me relever, ayant la ferme intention de lui faire regretter de m’avoir défiée. Je dirais aux garçons que c’était un accident !

Malheureusement, elle me voit venir et me pousse au niveau des épaules, tentant de me forcer à rester allongée.

J’essaie de résister autant que possible, mais Sasha place une partie du poids de son corps derrière le mouvement et mes pauvres abdominaux n’ont pas été conçus pour supporter tout ça.

Ils me lâchent au moment où j’ai le plus besoin d’eux et je m’effondre d’un coup en arrière.

Ne s’y attendant pas plus que moi, elle tombe à moitié son mon corps, se retenant uniquement par ses mains sur mes épaules.

C’est à ce moment-là que la porte s’ouvre :

- Les filles, regardez sur qui je suis -

Sasha me libère instantanément et se relève d’un bond, mais pas avant que Dom ait pu la voir quasi allongée sur moi, toute décoiffée, en peignoir entre mes jambes écartées.

Nickel quoi.

Pas du tout compromettant comme position.

- … tombé !?

Tout en resserrant les pans de son vêtement, Sasha s’exclame :

- Ce n’est pas ce que vous croyez !

Arrrgh, mais pourquoi elle dit ça ? C’est encore pire !

Franchissant la porte et suivi de près par Chris, Dom demande :

- Héléna, t’étais consentante au moins ?

Je m’empare d’un coussin que je viens poser sur mon visage dans un grognement. J’envisage sérieusement de m’auto-étouffer si ça peut me permettre de me sortir de cette situation.

Étonnamment, c’est Sasha qui me tire d’affaire. Elle se relève en m’arrachant l’oreiller pour le propulser en direction de mon collègue.

- Très drôle.

Pointant un sachet que le bellâtre porte à son bras, elle s’exclame :

- C’est ce que je crois ?

Il lui adresse un sourire radieux et hausse les sourcils d’un air joueur :

- Peut-être bien…

Le visage de Sasha s’illumine et elle s’empare de sa main pour le traîner dans sa chambre.

Ça ne me fait rien du tout de la voir s’isoler avec lui.

Nope.

Que dalle.

Elle fait ce qu’elle veut et après tout le mauvais goût n’est pas contagieux.

M’asseyant convenablement sur le canapé, je suis sortie de mes pensées et sauvée de l’interrogatoire que Dom s’apprêtait sans nul doute à m’administrer par le bruit strident de la sonnette.

Bondissant (littéralement) sur l’occasion, je vais décrocher le combiné et laisse rentrer mon interlocuteur.

Mon colis est enfin là !

Pile à temps.

J’entrouvre la porte et fais mine de guetter le couloir, davantage pour échapper à Dom que par peur de manquer l’arrivée du livreur.

Étant donné qu’il me connaît très bien, Dom a conscience que je suis en mode “évitement total” et que je n’hésiterais pas à nier l’évidence même dans ces cas-là. C’est pourquoi plutôt que d’essayer de me tirer les vers du nez dans l’instant, il se contente d’un :

- Toi et moi on va avoir des choses à se dire… Crois pas t’en sortir comme ça.

Nul besoin de me retourner pour savoir qu’il me pointe d’un doigt accusateur avant de quitter la pièce. À peine est-il parti que mes épaules se relâchent, libérant la tension que je n’avais pas conscience d’avoir emmagasinée.

Je signe rapidement le bon de livraison et m’empare du colis. Il ne faut pas que Sasha le voie, l’effet de surprise est crucial.

Me dirigeant vers ma chambre, je passe celle de ma collègue et ignore la désagréable sensation qui me parcourt en l’entendant rire à quelque chose qu’a dit M. Muscle. Il a l’air d’avoir bien pris la “surprise” en ouvrant la porte. Non pas que j’aurais aimé que ça jette un froid entre eux, mais à sa place j’aurais quand même eu quelques questions...

À peine la porte fermée, je sors la tenue du paquet et commence à reconsidérer mes fabuleuses idées.

J’ai entendu les garçons douter du fait que j’allais me plier aux règles du pari et ça m’a offusquée.

Alors histoire de montrer que je suis bonne joueuse, j’ai commandé un costume de soubrette pour la belle journée de servitude qui m’attend demain. Parmi les nombreuses variations à vocation érotique, celle-ci me paraissait être la plus “habillée” du lot. Et le fait que le formulaire de commande proposait un tableau des tailles à prendre en fonction de nos mensurations m’avait convaincue que ça allait bien se passer.

Pour le coup, je les soupçonne d’avoir quelques soucis de confusion cm /mm.

J’étais persuadée à 99% de ne pas finir avec quelque chose tout droit sorti d’un sex shop.

Oh comme j’avais tort...

Plus qu'à l'essayer j'imagine.

J'enfile le tout et m'apprête à me regarder dans le miroir, non sans appréhension.

La vue devant moi me laisse dubitative. Oui, ça me va comme un gant, enfin comme une mitaine plutôt vu la quantité de tissu. Mais je ne suis pas sûre que flasher mes collègues vaille le coup de la blague. Contrairement à ce que l’histoire de sortie sans-culotte leur a fait croire, j’ai quelques notions de pudeur.

Euréka !

Sasha ne se lève jamais avant neuf heures les week-ends, James encore plus tard et Dom a prévu de partir “dormir” avec Alycia. Donc si je mets un réveil vers huit heures, je peux lui apporter le petit déjeuner au lit, lui extirper un sourire avec ma tenue et me changer. En plus, elle sera certainement à moitié comateuse et ne remarquera pas le côté “minimaliste” de celle-ci.

Parfait !

4 mars 2018

Chapitre 10

Groggy, il me faut au minimum dix secondes pour comprendre où je suis.

Dès l'instant où c'est fait, il paraît évident à qui appartient le bras enroulé autour de ma taille et le corps dans mon dos. Comment j'ai pu m'endormir dans sa chambre ? Sérieux c'est comme si je faisais exprès de me mettre dans des situations pas possibles ! La vie a décidément le sens de l’humour. Ah si si, elle adore se foutre de ma gueule.

Ok, reste calme Héléna. Inutile d'en faire tout un foin. Tu n'as qu'à t'éclipser discrètement et ne jamais plus le mentionner. Ou sinon, il paraît que c'est très tranquille la Laponie, tu pourrais t'y exiler pour le restant de tes jours.

Maintenant que je suis éveillée, je sens un corps étranger me rentrer dans la cuisse. Sortant mon téléphone de ma poche, je regarde l'écran et grogne en voyant l'heure. C’est le moment d'effectuer mon numéro de disparition à la David Copperfield ! En dehors des week-ends ma collègue se lève toujours à 7h45 pile, ce qui me laisse un total de deux minutes pour m’extirper de son étreinte sans la réveiller, tirer les couvertures pour faire mine "non, je n'ai pas passé la nuit ici" et retourner dans ma chambre.

Facile.

Sauf qu'il ne te reste plus qu'une minute avec tout le temps que tu passes à te parler à toi-même.

Oh ta gueule.

C'est pas normal d'être capable de se disputer toute seule tu sais ?

Hors de question que je réponde à ça !

Prenant la main de Sasha dans la mienne pour ralentir la chute de son bras une fois que je me serai éclipsée, je n'ai même pas le temps de la soulever pour partir que réglée comme une horloge suisse, Sasha s'étire dans mon dos.

Elle se presse encore un peu plus contre moi et si j'avais une once de décence j'aurais probablement honte de savourer l'instant.

Oh well... Foutue pour foutue.

Maintenant non seulement elle se réveille collée à moi, mais en plus on se tient la main.

Ok, dernier espoir : ferme les yeux. Tu dors profondément et n'as aucune idée de ce que ça fait de se faire spooner par Sasha.

Ne voulant certainement pas se lever, elle blottit son visage à l'arrière de ma nuque et y dépose un baiser.

 - Bonjour ! Ça fait longtemps que t'es réveillée ?

Instantanément, un frisson me parcourt. Le combo voix un peu rauque plus bisou dans le cou ne me laisse aucune chance de feindre le sommeil. Un petit mensonge blanc ne fait de mal à personne :

- Quelques instants.

Ok. État des lieux. On a toutes les deux reconnu être réveillées alors c'est la partie où l'on s'excuse d'avoir collé l'autre en dormant et on retourne à nos vies.

Ça va se produire d'une seconde à l'autre maintenant.

Plus qu'à attendre...

Bon...

- Je sais pas pour toi, mais j'ai très bien dormi ! Merci d'être restée.

Ohhh non je refuse d'avoir cette discussion ! C'est le moment où je me lève avant de dire des bêtises parce que j'ai la tête encore à moitié dans mon cul !

Voici le plan : faire glisser mon épaule en contact avec le lit vers l'avant pour me faufiler hors de son étreinte sans trop la déranger, atterrir sur le dos et me relever. Malheureusement, Sasha ne me laisse pas m'en sortir si facilement, refermant sa main sur le tissu de mon haut une fois que je suis quasi libérée, me coinçant façon tortue sur sa carapace :

- Encore 5 minutes s'il te plaît...

Je lui jette un coup d'œil qui s'avère être une énième erreur. Elle est décoiffée, la tête posée sur l'oreiller, un petit sourire aux lèvres et les yeux dans les miens. Mon cœur manque un battement (ou quinze) en voyant ça.

Retrait immédiat de toutes les forces au sol, la mission est annulée, je répète, la mission est annulée !

Rassemblant ce qu'il me reste de volonté, je m'apprête à lui balancer la première excuse qui me viendra à l'esprit, peu importe sa qualité, lorsqu'elle rajoute :

- Tu veux bien me prendre dans tes bras ?

Je continue de l'observer, mais cette fois comme si elle avait trois têtes.

Maintenant serait un bon moment pour pondre ton mensonge et partir Héléna...

Mais rien à faire, je suis incapable de faire quoi que ce soit d'autre que de rester à moitié sur le dos à cligner des yeux dans sa direction.

Bonjour, je suis la réincarnation d'une carpe.

Je ne m'attendais tellement pas à ce qu'elle demande ça que je me retrouve comme buguée. Pourtant, je connais la bonne réponse, "que dalle, même pas en rêve", mais elle finit bloquée dans ma gorge.

J'en crève d'envie et c'est bien le problème. Comment j’ai pu passer d’un extrême à l’autre sans même m’en rendre compte ? Constatant que les paroles ne m'atteignent pas, elle laisse échapper un petit rire et se moque :

- Qui aurait cru qu'il suffirait de te réveiller au lit avec moi pour perdre tous tes moyens ! Je sais que je fais de l'effet, mais quand même !

Hey !

Je fronce les sourcils et pince les lèvres pour marquer mon mécontentement, consciente que ça n'améliorera pas mon image tant que je serai incapable d'en placer une. Et puis depuis quand je ne la terrifie plus au point qu'elle se permette d'arrogantes railleries !?

J'attends juste que ma célèbre répartie revienne de sa pause-café qui s'éternise !

Un sourire malicieux se forme sur les lèvres de Sasha et je suis sûre à 99.99% que je ne vais pas aimer sa prochaine réplique :

- Qui ne dit mot consent. Allez, fais-moi mon câlin !

Elle me saisit doucement par le bras, me guidant dans sa direction et comme une imbécile je me laisse faire et ne bronche même pas lorsqu'elle positionne elle-même mon bras au creux de son dos. 

Jouer au docteur je connaissais, mais à la poupée c'est une première !
Pourquoi faut-il qu'elle soit aussi tactile !?
Et laissez-moi vous dire un truc : si je pensais déjà que le mode cuillère était trop, la version face à face on respire le même air est encore pire !

Il me suffirait de parcourir quelques centimètres pour poser mes lèvres sur les siennes... Instinctivement, j'humidifie mes lèvres et constate que son regard suit le mouvement de ma langue.
Omg le fait qu'elle ne me laisse pas indifférente doit être écrit sur ma face !

Hors de question de risquer qu’elle ne déduise de (très justes) conclusions ! C'est une chose d'être attirée physiquement par mon ancienne ennemie jurée, une autre qu'elle en ait la confirmation.

Je soulève le menton afin qu'elle cale sa tête dans mon cou, son nouvel endroit favori si vous voulez mon avis, et reprends un peu mes esprits :
- Si ça sort de cette pièce, t'es morte Dastré.

Ma menace produit l'effet opposé puisqu'elle ricane et se rapproche encore de moi avant de lancer :
- Tu réalises que quasi tout le monde pense déjà qu'on couche ensemble hein ?

PARDON ?
Mon cœur s'emballe comme si j'étais dans la dernière ligne droite d'un 200 mètres haies.

Je recule uniquement ma tête pour venir trouver son regard :
- Dis-moi que tu plaisantes !
Elle me donne une petite tape de sa main et reprend :
- Tu pourrais avoir l'air un peu moins horrifiée à cette idée s'il te plaît ?

Euh... NON !
Je veux dire, je ne tente pas ma chance, car elle est avant tout ma collègue et que je refuse de ruiner ma réputation durement acquise pour les quelques jours qu'il nous reste à passer ici.

Oui, physiquement j'ai envie d'elle, mais je ne suis pas dans une période de détresse sexuelle m'incitant à saisir la moindre opportunité.
- Je ne pige pas... Pourquoi ?

Sasha me regarde avec affection, un peu comme si j'étais une enfant qui demande si le père Noël va réussir à venir malgré l'absence de cheminée.
- On est dans une entreprise majoritairement masculine, les 3/4 étaient devant le match de basket et ceux qui ne l'ont pas vu ont pu nous découvrir en couverture du journal... Le kiosque est sur le chemin des restaurants.

Ohhh ! Certes...

- Et t'as pas nié ?
Ma collègue m'adresse un sourire coquin et rétorque :
- Tu t'es vue ? À les entendre, tes parties génitales sont quasiment une terre promise, j'ai jamais été aussi populaire que maintenant ! Tapes dans le dos incluses !

Je l'observe d'un air circonspect, aucun moyen de savoir si c'est du lard ou du cochon. J'espère vraiment qu'elle dit ça pour me faire marcher... 

Passant ma main dans mes cheveux, je tente de dédramatiser :

- C'est vrai qu'il te serait difficile de me résister...
Ponctuant ma réplique d'un sourire arrogant, je m'attends à ce qu'elle se moque de moi, mais elle se contente de hausser les épaules en répondant :
- Peut-être que j'ai pas essayé...

Mon cœur se remet à faire des siennes en entendant ça.
Elle plaisante une fois de plus.
Je crois.
Mon sourire vacille un peu et je la cherche du regard.

On s'observe mutuellement pendant bien cinq secondes, sans dire le moindre mot. Elle soutient mon regard et j'ai du mal à ne pas baisser les yeux devant l'intensité de l'échange.
Ayant peut-être trouvé ce qu'elle attendait, Sasha brise la connexion, place un baiser sur ma joue et sort du lit.
Quant à moi, je ne sais pas quelles réponses j'espérais obtenir, mais j'en ressors encore plus confuse. 

Elle vient de flirter avec moi ou est-ce que c'était une énième moquerie ?
Avec tout le temps que j'ai passé à lui attribuer les pires défauts de l'univers, il m’est difficile de cerner où s'arrête la partie imaginaire et où commence la réalité...

Secouant ma tête dans l'espoir que ça me remette les idées en place, je me dirige vers la cuisine étant donné que Sasha occupe la salle de bain.
Arrivant dans la cuisine, je remarque immédiatement un petit mot placé en évidence sur la table. M'en emparant, je reconnais l'écriture de Dom :
J'ai voulu passer voir comment tu allais Héléna. Quelle ne fut *pas* ma surprise de te savoir dans la chambre de Sasha. Visiblement vous vous êtes réconciliées. Comme James et moi ne tenons pas à entendre vos gémissements, on dort chez Alycia. Profitez bien et à demain ! ;)

Quel petit...

- Fais voir ?!
Sasha consulte le contenu de la note et me regarde en haussant un sourcil :
- Je te l'avais dit !
- Gna gna gna !

Ignorant ma répartie digne d'une cour de récré d'école primaire, Sasha propose :
- Tu fais le café je m'occupe des tartines ?

N'importe quoi pour éviter de repenser à cette histoire de gémissement. Avec des amis comme ça, on n'a pas besoin d'ennemis !
- Deal.

On "travaille" ensemble en silence et nous installons à la table comme un vieux couple.

Sasha demande :

- Tu crois qu'on en verra un jour la fin avec leurs insinuations ?

- Après ça ? Nan.

Elle grogne et grimace, annonçant :

- J'avais pas besoin de ça, James n'arrête déjà pas de m'embêter par rapport à toi...

Minute, elle aussi ?

- M'en parle pas !

Elle acquiesce d'un hochement de tête, croquant dans sa tartine avant de reprendre :

- Si tu as envie de concocter une vengeance à titre de répercussion, tu peux compter sur moi !

- La même !

Le reste du repas se termine quasiment en silence et j'attrape le journal d'hier laissé en évidence sur la table par les deux zouaves. Un sourire gagne mes lèvres en regardant l'article en couverture. Faudra que je le prenne en photo, je veux conserver un souvenir. Me voyant le fixer, Sasha annonce :

- Faut trop que je le garde celui-là !

C'est sûrement con, mais ça me fait plaisir qu'elle souhaite conserver une trace de cette journée passée ensemble.

L'observant, je valide :

- C'est justement ce que j'étais en train de me dire.

Elle s'empare de mon téléphone et le soulève pour me le montrer en demandant :

- Je peux prendre une photo et me l'envoyer, le mien n'a plus de batterie ?

Sans réfléchir, je n'hésite pas avant de lancer :

- Vas-y, 7891.

Elle tape mon pin et marque un temps d'arrêt que je mets quelques secondes à remarquer, étant perdue dans mes pensées.

- Pardon, je...  Tu as reçu un message. Ça s'est ouvert tout seul. Désolée.

J'ai envie de me facepalm.

Bien sûr, la dernière chose que j'ai regardée hier c'était le SMS de Rachel.

Je récupère mon smartphone, essayant de faire un mouvement lent pour la jouer décontractée et éviter l'effet "j'ai quelque chose à cacher", même si j'ai juste envie de lui arracher des mains.

Passant en mode appareil photo sans même jeter un seul regard au message en question, je lui redonne le téléphone, malgré son évident malaise.

Je suis dégoûtée qu'elle l'ait vu.

Attrapant sa main dans la mienne, je l'encourage à me regarder en serrant un petit coup avant de tenter de la rassurer :

- T'inquiète c'est pas ta faute. Supprime pas la photo après hein !

Je fais glisser le journal dans sa direction et l’observe cadrer le tout avec minutie.

Je vois bien qu'elle a quelque chose sur le bout de la langue, mais attends qu'elle se décide à en parler. Ça ne sera pas long.

Sans oser croiser mon regard, occupée à prendre un autre cliché, uniquement de l'image cette fois, elle s'enquiert :

- Donc... Rachel huh ?

Je laisse s'échapper un petit soupir, réfléchissant avant de formuler ma réponse.

Ses yeux viennent trouver les miens et je hausse les épaules :

- Après tout ce temps sans nouvelles, j'ai reçu ça hier.

J'essaie de cacher l'amertume dans ma voix, mais ne suis pas sûre que ça soit un succès. Et puis de toute manière, je préfère qu'elle sache que je n'ai pas sauté de joie lors de sa lecture.

Too little, too late.

Sasha se mordille la lèvre et commente :

- Il n'y a que moi qui interprète ça comme un "j'ai fait une connerie, reviens" ?

- … Nan.

Je n'élabore pas, il n'y a rien à dire de plus sur le sujet.

Fort heureusement, je suis sauvée par Sasha qui s'exclame :

- Héléna Mescat, pourquoi y a-t-il un portrait de sorcière rattaché à mon numéro en tant que photo de contact ?

Écarquillant les yeux, la panique me gagne et je réponds la première chose qui me vient à l'esprit :

- Je sais pas !?

-_-

Autant dire que niveau mensonge on a vu mieux. Elle m'adresse un regard entendu et réplique :

- En plus, ce n'est pas ressemblant, je suis sûre qu'on peut mieux faire.

Bon, elle n’a pas l’air fâchée c’est déjà ça !

Attrapant sa tartine de Nutella, elle fait exprès de s'en mettre plein les dents avant de prendre un selfie en mode "tout sourire", me rendant le téléphone non sans une pique :

- Tiens, tu l'attribueras toi-même, hors de question de parcourir ta galerie et risquer de tomber sur tes photos de nu.

Refusant de la laisser avoir le dernier mot, je lui fais un clin d'œil et annonce :

- Tu loupes quelque chose, on m'a dit qu'elles étaient très réussies !

Mes yeux se posent sur l'abomination qu'elle vient de réaliser et il est inconcevable que j'utilise celle-là. Lui tendant mon téléphone, j’ordonne :

- Fais-m'en une bien !

Sasha ne répond pas, m'adressant un sourire satisfait sans faire le moindre geste en direction de mon smartphone. Du coup, je le secoue un peu sous ses yeux, comme si c’était un nourrisson à qui je présente un hochet :  

- Allez Sasha, s'il te plaît !!!

Sortant un peu ma lèvre du bas, je fais de mon mieux pour l'apitoyer de mon regard.

Si on m'avait dit que j'en arriverais là pour obtenir une photo d'elle, j'aurais envoyé la personne à l'asile direct, sans check-up préliminaire.

- Bon ok. J'ai toujours pensé que je ne serais pas le genre de star à ignorer ses fans.

Pour le coup, j'ai plein de répliques moqueuses et désobligeantes qui me viennent à l'esprit, mais ce n'est pas le moment. Ça me fait sûrement un joli point commun avec les pervers obsédés par quelqu'un, mais j'ai vraiment très envie d'avoir un cliché d'elle, encore plus un que je serai la seule à avoir.

Elle en prend deux ou trois toute seule avant de se positionner à côté de moi, passant son bras autour de mon épaule et collant sa tête à la mienne.

Sans m'en rendre compte, je fais un énorme sourire lorsqu'elle dépose un bisou sur ma joue. J'espère que ça ne se verra pas trop sur la photo.

Elle me rend mon smartphone et je lui demande :

- Tu veux te doucher en premier ou j'y vais ?

Posant une main sur son cœur, elle s'exclame :

- Tu veux dire qu'après cette nuit tu ne me proposes même pas de te rejoindre !?

Madame est décidément taquine ce matin...

Marquant un point d'honneur à la regarder avec l'air le plus suggestif possible, je place un doigt sous son menton, l'incitant à croiser mon regard :

- Tu es plus que bienvenue...

Elle a l'air complètement choquée et ça m'encourage à lui adresser un clin d'œil pour enfoncer le clou.

Je fais volte-face et suis très contente de moi ! Si j'en avais une, je me donnerais une médaille en chocolat !

Faudrait pas qu'elle s'habitue à ce que je sois perpétuellement une idiote bégayante à son contact non plus, non mais oh.

Je vais dans la salle de bain et ne verrouille pas la porte juste pour asseoir le fait que j'ai le dernier mot et que je n'ai pas peur d'elle. Mwhahaha. C'est moi la patronne ici !

7 mars 2018

Chapitre 11

Vingt minutes plus tard, je ressors, sans visiteuse impromptue (comme c'est étonnant, que de la gueule) et trouve mes trois collègues affalés sur le canapé et l'un des fauteuils. M'asseyant, mes yeux vont se poser sur Sasha qui a les joues rougies. Elle vient d'être victime de leurs moqueries, c'est sûr.

Remarquant ma présence, Dom s'exclame :

- Ah te voilà ! Sasha n'a pas voulu nous donner le moindre détail sordide !

Roulant des yeux tellement loin que j'en teste l'élasticité de mon nerf optique, je rétorque :

- Parce qu'il n'y en a pas.

James demande :

- Alors pourquoi tu as une marque dans le cou ?

Je sais ce que ce vicieux cherche à faire : il cherche à me faire porter ma main à mon cou, ce qui confirmerait la possibilité qu'il se soit passé quelque chose.

Mais je ne suis pas un lapereau de deux semaines et me contente de lever un sourcil en répondant :

- Tu parles du fruit de ton imagination ?

Il pince les lèvres, certainement dég que ça n'ait pas marché.

J'ai la ferme intention de me moquer de lui, mais suis interrompue dans mon élan par un SMS. Saisissant mon téléphone, je vois qu'il est de Sasha, la même qui se trouve à moins de trois mètres de moi :

Tjrs partante pour une vengeance ? Si oui joue le jeu.

M'assurant que les garçons ne m'observent pas, je croise son regard et fais un minuscule signe de tête pour signaler mon accord.

La conversation n'a pas le temps de vraiment reprendre que Dom pose une nouvelle question indiscrète à Sasha qui se lève et annonce :

- On voulait attendre avant d'en parler, mais puisque vous n'arrêtez pas...

Sans dire un mot de plus elle s’installe en travers de mes genoux, plaçant un bras autour de mon épaule et se collant contre moi.

Euh... Sasha ? Je ne suis pas sûre de savoir où tu comptes en venir avec ce plan foireux. Excepté à ma potentielle combustion spontanée...

Les deux zouaves nous fixent avec d'énormes mirettes, semblant ne pas en croire leurs yeux. Z'êtes pas les seuls les gars...

Sentant certainement que je suis plus proche de la barre en métal que du roseau niveau rigidité, Sasha me murmure à l'oreille :

- Joue le jeu, mate leurs tronches et ose me dire que rien que pour ça, ça ne vaut pas le coup !

Les regardant à nouveau, force est de constater qu'elle marque un point tout à fait valide. Ils ont tellement des têtes de cons que j'éclate de rire.

Dom semble douter en me voyant m'esclaffer et demande confirmation :

- Vous nous faites marcher !? Héléna !?

Sasha adopte un air offusqué :

- Ah parce que je ne suis pas digne de confiance ! Tu crois que j'aurais risqué ma peau à l'approcher sans permission juste pour pouvoir me moquer de vous !?

La réponse est un gros OUI, mais eux n'en savent rien et se retrouvent à bégayer des justifications assez pitoyables je dois avouer. On dirait deux gosses qui viennent de se faire reprendre par un adulte qui leur est étranger !

Mais bon, pour une fois que je suis du bon côté de la blague, je n'hésite pas à en remettre une couche pour justifier ma réaction :

- Si t'avais vu vos expressions faciales toi aussi tu te serais marré, mais je confirme que de toutes les femmes du monde, c'est avec ce suppôt de Satan que j'ai fini...

James sort de son état catatonique et s'exclame :

- Yes ! Je le savais ! Je suis vraiment un génie !

Sasha et moi nous regardons, mutuellement blasées.

Il s'auto-congratule pendant quelques instants avant de tendre la main vers Dom, paume en l'air :

- Tape-m'en cinq ! On est les cupidons modernes mec !

Je les regarde faire et aller jusqu'à se lever pour bumper leurs torses l'un contre l'autre. C'est dans ces moments-là que je réalise que malgré toute l'affection que je leur porte, ce n'est pas une mauvaise chose que je sois homo.

Tandis qu'ils font leur étrange danse digne d'un documentaire animalier sur les gorilles, je remarque que Sasha me caresse l'épaule de sa main.

La vraie question est : est-ce qu'elle le fait pour mieux vendre le truc ou est-ce que c'est inconscient ?

J'ai dû rater un épisode, car une seconde plus tard, je vois les garçons enfiler leurs vestes. Toujours coincée sous Sasha, je demande :

- Vous allez où ?!

- Fêter ça !

Ignorant le fait que nous sommes le matin, qu'il est trop tôt pour l'apéro, qu'il n'y a rien à fêter et qu'on doit être les fesses dans la salle de formation d'ici 45 minutes, Sasha s’exclame :

- Et vous n’invitez même pas les principales concernées ?

James l'observe comme si elle venait d'annoncer avec sérieux que la terre est plate et lève la main pour signaler à un Dom tout aussi offusqué par cette suggestion qu'il va se charger de répondre :

- Cette nouvelle nécessite une célébration virile, durant laquelle nous allons passer en revue tous nos coups de génie qui ont mené à cette inéluctable/inévitable conclusion.

Les fixant d'un air circonspect, elle émet un "hmm hmmm" peu convaincu.

Ils s'empressent de quitter la pièce et je me fais violence pour attendre qu'elle se lève au lieu de catapulter Sasha loin de moi.

Fort heureusement, elle ne tarde pas trop à le faire et une fois qu'elle me fait face, je lui adresse un :

- Mais... C'est quoi ce plan foireux ?

Haussant les épaules, elle répond :

- Je t'ai indiqué les raisons et tu as accepté de jouer le jeu.

- Tu réalises qu’ils n’y croiront jamais ?

- Pour l'instant ça fonctionne et on a la paix.

Je prends un moment pour réfléchir à cette idée, tandis que Sasha continue :

- Ils sont tellement persuadés d’être dans le vrai qu’ils n’ont pas besoin d’être convaincus, c’est ça le truc.

Mouais.

Moi j’aurais bien besoin de l’être.

Parce que là de son point de vue je peux comprendre que ça ne mange pas de pain, elle n’a aucune notion d’espace vital quoiqu’il arrive… Mais ce n’est pas mon cas.

Et puis elle a déjà laissé croire aux petits vieux de la gay pride qu’on était ensemble, maintenant les collègues… C’est quoi ce délire ? J’espère qu’elle n’est pas de ceux qui ont « peur » de passer pour homophobes et du coup en font des tonnes.

J’essaie désespérément de ne pas m’attacher à elle plus que je ne le devrais et en soi c’est déjà un échec totalement épique, alors me demander de prétendre avoir de l’affection pour elle n’est pas le problème.

Le problème est de garder en mémoire le fait que ce n’est qu’un acte.

Et ça, je ne suis pas sûre d’en être capable.

En plus, ce ne serait pas vraiment juste envers elle, j’aurais l’impression de profiter de la situation.

C’est sûrement ta seule occasion en même temps…

Nan, il faut que je limite la casse tant que c’est possible :

- Je sais pas Sasha… C’est comme utiliser un canon pour tuer une mouche. Leurs moqueries ne valent pas les efforts nécessaires pour rendre cette relation crédible.

Je détourne la tête en parlant, ne souhaitant pas la voir lorsqu’elle acquiescera très certainement dans un haussement d’épaules détaché.

- Héléna, je ne te demande pas de coucher avec moi ou de m’épouser, pas même de m’embrasser… Juste de m’autoriser à être aussi proche qu’on l’a été ces derniers temps et les laisser continuer à y voir ce qu’ils veulent.

Super.

Comment je suis supposée rejeter l’idée alors qu’elle vient de me dire que ce n’était pas la mer à boire ?

J’ai dû garder le silence un peu trop longtemps puisqu’elle place sa main sur ma joue, m’encourageant à venir trouver son regard :

- Hey. On teste comme ça et on arrête à l’instant où tu te sens mal à l’aise, ok ?

On stoppe maintenant alors ?

Les yeux dans les siens, je vois qu’elle pense ce qu’elle dit et me retrouve à répondre :

- Ok.

14 mars 2018

Chapitre 15

Le problème de mon mensonge génialissime concernant ma nervosité en avion, c’est que j’ai dû faire semblant pendant tout le trajet.

Enfin non.

J’étais stressée, mais pas à cause du vol.

En retournant dans la salle tout à l’heure, j’ai réalisé que je ne veux pas perdre ce qu’il y a entre Sasha et moi. Peu importe ce que c’est. J’ai eu beau résister de toutes mes forces, j’ai l’impression qu’on a établi une connexion.

En rentrant à l’appart, le fait de faire nos valises et laisser derrière tous ces souvenirs… Ça m’a fait quelque chose.

Du coup, le plus simple pour savoir si j’ai mes chances ou non c’est de lui demander à chaud, à l’aéroport, si elle serait ok pour qu’on dîne ensemble un de ces quatre, juste toutes les deux.

J’espère pouvoir deviner ses sentiments grâce à sa réaction, mais j’avoue que je flippe quelque chose de bien. Je n’ai pas l’intention de lui présenter ça comme un rencard, parce qu’à dire vrai je me contenterais même de son amitié si elle me la donne, mais je me dis qu’en fonction de sa manière de réagir, j’arriverais sûrement à savoir si son intérêt est platonique ou non.

Enfin je crois.

Enfin j’espère.

La chose dont je suis sûre, c’est que dès qu’elle est à proximité, c’est comme si toute mon attention se focalisait uniquement sur elle. Il y a quelque chose. J’ai envie de creuser.

Il est clair que c’est plus un coup de cœur qu’une simple attirance physique comme j’ai pu le penser de prime abord…

Mais avant d’en arriver là, on va faire comme prévu et mettre fin à notre super « blague ». On récupère nos valises et passons les douanes, nous dirigeant vers la sortie.

Dom et Sasha papotent joyeusement derrière James et moi qui sommes en tête. Je marche d’un pas rapide, voulant en terminer le plus vite possible. Je m’apprête à me retourner pour voir si Sasha est prête pour le lever de rideau, quand James attire mon attention en plaçant sa main sur mon bras :

- Hey, c’est pas Rachel là-bas ? Je ne savais pas qu’elle venait te chercher !?

Il me regarde, les sourcils légèrement froncés, des questions plein les yeux.

… Parce que ce n’est pas le cas.

Pas cool.

À leurs yeux, j’ai l’air d’être la garce qui a eu du fun avec Sasha et se rue dans les bras de son ex à la minute même où elle revient à la maison.

Laissant ma valise à James, je trottine en direction de Rachel avec la ferme intention de lui demander ce qu’elle fait là.

Option : c’est pas vraiment le moment, casse-toi.

Je ne veux pas que Sasha la voie, même si objectivement j’ai conscience qu’elle n’était que deux mètres derrière moi et que les chances qu’elle ait raté ça sont minimes, pour ne pas dire inexistantes.

Rachel interprète ma hâte comme un bon signe puisqu’elle me prend dans ses bras sans hésiter. Plaçant mes mains sur ses hanches, je la repousse doucement.

- Surprise !

C’est le cas de le dire.

Mon visage doit laisser transparaître mes sentiments puisque son sourire vacille et disparaît même lorsque je demande d’un ton curieux :

- Salut. Qu’est-ce que tu fais là ?

Elle hausse les épaules et annonce :

- J’avais gardé le message dans lequel tu m’annonçais ta date de retour. Je me suis dit que je pourrais te reconduire chez toi, qu’on pourrait discuter.

Plaçant mes mains dans mes poches, j’essaie de lui faire comprendre que je n’ai pas l’intention de repartir avec elle, tout en restant correcte. Après tout, elle l’a été avec moi-même si elle s’est montrée un peu maladroite à me l’annoncer en voiture.

- Désolée, on a réservé un taxi.

- Oh.

Elle reste devant moi, sans rien dire et c’est super bizarre. D’un côté, son visage et sa manière d’être sont familiers, mais j’ai l’impression d’être face à des souvenirs d’une autre vie. Du coup, je décide de prendre la parole :

- Écoute. J’ai… besoin d’un peu de temps. Là, tout de suite, c’est pas un super moment.

Et le prix d’euphémisme de l’année revient à : Héléna ! \o/

Elle acquiesce de la tête, suffisamment intelligente pour savoir choisir ses combats :

- Ok. T’as mon numéro. ..

Elle s’apprête à se retourner puis hésite, ajoutant :

- Pour mon message… C’était déplacé, je suis désolée.

La retenant d’une main sur son bras, j’essaie de clarifier les raisons de ma non-réponse :

- Hey. Il n’y a pas de problème. Ça me ferait plaisir d’aller boire un verre, en toute amitié… Enfin si ça te tente toujours…

Son visage s’illumine malgré la mention d’un changement de nature dans notre relation et ça me rassure de voir qu’elle apprécie ma compagnie, même habillée.

Elle serre rapidement ma main dans la sienne avant de la relâcher, indiquant :

- À moi aussi. On t’attend, file !

Rachel ponctue sa phrase d’un mouvement de tête en direction de mes collègues et me dépose un bisou sur la joue, partant sans demander son reste.

Ce serait mentir de dire que ça ne me fait rien de sentir son parfum et la familiarité de ses lèvres, même si c’est sur ma joue.

Mais pas le temps d’être distraite, j’ai la super boutade à dévoiler et une invitation à lancer.

J’observe la silhouette mon ex deux à trois secondes, mi par nostalgie, mi pour gagner du temps parce que suis toujours en flip.

Prenant une grande inspiration, je plaque un sourire sur mes lèvres et tourne les talons.

Le sourire disparaît instantanément, remplacé par un froncement de sourcils.

Marchant d’un pas rapide en direction de mes collègues, je demande :

- Elle est où Sasha ?

James regarde ailleurs et Dom adopte un air désolé lorsqu’il m’annonce :

- Partie.

Je passe mes deux mains sur mon visage, dégoutée.

Comme si ça ne suffisait pas, James m’achève sans pitié :

- C’était moyen cool ce que t’as fait.

Si j’avais été la fille de Zeus, il serait mort foudroyé dans la milliseconde après avoir osé dire ça :

- Tu crois que je l’avais invitée ? Je savais pas qu’elle allait être là !

Il hausse les épaules et rétorque :

- Je t’ai annoncé qu’elle était là et t’as couru jusqu’à elle, excuse-moi d’en arriver à la conclusion que t’es contente de la voir.

Ne daignant même pas répondre, je sors immédiatement mon téléphone et tente d’appeler Sasha, sans succès puisqu’elle ne décroche pas.

- Merde merde merde…

J’attends quelques secondes, les yeux braqués sur l’écran, dès fois qu’elle rappelle, avant de me résoudre à l’évidence. Plus qu’à tenter le bon vieux texto.

Refusant de me comporter comme si j’avais fait quelque chose de mal, j’écris :

T’es passée où crâne d’œuf ? Un vrai-faux baiser renversé toute seule ça va être difficile ! Reviiiiiens partenaire de crime !

Je vois les trois petits points indiquant qu’elle est en train de rédiger un message apparaître et les fixe en me mordillant la lèvre. Ils disparaissent, puis réapparaissent.

Visiblement elle ne sait pas trop comment répondre.

Le message que je reçois finalement n’est pas celui que j’espérais :

Urgence, j’ai dû filer. On se croisera au bureau.

Je ferme les yeux, ayant un peu l’impression de m’être faite gifler.

C'est possible qu'elle n'ait pas fait 100% semblant si elle réagit comme ça non ? Ou au contraire c’était juste un acte et ça n’est donc pas un problème de partir en me laissant en plan…

Cela dit, la seconde partie de son texto ne dégouline pas d'un esprit de franche camaraderie... Ça sonne comme quelque chose qu'on dirait histoire d'être polie, mais sans plus.

Malgré l’absence de preuves, je suis intimement convaincue qu’il s’agit d’un mensonge, mais peux difficilement le pointer du doigt sans paraître présomptueuse ! Je me vois très mal lancer : "C’est pas vrai, je pense que tu es contrariée que Rachel soit venue me chercher". Quoique si je ponctuais ça par une moue boudeuse et en tapant du pied ce serait du plus bel effet !

J’opte pour la fameuse technique du “j’ai pas compris” et joue les ingénues :

Oh, ok. J’espère qu’il n’y a rien de trop grave. Fais-moi signe quand t’es dans le coin :)

Lorsque je relève les yeux, James et Dom m’observent avec curiosité, attendant mon verdict.

Haussant les épaules, je leur donne l’explication à laquelle j’ai eu droit :

- Une urgence.

Ils n’ont pas l’air plus convaincus que moi, mais je préfère faire comme si je n’avais pas remarqué. Plus de raison de stresser j’imagine :

- Bon… Vous rentrez directement ou une petite bière ça vous dit ?

==========================================

 

M’affalant directement dans le siège destiné aux visiteurs du bureau de Dom, je souris en entendant ce dernier marmonner :

- Fais comme chez toi je t’en prie.

Souriante, je croise les jambes et m’adosse bien en arrière, mains derrière ma tête et réponds :

- Bonjour à toi également Dom. Comment ça va ?

Il lève la tête et plisse les yeux, m’adressant un regard suspicieux :

- Crache le morceau.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

J’ai beau nier, je sais que j’ai l’air d’une fille à qui l’on vient d’annoncer que son ennemi juré qu’elle rêve d’assassiner depuis des années s’est fait écraser par un gros camion.

La soudaine illumination se lit sur son visage et il se met immédiatement à pianoter sur son clavier. Ayant prévu le coup, je souris et place des lunettes de soleil sur mon nez pile au moment où il ouvre grand la bouche et m’observe avec des yeux ronds :

- Nan ?

- Et si. J’espère que je ne vais pas prendre trop de coups de soleil.

- Comment t’as fait ?

- Le talent.

Visiblement blasé, il tente de ruiner mon fun :

- Il reste deux semaines, tu peux encore te faire doubler !

- Oh pleaaaase ! Je suis tellement en avance sur vous autres losers que vous me faites presque de la peine ! Mais je t’enverrai une carte postale pour donner de mes nouvelles !

Évidemment, il rebondit sur LE sujet que je n’ai aucune envie d’aborder :

- En parlant de nouvelles… Sasha t’a contactée ?

Pour le coup, ça me calme direct. Retirant les lunettes de soleil, je baisse les yeux et joue avec mes mains :

- Nan. Rien depuis “l’urgence”.

Marquant le mot de guillemets, je vois bien que ça le fait chier pour moi. Il regarde à droite, puis à gauche, s’assurant que personne n’a l’oreille qui traîne avant de lancer d’un ton conspirateur :

- Si on te demande, ça ne vient pas de moi, mais la rumeur court que Madame Dastré passera dans les locaux cet après-midi...

Je hausse les sourcils en entendant ça.

Elle s’est bien gardée de me le dire, ce qui signifie qu’elle m’évite.

Je le savais !

Pour une fois, avoir raison ne m’apporte aucun sentiment de satisfaction. Techniquement, je devrais reprendre la route, mais je peux aussi travailler d’ici non ? Ce n’est pas vraiment une décision difficile à prendre.

Je tends le bras pour poser ma main sur celle de mon collègue :

- Merci Dom.

Haussant les épaules, il diminue son geste :

- T’as merdé, ça arrive. Récupère là.

Je hoche la tête sans dire un mot.

Je ne leur ai pas annoncé qu’on les avait fait marcher, j’étais trop amère pour ça sur le moment et depuis je ne sais pas comment le présenter. C’était ridicule avant, ça l’est encore plus maintenant !

De toute manière la seule qui passe pour un dindon dans notre “farce”, c’est moi. Au moins, je me serais faite enfiler par Sasha quelque part !

Oui bon on ne peut pas toujours être au top de son humour hein !

Je quitte son bureau et me rends directement sur le parking pour déplacer ma voiture derrière le Tiguan de la comptable, car la mienne est la seule à être rouge et je ne veux pas risquer que Sasha la voie et fasse demi-tour.

Je retourne dans le bâtiment, prenant mes affaires pour aller m’installer dans la salle de réunion que personne n’utilise jamais car elle est à côté des toilettes et l’aération semble communiquer…

C’est pas me cacher si personne ne me cherche, right ?

J’ouvre la fenêtre, partiellement parce que mes collègues ont visiblement une appétence particulière pour la nourriture épicée qu’ils ne tolèrent pas, mais également pour entendre si une voiture arrive.

Manque plus qu’un trench ainsi que des jumelles et je serais le type chelou qui observe les autres depuis l’ombre.

J’essaie de me focaliser sur l’offre commerciale que j’aurais déjà dû avoir finie il y a deux heures lorsque j’entends un véhicule se garer.

Ne voulant pas risquer de passer ma tête à travers la fenêtre, j’oriente celle-ci de sorte de pouvoir voir le parking dans le reflet.

Si jamais on me prenait en flagrant délit, je nierais jusqu’à la mort que c’est ce que j’étais en train de faire. Franchement, voilà à quoi je suis réduite ! Je ne suis pas sûre que Sasha soit une bonne influence !

À l’idée de la revoir, sachant qu’elle est potentiellement fâchée contre moi... C’est comme si un cafard avait pondu dans mon ventre et que des milliers de bébés venaient d’éclore à l’instant… Pas cool !

Posant à nouveau les yeux sur mon écran, je n’arrête pas de regarder l’horloge.

Je lui laisse quinze minutes pour déposer ses affaires avant de l’embusquer. Comme ça elle sera installée et ne pourra pas fuir aussi facilement.

M’asseyant, je range mes affaires dans leur sac et guette les minutes qui s’égrainent tellement lentement que je suis dans un premier temps persuadée d’être coincée dans une faille temporelle en boucle perpétuelle, puis convaincue que les minutes ont été à reculons pendant un moment.

Alors que la trotteuse est à mi-chemin de la dernière minute, je me lève, mets mon manteau et embarque tout mon fatras. Je me présente comme une fleur dans la salle de réunion où Sasha s’est installée, faisant mine d’arriver au bureau.

Elle est penchée sur une pile de papier, tapotant son stylo sur ses lèvres.

Camouflée par ses cheveux, je prends quelques secondes pour l’observer avant de signaler ma présence :

- Salut Sasha.

Elle sursaute, perdue dans ses pensées ou surprise de me voir. Ses yeux se posent sur moi et je suis gratifiée d’un petit sourire crispé.

Ok. C'est pas passé donc.

- Salut Héléna.

Voulant initier le contact, je quitte mon poste d’observation près de la porte pour aller lui faire la bise. Elle se laisse faire sans broncher et se replonge dans le document, m’ignorant royalement.

Pointant la table, je demande :

- Je peux me mettre là ?

Elle cesse sa prise de notes, grimace et m’indique :

- Ça ne m’arrange pas, j’ai une conférence téléphonique d’ici 15 minutes et comme il n’y avait personne je leur ai donné le numéro du fixe de la salle de réunion.

Et voilà un plan foutu en l’air… Ne voulant pas baisser les bras, je tente d’engager la conversation :

- Ça a été ton urgence ?

- Oui, merci.

Son ton est monocorde et elle n’a même pas daigné lever les yeux de ce qu'elle fait.

Bon…

- Ça a été la reprise ?

- Chargée.

- Tu as montré les photos à ton amie ?

- Non.

Elle ne me rend pas la tâche facile. Mais je ne serais pas une commerciale efficace doublée d’un être aussi pénible si j’abandonnais à la moindre difficulté. Il est temps de prendre le taureau par les cornes :

- On peut parler ? J’ai l’impression que tu m’en veux pour quelque chose.

Elle soupire et je suis persuadée d’avoir remporté la victoire jusqu’à ce qu’elle prenne la parole, plaçant un regard indifférent sur moi :

- Je n’ai aucune raison de t’en vouloir, tu ne m’as rien fait… maintenant si tu veux bien m’excuser, je dois vraiment bosser sur cette offre. On discutera une prochaine fois.

Elle termine par un sourire qui n’atteint pas ses yeux et un signe de tête en direction de la paperasse étalée devant elle.

Ok. Sa réponse est à la limite de l’impolitesse… Et on sait toutes les deux qu’elle n’a aucune intention de papoter à une date ultérieure.

Mais bon, je vais la laisser ruminer dans son coin pour l’instant. Ce n’est pas une discussion que je tiens absolument à avoir dans les locaux de l’entreprise, alors inutile de pousser.

Ramassant toutes mes affaires, je m’arrête dans l’embrasure de la porte et lance un :

- Je ne sais pas quel est ton problème, mais souviens-toi de la dernière fois où je n’ai pas eu le bénéfice du doute. Sur ce, bonne journée.

Mon ton étant plus las qu’accusateur, j’espère qu’elle ne va pas le prendre mal. Je veux juste qu’elle réfléchisse et me laisse me défendre au lieu de se braquer sans raison.

Fin je veux dire, la seule explication à son comportement est qu’elle pense que j’ai répondu un gros “OWI PRENDS MOI” au message de Rachel et que je ne la laisse pas indifférente. En soi, c’est une très bonne nouvelle !

Si Madame n’était pas déterminée à faire l’autruche !

Je retourne dans le bureau de Dom et ferme la porte.

Un coup d’œil à ma tête et il demande :

- Tant que ça ?

- J’ai été congédiée comme une malpropre ! J’aurais voulu faire du porte-à-porte chez les paralysés pour vendre des vélos que je n’aurais pas été aussi mal reçue !

- Laisse-lui un peu de temps… J’organise une petite fête chez moi à laquelle elle et toi êtes conviées ce samedi si ça te tente.

- Elle est au courant que j’ai été invitée ?

Il croise les bras et sourit :

- Il se peut que j’aie oublié de le mentionner. Ça ne me paraissait pas important.

- Tu sais quoi Dom ? Là tout de suite, j’ai presque envie de t’embrasser !

Il m’observe d’un air amusé et me remballe :

- Après j’aurais des problèmes avec Alycia ET Sasha, merci mais non merci, t’es très jolie, mais pas à ce point !

14 mars 2018

Chapitre 16

La nuit étant tombée, je roule au pas comme toujours lorsque je ne connais pas bien le terrain.

Je ne suis pas fâchée que la semaine soit finie et d’avoir l’occasion de faire la fête ce soir.

Mes phares illuminent une voiture garée sur le bas-côté. Reconnaissant l'un des véhicules de la société et remarquant la présence d'un triangle de signalement, je me sens obligée de m'arrêter.

Parfois je me dis que ma conscience professionnelle va trop loin. Une fois rangée sur le bas-côté, je m'approche de la voiture et suis accueillie par des jurons bien de notre langue :

- C'est bien ma veine bordel. Fallait que ça tombe sur moi. Quelle merde !

Je contourne le véhicule et lance un coup d'œil à la personne en panne, espérant secrètement que c'est un de mes clients et qu'il se sentira suffisamment redevable pour m'acheter une quinzaine de machines en remerciement.

Mais s'il y'a une chose que la vie m'a apprise, c'est que le destin ne m'aime pas. Étonnamment... pas vu ma chance, je tombe sur Sasha.

Je m'adosse nonchalamment sur sa portière et demande :

- Tout va comme tu veux ?

Elle ne me lance même pas un regard et rétorque immédiatement d'un ton hautement ironique :

- Génial, c'est la meilleure soirée de ma vie.

- Bon, bah je te laisse alors, je ne voudrais pas déranger...

Je fais mine de partir et entends :

- Sache que si tu m'abandonnes ici et que je meurs dévorée par les loups, je prendrais soin d'écrire ton nom avec mon sang.

Je me retourne et croise les bras en levant un de mes sourcils d'un air de dire "vraiment ?" :

- C'est la dernière fois que je m'arrête sur une route déserte, de nuit, pour aider une damoiselle en détresse. De vraies ingrates !

Elle se relève et époussette sa jupe, son collant ayant fait place à deux trous béants au niveau des genoux et demande d’un ton dégoulinant de sarcasme :

- Et qu'est-ce que je pourrais faire pour montrer à ma preuse sauveuse l'étendue de ma reconnaissance ?

J'ai bien quelques idées...

Ne t'engouffre pas sur cette pente glissante Héléna, sois forte ! Ce n’est pas le moment de la braquer, elle a l’air plus cordiale que l’autre jour.

Voulant ne pas me griller, je m'empresse de rétorquer :

- On en reparlera une fois arrivées.

- Arrivées où ?

- À la soirée pardi !

Elle me regarde, un sourire en coin aux lèvres. N’y tenant pas, je l’incite à dire le fond de ses pensées :

- Vas-y, sors ta connerie…

- Qui dit “pardi” de nos jours ?

Bien trop contente qu’elle adopte une attitude normale aux antipodes de la pouf des glaces que j’ai eue en face au bureau, je réplique dans une courbette :

- Toute personne aux tendances chevaleresques, pour vous servir !

- Alors rends-moi service et ouvre-moi la portière passager, que je profite du chauffage.

Elle dit ça d’un ton très sérieux, mais son regard a retrouvé une partie du pétillement auquel je suis accoutumée. Secouant la tête, je marmonne tout en me dirigeant vers la voiture tandis qu’elle attrape ses affaires :

- Je crois que je vais tenter ma chance avec les loups. Ça vaut peut-être mieux. Ouais, on va faire ça.

Je déverrouille la voiture et ouvre sa portière en grande pompe, dans un :

- Le carrosse de Madââme est avancé.

Je trottine du côté conducteur et m’installe au volant avant qu’elle ne puisse changer d’avis.

On a à peine fait deux mètres qu’elle demande :

- Merde, tu crois que je devrais laisser la voiture là ?

- Tu l’as verrouillée ?

- Bien sûr !

- Alors oui, on reviendra avec James demain.

- James ?

Je la regarde du coin de l’œil, étonnée qu’elle le soit :

- Oui, James. Ce même type qui pourrait te construire une fusée avec une brosse à dents et un bout de chewing-gum. Une voiture, c’est rien pour lui.

- Oh, ok. Je savais qu’il était bon en mécanique, mais je pensais que c’était uniquement sur les machines qu’on vend.

- Et non !

Le reste du trajet est silencieux et je sais que si j’ai envie de discuter, c’est à moi d’initier.

- Ça fait plaisir de tous se retrouver ce soir. Je vous ai tous croisés, mais ça reste un sevrage violent.

Bien qu'ayant les yeux sur la route, je sens que Sasha a tourné la tête pour me regarder :

- Oui. Ça va faire du bien de décompresser.

Voyant une opportunité de la faire parler, je me contente d’un :

- Ah ?

- En gros, c’était une semaine de merde, mes chers collègues avaient traité uniquement les urgences en mon absence, donc j’avais tout le reste à rattraper. Un enfer !

- Aoutch. Moi j’avais mon assistante, heureusement sinon j’aurais été coulée quelque chose de bien.

- Ouais mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, madame “je fais vivre l’entreprise à moi seule”. Depuis que l’aéronautique bat un peu de l’aile, nous autres mortels avons une assistante pour trois.

- J’ai entendu ça. Je suis étonnée que personne ne soit parti d’ailleurs... Mais assez parlé boulot, t’es prête à t’amuser ce soir ?

Elle place sa main sur la mienne, posée sur le levier de vitesse et dit d’une toute petite voix :

- Juste un dernier truc : désolée d’avoir été une garce avec toi cette semaine, c’était pas justifié.

Profitant d’être à l’arrêt, je tourne la tête pour scruter sa réponse à ma question :

- Je peux savoir à quoi c’était dû ? Parce que pour être honnête je n’ai pas trop compris. On est passées de tout à rien.

J’ai bien ma petite idée, mais préfère ne pas faire de suggestion, voulant voir comment elle va formuler la chose sans mettre mes mots dans sa bouche.

Son regard vert vient trouver le mien et sa main, que j’avais complètement oubliée, se met à jouer avec mes doigts.

C'est d’un ton pas très fier qu'elle répond :

- Quand t’as couru vers Rachel, James a fait une remarque et j’ai eu l’impression de passer pour une conne, que tu faisais ça pour m’humilier. On ne leur avait pas encore annoncé qu’il n’y avait strictement rien entre nous et tu te jettes dans les bras de ton ex sous nos yeux. Je me suis souvenue de comment tu étais avec moi au début du voyage et je me suis dit que t’avais fait semblant de commencer à m’apprécier tout en ricanant dans mon dos, avec pour objectif de me ridiculiser.

Je grimace en entendant sa tirade,  surtout le “strictement rien entre nous” et la partie où son estime de moi laisse clairement à désirer. Je prends quelques secondes pour encaisser le coup. Ça me déçoit vraiment.

En plus, ça a plus l’air d’être une réaction d’orgueil plus que de jalousie… En somme que des bonnes nouvelles. Surtout que ça fait la deuxième fois maintenant qu’elle pense à tort que je me fous copieusement de sa gueule.

Techniquement, elle me tend une perche et je pourrais en profiter pour lui annoncer que je n’ai pas fait semblant et que c’est beaucoup plus que “commencer à l’apprécier”, excepté le fait qu'on est en voiture et que je ne tiens pas à créer l’effet prise d’otage. Et puis savoir qu’elle a toujours des doutes sur mes intentions ne donne pas vraiment envie de lui faire une déclaration avec les tripes. Étonnant non ?

Serrant les dents, je continue bravement, sans répondre. Pour être honnête, je ne sais pas quoi dire si ce n’est “vraiment Sasha ? Vraiment ?”. Et bon, je pense qu’on peut s’accorder sur le fait que ça ne ferait pas avancer la conversation. Comme qui dirait : si ce que tu as à dire n’est pas plus beau que le silence, alors tais-toi.

La difficulté que je rencontre à essayer d’avaler cette énorme pilule doit se voir puisqu’elle m’indique :

- Hey. Arrête-toi. Prends deux minutes.

Sachant que ma concentration est à ce qu’un crapaud est au sex appeal, je m’exécute. Inutile d’avoir un accident sur le tas.

Je gare la voiture sur le bas-côté et regarde par la fenêtre, me mordillant la lèvre.

Putain ça fait chier !

Voyant certainement que je n’ai pas l’intention de parler de l’éléphant dans le véhicule, Sasha tente un :

- Je suis désolée.

C’est toujours facile de faire ce qu’on veut et demander pardon après. J’ai juste besoin d’une petite minute et on repartira. Mon cœur a déjà pris suffisamment cher ce soir, la discussion sur le fond de mes pensées peut attendre. Avalant mon amertume, je réponds d’un ton que j’essaie de garder détaché :

- C’est pas grave.

- Ça a pas l’air.

Sérieux ? Il faut qu’elle me provoque en plus ? Elle cherche quoi ? À m’énerver ?

Tournant la tête, je lui lance un regard signifiant très clairement qu’il est déconseillé de pousser le bouchon.

Sasha a le visage ouvert et ses yeux viennent trouver les miens, ne sourcillant même pas avant de demander :

- Parle-moi Héléna.

Oh putain.
Je vais me la faire ! Soit elle est débile, soit sa témérité confine à la connerie ! Tournant la partie supérieure de mon corps vers elle, j’ouvre les vannes :

- Tu veux que je te dise quoi ? À chaque fois c’est la même chose ! Tu assumes le pire, ne me laisse pas le bénéfice du doute, refuses de m’adresser la parole et me ponds une explication accompagnée d’une excuse facile et après seulement madame est disposée à parler !

Je termine ma tirade d’une tape sur mon volant. Voyant qu’elle ouvre la bouche, certainement pour me sortir une nouvelle justification bidon ou bien me blâmer pour le tout, je l’interromps :

- J’ai pas fini. Tu veux qu’on parle ? Cette fois, tu vas m’écouter. Est-ce que je me suis comportée comme une vraie mégère avec toi au début ? Oui, absolument. Mais je n’ai JAMAIS été cruelle juste pour le plaisir. Et je commence à en avoir sérieusement marre de devoir marcher sur des œufs au risque de passer pour la méchante de l’histoire, de tolérer que tu me traites comme une merde de manière arbitraire, de devoir me justifier pour des comportements que tes insécurités t’amènent à largement interpréter et d’avoir à accepter sans broncher que tu penses le pire de moi. Alors oui, je ne suis pas parfaite Sasha, mais je ne traite pas mes amis comme ça… Et que les choses soient claires entre nous : j’ai bien saisi que ton niveau d’estime pour moi approche le néant, que j’ai eu tort de penser qu’on devenait proches mais soit dit en passant, de nous deux, la garce ce n’est plus moi depuis un bon moment.

Appuyant mon monologue d’un regard énervé, je le maintiens quelques secondes avant de m’adosser totalement à mon siège, tête calée, yeux fermés et souffle rapide.

Reste zen. Ça ne vaut même pas la peine de te mettre dans des états pareils.

Je vais potentiellement regretter d’avoir vidé mon sac, mais putain qu’est-ce que ça fait du bien ! J’entends Sasha détacher sa ceinture, la portière passager s’ouvrir et le bruit de ses chaussures au sol. J’encaisse le claquement de la porte dans un léger sursaut, les yeux toujours fermés.

Si je ne les ouvre jamais je peux continuer de prétendre que Sasha est encore là…

Oh et puis qu’elle parte. Je n’ai fait que dire la vérité.

C’est horrible, car selon moi je suis dans mon bon droit d’être énervée, mais ça me brise le cœur de savoir que je viens probablement de tirer un trait sur ce qu’il pouvait y avoir entre nous.

Et je persiste à dire que notre relation mérite d’être creusée. De mon côté du moins.

La preuve, c’est qu’être la reine des harpies et être connue comme telle ne me pose strictement aucun problème de base, mais que Sasha fasse partie de ceux qui pensent ça m’est quasi insupportable. Visiblement c’est pas franchement réciproque.

Je fais un bond de 15 mètres et écarquille les yeux lorsque ma portière s’ouvre.

Sasha se décale et m’ordonne :

- Sors de là.

L’observant d’un air blasé, j’indique :

- Si t’as l’intention de me gifler, t’aurais très bien pu le faire dans la voiture.

En lieu de réponse, elle me tire le bras et je détache ma ceinture dans un soupir, la suivant à l’extérieur.

Une fois debout je lui fais face et ferme les yeux, dans un “fais-toi plaisir” résigné.

Je manque de tomber à la renverse sous la force de l’étreinte à laquelle j’ai droit. Ses bras s’enroulent autour de mon cou et mes mains vont se poser sur ses hanches, à moitié par habitude, à moitié pour garder l’équilibre.

Elle niche son visage au creux de mon cou et je l’entends murmurer :

- T’as totalement raison.

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